INSTRUCTION SECRÈTE POUR LE COMTE DE FINCK.353-a BERLIN, 10 JANVIER 1757.
Dans la situation critique où se trouvent nos affaires, je dois vous donner mes ordres pour que, dans tous les cas malheureux qui sont dans la possibilité des événements, vous soyez autorisé aux partis qu'il faut prendre. 1o S'il arrivait (de quoi le ciel préserve!) qu'une de mes armées en Saxe fût totalement battue, ou bien que les Français chassassent les Hanovriens de leur pays, et s'y établissent, et nous menaçassent d'une invasion dans la Vieille-Marche, ou que les Russes pénétrassent par la Nouvelle-Marche, il faut sauver la famille royale, les principaux dicastères, les ministres, et le directoire. Si nous sommes battus en Saxe du côté de Leipzig, le lieu le plus propre pour le transport de la famille et du trésor est à Cüstrin; il faut, en ce cas, que la famille royale et tous ci-dessus nommés aillent, escortés de toute la garnison, à Cüstrin. Si les Russes entraient par la Nouvelle-<354>Marche, ou qu'il nous arrivât un malheur en Lusace, il faudrait que tout se transportât à Magdebourg. Enfin, le dernier refuge est à Stettin; mais il ne faut y aller qu'à la dernière extrémité. La garnison, la famille royale et le trésor sont inséparables, et vont toujours ensemble; il faut y ajouter les diamants de la couronne, et l'argenterie des grands appartements, qui, en pareil cas, ainsi que la vaisselle d'or, doit être incontinent monnayée. S'il arrivait que je fusse tué, il faut que les affaires continuent leur train sans la moindre altération, et sans qu'on s'aperçoive qu'elles sont en d'autres mains; et en ce cas il faut hâter serments et hommages, tant ici qu'en Prusse, et surtout en Silésie. Si j'avais la fatalité d'être pris prisonnier par l'ennemi, je défends qu'on ait le moindre égard pour ma personne, ni qu'on fasse la moindre réflexion sur ce que je pourrais écrire de ma détention. Si pareil malheur m'arrivait, je veux me sacrifier pour l'État, et il faut. qu'on obéisse à mon frère, lequel, ainsi que tous mes ministres et généraux, me répondront de leur tête qu'on n'offrira ni province ni rançon pour moi, et que l'on continuera la guerre en poussant ses avantages tout comme si je n'avais jamais existé dans le monde.
J'espère et je dois croire que vous, comte Finck, n'aurez pas besoin de faire usage de cette instruction; mais, en cas de malheur, je vous autorise à l'employer, et, marque que c'est, après une mûre et saine délibération, ma ferme et constante volonté, je la signe de ma main, et la munis de mon cachet.
(L. S.)
Federic R.
353-a Cette Instruction secrète, copiée sur l'autographe, et imprimée selon nos principes, rappelle les autres dispositions testamentaires de Frédéric, par exemple, celles du 10 août 1758 (t. IV, p. 295 et 296) et du 8 janvier 1769 (t. VI, p. 243-248). Deux autres ordres pareils, l'un, du 22 août 1758, à ses généraux, et l'autre, du 12 août 1759, au lieutenant-général de Finck, seront imprimés, le premier à la suite de la correspondance du Roi avec le prince Henri, et le second parmi la correspondance en langue allemande. L'Instruction secrète rappelle aussi les lettres et les poésies que Frédéric écrivit après la bataille de Kolin, dans lesquelles il faisait allusion à sa résolution de mourir, s'il le fallait, et dont nous avons cité plusieurs dans notre t. XXIII, p. 16. Enfin, on peut consulter la correspondance du Roi avec son frère le prince Henri, à partir de la lettre du 19 novembre 1757.