18. A LA PRINCESSE AMÉLIE.
Hermsdorf, près de Polkwitz, 14 août 1758.
Ma très-chère sœur,
Je viens de recevoir votre belle lettre du 11 et celle du 12. J'avoue que je n'ai pas été dans un petit embarras pour vous. Quoi! un morceau aussi friand, disais-je, est-il fait pour des Kalmouks? Je vous demande pardon, mais je suis bien aise de vous savoir à Neustadt. Je ne sais, ma chère sœur, si les prophètes de Schwedt valent mieux que ceux de Berlin; mais ce qu'il y a de certain, c'est que, vers le 20, je serai à portée de me montrer aux oursomanes,a résolu de vaincre ou de périr.b Je ne crains certainement pas cette racaille, mais les rivières et marais derrière lesquels ils se peuvent cacher. Je ne sais à quoi aboutira ma marche; mais si nous pouvons joindre les barbares, vous pouvez compter que personne ne les épargnera, et certainement tout le monde pense sur ce sujet comme moi.
J'en viens à présent à votre seconde lettre, ma chère sœur, et j'ose vous dire que, en philosophie, je n'ai pas l'honneur de penser comme vous. Je sais fort bien supporter un chagrin personnel, mais je succombe aux calamités publiques, et l'esprit des grands hommes n'est pas le mien. S'ils sont faits pour supporter les revers, et que la Providence prenne plaisir à les charger, cela ne me regarde pas. Le bon Dieu, selon vous, joue le rôle d'un habile muletier, qui donne le fardeau le plus pesant à porter au plus grand âne. Soit donc âne de la Providence qui voudra; pour moi, je ne demande que l'honneur d'être sa bourrique. Je vous jure que j'en ai tout mon soûl, et que s'il dépendait de moi de me confiner dans une retraite ignorée du monde, je m'y rendrais aujourd'hui. Pardonnez, chère sœur, si je ne vous
a Voyez t. XIX, p. 163, 218, 224, 225, 253 et 257.
b Voyez t. IV, p. 228 et suivantes.