282. DU PRINCE HENRI.
Rheinsberg, 9 septembre 1777.
Mon très-cher frère,
J'ai appris votre heureuse arrivée à Potsdam avec la plus grande joie. Vous daignez, mon très-cher frère, me parler, dans la même lettre, de votre passage par la Lusace.452-c Accoutumé à voir vos troupes, je ne suis pas étonné que la comparaison en soit peu avantageuse pour les troupes saxonnes que vous avez vues. Tout le pays, d'ailleurs, a essuyé tant de sensibles secousses, qu'il doit s'en ressentir encore.
Je me suis hâté de répondre sur le premier sujet de votre lettre; mais j'en viens à l'essentiel, c'est de vous remercier très-humblement, mon très-cher frère, de l'Essai sur les formes de gouvernement et sur les devoirs des rois,452-d que vous avez daigné m'envoyer. Je l'ai relu avec<453> toute la reconnaissance et le plus grand plaisir. Vous avez recueilli dans un très-petit volume le résumé de ce qu'on peut dire et penser sur les gouvernements. Vous avez fait le plus beau portrait des devoirs d'un souverain : ce tableau, cependant, ne peut guère être imité. Il faudrait toujours des princes doués de votre génie, et qui eussent vos connaissances. La nature n'en produit pas de cette espèce; je désirerais donc encore un chapitre utile pour un homme que la naissance place sur le trône, mais auquel la nature a refusé les dons que vous possédez. Il lui faut une marche;453-a il est impossible qu'il agisse par lui-même, et je pense que ce serait un malheur s'il le voulait. Comment peut-il faire et quels sont les moyens pour que le corps de l'État se conserve, si la tête en est faible? Ce serait un chapitre excellent pour le bon roi de Fiance. Il se peut que je me trompe, mais je le crois rempli du désir et du zèle à faire le bien; mais n'ayant pas de génie et de connaissances, il ne sait comment s'y prendre.
Je vous rends très-humblement grâce, mon très-cher frère, pour les bulletins; mais je me réjouis que les Autrichiens qui vous regardent vous trouvent encore tel, qu'on peut espérer de vous conserver longtemps. C'est l'idée la plus flatteuse pour moi, et l'objet de mes vœux et de mon espérance. Si vous daignez seulement, mon très-cher frère, ne vous point négliger lorsque vous ressentez quelques incommodités, je puis alors me flatter que votre conservation sera égale à mon espérance et à mes souhaits, lesquels partent du tendre et respectueux attachement avec lequel je suis, etc.
452-c Frédéric partit le 2 octobre de Polnisch-Neudorf, près de Breslau, et passa par Christianstadt, Forsta, etc. pour se rendre à Potsdam.
452-d Voyez t. IX, p. XI et XII, 221-240; t. XXIII, p. 456, 458 et 459; t. XXV, p. 97 et 101.
453-a Nous lisons marche, mais le mot est presque illisible dans l'autographe.