<508>pacité, ni assez de talents; enfin, je le vois, par sa faute, dégradé, mis au Königstein, et ensuite exilé à sa terre. Notez bien que je vous ai marqué son tempérament mélancolique : or sa rate, qui n'avait pas eu lieu de se gonfler beaucoup pendant que la fortune lui riait, et que tout lui succédait selon ses souhaits, venant à s'émouvoir par le chagrin, l'aura sans doute rendu morne et atrabilaire. Cela, avec l'ennui d'une longue prison, aura mis la dernière main à son humeur mélancolique, et lui aura fait perdre le peu de jugement qui lui restait.

J'ai le malheur d'avoir des attaques d'hypocondrie, et j'ai été dans une prison bien rude;a je sais que le premier est un mal que l'on ne peut connaître à moins de l'avoir eu, et l'autre est une situation où il faut s'armer de toute la constance possible pour résister à l'ennui, à la solitude, et à la terrible pensée de la privation de la liberté.

Le comte de Hoym aura cru sûrement l'immortalité de son âme, sans quoi il n'aurait pas eu le cœur de se réduire au néant, et il faut espérer que le bon Dieu, qui est un Dieu de miséricorde, aura compassion de lui, en vertu de ce qu'il n'a pas tant péché par méchanceté que par tempérament. Je suis sûr, mon cher Quinze-Vingt, que votre cœur généreux sera charmé de voir l'apologie d'une personne qui fut jadis votre ennemi, et je m'attends à vous voir recueillir les cendres de son bûcher.

Le prince Eugène vient d'expirer,b après avoir joué aux cartes le soir avant son décès; j'aurais souhaité, pour l'amour de lui, qu'il eût été tué à Philippsbourg, car il faut préférer la perte de la vie à celle de la raison.

Adieu, mon cher Quinze-Vingt; je m'attends à vous voir le 12 à Berlin, à une décoration militaire. Je n'en serai pas moins avec une parfaite estime, etc


a Voyez t. XXII, p. 279.

b Le 21 avril 1736. Voyez t. I, p. 192 et 197.