<244> que grand capitaine, et que je ferais mieux de me taire que de vous entretenir de mes songes creux? Mais c'est une nouveauté pour vous d'entendre déraisonner. La conversation de Voltaire, d'Argens et d'Algarotti vous en paraîtra d'autant plus agréable; cette lettre leur servira d'ombre; il en faut dans un tableau. De crainte qu'elle ne devienne à l'italienne et trop chargée d'obscur, je la finis en vous réitérant la tendresse et le profond respect avec lequel je serai toute ma vie, mon très-cher frère, etc.

246. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 2 décembre 1752.



Ma très-chère sœur,

Vos lettres, bien loin de m'ennuyer, sont des instructions philosophiques dont les philosophes mêmes pourraient profiter. S'il y a un être créé digne d'avoir une âme immortelle, c'est vous, sans contredit; s'il y a un argument capable de me faire pencher vers cette opinion, c'est votre génie. Cependant, ma chère sœur, j'aime mieux croire que la nature a fait une exception en votre faveur que de me flatter du même bénéfice. Il est bien sûr que, quand nous nous représentons ce que nous sommes, sans les sens et sans la mémoire il ne reste rien de ce qui fait le nous, et c'est bien sur quoi je compte, regardant le temps que je vis comme l'unique qui m'est destiné entre l'éternité des temps qui m'a précédé et celle qui me succédera. Je sais que je n'ai pas été avant ma naissance, et du passé je conclus au futur. D'ailleurs, à quoi bon cette partie de nous-mêmes survivrait-elle à l'autre? que ferait-elle? à quelle sauce la mettrait-on? Toutes