5. AU MÊME.
Potsdam, 24 février 1744.
Mon très-cher frère,
Le prince Charlesa m'a rendu votre lettre, qui m'a fait bien du plaisir, vous sachant en bonne santé et content. Je suis bien aise que vous vouliez suivre mon conseil, et penser un peu à des choses sérieuses qui tôt ou tard doivent faire votre métier. Je n'ai point d'enfants, je puis mourir, et je vous regarde comme mon héritier. Il vous conviendrait mal de vous mêler d'intrigues et de faire des cabales dans l'État; mais il vous convient de vous instruire de tout pour vous faire de justes idées d'un gouvernement où le destin vous appelle avec le temps. Ce serait même honteux, à votre âge, si vous n'aviez pas les informations de ce qui se passe dans votre patrie; et le militaire ne saurait subsister ni se maintenir solidement sans la bonne administration des finances. Je crois que vous m'aimez trop pour espérer sur ma mort; mais il n'en est pas moins votre devoir d'acquérir les connaissances nécessaires, qui, en ce cas, pourraient vous rendre qualifié pour régner et pour bien conduire les affaires par vous-même. Il faut à notre État un prince qui voie par ses yeux, et qui gouverne par lui-même. Si le malheur voulait que ce fût autrement, tout dépérirait; ce n'est qu'un travail fort laborieux, une attention continuelle et beaucoup de petits détails qui chez nous produisent les grandes affaires. Il faut donc s'y appliquer de bonne heure, et si vous ne commencez pas à présent à vous y accoutumer, cette vie vous deviendra insupportable lorsque votre caractère vous obligera d'en remplir les pénibles devoirs. Voilà les raisons, mon cher frère, pour lesquelles je souhaite que vous vous informiez de tout. Vous voyez que ce n'est pas mon intérêt qui m'y oblige, mais que mes intentions sont sincères pour vous, et que je n'ai en vue
a Voyez t. III, p. 63.