<642>Je conçois entièrement, Sire, la conséquence du secret que V. M. me recommande; ce m'a cependant été un devoir si essentiel, par mille et mille raisons qui se comprennent plus facilement qu'elles ne se dépeignent, d'en mettre M. le Prince, de la discrétion duquel une mûre expérience répondait d'ailleurs, que je ne crois pas en être blâmable.
Le Prince ayant consenti, cette traite en effet épouvantable pour une troupe de femmes, préférablement par la saison où nous sommes, ne m'effraye pas; mon parti est pris, et, fermement convaincue que ceci est un coup de la Providence, je le suis pareillement qu'elle m'aidera à surmonter de périlleuses difficultés auxquelles bien des gens ne tiendraient pas.
La feinte du voyage à Stettin, que V. M. a bien voulu me proposer, nous a paru un masque d'autant plus sûr, que M. le Prince, qui, si V. M. le permet, m'accompagnera jusque-là, avait résolu avant cela d'y faire un tour, passant par Berlin, où nous ne nous arrêterons qu'autant de temps qu'il m'en faut pour rendre mes devoirs aux reines et à la maison royale, parce que, si j'y manquais, cela pourrait donner matière à ruminer aux curieux, et que la coutume que nous avons eue depuis quelques années de nous rendre au carnaval rendra le public moins attentif à cette démarche.
Je ne saurais, Sire, encore déterminer positivement le jour de notre départ d'ici, par deux raisons : l'une, que s'il était entrepris subitement après l'arrivée de cette estafette, qui, dans une bicoque comme ceci, a fait du fracas, cela pourrait faire penser des parents et des voisins; l'autre, que je ne saurais me dispenser, soit pour notre équipement, soit pour d'autres détails, de certains arrangements indispensablement nécessaires, qui ne sauraient se terminer qu'en plusieurs jours. J'espère qu'ils le seront vers jeudi ou vendredi de la semaine prochaine; en attendant, j'ose me donner la liberté de remettre à V. M. ma réponse en Russie, que je vous supplie très-humblement, Sire, de faire partir par une estafette.