I. LETTRE DU COMTE DE ROTTEMBOURG A FRÉDÉRIC. (4 DÉCEMBRE 1740.)[Titelblatt]
<316><317>DU COMTE DE ROTTEMBOURG.3_317-a
Paris, 4 décembre 1740.
Sire,
Mon premier soin, en arrivant ici, a été de voir monsieur le cardinal,3_317-b pour lui faire part des bontés que Votre Majesté a pour moi de me prendre dans son service. Il a d'abord été étonné du parti que j'ai pris d'abandonner ce pays-ci et un maître qui a toujours eu, à ce qu'il dit, de l'amitié pour moi, de même que lui. Il m'a fait les plus belles protestations du monde de toutes les bonnes intentions qu'il a eues et aurait toujours pour moi. Je lui ai fait sentir mes raisons, que S. E. a trouvées bonnes; elle m'a même promis de les faire goûter au Roi, et qu'il me rendrait tous les services qui dépendront de lui dans ce pays-ci, par rapport à mes affaires pécuniaires. Je suis fort aise, Sire, qu'on ait pris ma démission à cette cour avec autant de douceur; cela épargnera la peine à V. M. d'entrer dans aucun détail ni demande à mon égard.
Pour ce qui regarde ma femme, je trouve mille difficultés, tant en elle que dans sa famille, pour la mener avec moi en Prusse. Elle ne me répond jusqu'à présent que par des soupirs et des pleurs; j'espère cependant qu'elle prendra le parti de me suivre, n'ayant que ce<318> seul parti de raisonnable pour elle. Je sens bien que le premier moment lui doit être douloureux de penser de quitter sa famille et Paris, qui a bien des attraits pour les femmes; elles ne connaissent pas les pays étrangers, et elles s'imaginent que hors d'ici point de salut. Ce n'est pas pour flatter V M., je crois qu'il n'y a point de cour qui soit plus polie et plus aimable que la vôtre, Sire; j'en ai la plus grande idée du monde. Je donne une preuve bien essentielle de l'attachement et du respect que j'ai pour vous, Sire, en abandonnant un pays où je suis élevé et où j'ai bien des amis et parents, sans compter les agréments de la vie dont je jouis. Toutes ces raisons ne peuvent pas contre-balancer un moment l'envie que j'ai de me rendre auprès de V. M. Je la supplie très-humblement de me mander quand elle ordonne que je parte d'ici.3_318-a Mes affaires ne seront point aussi longues à finir que j'ai pensé, étant obligé de laisser la plus grande partie de mon bien in statu quo, par rapport au douaire de ma femme, qui est hypothéqué dessus.
Je supplie V. M. d'avoir la bonté de m'envoyer un passe-port pour l'entrée de mes meubles à Berlin; M. le cardinal a eu la bonté de m'en accorder un pour la sortie de ce royaume-ci.
Il n'est question ici, Sire, que de vous et de votre armement;3_318-b cela donne belle matière aux politiques de raisonner.
M. le cardinal m'a assuré hier que M. Suhm est mort à Varsovie.3_318-c Je suis persuadé que sa perte fera de la peine à V. M., connaissant les bontés qu'elle a eues pour lui.
J'envoie à V. M. deux bouteilles de garus; je la supplie très-humblement de ne pas négliger de s'en servir. C'est le plus souverain<319> remède qu'il y ait dans le monde pour l'estomac et pour faire de bonnes digestions; on en fait à Paris le plus grand cas qu'il soit possible; en mon particulier, j'ai obligation de la vie à ce remède.
Je renouvelle les assurances du profond respect3_319-a avec lequel je suis,
Sire,
de Votre Majesté
le très-humble et très-obéissant
serviteur et sujet,
Rottembourg.3_319-b
3_317-a Cette lettre appartient à la correspondance de Frédéric avec le comte de Rottembourg (t. XXV, p. XIV et XV, art. V, et p. 567-618). L'autographe en est conservé aux Archives de l'État (F. 94. Fff). Notre t. XXVII. I renferme, p. 232, 233 et 234, d'intéressants détails sur la mort du comte.
3_317-b Le cardinal de Fleury. Voyez t. II, p. 8 et suivantes.
3_318-a Le 28 février 1741, les Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen annoncèrent que le colonel comte de Rottembourg, venant de Paris, était arrivé à Berlin. Le Roi était parti pour la Silésie le 19 du même mois. Le comte de Rottembourg le suivit, et, à la bataille de Mollwitz, il commandait l'avant-garde. Il devint général-major le 31 octobre 1741.
3_318-b Voyez t. II, p. 60 et suivantes.
3_318-c Voyez t. XVI, p. xv, art. XVI.
3_319-a Le mot respect est omis dans le manuscrit.
3_319-b On lit au bas de l'autographe de cette lettre les mots suivants, de la main d'un conseiller de Cabinet : Obl : (probablement obligeant); Pass soll haben.