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190. AU MÊME.

(Potsdam) ce 8 (mai 1767).



Mon cher frère,

Je vous ai notifié aujourd'hui en cérémonie que nous n'avons fait qu'une fille.350-a Ce n'est pas ma faute, et nous ferons mieux à la première occasion. Nous baptisons mardi, où je me flatte que vous voudrez bien être de la fête. Je vais demain à Berlin pour la revue d'inspecteur, afin d'avoir autant d'avance pour les grandes revues. Ce sont beaucoup de détails désagréables, mais qui sont indispensablement nécessaires pour l'ordre et l'économie intérieure des régiments. Il est sûr, mon cher frère, que depuis cent cinquante ans la guerre est devenue un art immense. Autrefois, du temps des Condé et des Turenne, nous ne trouvons que Mercy et Montécuculi qui sussent tirer tout l'avantage du terrain en y adaptant leur ordre de bataille; les troupes étaient mal disciplinées de part et d'autre; la première décharge était la plus meurtrière, parce que les armes étaient bien chargées; mais le reste allait comme il pouvait, et les généraux fatiguaient plutôt leurs ennemis à force de répéter les attaques, qu'ils ne les vainquaient par l'ordre. Le prince d'Anhalt s'aperçut le premier qu'on ne tirait pas des armes à feu tout l'avantage qu'on devait s'en attendre; il se procura la supériorité du feu en dressant les soldats à charger vite, à quoi l'usage des baguettes de fer contribua beaucoup. Depuis, les bataillons sont devenus des machines de guerre qui se meuvent comme par ressort, par où un général se peut procurer de grands avantages dans les affaires de plaine. Un beau secret, qui perfectionnerait entièrement cet art, serait si on pouvait rendre le soldat invulnérable au feu de mitraille des grandes batteries. Qui ferait cette belle découverte pourrait se flatter d'avoir trouvé le<351> grand œuvre en fait de militaire. Pour moi, mon cher frère, j'y renonce, et je borne tous mes soins à donner par la routine aux officiers l'intelligence et la fermeté dans tous les mouvements que les troupes peuvent exécuter contre l'ennemi, pour qu'on soit sûr de l'exécution, s'il est nécessaire de les employer dans le sérieux. Dans l'espérance de vous revoir bientôt, je vous prie de me croire avec la plus parfaite tendresse, etc.


350-a Il s'agit de la princesse Frédérique, fille du Prince de Prusse, née le 7 mai 1767.