287. A LA MÊME.
Le 11 janvier 1755.
Ma très-chère sœur,
J'ai eu le plaisir de recevoir deux de vos chères lettres, l'une du 17 et l'autre du 20, datées d'Avignon. Je suis charmé de vous savoir jouissant d'une santé au moins passable, et j'espère que, lorsque vous aurez gagné la Provence, vous ne serez plus aussi fort incommodée par les vents de bise. Vous avez trop de bonté de penser à mes petits amusements, au sujet des deux cabinets que l'on veut vendre; quant à l'un, de Montpellier, qui ne contient que des magots de la Chine, il est curieux, mais j'avoue qu'il ne me tente pas; quant à celui de M. de Crillon, il n'a pas une grande célébrité à Paris, et en achetant tout en masse, on reçoit, pour l'ordinaire, plus de médiocre que de bon, sans compter la dépense, qui est assez considérable. Je ne m'étonne pas que vous ayez trouvé le duc de Richelieu fort changé; il a travaillé toute sa vie à vieillir vite; cependant cet homme doit avoir l'air d'un seigneur et la politesse d'un vieux courtisan. Il faut que les dames d'Avignon soient fort superficielles, si elles ne considèrent en vous que l'ajustement; cela sent bien la province, et je vous<291> avoue que cela ne prévient pas en leur faveur. J'espère toujours que vous trouverez plus d'agrément à Montpellier, ou que, si ce séjour ne vous convient pas, vous vous fixerez à Aix ou à Marseille, endroits plus agréables pour le climat, à Aix pour la société, et à Marseille pour la solitude.
Nous avons eu ici la représentation de Montézuma. Le décorateur et le tailleur ont tiré le pauvre auteur d'affaire; surtout deux mauvais coups de pistolet ont été extrêmement applaudis. L'Astrua a joué la dernière scène avec un pathétique admirable, et Graun s'est surpassé en musique. J'ai vu, ces jours passés, notre nièce de Würtemberg,1_291-a qui part pour Stuttgart; je ne crois pas, ma chère sœur, que vous l'y trouverez à votre retour; elle veut revenir au commencement d'avril. On ne parle plus de Louis; je souhaite qu'il devienne raisonnable, mais c'est une terrible cervelle. Je souhaite que vous ayez à présent lieu d'être contente de Stuttgart, et que la Duchesse n'ait point de chagrin. Cependant je crois son sort momentané et sujet à bien des vicissitudes. Adieu, ma charmante sœur. Je fais mille vœux pour votre contentement, pour votre convalescence et pour tout ce qui peut contribuer à vous rendre la vie douce et agréable, en vous priant de me croire avec une estime remplie de la plus vive tendresse, ma très-chère sœur, etc.
1_291-a La femme du prince Frédéric. Voyez ci-dessus, p. 264.