5. AU MÊME.
Potsdam, 29 juin 1780.
J'ai reçu votre lettre, mais j'attends votre ouvrage, qui n'est pas encore arrivé. Je vous remercie de me l'avoir communiqué, et je m'en tiendrai à la préface, comme vous me l'indiquez; car les ignorants de ma classe se contentent du résultat de vos calculs, sans sonder des profondeurs infinies. A l'égard de vos opinions touchant la peine du délit, je suis bien aise que vous soyez du même sentiment que le marquis Beccaria.a Dans la plupart des pays, les coupables ne sont punis de mort que lorsque les actions sont atroces. Un fils qui tue son père, l'empoisonnement, et pareils crimes, exigent que les peines soient grièves, afin que la crainte de la punition retienne les âmes dépravées qui seraient capables de le commettre. Pour ce qui concerne la question, il y a près de cinquante ans qu'elle est proscrite ici,b comme en Angleterre.c La raison en est des plus convaincantes; elle ne dépend que de la force ou de la vigueur du tempérament de celui auquel on l'applique; un moyen qui peut produire un aveu de la vérité, ou un mensonge que la douleur extorque, est trop incertain et trop dangereux pour qu'on puisse l'employer. Je comprends malheureusement que la philosophie n'ose pas marcher tête levée dans tous les pays.
Je vous suis très-obligé de la personne que vous me proposez à la place de M. Thiébault; je l'accepterai très-volontiers, si vous pouvez
a Auteur de l'ouvrage Dei delitti e delle pene, publié en 1764. Voyez t. XVIII, p. 297, et t. XXIII, p. 457.
b La question fut abolie en Prusse le 3 juin 1740. Voyez t. IX, p. 32, et t. XX, p. 289.
c En 1628, dans le procès de Felton, meurtrier du duc de Buckingham, les juges déclarèrent unanimement que, selon la loi anglaise, l'inculpé ne devait pas être mis à la torture. Voyez William Blackstone, Commentaries of the Laws of England. Nouvelle édition. Londres, 1826, t. IV, p. 326.