2. AU MÊME.
Berlin, 27 mars 1740.
Mon cher prince,
Vous entrez aussi bien dans ma situation que j'entre dans la vôtre. Ce sont ici chagrins domestiques, ce sont chez vous dissensions intestines, avec cette différence que mes désagréments finiront d'une ou d'autre manière, et que la léthargie de vos flegmatiques seigneurs et maîtres pourrait bien finir par une apoplexie causée par la politique du cardinal. Je plains les Hollandais de leur aveuglement, et il est bien honteux de dire que les petits-fils de ces héros de la liberté qui secouèrent généreusement le joug de l'esclavage espagnol ont si fort dégénéré, qu'ils rampent actuellement sous la naissante monarchie française. Ce serait à vous de réveiller dans leur Vergadering2_146-a ces pilotes assoupis auprès de la boussole et du gouvernail. Il faut remuer tous les ressorts de la politique dans les grands dangers, et prévenir par une résolution vigoureuse la perte totale que l'on prévoit et les malheurs qu'il est encore temps d'empêcher. Faites retentir<147> la voix de la liberté; alarmez l'intérêt prêt à faire naufrage; représentez aux négociants leur prochaine banqueroute, leur commerce enlevé par les Espagnols et les Français, et par conséquent le bouleversement inévitable de toute la Hollande. Mais ce n'est point à moi de vous donner des conseils dans des choses où vous en savez tout autant et plus que moi. Je me contente de faire des vœux pour vous en particulier, et pour votre république en général. Soyez persuadé, mon cher prince, que je prends une part sincère à ce qui vous regarde, et que je me ferai toujours un sensible plaisir de vous prouver l'estime avec laquelle je suis à jamais, etc.
2_146-a Mot hollandais qui signifie l'assemblée des états.