1. A LA DUCHESSE LOUISE-DOROTHÉE DE SAXE-GOTHA.659-a
Freyberg, 23 janvier 1760.
Madame,
Je reviens encore à la charge, puisque vous m'enhardissez, et que vous le voulez bien. Je vous ai confié le secret de l'Église; mais, bien loin d'entrer dans des détails de négociations, toute cette écriture ne roule jusqu'ici, madame, qu'à trouver quelques points généraux, et de les fixer de sorte que, en mettant les Français et les Anglais d'accord, ils puissent servir de préliminaires à la paix future et générale. J'espère que cela réussira, et vous pouvez bien vous persuader que lorsqu'il sera question de vos intérêts, ils ne seront pas négligés par la nation anglaise, dont le sang allie les princes à votre maison, ni de mon individu, qui, n'ayant pas cet avantage, ne vous en est pas moins attaché par l'estime et l'admiration que vous doivent, madame, tous ceux qui ont le bonheur de vous connaître. Je commence à espérer à présent que nous pourrons réussir : les premiers accès de frénésie sont passés; l'épuisement des finances rend les Français raisonnables comme des Platons. Je ne voudrais pas jurer qu'ils restent des Platons, si l'abondance leur revient; mais qu'ils le soient à présent, et qu'ils fassent la paix, voilà tout ce qu'on leur demande. Cela ne terminera pas la guerre; les Autrichiens, selon leur noble usage, seront les derniers à s'accommoder; mais ils seront bien obligés d'y venir, dès qu'un allié aussi puissant que la France les aura quittés. J'espère donc que cette année mettra fin à la misère de tant de peuples, et aux calamités qui affligent l'humanité d'un bout du monde à l'autre.<660> Voilà, madame, de quoi je me flatte; voilà ce qui me fait passer sur tout ce que je trouve d'incongru dans mes procédés de vous adresser des lettres qui, contenant de tout autres objets, ne mériteraient pas de passer par vos mains. Je vous en demande encore mille pardons; mais si mes soins réussissent, l'Europe vous sera sûrement redevable de la paix, que tout ce qu'il y a de sensé désire.
Oserais-je vous prier de ne point laisser apercevoir à Voltaire que vous êtes du secret? Cela pourrait ombrager le duc de Choiseul, qui est proprement la cheville ouvrière de tous ces pourparlers, et qui ne voudrait pas peut-être que son secret fût pénétré. Que je serais heureux, si, à la fin de cette horrible guerre, je pouvais être assez heureux que de jouir, comme à Gotha, de tous les agréments de votre conversation, de vous revoir, madame, de vous admirer encore, et de vous témoigner de vive voix tous les sentiments de la haute estime et de la considération avec lesquels je suis,
Madame,
de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
FEDERIC.
659-a Cette lettre est inédite, ainsi que la suivante.