10. DE LA MÊME.
(Brunswic) 16 juin (1768).
Mon très-cher, tout adorable frère,
J'ai passé une bien mauvaise nuit après votre départ, et retourne tristement dans ma chambre, n'y trouvant plus cet adorable frère qui m'avait comblée de bontés et d'amitié. Je devais cependant m'attendre que le contentement de jouir de votre présence ne serait que momentané, et considérer comme une espèce de sacrifice le précieux temps que vous m'avez daigné destiner de vous voir à des occupations plus utiles; ce qui redouble les obligations que je vous dois, mon adorable frère, de cette nouvelle marque de vos bienveillances, dont je vous fais encore mes très-humbles remercîments avec un cœur pénétré de toutes vos bontés. J'en ai l'âme si remplie, que je ne pense à autre chose; et quoique c'est l'idée la plus agréable que je puisse avoir de me représenter mon cher frère dans l'imagination, la privation m'en est toujours d'autant plus sensible, et ce n'est que l'espérance dont vous m'avez flattée de pouvoir aspirer plus souvent à cette satisfaction qui sera capable de me faire surmonter la peine de votre séparation.
Le Duc et mon fils ont été très-charmés de la façon gracieuse et cordiale dont vous les avez accueillis, de même que des procédés honnêtes dont vous avez agi dans ces malheureuses catastrophes.1_391-a Veuille le ciel vous donner à l'avenir plus de contentement, et vous<392> rendre en toute chose aussi heureux que je le désire et que vous en êtes digne! Je souhaite avec empressement d'apprendre que les fatigues de toutes les courses que vous venez de faire ne vous aient pas échauffé, et que votre retour se soit terminé en parfaite santé. Ce qui n'a pas peu contribué à ma joie, c'est de vous trouver si bien, et un air de vigueur qui me flatte de vous savoir longtemps conservé. J'ai reçu votre gracieuse lettre avec attendrissement, et je la baisai mille fois; tout ce qui me vient de votre part me touche le cœur, qui vous appartient depuis que je vous connais, et qui vous restera jusqu'à mon trépas, étant avec des sentiments inaltérables de tendresse et d'amitié, etc.
1_391-a La Duchesse parle de l'inconduite de sa fille, la princesse Elisabeth, femme du Prince de Prusse, et de l'arrêt de divorce prononcé le 21 avril 1769. Voyez t. VI, p. 24 et 25. Frédéric dit dans sa lettre inédite à son frère le prince Henri, du 26 mars 1760, :« .... D'ailleurs, nous faisons ici des séparations, et je suis occupé à trouver les fonds et faire les arrangements nécessaires pour l'établissement de madame Pietro. » Voyez t. XXVI, p. 45, 56 et 69, et J.-D.-E. Preuss, Urkundenbuch zu der Lebensgeschichte Friedrichs des Grossen, t. III, p. 213 et suivantes, et t. V, p. 248; voyez aussi Friedrich Ludwig Schröder. Beitrag zur Kunde des Menschen und des Künstlers, von F. L. W. Meyer. Hambourg, 1819, t. I, p. 108.