<489> Il est bon de remarquer en passant que le mot de tyran ne signifie ordinairement qu'un maître absolu, et que les historiens grecs nous ont conservé la mémoire de plus d'un tyran fort vertueux, de Périandre, par exemple, tyran de Corinthe, qu'ils mettent au nombre des sept sages, de Gélon, tyran de Syracuse, un des plus grands et des meilleurs princes qui aient jamais vécu. Rollin, en parlant de ce Gélon, qu'il traite de roi, fait une remarque fort curieuse, que je ne puis m'empècher de rapporter : « Par un changement jusque-là inouï, dit-il tome III, page 373, et dont Tacite n'a vu depuis d'exemple que dans Vespasien, il fut le premier que la puissance souveraine ait rendu meilleur. » Le même auteur continue d'en parler avec la même admiration dans toutes les pages suivantes. Rien n'est plus beau, par exemple, que le caractère qu'il en donne, plaignant la brièveté de son règne : « Une vieillesse respectée, dit-il page 377, un nom chéri et révéré par tous ses sujets, une réputation sans tache et immortelle, ont été le fruit de cette sagesse conservée sur le trône jusqu'au dernier soupir. Son règne fut court, et ne fit que le montrer à la Sicile pour donner dans sa personne le modèle d'un bon et d'un véritable roi. Après avoir régné seulement sept ans, il mourut infiniment regretté de tous ses sujets. Chaque famille croyait avoir perdu son meilleur ami, son protecteur, son père. »a Qu'il me soit permis d'allonger cette digression par une autre. N'est-il pas étonnant que, parmi cette foule de souverains dont les historiens nous ont conservé la mémoire, il n'y en ait jusqu'ici que deux (car, s'il y en avait eu davantage, Rollin n'aurait pas manqué de les citer) dont ils disent qu'ils devinrent meilleurs après être parvenus au trône? N'est-il pas étonnant qu'il y en ait tant, dans le sein même du christianisme, qui, sans se souvenir du véritable but de leur institution, ont semblé ignorer ou oublier, lorsqu'ils sont parvenus à régner, qu'ils auraient un compte à rendre de leur conduite devant ce jugement futur dont Beausobre a ordre de montrer la nécessité, et qui n'ont usé de leur pouvoir que pour fouler, pour faire gémir les peuples dont ils auraient dû faire le bonheur?
Que Tacite et Rollin apprennent cependant d'un Quinze-Vingt instruit de l'avenir que Gélon et Vespasien ne seront pas toujours les seuls princes vertueux que l'avénement au diadème ait rendus encore meilleurs qu'ils n'étaient. La Providence nous en prépare un troisième. Je l'offenserais, si je le nommais; mais je réponds qu'il effacera en temps et lieu et Gélon, et les Vespasien. Il ternit actuellement tous les contemporains, à force de s'appliquer aux moyens de ressembler à tout ce qu'il y eut jamais de grand et de vertueux dans les siècles passés. Que Dieu lui donne assez de vie, qu'en cultivant ses rares talents, il n'oublie
a Ces deux passages sont tirés de l'Histoire ancienne de Rollin, édition d'Amsterdam, 1754, t. III, p. 376 et 380.