276. AU MÊME.

Le 13 avril 1777.



Mon très-cher frère,

Je vous remercie de la patience que vous voulez bien avoir pour continuer encore une diète, mon cher frère, indispensable pour votre entier rétablissement. Je conçois bien qu'il vous en coûte pour vous soumettre à un régime qui vous rend l'esclave de la Faculté; mais, d'un autre côté, vous prolongerez par là vos jours, et vous me conservez un frère que je serais au désespoir de perdre.

Depuis votre maladie, il s'est passé bien des choses que je n'ai pas voulu vous communiquer, parce que vous étiez malade, et que ces choses doivent rester cachées. Voici le plan que je me suis fait, mon cher frère, et que je suis pied à pied : d'être le plus intimement lié<447> que possible avec la Russie; de veiller sur les grandes comme sur les moindres démarches de la cour de Vienne, et d'être aussi bien que possible avec toutes les autres puissances, cela pour ne me point faire des ennemis de gaîté de cœur; mais surtout d'être avec ces puissances sur un pied que, si les conjonctures exigent de nous allier, l'on soit en état d'entamer une négociation. Cela m'a si bien réussi en France, que c'est par mes insinuations indirectes qu'ils ont envoyé Tott en Turquie pour calmer la Porte et la porter à s'accommoder avec la Russie. En revanche, ils m'ont informé de toutes les calomnies que les Autrichiens leur avaient lâchées contre moi en exagérant des desseins ambitieux auxquels je n'ai jamais pensé. Je les ai détrompés facilement sur tous ces points. Reste encore à nous expliquer au sujet de la Bavière, ce que je ne presse pas encore. Ceci a pourtant produit l'effet que la cour de France m'a fait déclarer par M. de Pons447-a qu'elle se voyait sur le point d'entrer en guerre avec l'Angleterre, mais qu'elle m'assurait qu'elle ne ferait passer aucunes troupes en Allemagne; à quoi j'ai répondu que je lui étais très-obligé de cette ouverture, et que, pour y répondre, je croyais lui devoir déclarer de même que je n'étais en aucune liaison avec l'Angleterre. En me rapprochant de la France, je détruis une des machines du prince Kaunitz, qui est de faire accroire à Versailles que l'Empereur est intimement lié avec moi, et de vouloir me persuader que la cour de Vienne a la France dans sa manche. Ceci, mon cher frère, donnera lieu à d'autres explications avec les Français, par lesquelles on sera à même d'éclairer les ténèbres dont le prince Kaunitz enveloppe ses desseins. On m'écrit que l'Angleterre sollicitera dans peu ma garantie pour le pays de Hanovre; nous verrons ce qui en sera.

Pour ce qu'on dit de l'électeur de Saxe, cela part encore de sa mère, qui a semé ces bruits de changement de religion pour le brouiller avec les cours catholiques.

<448>Voilà bien de la politique. Je crains bien de vous ennuyer, mon cher frère, par tout ce fatras du système de ma conduite que je vous ai tracé; mais un vieux casanier comme moi ne peut guère fournir d'autres nouveautés que celles dont il s'occupe.

Recevez avec amitié les assurances de la tendresse et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.


447-a Voyez t. VI, p. 147 et 148, et t. XXV, p. 60.