<413>

V. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC SA SŒUR ULRIQUE, REINE DE SUÈDE. (3 NOVEMBRE 1743 - 27 SEPTEMBRE 1772.)[Titelblatt]

<414><415>

1. DE LA PRINCESSE ULRIQUE.

Berlin, 3 novembre 1743.



Mon très-cher frère,

J'aurais bien de l'avantage, si l'on pouvait lire ce qui se passe an cœur. Votre Majesté verrait dans le mien les sentiments de l'attachement le plus parfait, et à quel point je suis sensible à toutes les marques de bonté qu'elle me témoigne. Mais comme cette faculté n'est réservée qu'aux dieux, j'ai à me plaindre qu'ils m'ont refusé les talents d'exprimer à V. M. ce que je pense à ce sujet; elle me pardonnera, j'espère, les défauts de l'esprit en faveur des sentiments du cœur. M. de Voltaire ne regrettera pas d'avoir commencé une correspondance avec moi, quand il recevra la charmante réponse en vers1_415-a pour lesquels je ne puis assez remercier V. M. Ce serait donner un terrible échec à son cœur, s'il pouvait croire que j'en fusse l'auteur; mais il a trop de discernement pour ne pas connaître quel est l'Apollon qui m'a inspirée. C'est une consolation pour la marquise1_415-b de ce que je n'oserai pas toujours avoir recours à ce dieu, puisqu'alors elle est sûre de conserver son empire.

Ma joie est extrême de savoir que j'aurai le bonheur de me mettre aux pieds de V. M. mardi prochain. La soirée sera des plus charmantes; chacun s'y emploiera à y être de bonne humeur, et la présence de V. M. sera ce qui y contribuera le plus. La Reine-mère s'en fait une véritable fête; elle m'a fait la grâce de m'en témoigner<416> son contentement. Mon frère Henri doit être bien sensible à l'honneur que V. M. lui fait.1_416-a Que nous sommes heureux tous ensemble de vivre sous les lois d'un frère qui est un vrai père! Ce sont des réflexions que je fais tous les jours de ma vie; aussi je ne changerais pas mon sort pour tous les trésors du monde, ne faisant consister ma véritable félicité qu'à mériter les bontés de V. M., et à lui donner, autant qu'il m'est possible, les témoignages de mon respect et de la soumission parfaite avec laquelle je suis à jamais

de Votre Majesté
la très-humble et très-obéissante et
soumise sœur et servante,
Ulrique.

2. DE LA MÊME.

Le 6 avril 1744.



Mon très-cher frère,

Il y a peut-être de l'indiscrétion d'importuner Votre Majesté par mes lettres; mais j'espère qu'elle voudra bien me pardonner, en faveur du motif qui me fait agir, à lui témoigner mon respectueux attachement et à lui faire part de la joie que j'ai ressentie par les assurances que M. de Rudenskjöld1_416-b m'a faites hier de la part du prince,1_416-c qu'on ne m'empêchera jamais de revenir ici pour faire ma cour à V. M. Rien au monde ne pouvait m'être plus consolant que l'espérance de me<417> retrouver avec mes chers parents, et en particulier aux pieds d'un frère que j'adore. J'ai lu avec toute l'attention possible les Mémoires que V. M. m'a fait la grâce de m'envoyer. Je tâche, tant qu'il m'est possible, de me mettre au fait de toutes ces affaires, trop heureuse si, par ma conduite, je puis un jour mériter les bontés que V. M. a eues pour moi; et c'est à quoi je bornerai toute mon attention. Je supplie très-humblement V. M. de vouloir bien me continuer toujours ses bonnes grâces, et d'être persuadée de l'attachement respectueux avec lequel je suis à jamais, etc.

3. DE LA MÊME.

Le 6 mai (1744).



Mon très-cher frère,

Le baron de Horn m'ayant rendu hier la lettre du prince, je croirais manquer à mon devoir, si je ne l'envoyais pas sur-le-champ à V. M. Je joins avec la réponse, vous suppliant très-humblement, mon cher frère, de la déchirer, si elle n'a pas votre approbation; mais je vous avouerai que je n'ai pas l'esprit d'y répondre, si vous ne vouliez avoir la grâce de m'aider dans cette occasion. C'est peut-être manquer à ce que je vous dois; mais toutes les bontés que vous avez eues jusqu'ici pour moi m'inspirent cette confiance, que je suis presque persuadée que vous me pardonnerez en faveur du motif qui me fait agir. V. M. m'a encore donné une nouvelle marque de ses bontés par la gracieuse intercession qu'elle a faite à madame de Knesebeck pour sa fille.1_417-a Je n'abuserai certainement pas de ses grâces,<418> et, l'année et demie finie, elle sera sûrement de retour ici. La Reine ira demeurer aujourd'hui à Monbijou. J'espère que nous aurons bientôt l'honneur de vous y voir; ce sera une nouvelle occasion pour moi de me mettre à vos pieds, et de vous assurer, mon cher frère, du respectueux attachement avec lequel je suis, etc.

4. DE LA PRINCESSE ROYALE DE SUÈDE.

Neustadt, 26 juillet 1744.



Mon cher frère,

Je ne puis m'empêcher de vous réitérer, mon cher frère, tous les sentiments de mon parfait attachement. La cruelle séparation ne me permettait pas de vous témoigner tout ce que la tendresse et la reconnaissance m'inspiraient; mais, dans les grandes douleurs, tout est confondu, et je ressentais trop pour le pouvoir exprimer. Je ne saurais nier, mon cher frère, que c'est une grande consolation pour moi que les regrets que vous m'avez témoignés; ils me sont un gage trop sûr de votre bienveillance, et vos bontés font le bonheur de ma vie. Il y a tant de motifs qui m'attachent à votre personne, que j'espère que vous serez persuadé du respect le plus tendre. Jamais je n'oublierai tous les bienfaits que j'ai reçus de votre part, et toute mon application sera à m'en rendre digne. Ce sont là, mon cher frère, les sentiments que je conserverai toute ma vie, étant avec une vénération des plus parfaites, etc.

<419>

5. DE LA MÊME.

Schwedt, 28 juillet 1744.



Mon très-cher frère,

D'abord à mon arrivée ici, mon frère m'a remis la charmante lettre en vers que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire;1_419-a il a été présent à tout ce que j'ai ressenti en les lisant. Que je suis heureuse de m'entendre dire par vous que vous m'aimez, d'en être convaincue et assurée! Oui, mon cher frère, c'est un bonheur pour moi, plus grand que l'acquisition d'une couronne. C'est à présent que je puis me flatter d'en être digne, puisque vous me mettez au rang des personnes que vous chérissez. C'est un motif bien grand, par lequel je réglerai toute ma conduite pour me conserver votre bienveillance. Je n'ai pas osé prendre la liberté à Berlin, mon cher frère, de vous présenter un souvenir; mais permettez-moi à présent de vous offrir une bagatelle. Les faibles mortels donnent des offrandes à leurs divinités, et les dieux reçoivent d'un œil favorable ce qui leur est offert par des cœurs remplis d'amour pour eux. Vous êtes, mon cher frère, ma divinité sur la terre, et j'ai bien lieu de croire que vous accepterez mon offrande par la même raison que les dieux reçoivent celles des mortels. Conservez-moi, je vous supplie, toujours vos bontés, et soyez persuadé que l'on ne peut être avec un attachement plus inviolable que celui avec lequel je suis à jamais, mon très-cher frère, etc.

P. S. Je viens, dans ce moment, de recevoir encore une des plus gracieuses lettres du monde de votre part. J'aurai l'honneur de vous en remercier plus parfaitement à mon arrivée à Stettin.

<420>

6. DE LA MÊME.

Schwerinsbourg, 29 juillet 1744, à minuit.



Mon très-cher frère,

Le maréchal de Schwerin ayant le bonheur de vous faire sa cour, je l'ai prié de se charger de cette lettre et de me mettre mille fois à vos pieds. Nous avons été parfaitement bien chez lui, et il est difficile de trouver un meilleur hôte. Je quitte demain tous mes chers compatriotes, et j'avoue que je ne sais comment je pourrai tenir contenance devant les étrangers. Je vous enverrai une estafette, mon cher frère, de Stralsund, où je serai après-demain. Vous me pardonnerez si je finis sitôt ma lettre; mon esprit et mon cœur voudraient encore s'entretenir avec vous, mais la chétive guenille1_420-a ne veut plus résister au sommeil, et m'oblige de finir en vous réitérant mille fois le sincère, tendre et respectueux attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être, mon très-cher frère, etc.

7. DE LA MÊME.

Ulrichsdal, 26 juillet 1746.



Mon très-cher frère,

Je viens de recevoir dans le moment un ballot qui m'a apporté des figures de porcelaine de Dresde, les plus belles du monde. N'ayant<421> aucune connaissance assurée d'où elles viennent, je ne puis juger autrement que c'est une nouvelle marque, mon cher frère, de vos bontés. Vous me permettrez que j'ose vous en marquer ma parfaite reconnaissance, et vous assurer que l'on ne peut être plus sensible que je le suis à toutes les marques que vous me donnez journellement de l'amitié la plus tendre. Si un attachement parfait pour votre personne pouvait contre-balancer votre bienveillance, je pourrais être contente; mais je ne sens que trop, mon cher frère, que je ne puis rien mettre d'assez fort pour contre-balancer une amitié qui est au-dessus de tous les prix; je n'ai qu'un cœur, qui vous est tout dévoué, et qui vous le sera aussi longtemps que je vivrai.

Je viens d'apprendre dans le moment, par les lettres que le Roi a reçues, que vous aviez, mon cher frère, rappelé le comte Finck. Je conçois les services qu'il est en état de vous rendre, mon cher frère, en Russie, ayant eu occasion de connaître sa capacité et ses bonnes intentions. J'avoue que c'est une vraie perle que le Prince royal, aussi bien que moi, ferons de sa personne, ayant eu sujet de nous louer tous deux de sa façon d'agir et de la confiance que nous lui avons témoignée. S'il y avait moyen, mon cher frère, qu'il pût rester jusqu'à la moitié de la diète, je crois que ce serait un grand bien pour les affaires d'ici, et je crois, mon cher frère, que je ne hasarde rien avec vous en vous disant en confidence que le Prince royal le souhaiterait beaucoup. Je ne saurais assez dire combien le comte Finck a trouvé le moyen de gagner l'esprit du prince, et je crains que celui qui pourra lui succéder, il ne lui faille beaucoup de temps pour réussir comme le premier. Je me flatte, mon cher frère, que vous ne désapprouverez point que je hasarde de vous faire cette prière; elle est toujours subordonnée à vos volontés, et je m'y conformerai. Je me flatte cependant que la personne que vous destinez, mon cher frère, à remplir le poste d'ici sera de connaissance, étant difficile de donner sa confiance à quelqu'un dont le caractère est entièrement<422> inconnu. Nous attendons en peu de jours MM. Korff, de Russie, et Holsten, de Danemark, qui vient avec le titre d'ambassadeur. Tout cela fait augurer qu'il y a quelques raisons de conséquence qui les amènent; mais il est impossible de les découvrir jusqu'à présent.

Je vous supplie, mon cher frère, de me conserver toujours vos bonnes grâces, et d'être persuadé que l'on ne saurait être avec une tendresse et vénération plus parfaite que je le suis, mon très-cher frère, etc.

8. DE LA MÊME.

Stockholm, 23 décembre (nouv. st.) 1746.



Mon très-cher frère,

Ce n'est pas sans une peine infinie que je me vois obligée par le dérangement de mes affaires et par les dépenses occasionnées pour le soutien du parti de vous supplier, mon cher frère, pour le payement des trente mille écus que feu le Roi m'a laissés en testament, de même qu'à mes autres sœurs.1_422-a Vous aurez la grâce de vous ressouvenir, mon cher frère, que, pendant tout le temps que la guerre a duré, je n'en ai jamais parlé, et j'ose vous assurer que ce n'est que la dernière extrémité qui m'y oblige. Mais les dépenses excessives que j'ai été obligée de faire cet été, pendant le voyage que le Prince royal a fait pour les revues, m'ont mise dans une nécessité indispensable d'avoir recours à votre justice. J'ose me flatter, mon cher frère, que, m'étant adressée directement à vous, vous ne le prendrez pas en mauvaise part, et que cette démarche ne diminuera point les bontés que vous<423> m'avez toujours témoignées. Soyez persuadé, mon cher frère, que plutôt je renoncerai à tout que de perdre votre amitié, rien au inonde ne pouvant m'être plus cher. Je me flatte, mon cher frère, que vous serez persuadé de ces sentiments et de rattachement inviolable avec lequel je ne cesserai d'être toute ma vie, etc.

9. DE LA MÊME.

(1747.)

.... Je viens, dans le moment, de recevoir par M. de Rudenskjöld la lettre de change que vous avez eu la bonté, mon cher frère, de me payer en rabat des trente mille écus. Je joins mes très-humbles remercîments, et j'attendrai votre résolution, mon cher frère, pour le reste,1_423-a espérant que vous voudrez bien vous en souvenir dans l'occasion.1_423-b

<424>

10. A LA PRINCESSE ROYALE DE SUÈDE.

Potsdam, 7 juin 1747.



Ma très-chère sœur,

Le capitaine Schechta1_424-a sera lui-même le porteur de cette lettre et des ratifications. Quant à cet officier, le Prince royal est le maître de le garder à Stockholm tant qu'il pourra le trouver utile à ses intérêts, et, dût-il vouloir l'avoir tout à fait, je me ferais un plaisir de le lui céder. Vous n'avez qu'à me mander, ma chère sœur, ce que vous trouvez convenable pour vos intérêts, et ce sera ma loi. Enfin, voilà ce traité1_424-b si utile et si raisonnable une fois conclu; selon toutes les règles du bon sens, il doit être avantageux à l'une et à l'autre nation, et s'il y a quelque chose de capable de nous donner de la considération, c'est que nous nous sommes fortifiés mutuellement. On dit que l'envie en grince les dents de rage, mais que, voyant ses efforts impuissants, elle fera succéder la douceur à ses emportements. Cela fera ravaler peut-être la légèreté de certaines ostentations, l'inconsidération des propos et l'oubli des égards les plus ordinaires, et qui sont assujettis aux civilités les plus communes. Daignez, ma très-chère sœur, me continuer votre précieuse amitié, et ne jamais douter de la tendresse des sentiments ni de l'estime avec laquelle je suis.



Ma très-chère sœur,

Votre très-fidèle frère et serviteur, Federic.

<425>

11. DE LA PRINCESSE ROYALE DE SUÈDE.

Friedrichshof, 23 juin 1747.



Mon très-cher frère,

J'ai eu la satisfaction, à l'arrivée du major Schechta, de recevoir la lettre du monde la plus gracieuse de votre part. Je sens, comme je le dois, tout le prix de vos bontés, et j'espère que vous serez persuadé, mon cher frère, qu'il n'y a point de bornes à ma reconnaissance. Le Prince royal m'ordonne de vous assurer des mêmes sentiments, et combien il a été sensible à l'obligeante attention que vous avez eue de renvoyer M. Schechta. Je suis chargée de vous assurer, mon cher frère, qu'il n'en abusera pas, et que, à la conclusion de la diète, il le renverra où son devoir l'appelle. Ce serait le récompenser très-mal que de le priver de l'avantage de servir un aussi grand prince, qui fait le bonheur et les délices de ses sujets. Tout va assez tranquillement ici, quoique le monstre du Nord veuille encore faire semblant de vouloir jeter un nouveau venin; mais on ne le craint guère. La diète continuera encore deux mois, ou trois au plus tard. Les procès des criminels en sont pour la plus grande partie cause. Blackwell a été jugé à perdre la tête; pour l'autre, il entraînera, à ce que je crois, de nouveaux criminels. Je me suis absentée de la ville pour quelque temps, la santé du Prince royal, qui était extrêmement incommodé de coliques, l'obligeant à prendre les eaux; je les prends aussi, pour lui tenir compagnie. On m'a défendu extrêmement d'écrire; mais je n'ai pu cependant me priver de l'avantage de me mettre à vos pieds, et de vous assurer qu'on ne saurait être avec une tendresse et un attachement plus parfait que je le suis, mon très-cher frère, etc.

<426>

12. A LA REINE DE SUÈDE.

Le 9 mars 1764.

Je suis bien aise de vous voir dans les sentiments de tranquillité auxquels je vous ai exhortée depuis vingt ans. Je vous ai toujours répété le danger et l'inutilité de votre ambition; je connaissais la nation suédoise et je savais qu'une nation libre ne se laisse pas aisément ravir la liberté, et je sentais que tous ceux qui vous donnaient là-dessus des espérances vous trompaient. Quant à ce que vous demandez sur le système politique, j'aurai de la peine de vous rien dire, car je n'en connais point aujourd'hui en Europe. Mais au reste, comme il me semble que la Suède a surtout besoin d'argent, je vous conseille de vous en tenir à la puissance1_426-a dans laquelle vous trouvez depuis si longtemps des ressources de ce genre. Tirez-en pied ou aile, car celle avec qui j'ai affaire1_426-b ne vous donnera jamais un écu.

13. A LA MÊME.

Mai 1768.

.... Vous concevez, ma chère sœur, combien il serait sensible à mon cœur et dur au vôtre de vous voir un jour réduite à venir à Berlin avec toute votre famille demander un asile, pour n'avoir pas voulu suivre les conseils que ma tendre amitié et l'intérêt le plus pur<427> pour votre repos et pour votre gloire m'ont seulement dictés dans cette réponse.

14. A LA MÊME.

Le 11 septembre 1772.



Ma très-chère sœur,

Je suis bien fâché que vous distinguiez si mal vos amis de vos ennemis. Moi qui vous parle avec franchise, et qui vous la dis dans un moment où l'illusion d'un bonheur précaire vous aveugle sur les suites de cette révolution,1_427-a vous croyez que c'est mauvaise volonté de ma part. Non, ma chère sœur; si votre bonheur était solide, je serais le premier à vous en féliciter, mais les choses en sont bien éloignées. Je vous envoie ici la copie de l'article de notre garantie, tel qu'il a été signé à Pétersbourg, et j'y ajoute même que si je ne puis trouver des expédients pour calmer les esprits, je remplirai mes traités, parce que ce sont des engagements de nation à nation, et où la personne n'entre pour rien. Voilà ce qui me met de mauvaise humeur, de voir que, par l'action la plus téméraire et la plus étourdie, vos fils me forcent de m'armer contre eux. Ne pensez pas que mon ambition soit tentée par ce petit bout de la Poméranie, qui certainement ne pourrait exciter au plus que1_427-b la cupidité d'un cadet de famille; mais le bien de cet État exige nécessairement que je demeure lié avec la Russie, et je serais justement blâmé par la postérité, si mon penchant personnel l'emportait sur le bien du peuple auquel je<428> dois tous mes soins. Je vous dis, ma chère sœur, les choses telles qu'elles sont, et je ne pronostique que des infortunes; car si cela en vient à une guerre, comme je l'appréhende beaucoup, qui vous répondra qu'une partie de votre armée suédoise ne passera pas du côté des Russes? et qui vous garantira que cette nation, dégradée comme elle l'est, ne leur livre pas son roi? Enfin il y a cent malheurs de ce genre à prévoir, qui me font frémir pour vous, tandis que je ne vois aucune puissance en état de vous assister et de vous secourir.

Veuille le ciel que je me trompe, et que vous soyez heureuse! Soyez persuadée que personne ne s'en réjouira plus cordialement que moi, qui serai jusqu'au dernier soupir, avec autant de considération que de tendresse, etc.

TROISIÈME ARTICLE SECRET DU TRAITÉ ENTRE LA PRUSSE ET LA RUSSIE, CONCLU A SAINT-PETERSBOURG LE 12 OCTOBRE 1769.1_428-a

Les hautes parties contractantes s'étant déjà concertées par un des articles secrets du traité de l'alliance, signé le 31 de mars de l'année 1764, sur la nécessité de maintenir la forme du gouvernement confirmée par le serment des quatre états du royaume de Suède, et de s'opposer au rétablissement de la souveraineté, S. M. le roi de Prusse et S. M. l'Impératrice confirment de la manière la plus solennelle par le présent article tous les engagements qu'elles ont contractés alors, et s'engagent de nouveau à donner à leurs ministres résidents à Stockholm les instructions les plus expresses pour que, agissant en confidence et d'un commun accord entre eux, ils travaillent de concert à prévenir tout ce qui pourrait altérer la susdite constitution dans des mesures contraires à la tranquillité du Nord. Si toutefois la coopération de ces ministres ne suffisait pas pour atteindre le but désiré, et que, malgré tous les efforts des deux parties contractantes, il arrivât que l'empire de Russie fût attaqué par la Suède, ou qu'une faction dominante dans ce royaume bouleversât la forme du gouvernement de 1720 dans les articles fondamentaux, en accordant au Roi le pouvoir illimité de faire des lois, de déclarer la<429> guerre, de lever des impôts, de convoquer les états et de nommer aux charges sans le concours du sénat, Leurs Majestés sont convenues que l'un et l'autre de ces deux cas, savoir, celui d'une agression de la part de la Suède, et celui du renversement total de la présente forme du gouvernement, seront regardés comme le casus foederis; et S. M. le roi de Prusse s'engage, dans les deux cas susmentionnés, et lorsqu'elle en sera requise par S. M. l'Impératrice, à faire une diversion dans la Poméranie suédoise, en faisant entrer un corps convenable de ses troupes dans ce duché. Ce présent article secret aura la même force et vigueur que s'il était inséré mot pour mot dans le traité principal d'alliance défensive signé aujourd'hui, et sera ratifié en même temps.

En foi de quoi il en a été fait deux exemplaires semblables, que nous, les ministres plénipotentiaires de S. M. l'impératrice de toutes les Russies, autorisés pour cet effet, avons signés et scellés du cachet de nos armes.

Fait à Saint-Pétersbourg, le 12 d'octobre 1769.

(L. S.)Victor-Frédéric, comte de Solms.

(L. S.)C. N. Panin.

(L. S.)Prince A. Galizin.

15. A LA MÊME.

Le 27 septembre 1772.



Ma très-chère sœur,

Souffrez que je vous félicite de l'heureux passage que vous venez de faire en Suède, sans avoir souffert d'incommodité de la mer; nous en avons reçu aujourd'hui l'agréable nouvelle, de sorte que je ne doute point que ma lettre ne vous retrouve à Stockholm en bonne santé. J'ai été plus heureux à Pétersbourg que je ne l'aurais pu espérer du commencement. L'impératrice de Russie a appris la révolution de Suède assez patiemment; mais ce qui m'a fourni l'occasion d'adoucir<430> les esprits, c'est la rupture du congrès de Fokschani.1_430-a Il faut donc, ma chère sœur, employer le bénéfice du temps que la fortune vous accorde à tâcher d'apaiser de plus en plus les esprits en Russie. Une fausse démarche pourrait tout perdre. Si l'Impératrice peut soupçonner le moins du monde que le roi de Suède médite de l'attaquer, tout est perdu. Ne vous fiez pas sur vos Suédois; je sais qu'on murmure dans l'obscurité, qu'il y a nombre de mécontents, et que, à la première levée de boucliers d'une puissance voisine, tous les malheurs que je vous ai prédits vous accableraient. Vous ne pouvez compter en Suède que sur ceux qui ont travaillé à la révolution; le reste sont de faux frères qui n'attendent que le moment de vous trahir. Ménagez la Russie, je vous le conseille en frère. Ménagez-la plus que jamais, car, quoi que vous disent les Fiançais, le sort du roi de Suède est actuellement entre les mains de l'impératrice de Russie, et une vengeance différée n'est pas encore éteinte. Je voudrais vous écrire sur des matières qui vous fussent plus agréables; cependant des vérités, quelque dures qu'elles soient, sont plus utiles que des flatteries déplacées, et principalement dans les conjonctures présentes. Je vous embrasse mille fois, ma chère sœur; je m'intéresserai toujours tendrement à votre personne, étant avec la plus haute considération, etc.


1_415-a Voyez t. XIV, p. VII et VIII, art. XIX, et p. 104 et 105.

1_415-b La marquise du Châtelet. Voyez t. XVII, p. I et II, art. I.

1_416-a II s'agit probablement ici d'un pique-nique analogue à celui qui avait eu lieu chez le prince Henri au mois d'août de la même année. Voyez t. XXVI, p. 78 et 79.

1_416-b Voyez t. III, p. 165 et 168; t. XXVI, p. 3.

1_416-c Adolphe-Frédéric, prince royal de Suède, fiancé de la princesse Ulrique.

1_417-a Voyez t. XIII, p. 130.

1_419-a Voyez t. XIV, p. VII, article XVIII.

1_420-a

Le corps, cette guenille, est-il d'une importance,
D'un prix à mériter seulement qu'on y pense?

Molière,

Les Femmes savantes

, acte II, scène VII.

1_422-a Voyez ci-dessus, p. 370, 405 et 406.

1_423-a Ce reste (seize mille sept cent quatre-vingt-sept écus treize gros) fut payé la même année.

1_423-b Cette pièce est le post-scriptum d'une lettre qui ne s'est pas retrouvée.

1_424-a Magnus de Schechta, qui était major dans le régiment de garnison de l'Hôpital, à Memel, lorsque le Roi lui accorda, le 10 août 1750, la démission qu'il avait demandée.

1_424-b Le traité d'alliance défensive entre la Prusse et la Suède fut conclu à Stockholm le 18 (29. nouv. st.) mai 1747, pour dix ans.

1_426-a La France.

1_426-b La Russie.

1_427-a Voyez t. VI, p. 53 et 54; t. XXVI, p. 409 et suivantes.

1_427-b Le mot que est omis dans l'ouvrage du baron Manderström, p. 10.

1_428-a Annexé à la lettre qui précède.

1_430-a Voyez t. VI, p. 54.