29. DU MÊME.
Berlin, 25 août 1786.
Monseigneur,
J'ai passé tout hier et aujourd'hui à me rompre la tête, à me mordre les doigts, pour trouver de quoi riposter aux très-jolis vers que V. A. R. a eu la bonté d'insérer dans sa lettre si soigneusement datée le ai du courant; mais au diantre si j'ai pu assembler deux rimes raisonnables! C'est pourquoi je me contenterai de donner carrière à ma prose.
Rien n'est plus gracieux ni plus exact que le quatrain par lequel V. A. R. a daigné répondre à mon plagiat, et rien n'est plus charmant que la description qu'elle me fait de ses préparatifs pour recevoir dignement le Gast qu'elle attend. Je suis seulement fâché qu'il ne se soit pas déjà présenté pour en profiter, persuadé que je suis qu'il trouverait tout à son gré, et qu'il serait surtout charmé de l'attention que V. A. R. a eue de lui préparer une chasse. Mais qu'elle me permette de faire quelques réflexions sur cette description. V. A. R. en étant accouchée, à ce qu'elle me fait l'honneur de me dire, en s'ennuyant, c'est une marque qu'elle ne s'est pas donné le temps de la relire et de sentir toutes les beautés qu'elle y a renfermées. C'est pourquoi je crois que c'est à son Quinze-Vingt à suppléer au défaut.
1o Elle n'aurait rien pu imaginer de plus heureux ni de plus juste<534> que les quatre premiers vers. Ils font certainement honneur à son génie et à ses sentiments respectueux pour le Roi.
2o L'idée de la forêt d'où V. A. R. déloge la tranquillité et le repos pour la consacrer aux plaisirs de Diane, cette idée, dis-je, n'est pas moins excellente. Mais, s'il m'était permis d'en parler avec ma liberté de Quinze-Vingt, je croirais que la diction de ce passage sonnerai! encore mieux, si V. A. R. s'était avisée de dire :
Cette forêt, où le repos
........................
Sera, par .............,
Vouée aux plaisirs de Diane.
3o La paix du lac troublée par d'habiles pêcheurs, Euterpe déplacée par Comus, tout le reste, en un mot, me paraît avoir été composé dans le temple d'Apollon; et c'est assurément Apollon lui-même, monseigneur, qui vous en a inspiré les idées.
4o Mais rien ne me charme tant que la chute, et surtout le Duval d'Ulysse. Cela est aussi heureux que nouveau. Je voudrais même, par cette raison-là, que V. A. R. eût pensé à finir la pièce par ce vers-là, d'autant plus qu'elle aurait évité par là de commencer le dernier vers par une voyelle, après avoir fini le pénultième par une autre, et qu'elle aurait gardé, qui plus est, son Duval, pour ainsi dire, pour la bonne bouche.
Mon intention était, monseigneur, de vous dire tout cela en vers; mais, je le répète, il n'y a pas eu moyen : mon Pégase est aujourd'hui trop rétif.
Le sieur Jordan vient de m'envoyer sa sixième lettre mythologique, que je prends la liberté de joindre ici. Je lui trouvai, ces jours passés, une qualité dont il ne s'était pas vanté. C'est qu'il a très-bien étudié les règles de la poésie. Il a même fait autrefois d'assez jolis vers; mais il y a renoncé, à ce qu'il dit, par deux raisons : l'une, parce qu'ils l'empêchaient de s'appliquer à des études plus utiles; l'autre,<535> parce qu'ils sentaient ordinairement trop la satire, et ne faisaient que lui attirer des ennemis.
V. A. R. m'ayant fait dernièrement la grâce de m'instruire de la distribution de son loisir à Rheinsberg, il est juste qu'à mon tour je lui rende compte d'une occupation que je me suis donnée depuis une couple de jours. J'ai lu le dixième tome de l'Histoire ancienne de Rollin. Mais, ce qui ne se pardonne guère qu'à un Quinze-Vingt, j'ai commencé cette lecture à rebours, c'est-à-dire, par le dernier livre du volume. La raison qui me porta à ce quiproquo, c'est que, ayant trouvé, en ouvrant le livre, que ce morceau final avait pour titre : Des arts et des sciences, je fus curieux de voir comment l'auteur avait pu placer cette espèce de dissertation dans un cours d'histoire, et, mêlant mis à en lire l'Avant-propos, j'y trouvai tant de goût, que je ne pus m'empêcher de pousser jusqu'au bout. Il est vrai que l'auteur ne traite, dans ce que j'en ai vu, que des avantages qu'un État tire de l'agriculture et du commerce, ce qu'il prouve par quantité d'exemples de l'histoire ancienne; mais il promet, en finissant le tome, d'en faire autant du reste des arts et des sciences dans le tome suivant, qui sera, dit-on, le dernier de toute son Histoire. Quoi qu'il en soit, ce fragment m'a paru si intéressant et si instructif, que j'aurais envoyé tout ce tome à V. A. R., si je n'avais lieu de croire qu'il doit déjà se trouver dans sa bibliothèque.
La fin de ma feuille m'avertit qu'il est temps de finir cette lettre en assurant derechef V. A. R. que ma dévotion pour elle ne finira qu'avec la vie de son, etc.