179. DE D'ALEMBERT.
Paris, 30 décembre 1776.
Sire,
Si je ne respectais les occupations de Votre Majesté presque autant que sa personne, si je ne savais qu'elle a bien mieux à faire que de lire mes jérémiades ou mes sottises, les lettres que je prends la liberté de lui écrire seraient beaucoup plus fréquentes, quoiqu'elles ne le soient déjà que trop, tant celles que V. M. a la bonté de me répondre me remplissent de consolation. Je commence à sentir plus efficacement l'effet des conseils qu'elle a bien voulu me donner; je me suis remis à la géométrie, que j'avais comme abandonnée depuis longtemps, et j'en éprouve l'effet le plus salutaire. Ma vie n'est pas délicieuse, il s'en faut beaucoup; mais elle commence à être tolérable, et j'espère que le temps, l'étude, et surtout le bonheur de voir bientôt V. M., m'aideront à supporter mon existence. Celle de la pauvre madame Geoffrin, à laquelle V. M. veut bien s'intéresser et par rapport à moi, qui l'aime tendrement, et par rapport à elle, qui en est bien digne, cette existence, Sire, est toujours bien fâcheuse, et sans aucun espoir d'amélioration. Heureusement elle ne paraît souffrir beaucoup ni de corps, ni même d'esprit, et je bénis à cet égard sa destinée; car il lui serait bien amer, si sa sensibilité morale avait toute son énergie, d'être privée, dans la triste situation où elle est, de voir ce qu'elle aime le mieux. Oh! que V. M. a bien raison de dire que la France, avec tous les philosophes dont elle se vante à tort ou à droit, est encore un des peuples les plus superstitieux et les moins avancés de l'Europe, et que vos bons Allemands, que nos petits messieurs se donnent les airs de dédaigner, ne sont pas à beaucoup près aussi sots que nous! Je ne vois que les Espagnols à qui nous cédions les honneurs du pas en fait de sottise religieuse. Que dit V. M. de ce qui se