<92> avec les mêmes talents; cela est contredit par l'expérience.a Les hommes portent en naissant un caractère indélébile : l'éducation peut donner des connaissances, inspirer à l'élève la honte de ses défauts; mais l'éducation ne changera jamais la nature des choses. Le fond reste, et chaque individu porte en lui les principes de ses actions. Cela doit être, parce que nous découvrons des lois éternelles; est-il donc probable, dès que quelque chose est déterminé dans l'univers, que tout ne le soit pas? Je sais que j'agite une grande question; mais en m'adressant au plus sage philosophe des Gaules, c'est à lui à la résoudre.
Vous voulez savoir ce que je pense de la conduite des Anglais?b Tout ce qu'en pense le public : qu'ils ont péché contre la bonne foi, en ne tenant pas à leurs colonies le pacte tel qu'ils l'avaient fait avec elles; en déclarant maladroitement, et contre les règles de la prudence, la guerre à un de leurs membres, dont il ne pouvait résulter que du mal pour eux; parce qu'ils ont ignoré stupidement la force de ces colonies, et se sont imaginé que le général Gages pourrait les soumettre avec cinq ou six mille hommes qu'il commandait; qu'ils ont pris des troupes à leur solde, sans avoir songé aux vaisseaux qui devaient les transporter en Amérique; qu'ils ont acheté sur le marché de Londres les provisions et vivres pour cette armée qui devait combattre en Pensylvanie; enfin il n'y a que des fautes à reprocher à ces insulaires. Pourquoi ont-ils séparé à la distance de trois cents milles le corps que Carleton commandait, et celui à la tête duquel est maintenant Burgoyne? Comment ces corps pouvaient-ils, dans cet éloignement, se porter des secours mutuels? Fallait-il encore, dans une telle situation, se brouiller de gaîté de cœur avec les Russes, indisposer les Hollandais par leur insolente arrogance, et multiplier le
a Voyez, t. XXIII, p. 256, 257 et 283, et t. XXIV, p. 685, les jugements que Frédéric porte sur deux autres ouvrages d'Helvétius.
b Voyez t. VI, p. 128 et suivantes, et t. XXIII, p. 450.