<292>Quoique le Roi n'eût d'abord confié qu'à moi ce que je vous écris, j'ai cru que, de son aveu, je devais en faire part à M. l'abbé de Prades, par le zèle que je lui ai connu pour ce qui vous regarde; il vous instruira amplement de ce que je n'ai l'honneur de vous écrire que très-succinctement.
Au reste, monsieur, je vous connais trop philosophe pour craindre que, si vous n'acceptiez pas l'offre que je vous fais, vous voulussiez la divulguer pour flatter une vanité qui n'est que pour les âmes vulgaires, et non pour celles qui sont de la nature de celles des Newton, des Locke, des d'Alembert. Consultez-vous donc, monsieur, et surtout n'écoutez pas quelques contes qui n'ont aucune réalité. Quand il en sera temps, je me charge de vous montrer évidemment que ce pays est le seul qui soit fait pour les gens qui, comme vous, savent penser.
Je suis, etc.
2. D ALEMBERT AU MARQUIS D'ARGENS.
Paris, 16 septembre 1752.
On ne peut être, monsieur, plus sensible que je le suis aux bontés dont le Roi m'honore. Je n'en avais pas besoin pour lui être tendrement et inviolablement attaché; le respect et l'admiration que ses actions m'ont inspirés ne suffisent pas à mon cœur; c'est un sentiment que je partage avec toute l'Europe; un monarque tel que lui est digne d'en inspirer de plus doux, et j'ose dire que je le dispute sur ce point à tous ceux qui ont l'honneur de l'approcher. Jugez donc, monsieur, du désir que j'aurais de jouir de ses bienfaits, si les circonstances où je me trouve pouvaient me le permettre; mais elles ne me laissent que le regret de ne pouvoir en profiter, et ce regret ne fait qu'augmenter ma reconnaissance. Permettez-moi, monsieur, d'entrer là-dessus dans quelques détails avec vous, et de vous ouvrir mon cœur comme à un ami digne de ma confiance et de mon estime. J'ose prendre ce titre avec vous; tout semble m'y inviter : la lettre pleine de bonté que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire; la générosité de vos procédés envers M. l'abbé de Prades, auquel je m'intéresse très-vivement, et qui se loue dans toutes ses lettres de vous plus que de personne; enfin, la réputation dont vous jouissez à si juste titre par vos lumières, par vos connaissances, par la noblesse de vos sentiments et par une probité d'autant plus précieuse, qu'elle est plus rare.