7. A LA REINE-MÈRE.
Potsdam, 22 février 1745.
Madame,
J'aurai l'honneur de faire mercredia ma cour à ma très-chère maman, et de l'assurer de mes très-humbles respects.
Le froid a fort augmenté ici; il faut espérer que cela ne sera pas de durée. Il est arrivé ici une aventure fort singulière. Le vieux valet de chambre Abt, malade à l'agonie, entouré de prêtres, de médecins, et de tout l'attirail dont les vivants affublent ceux qui veulent sortir de ce monde, crut de mourir, et le persuada si bien à ses spectateurs, que, après son dernier soupir, on le coucha sur la paillasse. Trois heures après sa mort, l'on entend grand bruit; une rumeur générale s'élève dans la maison. Mais qui fut la plus surprise, c'était la femme de voir le défunt plein de vie et très-mécontent de se voir au bord du tombeau, ayant grand appétit et aucune envie de décamper encore. L'on crie au miracle, le voisinage accourt, les prêtres arrivent, avec eux la Faculté des chirurgiens et des médecins; enfin il fallut plus de cent personnes pour persuader à madame que monsieur n'était point trépassé, et qu'il fallait le soigner comme tout plein de vie. Ce qu'il y a de mieux, c'est que le malade s'approche plus de la convalescence que de la mort, et que madame n'en paraît pas autrement édifiée. J'ai trouvé la singularité de cette histoire digne d'être rapportée à ma très-chère maman. Je souhaiterais de pouvoir l'amuser avec quelque chose de mieux, mais encore est-ce beaucoup quand Potsdam fournit un pareil conte.
J'ai l'honneur d'être avec la tendresse la plus respectueuse, etc.
a Frédéric vint voir sa mère à Berlin le 24 février.