14. A LA MÊME.
Le 11 septembre 1772.
Ma très-chère sœur,
Je suis bien fâché que vous distinguiez si mal vos amis de vos ennemis. Moi qui vous parle avec franchise, et qui vous la dis dans un moment où l'illusion d'un bonheur précaire vous aveugle sur les suites de cette révolution,1_427-a vous croyez que c'est mauvaise volonté de ma part. Non, ma chère sœur; si votre bonheur était solide, je serais le premier à vous en féliciter, mais les choses en sont bien éloignées. Je vous envoie ici la copie de l'article de notre garantie, tel qu'il a été signé à Pétersbourg, et j'y ajoute même que si je ne puis trouver des expédients pour calmer les esprits, je remplirai mes traités, parce que ce sont des engagements de nation à nation, et où la personne n'entre pour rien. Voilà ce qui me met de mauvaise humeur, de voir que, par l'action la plus téméraire et la plus étourdie, vos fils me forcent de m'armer contre eux. Ne pensez pas que mon ambition soit tentée par ce petit bout de la Poméranie, qui certainement ne pourrait exciter au plus que1_427-b la cupidité d'un cadet de famille; mais le bien de cet État exige nécessairement que je demeure lié avec la Russie, et je serais justement blâmé par la postérité, si mon penchant personnel l'emportait sur le bien du peuple auquel je<428> dois tous mes soins. Je vous dis, ma chère sœur, les choses telles qu'elles sont, et je ne pronostique que des infortunes; car si cela en vient à une guerre, comme je l'appréhende beaucoup, qui vous répondra qu'une partie de votre armée suédoise ne passera pas du côté des Russes? et qui vous garantira que cette nation, dégradée comme elle l'est, ne leur livre pas son roi? Enfin il y a cent malheurs de ce genre à prévoir, qui me font frémir pour vous, tandis que je ne vois aucune puissance en état de vous assister et de vous secourir.
Veuille le ciel que je me trompe, et que vous soyez heureuse! Soyez persuadée que personne ne s'en réjouira plus cordialement que moi, qui serai jusqu'au dernier soupir, avec autant de considération que de tendresse, etc.
TROISIÈME ARTICLE SECRET DU TRAITÉ ENTRE LA PRUSSE ET LA RUSSIE, CONCLU A SAINT-PETERSBOURG LE 12 OCTOBRE 1769.1_428-a
Les hautes parties contractantes s'étant déjà concertées par un des articles secrets du traité de l'alliance, signé le 31 de mars de l'année 1764, sur la nécessité de maintenir la forme du gouvernement confirmée par le serment des quatre états du royaume de Suède, et de s'opposer au rétablissement de la souveraineté, S. M. le roi de Prusse et S. M. l'Impératrice confirment de la manière la plus solennelle par le présent article tous les engagements qu'elles ont contractés alors, et s'engagent de nouveau à donner à leurs ministres résidents à Stockholm les instructions les plus expresses pour que, agissant en confidence et d'un commun accord entre eux, ils travaillent de concert à prévenir tout ce qui pourrait altérer la susdite constitution dans des mesures contraires à la tranquillité du Nord. Si toutefois la coopération de ces ministres ne suffisait pas pour atteindre le but désiré, et que, malgré tous les efforts des deux parties contractantes, il arrivât que l'empire de Russie fût attaqué par la Suède, ou qu'une faction dominante dans ce royaume bouleversât la forme du gouvernement de 1720 dans les articles fondamentaux, en accordant au Roi le pouvoir illimité de faire des lois, de déclarer la<429> guerre, de lever des impôts, de convoquer les états et de nommer aux charges sans le concours du sénat, Leurs Majestés sont convenues que l'un et l'autre de ces deux cas, savoir, celui d'une agression de la part de la Suède, et celui du renversement total de la présente forme du gouvernement, seront regardés comme le casus foederis; et S. M. le roi de Prusse s'engage, dans les deux cas susmentionnés, et lorsqu'elle en sera requise par S. M. l'Impératrice, à faire une diversion dans la Poméranie suédoise, en faisant entrer un corps convenable de ses troupes dans ce duché. Ce présent article secret aura la même force et vigueur que s'il était inséré mot pour mot dans le traité principal d'alliance défensive signé aujourd'hui, et sera ratifié en même temps.
En foi de quoi il en a été fait deux exemplaires semblables, que nous, les ministres plénipotentiaires de S. M. l'impératrice de toutes les Russies, autorisés pour cet effet, avons signés et scellés du cachet de nos armes.
Fait à Saint-Pétersbourg, le 12 d'octobre 1769.
(L. S.)Victor-Frédéric, comte de Solms.
(L. S.)C. N. Panin.
(L. S.)Prince A. Galizin.
1_427-a Voyez t. VI, p. 53 et 54; t. XXVI, p. 409 et suivantes.
1_427-b Le mot que est omis dans l'ouvrage du baron Manderström, p. 10.
1_428-a Annexé à la lettre qui précède.