<256> raison, que mon état n'empire avec l'âge. D'un autre rôle, je me dis, pour me tranquilliser, ce vers de Racine :

Je ne veux point prévoir les malheurs de si loin,a

En voilà trop sur cet ennuyeux objet, dont je n'ai parlé que pour répondre à la bonté avec laquelle V. M. s'y intéresse. Vivez, Sire, portez-vous bien, n'ayez point de douleur, et qu'il arrive de moi ce qu'il plaira à la destinée et à la nature. Je serai content, ou du moins consolé.

Le saint-père me paraît avoir fait, comme on dit, bonne mine à mauvais jeu. Il a donné beaucoup de louanges à la piété de Sa Majesté Impériale; il lui a donné la communion le jeudi saint, à ce que disent les gazettes : grand bien leur fasse à tous deux! Reste à savoir ce que deviendront les moines supprimés. Quelques lettres d'Allemagne, et surtout de Flandre, paraissent donner des doutes sur l'entier accomplissement de son projet impérial et antimonastique. On prétend que, depuis son entrevue avec le pape, la destruction des couvents supprimés traîne en longueur. Ce serait tant pis pour lui; il vaudrait mieux n'avoir rien fait du tout que de faire à moitié ce qu'il a annoncé. Mais, Sire, ce qui m'intéresserait beaucoup davantage, ce serait que nous eussions en France le courage d'imiter cette réforme. Hélas! comme le dit très-bien V. M., nous n'en ferons rien, et, tout en méprisant les prêtres et les moines, nous leur ferons l'honneur de les craindre et de les épargner. Nous avons écrit là-dessus, et depuis longtemps, les plus belles choses du monde; mais nous écrivons, et nous ne faisons pas. Les autres font, et n'écrivent point. Nous sommes sur ce point comme pour la guerre et pour la musique; nous barbouillons des livres, et nous nous en tenons là. A propos de guerre, que pense V. M. de notre déconfiture aux Antilles?


a

Je ne sais point prévoir les malheurs de si loin.

Racine,

Andromaque

, acte I, scène II.