I. LES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA GUERRE, APPLIQUÉS A LA TACTIQUE ET A LA DISCIPLINE DES TROUPES PRUSSIENNES.[Titelblatt]
<2><3>LES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA GUERRE, APPLIQUÉS A LA TACTIQUE ET A LA DISCIPLINE DES TROUPES PRUSSIENNES.
[Introduction]
Les guerres que j'ai faites m'ont donné lieu à réfléchir profondément sur les principes de ce grand art qui a élevé ou renversé tant d'empires. La discipline romaine3-a ne subsiste plus que chez nous; il faut de même que, en suivant leur exemple, la guerre nous soit une méditation, et la paix un exercice.3-b
J'ai cru qu'il serait utile de vous communiquer mes réflexions,3-c à vous qui devez avoir la première part au commandement après moi, à vous, à qui un demi-mot doit expliquer mes pensées, à vous enfin qui, dans mon absence, devez agir par mes principes.
J'ai fondu dans cet ouvrage les réflexions que j'ai faites et celles que j'ai trouvées dans les écrits des plus grands généraux; j'en ai<4> formé un corps dont j'ai fait l'application à la discipline de nos troupes.
Je n'écris que pour mes officiers, je ne parle que de ce qui est applicable aux Prussiens, et je n'envisage d'ennemis que nos voisins, ce qui est malheureusement un synonyme. J'espère que la lecture de cet ouvrage convaincra plus que tous mes discours et démontrera à mes généraux que la discipline de nos troupes est le fondement de la gloire et de la conservation de l'État, et que, l'envisageant de ce point de vue, ils s'animeront plus que jamais à maintenir l'ordre dans toute sa vigueur, pour qu'on ne puisse pas dire de nous que nous avons laissé émousser entre nos mains les instruments de notre réputation. Il est beau d'avoir acquis de la gloire; mais, bien loin de s'endormir dans une sécurité blâmable, il faut préparer de loin les moyens dont le temps ou l'événement nous mettra en état de nous servir.
Je fonde tous mes raisonnements sur mes Institutions militaires;4-a et comme c'est le catéchisme des officiers, je ne traite dans cet écrit que ce qui tient à la partie du général et à ce que la guerre a de plus grand et de plus sublime.
ARTICLE Ier. DES TROUPES PRUSSIENNES, DE LEURS DÉFAUTS ET DE LEURS AVANTAGES.
L'institution de nos troupes exige de ceux qui les commandent une application infinie; elles veulent être entretenues dans une disci<5>pline continuelle, elles veulent être conservées avec un soin extrême, et elles veulent être mieux nourries que peut-être toutes les autres troupes de l'Europe.
Nos régiments sont composés la moitié de citoyens, et l'autre moitié de mercenaires;5-a ces derniers, n'étant attachés à l'État par aucun lien, deviennent transfuges à la première occasion, et voilà d'abord un objet important que celui d'empêcher la désertion. Quelques-uns de nos généraux croient qu'un homme n'est qu'un homme, et que la perte d'un individu n'influe point sur la totalité. Mais ce qui peut se dire d'autres armées n'est point applicable à la nôtre : qu'un homme maladroit déserte, et qu'il soit remplacé par un lourdaud, c'est la même chose; mais qu'un soldat qu'on a dressé deux ans de suite pour lui donner le degré d'adresse nécessaire sorte du corps, et qu'il soit mal ou point du tout remplacé, cela tire à conséquence à la longue; et ne voit-on pas que la négligence des officiers du petit détail a abîmé des régiments entiers? J'en ai vu fondre par la désertion à un point étonnant. Des pertes pareilles diminuent l'armée, où le nombre fait toujours beaucoup. Vous perdez donc, si vous n'y tenez pas la main, vos meilleures forces, et vous n'êtes pas en état de les réparer; car, quoiqu'il y ait des hommes dans mes États, y en a-t-il beaucoup de la taille dont sont nos soldats? Et quand même ils y seraient, seront-ils d'abord dressés comme les autres?
C'est donc un devoir essentiel de tout général qui commande une armée ou un corps séparé de mes troupes de prévenir la désertion.
On l'empêche : 1o en évitant de se camper proche de grands bois, si la raison de guerre ne vous y oblige; 2o en faisant souvent visiter les soldats dans leurs tentes; 3o en faisant faire des patrouilles de hussards tout à l'entour du camp; 4o en postant de nuit des chasseurs dans les grains, et en doublant les vedettes de cavalerie le soir, pour<6> que la chaîne soit plus serrée; 5o en ne souffrant point que le soldat se débande, mais en obligeant les officiers de les mener en rang et file à la paille ou à l'eau; 6o en punissant sévèrement la maraude, qui est la source des plus grands désordres; 7o en ne retirant les gardes des villages, les jours de marche, que lorsque l'armée est déjà en bataille; 8o en ne marchant de nuit que lorsqu'une raison importante l'exige; 9o en faisant des défenses rigoureuses pour que, les jours de marche, aucun soldat ne quitte son peloton; 10o en faisant faire des patrouilles de hussards à côté de l'infanterie lorsqu'elle passe les bois; 11o en plaçant des officiers à l'entrée et à la sortie des défilés, pour reformer les troupes; 12o en cachant soigneusement aux troupes les mouvements que l'on est obligé de faire en arrière, et en les couvrant de prétextes qui leur fassent plaisir; 13o en étant toujours attentif à ce que les troupes ne manquent de rien, soit pain, viande, paille, eau-de-vie, etc.; 14o en examinant les raisons de la désertion, lorsqu'elle se met ou dans un régiment, ou dans une compagnie, pour savoir si le soldat a reçu régulièrement son prêt et toutes les douceurs qui lui sont assignées, ou si son capitaine est coupable de malversation.
L'entretien de la discipline n'exige pas moins de soins. On dira peut-être : Les colonels y tiendront la main; mais cela ne suffit pas. Il faut que tout soit monté au plus parfait dans une armée, et que l'on voie que ce qui se fait est l'ouvrage d'un seul homme. La plus grande partie d'une armée est composée de gens indolents; si le général n'est sans cesse à leurs trousses, toute cette machine si ingénieuse et si parfaite se détraquera bien vite, et le général n'aura plus qu'en idée une armée bien disciplinée. Il faut donc s'accoutumer à travailler sans cesse, et ceux qui le feront verront par leur expérience que cela était nécessaire, et qu'il se trouve tous les jours des abus à réprimer que ceux-là seuls ne voient pas, qui ne se donnent pas la peine d'y regarder.
<7>Quoique cette application pénible et continuelle paraisse dure, pourvu qu'un général l'ait, il ne s'en voit que trop récompensé; et quels avantages des troupes si lestes, si braves et si bien disciplinées ne lui donnent-elles pas sur ses ennemis! Un général audacieux chez les autres peuples n'est que dans les règles chez nous; il peut oser et entreprendre tout ce qu'il est possible à des hommes d'exécuter.
Que n'entreprendrait-on pas avec des troupes si bien disciplinées! L'ordre est devenu habituel à toute l'armée; l'exactitude de l'officier et du soldat est poussée au point que tout est prêt une demi-heure avant l'heure marquée, que, depuis l'officier jusqu'au dernier fantassin, personne ne raisonne, mais tout le monde exécute, que la volonté du général est promptement obéie, et que, pourvu qu'il sache bien commander, il peut être sûr de l'exécution. Nos troupes sont si lestes et si agiles, qu'elles se forment en bataille en moins de rien; on ne peut presque jamais être surpris, à cause de la rapidité de leurs mouvements. Voulez-vous vous servir des fusils, quelles troupes font un feu pareil aux nôtres? Les ennemis disent que c'est être exposé à la gueule de l'enfer que de se trouver vis-à-vis de notre infanterie. Voulez-vous que l'infanterie n'attaque qu'avec la baïonnette, quelle infanterie marchera mieux à l'ennemi sans flotter et avec un grand pas? où verra-t-on plus de contenance dans les plus grands dangers? Faudra-t-il faire un quart de conversion pour tomber sur le flanc de l'ennemi, dans un moment ce mouvement s'exécute, et cela même sans la moindre peine.
Dans un pays où le premier état est le militaire, où la fleur de la noblesse sert dans l'armée, où tous les officiers sont gens de naissance, où des citoyens même sont soldats, c'est-à-dire des fils de bourgeois et de paysans, on doit bien se persuader qu'il doit y avoir de l'honneur dans des troupes ainsi composées. Aussi y en a-t-il beaucoup, car j'ai vu des officiers périr plutôt que de reculer; qu'eux et jusqu'au commun soldat ne souffrent point dans leur corps des gens qui ont<8> témoigné des faiblesses qu'on ne relèverait assurément pas en d'autres aimées; j'ai vu des officiers et des soldats fortement blessés, qui n'ont point voulu abandonner leur poste, ni se retirer pour se faire panser. Avec de pareilles troupes on dompterait l'univers entier, si les victoires ne leur étaient pas aussi fatales qu'à leurs ennemis; car vous pouvez tout entreprendre avec elles, pourvu que vous ayez des vivres. Marchez, vous gagnerez de vitesse sur les ennemis; attaquez des bois, vous y forcerez les troupes; gravissez contre des montagnes, vous déposterez ceux qui les défendent; servez-vous des armes à feu, ce sera un massacre; faites agir votre cavalerie, ce sera une boucherie affreuse et la destruction des ennemis.
Mais, comme la bonté des troupes ne suffit pas, et qu'un général, à force d'être malhabile, pourrait détruire d'aussi grands avantages, je vais traiter de la partie du général et prescrire des règles que j'ai apprises à mes dépens, ou que de grands généraux nous ont laissées.
ARTICLE II. DES PROJETS DE CAMPAGNE.8-a
On commence la guerre par les projets de campagne, et, pour l'ordinaire, les voisins d'un prince sont ses ennemis. Nous regarderons donc comme tels les Russes, les Saxons, surtout les Autrichiens. La politique et l'art militaire doivent se prêter la main dans les projets de campagne. Il faut connaître la force du prince auquel on fait la guerre, ses alliés, et le pays qui doit devenir le théâtre de votre honte ou de votre gloire. Quant au nombre des troupes, pourvu que vous puissiez opposer soixante-quinze mille hommes à cent mille, cela doit vous suffire. Quant aux alliances, ou l'on ménage des <9>princes qui sont sollicités par les ennemis, ou on les écrase avant qu'ils puissent joindre leurs forces aux autres; et quant au pays où l'on veut porter la guerre, il est aussi nécessaire d'en avoir une connaissance parfaite qu'il l'est à un homme de connaître l'échiquier, s'il veut jouer aux échecs.
En général, toutes les guerres qui nous éloignent trop de nos frontières ne valent rien, et l'on a vu toutes celles que d'autres nations ont faites de même finir malheureusement. Charles XII vit éclipser sa gloire dans les déserts de Poltawa,9-a l'empereur Charles VI ne put se maintenir en Espagne,9-b ni les Français en Bohême.9-c Tous les projets de campagne qui par conséquent visent à la pointe ne valent rien, et doivent être rejetés comme mauvais.
On forme d'autres projets pour se défendre, et d'autres encore pour attaquer.
Un projet de défensive absolue ne vaut rien; il vous réduit à prendre des camps forts; l'ennemi vous tourne, et, comme vous n'osez pas combattre, vous vous retirez. L'ennemi vous tourne encore, et il se trouve, compte fait, que vous perdez plus de terrain par votre retraite qu'après la perte d'une bataille, et que votre armée se fondra plus considérablement par la désertion qu'après l'action la plus sanglante. Une défensive aussi restreinte que celle que je propose ne vaut rien, car il y a tout à perdre et rien à espérer. Je préférerais donc à cette conduite l'audace d'un général qui risquerait une bataille à propos, car il a tout à espérer, et, dans son malheur même, il lui reste toujours la ressource de la défensive.
Un projet de campagne offensive demande qu'on examine la frontière de l'ennemi, que, après avoir bien discuté sur les points d'at<10>taque, on règle sur ceux-là le lieu où l'armée doit s'assembler, et qu'on pourvoie enfin aux vivres.
Pour rendre ceci plus clair, je vais illustrer mes principes par des exemples, en faisant des projets pour attaquer la Saxe, la Bohême et la Moravie.
S'il s'agit d'attaquer la Saxe, il faut s'emparer de l'Elbe; mais, pour commencer l'expédition, Halle serait le lieu le plus commode pour assembler l'armée. Le grand dépôt serait à Halle, et le magasin principal à Magdebourg. Un général qui ne se pourvoit pas assez de vivres, fût-il supérieur à César, il ne sera pas longtemps héros. On en commet le soin à un homme intègre, discret et habile; on se pourvoit de farines pour toute une campagne, et l'armée même en conduit avec elle pour trois semaines ou un mois. Vous laisserez une garnison à Halle, et vous aurez toutes les attentions possibles pour que l'ennemi, par des trahisons, ne puisse pas endommager votre magasin. Si l'ennemi tient la campagne, il faut lui livrer bataille, pour que vous puissiez pousser vos opérations. Si vous êtes heureux, vous entreprenez le siége de Wittenberg. Cela vous rend maître du cours de l'Elbe, qui doit vous donner vos vivres; vous la remontez toujours jusqu'à Dresde, et vous emparez de cette capitale. Il faut se faire en même temps ces objections : Si l'ennemi prend le poste de Meissen, comment pourrai-je le tourner? ou, s'il prend celui de Kesselsdorf, quelle manœuvre ferai-je pour l'en déposter? Il vient alors dans l'esprit ou de marcher par la droite pour le tourner, ou d'envoyer un détachement de l'autre côté de l'Elbe pour attaquer le Vieux-Dresde, ce qui pourra faire reculer cette armée, ou bien il faut se résoudre de la combattre, comme le fit le prince d'Anhalt.
Si je forme des desseins sur la Bohême, j'examine toute cette frontière qui confine avec la Silésie, et j'y trouve quatre passages plus considérables que les autres.
L'un est à côté de la Lusace, le second est celui de Schatzlar, le<11> troisième est celui de Braunau, et le quatrième va de la comté de Glatz, par Rückerts et Reinerz, droit à Königingrätz. Celui de Friedland, qui est celui de Lusace, ne vaut rien, à cause qu'il n'y a dans ce voisinage aucune place forte en Silésie où l'on puisse former des magasins, qu'il ne conduit en Bohême que par un coin de ce royaume, et qu'enfin le pays, de ce côté-là, est monlueux, fait pour la chicane, et peu abondant en vivres. Le passage de Schatzlar a à peu près les mêmes inconvénients, et si l'ennemi choisit le camp de la hauteur qui est derrière cette ville, il n'y a pas moyen de l'attaquer ni de le tourner, car le chemin de Golden-Oelse est un défilé abominable. Ce chemin n'est donc praticable qu'en cas que l'ennemi n'y soit pas; cependant, comme au débouché de ce coupe-gorge il faut encore défiler auprès de la forêt de Silva,11-a je préférerais à ce chemin celui de Braunau, qui, de tous ceux qui de Silésie vont en Bohême, est le plus facile, à cause que vous avez vos dépôts à Schweidnitz, ce qui est dans le voisinage, et que, en entrant de ce côté-là en Bohême, vous couvrez toute la Basse-Silésie, au lieu que le chemin de Glatz en Bohême ne couvre rien; d'ailleurs, celui de Braunau vaut mieux, en ce que, en toutes les guerres qu'on fait en Silésie, il faut regarder l'Oder comme sa mère nourricière, et cette rivière est plus proche de Schweidnitz que de Glatz, et les chemins de Schweidnitz sont plus faciles pour les chariots que ceux de Glatz. Ainsi, le chemin de Braunau étant le plus praticable à tout égard, on y doit fixer son point d'attaque.
Cela décidé, j'établis mon magasin à Schweidnitz, sous la garde de deux à trois mille hommes; je destine en même temps un corps de sept mille hommes pour couvrir la Haute-Silésie, du côté de Neustadt; et je destine un corps de trois mille hommes pour couvrir l'autre côté de l'Oder, de Cosel à Brieg. Ces deux détachements sont indispensables; ils couvrent le flanc gauche de la Basse-Silésie contre<12> les incursions des Hongrois, qui feraient bientôt sister12-a le train de vos convois et les arrangements qu'on est obligé de prendre pour ses vivres sur ses derrières. Ces deux corps sont d'autant moins aventurés, que Neisse peut servir de retraite à l'un, et Cosel et Brieg à l'autre.
Il est difficile de déterminer la nature des opérations que l'on formera en Bohême, sans avoir premièrement établi le cas de la question. Mon expérience m'a fait voir que ce pays est facile à conquérir, mais difficile à conserver. Ceux qui voudront subjuguer ce royaume se tromperont dans leurs entreprises toutes les fois qu'ils y porteront la guerre; pour prendre la Bohême, il faut attaquer l'Autriche par le Danube et par la Moravie; alors ce grand royaume tombe de lui-même, et on n'a qu'à y envoyer des garnisons.
Si nous faisons seuls la guerre à la reine de Hongrie, nos campagnes seront des défensives revêtues et masquées de tous les attributs d'une guerre offensive. Voici sur quoi j'appuie mon opinion. La Bohême n'a ni villes tenables, ni rivières navigables, ce qui nous oblige à tirer tous nos convois de la Silésie; une chaîne de montagnes que la nature a faite pour la chicane sépare ces deux États. Battez l'ennemi, prenez-lui des villes, vous n'avez rien gagné; car ces villes ne sont pas tenables, vous n'osez pas y hasarder vos magasins, et si vous vous enfoncez dans le pays ennemi, ces montagnes vous resserrent la gorge pour les vivres, l'ennemi vous coupe de vos derrières, et vous risquez de voir périr votre armée par la famine. Comment passer l'hiver dans un pays pareil? Comment assurer vos quartiers? Comment donner du repos aux troupes et les refaire de leurs fatigues? Peut-être dira-t-on : N'avons-nous pas passé l'hiver de 41 à 42 en Bohême?12-b J'en conviens; mais nous n'étions pas seuls; les Fran<13>çais occupaient les Autrichiens, de façon qu'ils ne pouvaient pas penser à nous.
Toutes ces circonstances doivent donc obliger le général de se plier à ses moyens, et de préférer à un projet brillant un projet praticable. Ce projet ne se réduira pas à grand chose, à moins qu'on n'ait une très-grande supériorité sur les Autrichiens. En supposant que tout est égal, je crois que la campagne se bornera à vivre aux dépens de l'ennemi pendant la saison que l'on campe. On doit, avec cela, fourrager radicalement toutes les frontières de la Silésie, pour empêcher l'ennemi d'y entretenir beaucoup de troupes, et l'on doit, sur la fin de la campagne, retourner en Silésie par le pays de Glatz, où les chemins pour une retraite sont les moins mauvais. Ce pays, que vous avez fait fourrager le long de vos frontières pendant l'été, vous donnera de la tranquillité pendant l'hiver.
Si l'on veut attaquer la Moravie, il faudrait former de tout autres desseins. Trois chemins y conduisent : celui de Glatz, par Littau, à Olmütz; celui de Troppau, par Sternberg; et celui de Hultschin et Prérau. Je choisis de ceux-là celui de Jägerndorf, Zuckmantel et Sternberg, à cause qu'il est le plus proche de Neisse. En supposant que mes forces sont égales à celles de l'ennemi, je détache sept à huit mille hommes vers Braunau et Schatzlar, pour couvrir de ce côté la Basse-Silésie. Ces troupes vivront aux dépens de la Bohême, et, si des ennemis trop nombreux se présentent, elles ont une retraite proche et sûre à Schweidnitz. Je fais un second détachement plus important que le premier, dont je confie la conduite au plus habile officier de l'armée. Je l'envoie vers la Jablunka, pour couvrir mon flanc gauche contre les Hongrois, et pour assurer mes convois et les dispositions que je suis obligé de faire en Haute-Silésie pour les vivres de l'armée qui doit agir en Moravie. Comme mon armée dépend de ses subsistances, et que celles-là dépendent du corps de la Jablunka, qui les protége, c'est de la conduite du général qui commande ce<14> corps que j'attends le succès de mes desseins. Selon ce projet, mon principal amas doit être à Neisse, et mon dépôt à Troppau, et cela, parce que Troppau peut être mis en état de défense, et qu'on n'y mettra jamais Jägerndorf; que Troppau peut contenir une garnison honnête, et l'autre ville à peine un bataillon. Je fais un dépôt pour trois mois à Troppau, sans compter un mois de subsistances que je conduis avec l'armée. Je fais lever de la terre à Sternberg et placer des palissades, à cause que c'est le seul lieu qui, sur celte roule, peut donner une espèce de protection à mes convois. Tous ces arrangements faits, mon armée marche à Olmütz, et j'y conduis douze mortiers et vingt-quatre pièces de batterie, pour en faire le siége. On peut saigner toutes les inondations que l'ennemi peut faire à cette place, et d'ailleurs la Morawa n'a que peu de profondeur dans son lit. Si l'on chasse l'ennemi de ce voisinage, la place ne tiendra pas plus de huit ou dix jours de tranchée ouverte. L'attaque est du côté de Wischau;14-a la ville prise, on comble les tranchées, on répare les brèches, et l'on transporte en même temps sous bonne escorte le magasin de Troppau à Olmütz, en même temps que Neisse rafraîchit celui de Troppau. Il faut avancer ensuite sur l'ennemi, qui se sera campé proche de Pohrlitz ou de Wischau,14-b où il se sera refait de ses pertes, et aura peut-être reçu des secours. Il est difficile de le tourner dans les postes qu'il peut y prendre, parce qu'il faut garder le dos vers Olmütz pour le couvrir; mais il faut, pour gagner du terrain, engager une affaire, si cela est faisable, et alors l'ennemi se retirera à Brünn, où il fera ses derniers efforts pour se soutenir, et il se campera, selon toutes les apparences, sur les montagnes qui sont derrière le Spielberg. C'est là le point le plus critique de cette campagne. Le siége de Brünn serait trop difficile, tant que l'ennemi se tiendrait dans le voisinage, et il est difficile de l'en écarter. Voici ce<15>pendant les moyens dont on peut se servir. Il faut envoyer de gros partis vers l'Autriche, pour que les cris des Viennois obligent le général autrichien de courir à leur secours. Si l'ennemi quitte son poste, il faut lui marcher sur le corps pour le combattre, et, la victoire remportée, former le siége de Brünn. On fera venir d'Olmütz pour trois semaines de vivres et l'artillerie de batterie. La ville de Brünn est peu de chose; elle peut tenir huit jours de tranchée ouverte, et le château douze tout au plus. Celte ville prise, on y fait avancer son magasin d'Olmütz, on ravitaille la place, et l'on marche vers Znaim et Nikolsbourg, ce qui forcera l'ennemi de se jeter en Autriche. Quoique les Autrichiens abandonnent la Moravie avec leur aimée, ils ne laisseront pas d'y envoyer leurs troupes légères, l'attachement du peuple et la situation du pays les favorisant entièrement. Ces troupes légères se nicheront à votre droite, dans les montagnes qui prennent du cloître Saar à Trebitsch15-a et Gurein, et à votre gauche, du côté de Hradisch et Napagedla.15-b Il faudra attendre les quartiers d'hiver pour chasser entièrement ces troupes légères de leur repaire, et comme il est à présumer que les troupes hongroises auront abandonné leur dessein sur la Haute-Silésie, on pourra employer en Moravie une partie du corps qu'on leur avait opposé du côté de la Jablunka.
Si j'ai désapprouvé un projet de campagne d'une défensive absolue, ce n'est pas que je ne sente bien qu'on ne peut pas toujours faire une guerre tout à fait offensive; mais je demande qu'un général ne soit gêné par aucun ordre dans sa défensive, et qu'elle soit plutôt une ruse qui, enflant l'amour-propre des ennemis, les induise dans des fautes dont il pourra profiter.
Le plus grand art du général dans la défensive, c'est d'affamer son ennemi; c'est un moyen où, sans rien hasarder, il y a tout à<16> gagner, et voilà ce qu'il faut, ôter au hasard tout ce qu'on peut lui dérober par la prudence et la conduite. La faim vaincra un homme plus sûrement que le courage de son adversaire; mais, comme l'enlèvement d'un convoi ou la perte d'un magasin ne finit pas la guerre, et qu'il faut des batailles pour décider, il est nécessaire d'employer l'un et l'autre de ces moyens pour réussir. Je me contenterai de faire deux projets de défensive selon mes principes, l'un pour la Basse-Silésie, et l'autre pour l'Électorat.
Je suppose que les Autrichiens veulent attaquer la Basse-Silésie du côté de la Bohême, et voici les dispositions par lesquelles je m'oppose à leurs desseins.
J'établis mon magasin principal à Schweidnitz, que je garnis de cinq bataillons et de trois escadrons de hussards; j'établis un dépôt au château de Liegnitz, pour être en état de côtoyer les ennemis, s'ils pénètrent et tournent de ce côté-là; je détache aussi pour Neisse, si le cas l'exige; mais surtout je mets à Glatz une garnison de sept bataillons et de trois régiments de hussards, pour que ce corps puisse entrer en Bohême, enlever les convois de l'ennemi et, s'il se peut, se saisir du magasin de Königingrätz et le ruiner, ce qui ferait perdre toute cette campagne aux Autrichiens, et nous en délivrerait à bon marché. Je ferais camper mon armée du côté de Schönberg et Liebau, ce qui masque le chemin de Schatzlar; alors il ne reste aux ennemis d'entrée en Silésie que par Braunau. Je ferais même retrancher mon camp, pour arborer tous les dehors de la timidité. Si l'ennemi entre en Silésie par Braunau, je le laisserai faire, et j'irai, avant qu'il s'en aperçoive, me camper à son dos; mais, pour faire ces mouvements, il faut avoir du pain et de la farine dans l'armée pour quinze jours. Par cette manœuvre, j'oblige l'ennemi à me combattre, et comme je me vas camper à son dos, il dépend de moi de prendre un champ de bataille où je trouve mes plus grands avantages; je ne risque rien par cette manœuvre, dès que Schweidnitz sera achevé<17> d'être fortifié, et l'ennemi battu dans une pareille rencontre n'a plus de retraite. Mais, supposé que les Autrichiens aillent de leur côté en tâtonnant, il faut alors tomber sur le corps d'un de leurs détachements ou de leur avant-garde, et se servir de la ruse pour les enhardir et pour profiter alors de leur témérité.
La défense du Brandebourg est beaucoup plus difficile, à cause que le pays est ouvert, et que les bois qui confinent avec la Saxe rendent les marches et les camps mauvais; cependant je crois qu'il faudrait s'y prendre ainsi.
Berlin, qui est une ville ouverte et la capitale du pays, doit attirer ma principale attention. Cette ville n'est qu'à douze milles de Wittenberg. Je suppose que l'armée des ennemis s'assemble auprès de cette dernière place. Les ennemis peuvent former trois desseins : l'un, de longer l'Elbe, qui leur deviendrait très-difficile à cause de Magdebourg, qui n'est pas une ville qu'on puisse laisser sur ses derrières; l'autre, par l'Oder et le Nouveau-Canal,17-a qui leur laisserait tout leur pays à découvert, et où on les rejetterait d'abord en Saxe, en marchant à Wittenberg; le troisième dessein est celui de marcher droit à Berlin. La meilleure défensive que l'on puisse faire, c'est de marcher en Saxe, comme nous le fîmes l'hiver de 1745.17-b Se retirer derrière la Sprée ou la Havel, c'est perdre le pays. J'aimerais mieux assembler mon armée auprès de Brandebourg, mettre mes vivres à Brandebourg et Spandow, faire abattre tous les ponts de la Havel, hors ceux de ces villes, et forcer quelques marches pour rencontrer les Saxons dans leur pays, les battre et les mettre à leur tour sur la défensive. On dira tout ce qu'on voudra, mais il n'y a point d'autre parti à prendre.
Les projets de campagne les plus difficiles à faire, ce sont ceux par lesquels on doit s'opposer à beaucoup d'ennemis puissants; c'est<18> alors qu'il faut avoir recours à la politique, pour les brouiller entre eux et pour en détacher l'un ou l'autre par des avantages qu'on leur procure. Quant au militaire, il faut alors savoir perdre à propos (qui veut défendre tout ne défendra rien), sacrifier une province à un ennemi, et marcher, en attendant, avec toutes vos forces contre les autres et les obliger à une bataille, faire les derniers efforts pour les détruire, et détacher alors contre les autres. Ces sortes de guerres ruinent les armées par les fatigues et les marches qu'on leur fait faire, et si elles durent, elles prennent pourtant une fin malheureuse.
En général, les projets de campagne doivent être ajustés aux conjonctures des temps, à l'espèce et au nombre d'ennemis que l'on a; il ne faut jamais mépriser l'ennemi dans le cabinet, mais se mettre dans sa place et penser ce qu'on ferait, si on était de lui. Plus on prévoit d'obstacles dans ses desseins, et moins on en trouve ensuite dans l'exécution. En un mot, il faut tout prévoir, sentir les difficultés et les résoudre.
ARTICLE III. DES SUBSISTANCES ET DU COMMISSARIAT.
« Quand on veut bâtir une armée, dit un grand général, il faut commencer par le ventre; c'en est le fondement. »18-a
Je divise cette matière en deux parties, dont l'une regarde les lieux et la manière d'assembler des magasins, et l'autre les moyens <19>pour rendre ces magasins mobiles. La première règle est de faire vos amas principaux sur vos derrières, et toujours dans une ville fortifiée. Nous avons eu, dans nos guerres de Silésie et de Bohême, notre grand magasin à Breslau, ce qui était pour la commodité de l'Oder, qui le rafraîchissait sans cesse. Quand on fait son principal magasin devant l'armée, on court risque de le perdre au premier échec, et l'on est sans ressource; au lieu que, les mettant par échelons, on ne fait pas la guerre en désespéré, et une petite disgrâce n'entraînera pas votre perte totale. Les magasins de l'Électorat doivent être à Spandow et Magdebourg; celui de Magdebourg devient, à cause de l'Elbe, offensif vers la Saxe, comme celui de Schweidnitz est offensif vers la Bohême.
Il faut avoir une grande attention au choix des commis du commissariat. Si ce sont des fripons, l'État y fait des pertes trop considérables. C'est pourquoi il faut leur donner de fidèles surveillants. On assemble les magasins de deux façons : ou l'on fait livrer les grains par les paysans et les gentilshommes, et on le leur rabat de la contribution, selon la taxe de la chambre; ou, si le pays n'en a pas en assez grande abondance, on fait des contrats avec des livranciers. Le commissaire des guerres doit signer et faire ses contrats lui-même, et nous avons des bateaux faits exprès pour transporter, par le moyen des canaux et des rivières, les farines et l'avoine. Il ne faut avoir recours aux entrepreneurs que dans le dernier besoin. Ce sont des arabes qui mettent le taux aux denrées, et les vendent à un prix exorbitant. Il faut, de plus, former ses magasins d'avance et de bonne heure, pour que tout soit fait lorsque l'armée quitte ses quartiers pour entrer en campagne; car, si l'on tarde trop, ou les gelées empêchent les transports par eau, ou les chemins se trouvent si gâtés qu'on ne peut qu'avec de grandes incommodités rassembler les provisions nécessaires, ou les partis des ennemis dérangent toutes les mesures que l'on avait prises.
<20>Outre les chariots qui conduisent pour cinq jours20-a de pain à la suite des régiments, le commissariat a ses caissons à part, et tout ce charroi pris ensemble peut conduire pour un mois de provisions pour l'armée. Cependant, s'il est possible, il faut se servir des rivières; elles seules peuvent maintenir l'abondance dans l'armée. Il faut que les caissons soient attelés par des chevaux. Nous nous sommes servis de bœufs, et nous nous en sommes mal trouvés. Il faut que des écuyers préposés à ces charrois et à ceux de l'artillerie en aient grand soin, et que le général y tienne la main; car la perte des bêtes diminue le nombre des caissons et par conséquent de vos vivres. De plus, quand les chevaux ne sont pas bien entretenus, leurs forces ne fournissent pas à la fatigue, et vous perdez dans les marches rudes vos chevaux, vos caissons et votre farine. Ces pertes réitérées deviennent de conséquence; elles tiennent aux grands projets de la guerre. Ainsi le général doit avoir une attention particulière à des détails qui lui sont aussi importants. Nous avons l'Elbe pour nous contre la Saxe, et l'Oder pour défendre la Silésie. Il faudrait se servir de la mer en Prusse; en Bohême et en Moravie, l'on ne peut compter que sur les caissons.
L'on forme quelquefois trois ou quatre dépôts de vivres sur une même ligne. Voilà comme nous fîmes en Bohême l'année 1742. Nous avions des magasins à Pardubitz, Nimbourg, Podiebrad et Brandeis, pour être en état de côtoyer les ennemis, et de les suivre vers Prague, en cas qu'ils entreprissent d'y marcher. Dans la dernière campagne que nous avons faite en Bohême, Breslau fournissait Schweidnitz, Schweidnitz fournissait Jaromircz, et Jaromircz nourrissait l'armée. Outre les caissons, l'armée mène avec elle des fours de fer; leur nombre n'était pas suffisant, je l'ai fait augmenter, et il faut, au moindre jour de repos, faire cuire du pain d'avance. Dans toutes les expéditions qu'on entreprend, il faut avoir pour dix jours de<21> pain et de biscuit avec soi. Le biscuit est admirable, mais nos soldats le mangent en soupes, et ne savent pas s'en servir. Quand on marche dans le pays ennemi, on dépose son amas de farine dans une ville voisine de l'armée, que l'on garnit de troupes. Nous avons eu notre farine, l'année 1745, en Bohême, à Neustadt, puis à Jaromircz, et, sur la fin de la campagne, à Trautenau. Si nous étions avancés davantage, nous n'aurions pu faire de dépôt solide qu'à Pardubitz. J'ai fait construire pour chaque compagnie un moulin de main qui sera d'un grand usage. On trouve du blé partout. Au moyen de ces moulins,21-a on le fera moudre par les soldats, qui livreront cette farine au commissariat, et recevront à sa place du pain tout fait. Cette farine, mêlée à portion égale avec la farine royale, ménagera les magasins, et nous fera subsister plus longtemps que nous avons fait dans le même camp, et nous épargnera beaucoup de convois.
Comme j'en suis aux convois, je vais ajouter tout ce qui regarde cette matière. On fait les escortes plus ou moins nombreuses, à proportion des ennemis que l'on a à craindre, et de la quantité de chariots qu'il faut escorter. On garnit les villes où le convoi passe d'infanterie, pour lui procurer des points d'appui; on fait souvent même, comme nous l'avons pratiqué en Bohême, de gros détachements pour couvrir ces convois. Dans tous les pays de chicanes, on fait consister la sûreté des convois dans l'infanterie; nous n'avons ajouté que peu de hussards, pour battre l'estrade et pour avertir l'infanterie des endroits où l'ennemi s'est embusqué. Je me suis aussi servi de l'infanterie dans les plaines préférablement à la cavalerie, parce que je m'en suis bien trouvé. Je renvoie, pour le détail de ces escortes, à mes<22> Institutions militaires;22-a j'ajoute seulement que le général ne saurait jamais prendre assez de précautions pour les assurer.22-b
ARTICLE IV. DES VIVANDIERS, DE LA BIÈRE, DE L'EAU-DE-VIE.
Lorsqu'on veut entreprendre une expédition, le commissariat fait brasser de l'eau-de-vie et de la bière à force sur cette frontière, pour qu'au moins l'armée soit bien pourvue pendant le premier temps. Dès que l'armée est dans le pays ennemi, on se saisit de toutes les brasseries qui se trouvent sous l'inspection du camp, et l'on fait brasser principalement de l'eau-de-vie, pour que le soldat, qui ne peut s'en passer, n'en manque pas. Quant aux vivandiers, on les protége, surtout dans les pays ennemis; si les paysans se sont enfuis et ont quitté leurs maisons, et que par conséquent on ne peut tirer aucun secours de la province où l'on se trouve, on est en droit de ne la plus ménager, et en conséquence on envoie les vivandiers et femmes de soldats au fourrage, pour piller des légumes et des bestiaux. Ensuite de cela, on a l'œil à ce que les prix soient faits dans l'armée avec équité, de façon que le soldat ne soit point surfait, et que le vivandier puisse subsister également. Je dois ajouter que nos soldats reçoivent deux livres de pain par jour, et deux livres de viande par semaine, gratis. On fait venir des hordes de bœufs, qui arrivent à l'ar<23>mée avec les escortes des convois. Cette douceur est due à ces pauvres soldats, surtout en Bohême, où ils font la guerre comme dans un désert.
ARTICLE V. DES FOURRAGES SECS ET VERTS.
Les fourrages secs s'amassent dans les magasins; ils consistent en foin, en paille hachée, en avoine, en orge, etc. Il faut que l'avoine ne soit pas brûlée, ou les chevaux jettent la gourme, et deviennent incapables de servir dès l'ouverture de la campagne. La paille hachée gonfle les chevaux sans les nourrir; cependant on s'en sert encore, parce que c'est l'usage. Les fourrages secs dont on forme des magasins sont à l'intention de prévenir l'ennemi à l'ouverture de la campagne, ou bien pour faire des expéditions d'hiver. Cependant une armée sera clouée à son magasin, tant qu'elle ne vivra que du sec; car le charroi du fourrage attire un embarras d'un détail immense; souvent une province entière ne peut pas fournir tous les chevaux et les chariots qui y sont employés. Sans le secours des grandes rivières, les magasins du sec ne contribuent jamais à l'offensive. Je nourris toute ma cavalerie au sec pendant la campagne de 1741, en Silésie; mais nous ne marchions que de Strehlen à Schweidnitz, où il y avait un magasin, et de Schweidnitz vers Grottkau, où nous étions dans le voisinage de Brieg et de l'Oder.
Lorsqu'on entreprend quelque expédition en hiver, on fait filer pour cinq jours de foin, que le cavalier charge sur son cheval. Lorsqu'on voudra porter la guerre en Bohême ou en Moravie, il faudra attendre que le vert soit venu, ou la cavalerie périra.
<24>Les fourrages verts et les blés se prennent dans les campagnes, et, lorsque la moisson est faite, on fourrage les villages.
Lorsqu'on arrive dans un camp où l'on a l'intention de séjourner, on fait reconnaître les fourrages, et l'on en fait la répartition, en supputant le nombre de jours qu'ils pourront fournir. Les grands fourrages se font toujours sous l'escorte d'un corps de cavalerie et d'infanterie proportionné au voisinage où l'on est de l'ennemi, et à ce que l'on peut avoir à craindre. On fait les fourrages ou de toute l'armée entière, ou par aile. Les fourrageurs se rassemblent du côté du chemin qu'ils doivent suivre, ou aux ailes, ou devant le front, ou derrière l'armée. Les hussards marchent en avant; si le pays est de plaine, la cavalerie les suit; si ce sont des défilés, l'infanterie marche la première, un quart des fourrageurs suit l'avant-garde, ensuite vient l'escorte, toujours mêlée de cavalerie et d'infanterie, les fourrageurs, l'escorte, et ainsi du reste jusqu'à la clôture, que fait l'arrière-garde, suivie d'un gros de hussards.
NB. L'infanterie mène son canon dans toutes les escortes, et les fourrageurs sont toujours armés de leur carabine et de leur épée.
Lorsque l'on arrive à l'endroit qu'on veut fourrager, on forme la chaîne, postant les bataillons dans les villages, derrière des haies ou des chemins creux, mêlant les escadrons de cavalerie entre cette infanterie, et se ménageant une réserve que l'on met dans le centre pour accourir du côté où l'ennemi entreprendrait de percer; les hussards escarmouchent avec l'ennemi, pour l'amuser et l'éloigner du fourrage. Lorsque toute cette disposition est ainsi faite, on distribue le champ du fourrage par corps, et l'on défend aux fourrageurs de sortir de la chaîne. Le général qui commande au fourrage est attentif que les trousses soient grosses et bien faites; lorsque les chevaux sont chargés, on renvoie les fourrageurs par troupes au camp, sous de petites escortes, et le gros du corps se rassemble, quand tout est parti, et fait l'arrière-garde avec les hussards.
<25>On fourrage les villages à peu près de même, à la différence près que l'infanterie se poste autour du village, et la cavalerie à côté et sur les derrières, dans les terrains où elle peut agir.25-a C'est dans les pays montueux que les fourrages sont difficiles à faire; les escortes sont presque toutes d'infanterie et de hussards dans de semblables cas.
Lorsqu'on veut séjourner dans un camp proche de l'ennemi, on commence par enlever les fourrages qui sont entre les deux camps; ensuite on fourrage à une lieue à la ronde, prenant les fourrages éloignés les premiers, vous réservant pour la fin ceux qui sont proche du camp. Si vous prenez un camp de marche ou de passage, vous fourragez dans le camp et le voisinage.25-b
ARTICLE VI. DE LA CONNAISSANCE DU PAYS.
Il y a deux façons de connaître un pays : la première, et par laquelle on doit commencer, c'est en étudiant la carte géographique de la province où l'on doit faire la guerre. On retient les noms des grandes villes et des rivières, on s'imprime les contrées montagneuses, et après s'être fait une idée générale de tout le pays, il faut en venir aux connaissances locales. Celles-là demandent qu'on sache où passent <26>tous les grands chemins, que l'on connaisse la situation des villes, si elles peuvent être défendues en les accommodant, ou si cela n'est pas praticable, de quel côté on pourrait les attaquer, en cas que l'ennemi s'en soit saisi, et quelle garnison elles exigent pour les défendre; il faut avoir le plan des places fortes et avoir étudié leur force et leur faiblesse. On doit connaître le cours des rivières et leur différente profondeur, jusqu'où elles sont navigables, et les endroits où on les peut passer à gué, savoir quels ruisseaux sont impraticables au printemps et desséchés en été; ces connaissances doivent même s'étendre sur les marais principaux de la province. Dans le plat pays, il faut distinguer les contrées abondantes de celles qui ne le sont pas, observer les marches que l'ennemi peut faire ou qu'on ferait soi-même d'une grande ville à l'autre ou d'une rivière à l'autre, remarquer les meilleurs camps qui se trouvent sur ces chemins et se les noter. Les pays de plaines se connaissent bien vite; il semble que ce soit une carte géographique que l'on a couchée devant soi; mais les pays de bois et de montagnes sont difficiles à connaître, parce que la vue y est toujours bornée. Pour acquérir cette connaissance si importante, il faut aller dans ces montagnes à cheval, la carte à la main, ayant avec soi des maires des villages voisins, des chasseurs, des pasteurs, et même des bouchers.26-a Quand il se trouve quelque montagne plus haute que les autres, il faut y monter pour se faire une idée du pays que l'on en peut découvrir. On doit s'informer de tous les chemins, tant pour savoir sur combien de colonnes l'on peut marcher que pour se faire d'avance des projets pour tourner par un tel chemin le camp ennemi, s'il se place à un tel endroit, ou pour se mettre sur son flanc, s'il se place autre part. Il faut reconnaître avec soin des camps de défensive dont on pourrait avoir besoin, des champs de<27> bataille, et les endroits que l'ennemi pourrait occuper; il faut surtout s'imprimer profondément les postes les plus importants, les gorges de certains défilés et les positions principales de ces contrées, et réfléchir sur toutes les opérations de guerre qui pourraient se faire dans ces lieux, pour que ces idées se trouvent arrangées si nettement dans l'esprit, qu'on ne soit embarrassé de rien lorsque la guerre s'y fait. Ces méditations doivent être profondes et bien digérées, et il faut se donner tout le temps que des matières de cette importance demandent; lorsqu'on n'a pas bien vu la première fois, il faut retourner une seconde, revoir et examiner encore. J'ajoute pour règle générale que tous les camps que l'on choisit, soit offensifs, ou défensifs, doivent avoir de l'eau et du bois dans leur voisinage, et quand même le front de ces camps est fort, il faut que le derrière en soit ouvert, pour qu'on en puisse sortir facilement. S'il est nécessaire d'acquérir la connaissance d'un pays voisin où la bienséance ne permet pas qu'on voyage de cette façon, il faut y envoyer des officiers habiles, sous divers prétextes, ou, s'il le faut même, on peut les envoyer déguisés. On les instruit des choses qu'ils doivent remarquer, et on se note sur la carte les lieux ou les camps dont ils rendent compte. Cependant, toutes les fois que l'on peut voir par ses propres yeux, il le faut faire.
ARTICLE VII. DU COUP D'ŒIL.
Ce qu'on appelle le coup d'œil du général consiste en deux choses, dont l'une est le talent de juger sur-le-champ le nombre de troupes que peut contenir un terrain. Celui-là s'acquiert par la pratique, et lorsque l'on a tracé soi-même quelques camps, l'œil s'y forme, et ne <28>se trompe que très-peu sur les dimensions. L'autre talent, qui lui est tout à fait supérieur, est celui de juger dès le premier moment de tous les avantages que l'on peut tirer du terrain; l'on peut acquérir ce talent et le perfectionner, pourvu que l'on soit né avec un génie heureux pour la guerre. Le fondement de cette espèce de coup d'oeil est sans contredit la fortification. Il y a des règles de la première que l'on applique à la position des aimées; ainsi le général habile lire parti de la moindre hauteur, d'un chemin creux, d'un ravin, d'un marais; et comme dans le carré d'une lieue de terrain il y a peut-être deux cents positions à prendre, son œil saisira à l'instant la meilleure, et le général habile montera sur la moindre hauteur pour découvrir le terrain et pour choisir sa position, de même qu'il verra par les règles de la fortification le lieu faible de la bataille des ennemis.28-a
Les avantages que nous apprenons par les règles de la fortification sont d'occuper soigneusement les hauteurs, et de les choisir de la sorte qu'elles ne soient pas dominées par d'autres, d'appuyer les ailes pour garder son flanc, d'occuper des lieux susceptibles de défense, et de n'en point prendre de ceux qu'un honnête homme ne saurait soutenir sans risquer sa réputation. On juge par la même règle des endroits faibles de l'ennemi, soit qu'ils le soient par un vice de la position locale, ou par la distribution défectueuse des troupes, ou par la faiblesse des défenses. Ceci m'amène au sujet de la façon dont il faut distribuer les troupes pour profiter du terrain.
<29>ARTICLE VIII. DE LA DISTRIBUTION DES TROUPES.
La connaissance et le choix du terrain sont des parties essentielles; mais il faut en savoir profiter en distribuant les troupes dans des lieux qui leur sont convenables. Notre cavalerie, qu'on a dressée pour agir avec vigueur, demande des plaines; notre infanterie est également bien partout; elle a le feu pour défensive, et la baïonnette pour offensive. Mais comme on prend ses sûretés dans des camps qui sont proches de l'ennemi, et comme ce grand voisinage pourrait engager une affaire d'un moment à l'autre, on commence à pourvoir à sa défensive. La plupart des ordres de bataille modernes sont vicieux, en ce qu'ils suivent tous la même méthode, sans avoir égard au terrain, qui en rend l'application fausse et mauvaise. Il faut placer chaque arme dans le lieu qui lui est convenable; on choisit la plaine pour la cavalerie, mais cela ne suffit pas; si cette plaine ne contient que mille pas, et qu'il y ait un bois qui la borne, on doit supposer que l'ennemi y placera de l'infanterie pour rallier la cavalerie sous son feu. En ce cas, il faut changer la disposition, mettre de l'infanterie sur l'extrémité de votre aile, pour qu'elle puisse protéger à son tour votre cavalerie. On place quelquefois tous les gens de cheval sur une aile, quelquefois en seconde ligne; en d'autres temps, on assure les deux ailes par une ou deux brigades d'infanterie. Les postes convenables à cette arme sont toutes les hauteurs, les cimetières, les chemins creux, les ravins; et, en disposant les troupes de cette façon, on ne doit jamais craindre d'être attaqué par l'ennemi. Mais si vous postez votre cavalerie derrière un marais, vous n'en pouvez rien attendre; si vous la mettez proche d'un bois, l'ennemi peut y glisser des troupes, la fusiller de là et la mettre en confusion, <30>sans qu'elle puisse se défendre. De même, si vous aventurez de l'infanterie dans une plaine sans assurer ses flancs, l'ennemi profitera de votre faute, et l'attaquera du côté par lequel elle ne saurait se défendre. Il faut donc toujours avoir égard aux lieux où l'on se trouve. Dans les pays de montagnes et de postes, je mettrais ma cavalerie en seconde ligne, et je ne l'emploierais dans la première qu'aux endroits seuls où elle pourrait agir, ne fût-ce que quelques escadrons, pour tomber sur le flanc de l'infanterie qui voudrait risquer de m'attaquer. J'ajoute comme une règle générale que dans toutes les armées bien conduites il doit y avoir une réserve de cavalerie dans les plaines, et de l'infanterie, avec quelques dragons ou hussards, dans les pays de chicane.30-a
ARTICLE IX. DES DIFFÉRENTS CAMPS.
30-bLe général qui commande doit choisir son camp lui-même, à cause que du choix de ce lieu dépend le succès de son entreprise. Il devient quelquefois son champ de bataille, et comme il y a beaucoup de choses à observer dans cette partie de l'art militaire, je serai obligé <31>d'entrer dans un assez grand détail. Je renvoie la façon de camper les troupes à ce que j'en ai dit dans mes Institutions militaires;31-a je ne parle ici que des grandes parties de la guerre, et de ce qui regarde le général.
Tous les camps que l'on prend se rapportent en gros à deux objets, dont l'un est la défensive, et l'autre l'offensive.
1. CAMPS D'ASSEMBLBÉE.
Les camps d'assemblée sont de la première espèce, et l'on n'a en vue que la commodité des troupes; elles campent par corps, proche des magasins, et de façon cependant que l'armée puisse se former en rang de bannière31-b en peu de temps. Ces camps étant éloignés de l'ennemi, on n'a rien à appréhender. Le roi d'Angleterre campa très-imprudemment de cette façon aux bords du Necker,31-c vis-à-vis des Français, et il pensa être battu à Dettingen. La règle générale que l'on observe dans tous les campements, c'est de les choisir de façon que les troupes aient du bois et de l'eau à portée, et nous nous retranchons comme les Romains, pour éviter les entreprises que les troupes légères, que nos ennemis ont en grand nombre, pourraient tenter pendant la nuit, et pour empêcher la désertion; car j'ai toujours trouvé que nous en avions moins lorsque nous avions joint les redans tout à l'entour du camp que lorsque nous avions négligé cette précaution.31-d
<32>2. LES CAMPS DE REPOS.
Les camps de repos sont ceux où l'on attend ou sur le vert, ou sur l'ennemi; on veut qu'il se déclare, pour se régler sur ses manœuvres. Comme on y cherche la tranquillité, on les prend de façon, ou qu'ils soient couverts d'une rivière, ou de marais, enfin de manière que leur front soit inabordable. Le camp de Strehlen était de ce genre. Quand les ruisseaux sont petits, on y fait des digues, et l'on vient à son but par le moyen des inondations.
Le général, bien loin d'être oisif dans un camp de cette espèce, n'ayant pas de grands soucis du côté de l'ennemi, peut tourner son attention du côté de son armée, et ce repos est propre à remettre la discipline en vigueur, à examiner si le service se fait à la rigueur, selon que je l'ai prescrit dans mes Institutions militaires, si les officiers sont vigilants aux gardes, à observer s'ils savent tout ce qu'ils doivent faire à leur poste, à examiner si toutes les gardes, soit de cavalerie, ou d'infanterie, sont placées selon les règles que j'en ai prescrites. Il faut faire exercer l'infanterie trois fois par semaine, les recrues tous les jours, et quelquefois on fait manœuvrer des corps entiers ensemble. La cavalerie exercera de même, si elle ne fourrage pas, et le général tiendra la main à ce que les jeunes chevaux et les nouveaux cavaliers soient bien dressés; il examinera le complet de chaque corps; il verra les chevaux, et donnera des louanges aux officiers qui en ont soin, et des réprimandes sévères à ceux qui les négligent; car il ne faut pas croire qu'une grande armée s'anime d'elle-même; il y a des négligents, des paresseux partout en grand nombre, et c'est au général à les pousser sans cesse et à les tenir à leur devoir. Ainsi ces camps de repos, lorsqu'on les emploie comme je viens de l'indiquer, deviennent d'une utilité infinie, et l'ordre qu'on y renouvelle avec l'égalité des corps se conserve pendant toute la campagne.
<33>3. CAMPS DE FOURRAGE.
Les camps de fourrage se prennent quelquefois proche, quelquefois loin de l'ennemi. Je ne compte parler que des premiers. On les choisit dans les contrées les plus abondantes, et l'on prend un terrain fort par sa nature pour y camper, ou on le rend fort en remuant la terre. Il faut que les camps de fourrage soient forts lorsqu'ils se trouvent dans le voisinage de l'ennemi, car il faut regarder un fourrage comme un détachement. Souvent la sixième partie et quelquefois la moitié de l'armée s'y trouve, ce qui fournit une belle occasion à l'ennemi de vous attaquer à votre désavantage, si la force du poste ne l'en détourne pas. Cependant, quand même votre poste est admirable, quand même il semble que vous n'ayez rien à craindre, il faut encore prendre d'autres précautions. On garde le secret sur les jours et les lieux que l'on veut fourrager, et on n'en donne la disposition au général qui doit commander ce corps que le soir, sur le tard; de plus, on met en campagne le plus de partis que l'on peut, pour être informé des mouvements que fait l'ennemi, et, s'il se peut, on tâche de faire ses fourrages les mêmes jours qu'il fait les siens, car alors on n'a rien du tout à risquer.33-a
Le camp que le prince de Lorraine avait derrière Königingrätz33-b était par sa nature inattaquable et propre pour le fourrage, et celui que nous occupâmes auprès de Chlum33-c fut rendu tel par l'art, c'est-à-dire par l'abatis que je fis faire sur la droite, et par les redoutes que je fis élever pour couvrir le front de l'infanterie.
<34>4. CAMPS RETRANCHÉS.
L'on se retranche dans son camp lorsqu'on fait le siége d'une ville, ou lorsqu'on veut défendre un passage difficile, où l'on aide la nature du terrain par des ouvrages de fortification, pour être à l'abri des insultes de l'ennemi. Voici les règles qu'il faut observer dans tous les retranchements en général : en bien choisir la situation; mettre à profit tous les marais, ruisseaux, inondations ou abatis qui en peuvent rétrécir l'étendue; les faire plutôt trop étroits que trop étendus, à cause que ce n'est pas le retranchement qui arrête l'ennemi, mais les troupes que vous lui opposez. Je ne voudrais donc jamais faire de retranchement, à moins de le pouvoir border d'une ligne contiguë de bataillons, et conserver encore une réserve d'infanterie pour la porter où il en pourrait être besoin. Les abatis, de même, ne sont bons que tant qu'ils sont défendus par l'infanterie. Il faut surtout prendre bien garde que le retranchement soit bien appuyé à l'entour des villes qu'on assiége. Il aboutit, pour l'ordinaire, à quelque rivière. Le fossé du retranchement doit entrer dans cette rivière aussi loin qu'il ne trouve plus de fond, et qu'elle n'est plus guéable. Si l'on néglige cette précaution, on risque d'être tourné. Je dois ajouter qu'un soin principal qu'on doit prendre, c'est de se pourvoir de vivres d'avance lorsqu'on se retranche à l'entour d'une ville que l'on veut assiéger. Les retranchements doivent, de plus, être bien flanqués, pour qu'à chaque point d'attaque l'ennemi ait à essuyer quatre à cinq feux qui croisent sur lui. Les retranchements dans les gorges de montagnes exigent beaucoup de soin et de précaution, surtout pour qu'on garde bien ses flancs; on fait pour cet effet sur les deux ailes des redoutes où on les appuie, et quelquefois le retranchement fait un recoude, pour que le corps qu'on y poste n'ait pas lieu de craindre qu'on puisse le tourner. Les habiles gens savent l'art d'obliger l'ennemi à des points d'attaque, et ceux-là, ils les fortifient <35>du double, par exemple, en rendant les fossés plus profonds, en y mettant des palissades et des fraises aux bermes, en donnant aux parapets assez d'épaisseur pour qu'ils résistent au canon, et en faisant faire des trous de loup à l'entour de ces endroits qui sont les plus exposés.35-a
5. DES CAMPS DÉFENSIFS.
Je vais parler à présent de ces camps défensifs qui ne sont forts que par le terrain, et qui n'ont d'autre objet que d'empêcher l'ennemi de vous attaquer.
Lorsque ces situations doivent répondre parfaitement à l'usage que l'on en veut faire, il faut que le front et les deux côtés soient d'une force égale, et le derrière ouvert et libre. Ce sont des hauteurs qui ont le front escarpé et les flancs couverts de marais, comme celui de Marschowitz, où se tint le prince de Lorraine,35-b ou bien couverts d'un ruisseau de marais par le front et d'étangs par les flancs, comme était celui de Konopischt,35-c où nous campâmes l'année 1744; ou bien l'on se met sous la protection d'une place forte, comme M. de Neipperg, qui choisit, après la perte de la bataille de Mollwitz, un camp admirable auprès de Neisse. Il est vrai qu'un général qui choisit des camps forts est inattaquable pendant qu'il s'y tient; mais lorsque l'ennemi fait des marches pour le tourner, il est <36>obligé de quitter son poste. Ainsi un général qui veut faire la défensive en prenant des camps forts en doit avoir un choix tout fait, pour n'avoir besoin que de marcher dans un autre camp fort sur ses derrières, dès que l'ennemi le tourne. La Bohême est le pays des camps forts; on est obligé d'en prendre là par force, parce que la nature a fait de ce royaume un pays de chicane. Je le répète encore, qu'un général y prenne bien garde, et qu'il ne tombe pas dans une faute irréparable par le choix vicieux de ses postes, et qu'il ne se mette pas dans un cul-de-sac, dans un terrain où il ne peut entrer que par un défilé. Si l'ennemi est habile, il l'y renfermera, et, ne pouvant combattre faute de terrain, il essuiera la plus grande ignominie qui puisse arriver à un homme de guerre, c'est-à-dire, de mettre les armes bas sans pouvoir se défendre.
6. DES CAMPS QUI COUVRENT LE PAYS.
Les camps qui couvrent le pays regardent plus un certain lieu que la force du lieu même; c'est le point d'attaque par où l'ennemi peut percer que l'on occupe. Ce ne sont pas tous les chemins par lesquels il peut venir, mais celui qui le mène à son plus grand dessein, et le lieu où, en se tenant, on a moins à craindre de l'ennemi, et d'où l'on peut lui donner le plus d'appréhensions; enfin un lieu qui oblige l'ennemi à beaucoup de circonspection et de marches, et qui me mette en état de parer à tous ses desseins par de petits mouvements. Le camp de Neustadt défend toute la Basse-Silésie et une partie de la haute contre les entreprises que peut former une armée qui est en Moravie. On prend devant soi la ville de Neustadt et la rivière de Hotzeplotz, et de là, si l'ennemi voulait pénétrer entre Ottmachau et Glatz, il n'y aurait qu'à se porter entre Neisse et Ziegenhals, dans un camp très-fort, pour le couper de la Moravie. Par la même raison, il n'oserait marcher du côté de Cosel; car, en mar<37>chant alors entre Troppau et Jägerndorf, vous lui coupez tous ses convois, et il y a des camps très-bons et très-forts à prendre. Il y a entre Liebau et Schönberg un camp de la même importance pour couvrir la Basse-Silésie contre la Bohême, comme je l'ai dit plus haut. On s'accommode dans ces lieux le mieux que l'on peut, selon les règles que j'en ai données. J'y ajoute deux choses : l'une, que les tentes ne doivent jamais être mises sur le lieu que vous choisissez pour votre champ de bataille; l'autre, que votre champ de bataille ne doit être qu'à une demi-portée de fusil quand vous avez une rivière devant vous.
Le Brandebourg ne saurait être couvert par aucun camp, parce que le pays a trente lieues et plus de longueur, et qu'il est ouvert. Pour le défendre contre la Saxe, il faut prendre Wittenberg et s'y camper, ou bien imiter l'expédition de l'hiver de 1745. Du côté du pays de Hanovre, il y a le camp de Werben,37-a qui défend et couvre tout.
7. DES CAMPS OFFENSIFS.
Les camps offensifs sont ouverts par le devant et couverts sur les ailes, par cette raison qu'on ne peut rien attendre des troupes, si l'on n'a pas prévu à garder leur flanc, qui est la partie faible de toutes les armées. Tel était notre camp de Czaslau avant la bataille, en 1742; tel était celui de Schweidnitz avant celle de Friedeberg, en 1745; tel était celui de Neudorf, auprès de Neisse, en 1741. Je dois ajouter que nous garnissons toujours les villages qui se trouvent sur les ailes ou devant notre camp, mais que l'ordre est d'en retirer les troupes, si c'en vient à une affaire, à cause que, dans notre voisinage, les villages sont de bois et mal bâtis, et que, les ennemis y mettant le feu, on perdrait les troupes qu'on y a postées. J'excepte de cette règle les cassines <38>massives et les cimetières, pourvu qu'il ne se trouve aucune maison de bois dans le voisinage. Cependant, notre principe étant d'attaquer et non pas de nous défendre, il ne faut garnir de postes semblables que lorsqu'ils sont dans le front ou devant les ailes; ils protégent l'attaque de vos troupes, et ils incommodent fort les ennemis pendant la bataille.38-a
ARTICLE X. DES SURETÉS QUE L'ON PREND DANS SON CAMP.
Les piquets d'infanterie couvrent le front de la première ligne; lorsqu'il y a une rivière devant vous, on pousse les piquets jusqu'à ses bords. Les piquets de la seconde ligne couvrent vos derrières. Les piquets sont enfermés dans des redans qu'on joint les uns aux autres par de légers retranchements,38-b ce qui rend votre camp retranché selon l'usage des Romains. On garnit les villages qui sont sur les ailes et à un petit quart de mille devant le front de l'armée; on occupe même des postes à un quart de mille à la droite ou à la gauche, s'ils défendent un défilé, un pont ou quelque passage. Les corps de garde de cavalerie se postent selon les règles que j'en ai données dans mes Institutions militaires.38-c Nous n'avons eu, sur quatre-<39>vingts escadrons, que trois cents hommes de garde. J'en excepte les cas d'une grande proximité de l'ennemi, surtout lorsque rien ne sépare les deux armées. L'on pousse pour l'ordinaire une avant-garde du côté où est l'ennemi, par la droite, comme nous le fîmes avant la bataille de Friedeberg en marchant à Schweidnitz, en avant, comme nous le fîmes avant que d'entrer en Lusace et de marcher à Naumbourg. Il faut que les armes soient mêlées dans les avant-gardes, par exemple, deux mille hussards, quinze cents dragons et deux mille grenadiers. Toutes les fois que vous poussez un corps semblable en avant, il faut que le général qui le commande soit habile; et comme il ne va point en avant pour combattre, mais pour avertir, il doit prendre de bons camps derrière des défilés ou derrière des bois dont il est le maître, et il doit avoir continuellement des batteurs d'estrade en campagne, pour être à chaque moment informé de ce qui se passe dans le camp des ennemis. De plus, il faut que les hussards que vous avez dans votre camp fassent des patrouilles sur vos flancs et sur vos derrières, pour que votre précaution ne laisse rien échapper de ce qui peut vous assurer contre les entreprises de l'ennemi. Si beaucoup de troupes légères se mettent entre votre avant-garde et vous, marchez à son secours; c'est un signe que l'ennemi a formé un dessein sur elle. Pour achever tout ce qu'il y a à dire sur cette matière, j'ajoute que les généraux qui cantonnent ne doivent jamais prendre d'autres villages que ceux qui sont entre les deux lignes, ou ils courront risque d'être enlevés.
<40>ARTICLE XI. QUAND ET POURQUOI IL FAUT FAIRE DES DÉTACHEMENTS.
C'est une ancienne règle de guerre, et je ne fais que la répéter : si vous séparez vos forces, vous serez battu en détail; si vous voulez livrer bataille, rassemblez le plus de troupes que vous pourrez; on ne saurait les employer plus utilement. Cette règle est si sûre, que tous les généraux qui s'en sont écartés ont presque tous eu lieu de s'en repentir. Le détachement d'Albemarle, qui fut battu à Denain,40-a perdit toute la campagne du grand Eugène; Starhemberg, séparé des Anglais, perdit en Espagne la bataille de Villaviciosa;40-b les détachements furent funestes aux Autrichiens pendant les dernières campagnes qu'ils firent en Hongrie; Hildbourghausen fut battu à Banjaluka,40-c Wallis40-d reçut un échec aux bords du Timoc; et enfin les Saxons furent battus à Kesselsdorf,40-e à cause qu'ils n'avaient pas attiré à eux le prince de Lorraine, comme ils le pouvaient faire. J'aurais mérité d'être battu à Soor, si l'habileté de mes généraux et la valeur des troupes ne m'eussent préservé de cette disgrâce. Mais, me dira-t-on, il ne faut donc point détacher? Je réponds qu'il le faut bien quelquefois, mais que c'est une manœuvre très-délicate, qu'il ne faut faire que pour des raisons valables, et encore à propos, et lorsque les circonstances le permettent. Si vous agissez offensivement, ne détachez jamais; si c'est dans un pays ouvert, et que vous êtes maître de quelques places, ne détachez que pour assurer vos <41>convois. Toutes les fois que vous ferez la guerre en Bohême ou en Moravie, vous serez bien obligé de détacher pour la sûreté de vos vivres, car les chaînes de montagnes que les convois ont à passer demandent qu'on couvre ces convois par des détachements, ou que vous y envoyiez des corps qui y campent et y restent jusqu'à ce qu'il vous soit venu assez de vivres pour subsister pendant quelques mois, et que vous soyez maître de quelque place dans le pays ennemi, où vous puissiez établir votre dépôt. Pendant que vous faites de ces sortes de détachements, il faut prendre des camps forts où vous puissiez attendre qu'ils vous aient rejoint.
Je ne compte point les avant-gardes au nombre des détachements, à cause qu'elles sont à portée de l'armée, et qu'on ne les aventure jamais trop en avant. Lorsqu'on est sur la défensive, on est souvent obligé de détacher. Ces détachements que j'avais en Haute-Silésie, se trouvant à portée des forteresses, y étaient en sûreté, comme je l'ai dit plus haut. Les officiers qui commandent des détachements doivent être fermes, hardis et prudents. Leur chef leur donne des instructions générales; mais il faut qu'ils sachent prendre conseil d'eux-mêmes, avancer sur l'ennemi ou se retirer, selon que les circonstances le demandent. Ils doivent toujours se retirer devant des forces supérieures, et profiter du nombre quand il est de leur côté. Souvent ils se retirent de nuit à l'approche de l'ennemi, et quand celui-là les croit en fuite, ils reviennent brusquement, le chargent et le mettent en déroute. Pour les troupes légères, ils ne doivent que les mépriser. Un officier qui commande un détachement commence à pourvoir à sa sûreté, et, dès que cela est fait, il forme des desseins sur l'ennemi; car, s'il veut dormir en repos, il ne faut pas qu'il y laisse dormir l'autre. En formant toujours des projets et en en exécutant un ou deux avec bonheur, il met son ennemi sur la défensive. Lorsque ces détachements sont voisins de l'armée, ils y tiennent par quelque ville ou quelque bois qui y communique.
<42>La guerre défensive invite et conduit naturellement aux détachements. Les petits génies veulent tout conserver, les hommes sensés ne voient que l'objet principal; ils parent les grands coups, et souffrent un petit mal pour en éviter un de plus grande conséquence; qui conserve tout ne conserve rien.42-a La partie essentielle où il faut s'attacher, c'est à l'armée de l'ennemi; il faut deviner son véritable dessein, et s'y opposer de toutes ses forces. Nous abandonnâmes la Haute-Silésie au pillage des Hongrois, l'année 1745, pour nous opposer avec plus de force aux desseins du prince de Lorraine,42-b et nous ne détachâmes qu'après l'avoir bien battu; Nassau chassa ensuite en quinze jours les Hongrois de toute la Haute-Silésie.
Il y a des généraux qui détachent avant que d'attaquer l'ennemi, pour que ce corps arrive pendant l'affaire, et tombe sur les derrières de l'ennemi. Cela est dangereux, à cause que ces détachements sont sujets à s'égarer, à arriver trop tard ou trop tôt. Charles XII détacha la veille de la bataille de Poltawa; le détachement s'égara, et le Roi fut battu. Lorsque le prince Eugène voulut surprendre Crémone, il manqua son coup, à cause que le détachement du prince Vaudemont, qui devait attaquer la porte du Pô, arriva trop tard. Il ne faut détacher dans les batailles que comme Turenne le fit à Colmar,42-c où il présentait sa première ligne vis-à-vis du front de l'électeur Frédéric-Guillaume, et où sa seconde ligne se glissa par des chemins creux sur le flanc de ce prince, qu'elle attaqua et qu'elle fit plier; ou comme fit M. de Luxembourg à la bataille de Landen, où, à la faveur du blé, qui était fort haut, il fit passer un corps d'infanterie sur le flanc du prince Guillaume d'Orange, et gagna la bataille par cette manœuvre.42-d
<43>On ne doit détacher qu'après des batailles, pour la sûreté des convois, ou bien il faut que les détachements ne se fassent tout au plus qu'à un demi-mille du camp.
En finissant cet article, j'avertis que les détachements les plus dangereux et les plus condamnables sont ceux qui affaiblissent farinée d'un tiers ou de la moitié.
ARTICLE XII. DES TALENTS QU'IL FAUT A UN GÉNÉRAL.43-a
Un parfait capitaine est un être de raison; c'est la république platonicienne, c'est le centre de gravité des philosophes, c'est l'or potable des chimistes. La perfection est incompatible en tout genre avec l'humanité; mais le sentiment de notre imperfection ne doit pas nous empêcher de tracer de parfaits modèles, pour que ces âmes généreuses, animées d'un principe d'honneur et d'émulation, en approchent en partie, si elles ne peuvent pas l'imiter en entier.
Ce ne sont, après tout, que les grands exemples et les grands modèles qui forment les hommes; et si des héros comme Eugène, Condé, Turenne ou César attirent notre admiration, combien plus ne doit-on point être ému par un tableau qui nous représente leurs différentes perfections réunies ensemble! Combien de vertus contradictoires n'entrent pas dans la composition d'un général!
Je suppose, devant toutes choses, qu'il soit honnête homme et bon citoyen, qualités sans lesquelles l'habileté et l'art de la guerre <44>sont plus pernicieux qu'utiles. On demande, de plus, qu'il soit dissimulé, paraissant naturel, doux et sévère, sans cesse défiant et toujours tranquille, ménager par humanité et quelquefois prodigue du sang de ses soldats, travaillant de la tète, agissant de sa personne, discret, profond, instruit de tout, n'oubliant pas une chose pour en faire une autre, et ne négligeant pas comme étant au-dessous de lui ces petits détails qui tiennent si fort aux grandes choses.
Je recommande toutes ces qualités, à cause de leur importance. En voici la raison. L'art de cacher sa pensée, ou la dissimulation, est indispensable à tout homme qui a de grandes affaires à conduire. Toute l'armée lit son sort sur son visage; elle examine les causes de sa bonne ou de sa méchante humeur, ses gestes; en un mot, rien n'échappe.44-a Quand il est pensif, les officiers disent : Sans doute que notre général couve un grand dessein. A-t-il l'air triste ou chagrin : Ah! dit-on, c'est que les affaires vont mal. Leur imagination, qui se donne à de vaines conjectures, croit pis que le mal réel. Ces bruits découragent, ils courent l'armée, et passent de votre camp dans celui de l'ennemi. Il faut donc que le général soit comme un comédien, qui monte son visage sur l'air qui convient au rôle qu'il veut jouer, et, s'il n'est pas maître de lui-même, qu'il affecte une maladie, ou qu'il invente quelque prétexte spécieux pour donner le change au public. Arrive-t-il quelque mauvaise nouvelle, on fait semblant de la mépriser devant le monde, on étale avec ostentation le nombre et la grandeur de ses ressources, on dédaigne l'ennemi en public, on le respecte en particulier. Si quelque parti essuie une disgrâce à la petite guerre, on en examine la raison; on trouve toujours que c'est la mauvaise conduite ou l'ignorance de l'officier qui l'a mené qui en est la cause; on dit ouvertement que ce n'est point faute de la bravoure des troupes qui ont eu à essuyer ce malheur; on examine les fautes de cet officier, et on en fait une leçon aux autres. De cette fa<45>çon vous instruisez les officiers, et vous n'ôtez point aux troupes la confiance qu'elles ont en leurs propres forces.
La douceur et la sévérité s'exercent alternativement avec le soldat; il faut que le général soit populaire, qu'il parle aux soldats, soit lorsqu'il passe dans leurs tentes, ou lorsque c'est un jour de marche. On voit quelquefois si la marmite va bien, on entre dans leurs petits besoins et l'on fait ce que l'on peut pour les soulager, on leur épargne des fatigues inutiles. Mais on fait tomber toute la rigueur de la loi sur le soldat mutin, sur le raisonneur, sur le pillard, et l'on fait, lorsqu'il est nécessaire, des punitions sévères aux déserteurs. En un mot, tout ce qui regarde le service doit être regardé gravement; tout ce qui est hors de là souffre de l'indulgence. On loue les officiers des belles actions qu'ils ont faites, on leur fait des honnêtetés, on leur rend service; mais on ne les épargne pas dans toutes les choses qui regardent leur devoir, et on les oblige à le faire par force quand ils le négligent. Le général ne fait pas mal de parler quelquefois guerre avec les généraux de son armée qui ont le plus de lumières; on les met sur des chapitres généraux, on entend leurs sentiments, et si, dans la liberté de la conversation, ils ouvrent un bon avis, il faut en profiter sans faire remarquer qu'on trouve la chose bonne; mais, lorsqu'elle est exécutée et qu'elle a réussi, il faut dire en présence de beaucoup d'officiers : C'est à monsieur un tel que je dois le succès de cette affaire. Vous flattez par ce moyen l'amour-propre des autres, vous les intéressez à l'avantage des affaires générales, et votre modestie, au lieu de vous attirer des envieux, vous gagne des amis.
Les Normands donnent une règle à leurs enfants : Défie-toi. - De qui? - De tout le monde. Ici c'est le cas de se défier de ses ennemis; il n'y a que des fous qui s'y confient. Mais quelquefois la sûreté vous endort, et je demande qu'un général veille toujours sur le dessein de ses ennemis; il est la sentinelle de son armée, il doit voir, entendre,<46> prévoir et prévenir pour elle tout le mal qui pourrait lui arriver. C'est après les plus grands avantages qu'il faut être le plus défiant. On croit l'ennemi découragé, et vous tombez en léthargie sur toutes ses entreprises. Souvent un ennemi habile vous amuse par de feintes propositions de paix; ne donnez pas légèrement dans ce piége, et songez que ses intentions ne sauraient être sincères.
Il faut toujours raisonner sur la situation où l'on se trouve, et dire : Quel dessein formerais-je, si j'étais de l'ennemi? Après en avoir imaginé plusieurs, il faut penser aux moyens de les faire échouer, et surtout corriger sur-le-champ ce qu'il y a de défectueux ou dans votre position, ou dans votre campement, ou dans vos dépôts, ou dans vos détachements. Ces corrections doivent être promptes : les heures décident de beaucoup à la guerre, et c'est là que l'on apprend à connaître le prix des moments. Que tout ceci ne vous rende pas timide, car la hardiesse veut être jointe à la circonspection; et comme on ne peut jamais démontrer la sûreté d'une entreprise, il suffit de la bien disposer. L'événement doit se remettre à la fortune. Cela se réduit donc à prévoir et à éviter tout le mal que l'ennemi pourrait nous faire, et à lui donner tant d'appréhensions pour lui-même, que ces inquiétudes et vos entreprises continuelles le réduisent à la défensive.
Si vous voulez gagner l'amitié du soldat, ne le fatiguez ni ne l'exposez sans qu'il voie que cela est nécessaire. Soyez leur père, et non pas leur bourreau. On ménage le soldat dans les siéges par les sapes, et dans les batailles en prenant les ennemis par leur faible, et en expédiant promptement. C'est pourquoi, plus les attaques sont vives, et moins elles coûtent; en abrégeant les batailles, vous ôtez au temps le moyen de vous emporter du monde, et le soldat ainsi conduit prend confiance au général, et s'expose gaîment aux dangers.
Le principal ouvrage du général, c'est le travail du cabinet, faire des projets, combiner des idées, réfléchir sur les avantages, choisir<47> ses positions principales, prévoir les desseins des ennemis, les prévenir et les inquiéter sans cesse. Mais cela ne suffit pas; il faut encore qu'il soit actif, qu'il ordonne et qu'il exécute, qu'il voie toujours par lui-même. Il faut donc qu'il prenne ses camps, qu'il pose ses gardes, et qu'il se promène souvent à l'entour du camp pour se rendre les situations familières; car, s'il lui arrivait d'être attaqué à l'improviste, rien ne lui sera nouveau. Les situations se sont si bien imprimées dans son esprit, qu'il peut donner ses ordres de tous côtés, comme s'il était sur les lieux, et que rien ne peut arriver à quoi il n'ait pensé d'avance; ainsi ses dispositions seront toujours justes. Il faut donc raisonner en soi-même sur les positions de détail d'un camp et les revoir souvent, car quelquefois les bonnes idées ne viennent qu'après avoir réfléchi sur le même objet plusieurs fois. Soyez donc actif et infatigable, et défaites-vous de toute paresse de corps et d'esprit, sans quoi vous n'égalerez jamais les grands capitaines qui nous servent d'exemple.
Un ancien a dit que ce n'était pas être homme que de ne pas savoir se taire. L'indiscrétion, qui n'est qu'un défaut léger dans la société civile, devient un vice important dans un général, à cause que, s'il divulgue les plus beaux projets du monde qu'il a faits, l'ennemi les apprend, et les fait avorter avant leur naissance. La première précaution que l'on prend est de donner des chiffres à tous les généraux qui commandent des corps ou dans des forteresses, pour qu'une lettre interceptée ne renverse pas vos desseins. On cache même, à la guerre, ses véritables intentions, et comme telle entreprise demande beaucoup et divers préparatifs, on les fait sous d'autres prétextes, et l'on déroute ceux qui veulent en pénétrer le but. On ne donne souvent les ordres et les dispositions que sur le tard et la veille qu'on les veut exécuter. Il ne faut pas employer souvent la même ruse pour cacher ses desseins, mais les varier et en inventer souvent de nouvelles; car un général est environné de cinquante<48> mille curieux de son armée qui veulent le deviner, et d'ennemis qui ont un plus grand intérêt encore à approfondir ses vues.
Il faut que le général pèse tous ses desseins avec circonspection, qu'il soit lent dans ses délibérations, mais qu'il prenne des résolutions courtes dans des jours de bataille et dans des cas inopinés, et qu'il sache qu'il vaut mieux prendre une mauvaise résolution et l'exécuter sur-le-champ que de n'en prendre aucune.
Le général ne doit pas non plus exposer légèrement sa personne; surtout il ne doit jamais risquer d'être fait prisonnier.48-a
ARTICLE XIII. DES STRATAGÈMES ET DES RUSES DE GUERRE.
On prend alternativement, à la guerre, la peau de lion et la peau de renard; la ruse réussit où la force échouerait. Il est donc absolument nécessaire de se servir de toutes les deux. C'est une corde de plus que l'on a sur son arc; et comme souvent la force résiste à la force, souvent aussi la force succombe sous la ruse.
Les ruses sont immenses, et je ne prétends pas les rapporter toutes; leur but est le même, et consiste à faire faire à l'ennemi la démarche que l'on veut. Elles servent donc à cacher son propre dessein et à substituer dans sa place des illusions qui paraissent annoncer des vues toutes contraires. Quand les troupes sont à la veille de s'assembler, on leur fait quelquefois faire des contre-marches pour alarmer l'ennemi, et pour lui cacher le lieu où l'on veut assembler les troupes et percer tout de suite. Quand on est dans un pays où il y a des villes <49>fortes, on se campe dans un endroit qui menace deux ou trois places en même temps. Si l'ennemi jette des troupes dans toutes ensemble, il s'affaiblit; on profite de ce moment pour lui tomber sur le corps; ou, si l'ennemi se jette d'un côté, vous tournez vers la ville où il n'a point envoyé de secours, et en faites le siége. Si vous voulez vous emparer de quelque passage important ou passer une rivière, vous vous éloignerez de ce passage ou de l'endroit où vous avez dessein de passer, pour attirer l'ennemi de votre côté, et, ayant tout disposé d'avance et ménagé une marche sur lui, vous tournez à l'improviste vers cet endroit, et vous en saisissez.
Si vous avez envie de vous battre, et que l'ennemi semble éviter un engagement, vous débitez que votre armée s'est affaiblie, ou vous faites le timide, comme nous fûmes obligés de jouer ce rôle avant la bataille de Friedeberg.49-a J'avais fait faire des routes pour marcher sur quatre colonnes à Breslau, à l'approche du prince de Lorraine. Son amour-propre conspira avec moi à le tromper; il descendit dans la plaine, et nous le battîmes. On rétrécit quelquefois son camp pour paraître plus faible, on fait de petits détachements que l'on fait passer pour considérables, pour que l'ennemi, méprisant votre faiblesse, quitte ses avantages. Si j'avais eu intention de prendre Königingrätz et Pardubitz, en 1745, je n'aurais eu qu'à faire deux marches, par le comté de Glatz, vers la Moravie; le prince de Lorraine y serait accouru, parce que cette démonstration lui aurait fait craindre pour ce marquisat, d'où il tirait ses vivres, et la Bohême aurait été abandonnée. Ainsi l'ennemi prend jalousie de ses places que l'on menace d'assiéger, des lieux par lesquels il communique à sa capitale, et des endroits où il a le dépôt de ses vivres.
Lorsqu'on n'a point intention de se battre, on se débite plus fort que l'on n'est, et l'on fait une guerre de contenance. C'est le chef-d'œuvre des Autrichiens, c'est l'école où il faut l'apprendre. Vous<50> affectez par votre contenance l'envie d'en venir aux mains, vous affichez les desseins les plus téméraires, et souvent l'ennemi croit qu'il n'en aura pas bon jeu, et se tient également sur la défensive de son côté.
Cette guerre consiste en partie dans l'art de prendre des postes et de ne les abandonner qu'à la dernière extrémité; votre seconde ligne se retire la première, et la première la suit imperceptiblement; et comme vous avez des défilés devant vous, l'ennemi n'a pas le moyen de profiter de votre retraite. Dans ces retraites même, vous choisissez des positions obliques qui donnent à penser à l'ennemi, et ses inquiétudes le rendent timide et vous conduisent indirectement à votre but.
C'est aussi une ruse que de présenter à l'ennemi beaucoup de têtes. S'il prend la fausse attaque pour la véritable, il est perdu. C'est par la ruse encore qu'on l'oblige à détacher, et qu'on tombe sur lui lorsque ces détachements sont faits. Une des meilleures ruses de guerre, c'est d'endormir les ennemis lorsqu'il est temps de séparer les troupes pour les quartiers d'hiver. On recule alors pour mieux sauter, et l'on distribue ses troupes de façon que l'on peut les rejoindre promptement. En tombant alors sur les quartiers de l'ennemi, on peut réparer dans quinze jours les disgrâces de toute une campagne. Lisez les deux dernières campagnes de Turenne, et étudiez-les souvent; c'est le chef-d'œuvre des ruses modernes.
Les ruses dont les anciens se servaient à la guerre sont devenues le partage des troupes légères. Celles-là font des embuscades, celles-là attirent leurs ennemis, par une fuite simulée, dans des défilés, pour les tailler en pièces. Les généraux modernes ne sont guère assez ignorants pour tomber dans ces sortes d'embuscades grossières; cela arriva à Charles XII, auprès de Poltawa, par la trahison d'un prince des Tartares,50-a et à Pierre Ier, au Pruth, par la trahison d'un prince de<51> ce pays-là,51-a qui lui avait promis également des vivres, et ne put lui en procurer.
Comme j'ai déduit avec un assez ample détail ce qui regarde le genre de guerre des partis ou des détachements dans mes Institutions militaires,51-b je renvoie ceux qui voudront s'en rafraîchir la mémoire à ce livre même, n'y pouvant rien ajouter.51-c
ARTICLE XIV. DES ESPIONS, DE L'USAGE QU'ON EN PEUT FAIRE DANS TOUS LES CAS, ET COMMENT ON APPREND DES NOUVELLES DE L'ENNEMI.
Si l'on savait toujours les desseins des ennemis d'avance, avec une armée inférieure on leur serait supérieur. Tous ceux qui commandent des armées travaillent à se procurer cet avantage; mais ils n'y réussissent pas tous. Il y a quatre sortes d'espions : les petites gens qui se mêlent de ce métier, les doubles espions, les espions de conséquence, et ceux enfin qu'on oblige par violence à ce malheureux emploi.
Les petites gens, c'est-à-dire les bourgeois qu'on envoie dans le <52>camp ennemi, les paysans, les prêtres, etc., ne peuvent être employés qu'à savoir l'endroit où l'ennemi campe. La plupart de leurs rapports sont si embrouillés et si confus, qu'ils rendent plus incertain qu'on ne le serait dans la plus profonde ignorance. La déposition des déserteurs n'est guère plus instructive; les soldats savent la nouvelle de leur régiment et pas davantage, et les hussards, étant toujours commandés sur les devants de l'armée, ne savent quelquefois pas même où elle campe. Cependant on couche leur déposition par écrit; c'est l'unique moyen d'en tirer quelque parti.
On se sert des espions doubles pour donner de fausses nouvelles aux ennemis. Il y avait un Italien, à Schmiedeberg, qui servait les Autrichiens en cette qualité. Nous lui fîmes si bien accroire que nous nous retirerions à Breslau à l'approche des ennemis, qu'il en assura le prince de Lorraine, et qu'il fut trompé.
Le prince Eugène eut pendant longtemps le maître de poste de Versailles à ses gages. Ce malheureux ouvrait les expéditions de la cour aux généraux, et les envoyait au prince Eugène, qui les recevait avant même ceux qui commandaient les armées françaises. Luxembourg avait gagné un secrétaire du roi Guillaume, qui lui donnait avis de tout; le Roi le découvrit, et tira tout le parti qu'il était possible d'une affaire aussi délicate. Il obligea ce traître de marquer à Luxembourg que les alliés feraient le lendemain un grand fourrage, et les Français pensèrent être surpris à Steenkerke.52-a Sans des prodiges de valeur, leur armée aurait été totalement défaite. Il est difficile d'avoir de pareils espions, non pas que les Autrichiens ne soient corruptibles comme d'autres, mais à cause que leurs troupes légères, qui les entourent comme un nuage, ne laissent passer personne sans le visiter. Cela m'a fait naître l'idée de corrompre une couple de leurs officiers de hussards, par le moyen desquels la correspondance pourrait s'entretenir, et cela, lorsque les hussards escar<53>mouchent; leur usage est alors de faire quelquefois la trêve et de se parler; alors facilement les lettres pourraient être rendues.
Quand on veut faire donner de fausses nouvelles aux ennemis ou en avoir des siennes, on fait passer dans son camp un soldat comme transfuge, qui leur rapporte ce que l'on veut, ou qui y sème même des billets pour animer les troupes à la désertion, et qui par un détour revient à votre camp.
Lorsque par aucun moyen on ne peut avoir dans le pays de l'ennemi de ses nouvelles, il reste un expédient auquel on peut avoir recours, quoiqu'il soit dur et cruel : c'est de prendre un gros bourgeois qui a femme, enfants et maison; on lui donne un homme d'esprit qu'on déguise en valet (il faut qu'il sache la langue du pays). Le bourgeois est obligé de le prendre comme son cocher, et de se rendre au camp des ennemis sous prétexte de se plaindre des violences que vous lui faites souffrir; et, s'il ne ramène pas votre homme après avoir séjourné dans le camp ennemi, vous le menacez de faire égorger sa femme et ses enfants et de faire brûler et piller sa maison. J'ai été obligé de me servir de ce moyen lorsque nous étions au camp de Chlum,53-a et cela me réussit. J'ajoute à ceci qu'il faut être d'une libéralité prodigue envers les espions. Un homme qui risque la corde pour votre service mérite bien d'être récompensé.
ARTICLE XV. DES MARQUES CARACTÉRISTIQUES PAR LESQUELLES ON PEUT DEVINER LES INTENTIONS DES ENNEMIS.
La chose qui découvre le plus sûrement le dessein de l'ennemi avant l'ouverture de la campagne est la forme qu'il donne aux dépôts <54>de ses vivres : par exemple, lorsque les Autrichiens forment leurs magasins à Olmütz, on peut compter que leur dessein est d'attaquer la Haute-Silésie; lorsqu'ils les forment à Königingrätz, alors le côté de Schweidnitz est menacé. Lorsque les Saxons voulurent attaquer l'Électorat, leurs magasins indiquaient le chemin qu'ils voulaient tenir, car leurs dépôts étaient à Zittau, à Görlitz, à Guben, ce qui tombait droit sur Crossen. C'est donc la première nouvelle qu'il faut apprendre : où l'ennemi forme-t-il ses magasins? Les Français, pour ôter encore cette connaissance aux alliés, ont de doubles amas de vivres, les uns sur la Meuse, et les autres sur l'Escaut. Quand les Autrichiens sont en campagne, on peut deviner les jours qu'ils marcheront; car un usage dont ils ne s'écartent jamais, c'est de faire cuire le soldat tous les jours de marche. Ainsi donc, lorsqu'on voit dans leur camp beaucoup de fumée avant midi, à cinq ou huit heures du matin, on peut compter qu'ils feront un mouvement le même jour. Toutes les fois que les Autrichiens veulent se battre, ils retirent à eux tous les gros détachements de troupes légères, et lorsqu'on s'en aperçoit, il faut être sur ses gardes. Quand on attaque quelques postes de leurs Hongrois, et qu'ils font ferme, on peut en conclure sûrement que leur armée est à portée de les secourir et fort proche. Lorsque les troupes légères se mettent entre vous et un détachement que vous avez fait, vous en pouvez conclure que l'ennemi a quelque dessein sur ce détachement, et prendre vos mesures là-dessus. J'ajoute à ceci que si l'ennemi vous oppose toujours le même général, vous pouvez apprendre sa manière, et le deviner ensuite par ses usages et sa méthode.54-a
<55>ARTICLE XVI. DE NOTRE PAYS; DU PAYS NEUTRE; DE CELUI DES ENNEMIS; DE LA DIFFÉRENCE DES RELIGIONS; QUELLE CONDUITE TOUS CES CAS DIFFÉRENTS DEMANDENT.
On fait la guerre dans trois sortes de pays : dans le sien, dans celui de la puissance neutre, et dans celui de son ennemi. Si je n'avais en vue que l'éclat de la réputation, je ne voudrais jamais faire la guerre que dans mon propre pays, à cause de tous les avantages qui s'y trouvent; car tout le monde sert d'espion, l'ennemi ne saurait faire un pas sans être trahi. On peut envoyer hardiment de grands et de petits partis, on peut surprendre les agresseurs et mouvoir contre eux tous les ressorts de la guerre, des plus petits jusqu'aux plus grands, et, dans leur déroute, tout paysan devient soldat et sert contre eux. C'est ce dont l'électeur Frédéric-Guillaume fit l'expérience après la bataille de Fehrbellin, où les paysans tuèrent plus de Suédois qu'il n'en était péri dans la bataille même, et c'est ce que j'ai vu après la bataille de Friedeberg, où les montagnards de la Silésie prirent quantité de fuyards de l'armée autrichienne prisonniers de guerre.55-a
Lorsque la guerre se fait dans un pays neutre, l'avantage paraît égal entre les deux partis; c'est à qui gagnera l'amitié et la confiance des habitants. On y tient une sévère discipline, on défend le pillage et la maraude, que l'on punit sévèrement, on prête aux ennemis les plus sinistres intentions. Si le pays est protestant, comme la Saxe, <56>on joue le rôle de défenseur de la religion luthérienne, et on souffle le fanatisme au cœur du vulgaire, dont la simplicité est facilement abusée. Si le pays est catholique, on ne parle que de tolérance, on prêche la modération, et l'on rejette sur les prêtres l'aigreur qu'il y a entre les sectes chrétiennes, qui conviennent toutes des points essentiels des dogmes. Il faut que l'on règle les partis que l'on met en campagne sur la protection du pays : on peut tout hasarder chez soi; on va plus bride en main dans le pays neutre, à moins que l'on ne soit sûr du peuple, ou du moins du plus grand nombre.
Dans des pays tout à fait ennemis, comme la Bohême ou la Moravie, il ne faut jouer qu'à jeu sûr, ne point aventurer de partis, par les raisons que j'ai alléguées ci-dessus, et faire la guerre la plus serrée que l'on peut. Les troupes légères servent alors pour la plupart à couvrir les convois. Il ne faut point s'imaginer que l'on gagnera ces peuples; il n'y a que les hussites du cercle de Königingrätz dont on puisse tirer parti. Les seigneurs sont traîtres quand ils font les bien intentionnés pour nous; il en est de même des prêtres et des baillis, car leurs intérêts sont liés à ceux de la maison d'Autriche, et comme l'intérêt est presque universellement le grand mobile des actions humaines, il ne faut jamais se fier aux hommes, si leurs intérêts ne sont pas les mêmes que les nôtres. Le fanatisme en tient lieu, et lorsqu'on peut animer le peuple pour la liberté de sa conscience, qu'il est agité par des prêtres et des dévots, on peut entièrement compter sur lui; c'est intéresser à votre cause Dieu et les enfers.56-a
<57>ARTICLE XVII. DE TOUTES LES MARCHES QU'UNE ARMÉE PEUT FAIRE.
Une armée marche pour faire des progrès dans le pays ennemi, pour occuper un camp plus avantageux, pour joindre un secours, pour livrer bataille, ou pour se retirer devant 1'ennemi.
La règle générale est que, après avoir pourvu à la sûreté du camp, l'on fasse d'abord reconnaître tous les chemins qui en sortent et tous les environs, pour être en état de faire des dispositions sur les différents événements qui peuvent arriver. On envoie pour cet effet de gros détachements, sous différents autres prétextes, avec des ingénieurs et des quartiers-maîtres généraux, qui se rendent à tous les lieux où l'on pourrait marcher, qui en lèvent les situations, et reconnaissent en même temps sur combien de colonnes on pourrait marcher. On joint des chasseurs à ces détachements pour se noter ces chemins et pour y conduire les colonnes, en cas que le général y mène l'armée. Les officiers font le rapport du camp même, des chemins qui y conduisent, et de l'espèce de terrain, soit bois, montagnes, plaines ou rivières, que l'on y rencontre; et le général, instruit de toutes ces particularités, fait ses dispositions en conséquence.
1. DES MARCHES ORDINAIRES.57-a
Si l'on n'est point dans un trop proche voisinage des ennemis, voici à peu près la disposition que l'on fait. Je suppose qu'il y ait <58>quatre chemins qui conduisent dans le nouveau camp. L'avant-garde se mettra en chemin ce soir à huit heures, sous les ordres de N.; elle sera composée de six bataillons de grenadiers, d'un régiment d'infanterie, de deux régiments de dragons, chacun à cinq escadrons, et de deux régiments de hussards.
Tous les fourriers de l'armée l'accompagneront. L'avant-garde ne prendra que ses tentes avec; son gros bagage restera avec celui de l'armée. Elle avancera de deux milles pour s'emparer de ce défilé, de cette rivière, de cette montagne, cette ville ou ce village, etc., où elle attendra l'approche de l'armée; ensuite elle entrera dans le nouveau camp, qu'elle fera tracer.
L'armée suivra demain à trois heures du matin, sur quatre colonnes; les gardes des villages rentreront dans les régiments lorsqu'ils seront en bataille.
La cavalerie des deux lignes de la droite, défilant par la droite, formera la première colonne; l'infanterie des deux lignes de la droite, défilant par la droite, fera la seconde; l'infanterie de la gauche des deux lignes, défilant par la droite, formera la troisième, et toute la cavalerie de l'aile gauche, défilant par la droite, fera la quatrième colonne.
Les régiments d'infanterie N. N. N. de la seconde ligne, les dragons N. N. de la seconde, et trois régiments de hussards, sous les ordres du général N., couvriront le bagage; le bagage marchera en suivant les deux colonnes d'infanterie.
Quatre adjudants auront le soin des chariots, pour qu'ils se suivent avec ordre, et qu'ils se serrent d'aussi près qu'il est possible.
Le général qui commande cette arrière-garde fera avertir le chef de l'armée à temps, en cas qu'il ait besoin de quelque secours.
Les quatre colonnes seront conduites par les chasseurs qui ont reconnu les chemins.
A la tête de chaque colonne marchera un détachement de char<59>pentiers, et des chariots chargés de poutres, poutrelles, planches, etc., pour construire des ponts sur les ruisseaux.
Les colonnes s'observeront dans leur marche, pour que la tête de Tune ne dépasse point celle des autres; les généraux prendront garde que leurs bataillons restent serrés et contigus les uns aux autres, et que les officiers qui commandent les pelotons tiennent bien leurs distances.
S'il y a quelque défilé à passer, la tête marchera lentement, ou s'arrêtera, pour donner à la queue le temps de le passer et de regagner sa distance.
Voilà à peu près comme se font communément les dispositions. Si vous avez des défilés, des bois ou des montagnes à passer, vous partagez vos colonnes; la tête est toute pour l'infanterie, et la queue pour la cavalerie. Si la plaine est dans le centre, vous la donnez à la cavalerie, et l'infanterie prend les colonnes de l'extrémité, qui traversent les bois. Cependant il ne faut pas que l'ennemi soit trop proche, car alors, pour ne pas détruire entièrement l'ordre de bataille, on se contente de placer quelques bataillons de grenadiers à la tête de la cavalerie.
2. POUR JOINDRE UN SECOURS.
Lorsqu'on veut qu'un secours joigne sûrement l'armée, le moyen le plus sûr est de marcher à sa rencontre par un terrain difficile, en se retirant devant l'ennemi pour éviter la bataille, et l'on regagne bientôt par la supériorité de cette jonction le terrain que l'on a, pour ainsi dire, prêté à l'ennemi.
<60>3. MARCHES PARALLÈLES.
Lorsqu'on fait des marches parallèles à la position de l'ennemi, cela se fait ou par la droite, ou par la gauche, sur deux lignes, dont chacune desquelles forme une colonne, et l'on fait précéder cette marche par une avant-garde, observant du reste les mêmes formalités que j'ai prescrites. Telles furent toutes les marches que nous fîmes depuis Frankenstein jusqu'à Hohenfriedeberg;60-a elles étaient par la droite. Je préférerais cette disposition à toutes les autres, à cause que, en faisant un demi-tour à gauche ou à droite, toute l'armée se trouve en bataille, et que c'est la façon la plus prompte de se former. Je m'en servirais toujours, si j'en avais le choix, pour attaquer l'ennemi, et j'en ai expérimenté l'avantage à Friedeberg et à Soor.60-b
4. DES MARCHES DE BATAILLE.
Quand on marche à l'ennemi à l'intention d'engager une affaire, on se débarrasse de tout son bagage, qu'on envoie sous une escorte à la ville la plus voisine. On forme ensuite une avant-garde, qui ne précède l'armée que d'un petit quart de mille. Si l'armée marche de front à l'ennemi, il faut que les colonnes non seulement ne se dépassent pas, mais que, en approchant du champ de bataille, elles s'étendent assez pour que les troupes n'aient ni plus ni moins de terrain qu'elles peuvent occuper pour se former. Cela est fort difficile, et, pour la plupart du temps, quelques bataillons n'ont point de terrain, ou les généraux en donnent trop. La marche par lignes n'en<61>traîne jamais de tels inconvénients; c'est pourquoi je la tiens la meilleure de toutes. Les marches que l'on fait pour se battre demandent beaucoup de précautions. Il faut que le général aille bride en main, qu'il reconnaisse le terrain lui-même, sans s'exposer, de distance en distance, pour qu'il ait plusieurs positions, dans son esprit, toutes prêtes et dont il puisse se servir en cas que l'ennemi vienne à sa rencontre. L'on tâche de découvrir le terrain ou de quelque clocher. ou de quelque hauteur.61-a
5. DES RETRAITES A COLONNES RENVERSÉES.
Les retraites ordinaires se font ainsi : l'on se débarrasse de son bagage, un ou deux jours avant que de marcher, que l'on fait partir sous bonne escorte; ensuite on règle ses colonnes sur le nombre des chemins que l'on peut tenir, et la marche des troupes sur la nature du pays. Si c'est un pays de plaine, la cavalerie fait l'arrière-garde; si c'est un pays fourré, c'est à l'infanterie que celte commission est due. Si c'est un pays de plaine, l'armée marchera sur quatre colonnes; l'infanterie de la droite de la seconde ligne, défilant par la droite et suivie de la seconde ligne de la cavalerie de la droite, fera la quatrième colonne; l'infanterie de la droite de la première ligne, défilant par la droite et suivie de même par la droite de la première ligne de la cavalerie, formera la troisième colonne; celle de la gauche de la première ligne, suivie de la gauche de la première de cavalerie, fera la seconde; celle de la gauche de la seconde d'infanterie, suivie de la seconde de la gauche de cavalerie, fera la première. Ainsi votre cavalerie fait toute l'arrière-garde, et, pour plus de précaution, vous la soutenez de tous les hussards de l'armée.
<62>6. RETRAITES PAR DES DÉFILÉS, AYANT DES MONTAGNES DERRIÈRE VOUS.62-a
Si vous avez des défilés à passer, il faut les faire occuper par de l'infanterie la veille de votre marche, et l'on poste cette infanterie de façon qu'elle déborde les colonnes qui se retirent à travers l'espace des chemins, qu'elle laisse vide dans son centre. Supposé que vous marchiez sur deux colonnes, la cavalerie de la droite, défilant par la gauche, la seconde ligne la première, fait la tête de la seconde colonne; l'infanterie de la seconde ligne de la droite, suivie de sa première, se joignent à cette cavalerie; la cavalerie de la gauche des deux lignes, défilant par sa gauche, la seconde la première, fait la tête de la première colonne; à celle-là se joint l'infanterie de la gauche, défilant par la gauche, la seconde ligne la première; ce qui forme vos deux colonnes. Six bataillons que l'on prend les derniers de la première ligne, soutenus de dix escadrons de hussards, feront l'arrière-garde. Ces troupes se mettront en bataille devant le défilé, pendant que l'armée le passe. On les poste sur deux lignes en échiquier.62-b Les troupes qui sont de l'autre côté du défilé doivent nécessairement les déborder, pour les protéger par leur feu. Lorsque toute l'armée est passée, la première ligne de l'arrière-garde passe par les intervalles de la seconde, et se jette dans le défilé. Quand elle est partie, la seconde fait la même manœuvre sous la protection du feu de ceux qui sont postés de l'autre côté, et qui doivent suivre les derniers et faire l'arrière-garde à leur tour.
<63>7. DES RETRAITES EN PASSANT DES RIVIÈRES.63-a
La manœuvre la plus difficile de toutes, c'est de passer une rivière en présence de l'ennemi, en se retirant. Je ne puis rien alléguer de mieux sur cette matière que la retraite que nous fîmes l'année 1744 en repassant l'Elbe à Kolin.63-b Cependant, comme il n'y a pas toujours des villes à ces endroits, je suppose que l'on n'ait que deux ponts; dans ce cas, il faut faire travailler à un bon retranchement qui enveloppe les deux ponts, et faire même une coupure plus petite pour chaque pont en particulier. Cela fait, on envoie des troupes et beaucoup de canons à l'autre bord, que l'on choisit haut, mais pas trop âpre, pour dominer de là sur ce côté citérieur. Ensuite l'on garnit d'infanterie le grand retranchement. Cela fait, votre infanterie passe la première; la cavalerie fait l'arrière-garde, et se retire en échiquier par le retranchement qui couvre la première retraite. Lorsque tout est passé, on garnit d'infanterie les petites têtes de pont, et l'infanterie du retranchement l'abandonne et se retire. Si l'ennemi veut la suivre, il essuie le feu des deux têtes de pont et des troupes placées à l'autre bord. Quand celles du retranchement ont passé, on lève les ponts. Les troupes des têtes de pont repassent en bateau sous la protection de celles de l'autre bord, qui s'approchent alors pour les mieux défendre, et, dès que les pontons sont chargés sur les chariots, les dernières troupes se mettent aussi en marche.63-c
<64>ARTICLE XVIII. QUELLES PRÉCAUTIONS ON DOIT PRENDRE, DANS LES RETRAITES, CONTRE LES HUSSARDS ET LES PANDOURS.
Les hussards et les pandours ne sont redoutables qu'à ceux qui ne les connaissent point; ils ne sont valeureux que lorsque l'espérance du butin les anime, ou lorsqu'ils peuvent causer du dommage sans s'exposer eux-mêmes. Ils exercent cette première espèce de bravoure contre les convois et contre les équipages, et l'autre contre des corps qui sont obligés de se retirer, et qu'ils harcèlent dans leur retraite. Nos troupes n'ont aucun affront à craindre de leur part; mais, comme leur façon de chicaner rend la marche des troupes plus lente, et qu'ils ne laissent pas que de tuer du monde que l'on perd très-mal à propos, je dois ajouter ici la méthode que je crois la meilleure pour se tirer d'affaire avec eux.
Lorsqu'on se retire par les plaines, on chasse les hussards par quelques coups de canon, et les pandours par des hussards ou des dragons, qu'ils craignent beaucoup. Les retraites difficiles, où les pandours peuvent faire le plus de mal, ce sont celles où l'on a des bois, des défilés et des montagnes sur son chemin. Il est presque inévitable de ne pas perdre du monde alors. Voici ce que l'on fait : l'arrière-garde occupe les hauteurs, et fait face à l'ennemi; on envoie des pelotons à côté de la marche, qui, en côtoyant l'armée, tiennent toujours les hauteurs ou les bois, et l'on a quelques escadrons de hussards à la main, que l'on fait agir, pour peu que le terrain le permette. Il ne faut point s'amuser dans cette occasion, mais poursuivre sa marche tout de suite; s'arrêter, c'est sacrifier du monde mal à propos. Les pandours, de leur côté, se jettent à terre, et tirent <65>des coups que l'on ne voit pas d'où ils partent, et, lorsque la marche de l'armée oblige l'arrière-garde et les pelotons détachés de la suivre et de quitter leurs hauteurs, les pandours s'en emparent, et, étant à couvert, ils tirent de là sur la marche de ceux qui se retirent; et, comme ils sont éparpillés et cachés derrière des hauteurs ou des arbres, ou bien couchés par terre, le feu de peloton ni le canon chargé de mitraille ne peut leur faire grand mal. J ai fait deux retraites pareilles l'année 1745, l'une65-a par le fond de Liebenthal, pour marcher à Staudenz, l'autre de Trautenau à Schatzlar,65-a où, malgré toutes les précautions imaginables, nous eûmes dans la première soixante morts et blessés, et dans la seconde plus de deux cents. Lorsque les retraites se font par des chemins difficiles, il faut faire de petites marches, pour les expédier plus vite et avoir le temps de prendre d'autant mieux ses précautions. Un mille d'Allemagne doit être la plus longue marche. Alors, comme on n'est pas pressé, on peut quelquefois donner la chasse aux pandours, principalement lorsqu'ils ont l'imprudence de se fourrer dans des bouquets de bois que l'on peut tourner.
ARTICLE XIX. COMMENT IL CONVENT AUX PRUSSIENS DE TRAITER LES TROUPES LÉGÈRES LORSQU'ON AGIT OFFENSIVEMENT CONTRE ELLES.
Notre façon d'occuper un poste que les troupes légères tiennent est de les brusquer. Comme leur façon de combattre est de s'éparpiller, ils ne peuvent tenir contre des troupes réglées; on ne les mar<66>chande pas du tout, on jette simplement quelques troupes sur les flancs du corps qui marche à eux, pour les couvrir, et, en ne les marchandant point, on les fait plier où l'on veut. Nos hussards et nos dragons les attaquent serrés et le sabre à la main. Ils ne sauraient tenir contre cette attaque; aussi les a-t-on toujours battus, sans égard au nombre, qui était toujours de leur côté.
ARTICLE XX. PAR QUELS MOUVEMENTS ON OBLIGE L'ENNEMI D'EN FAIRE NÉCESSAIREMENT DE SON COTÉ.
Si l'on croit qu'il suffit de remuer son armée pour que l'ennemi en fasse autant de son côté, l'on se trompe beaucoup. Ce n'est pas le mouvement qui décide, mais la façon de le faire. Tous les mouvements d'apparence ne dérouteront point un ennemi habile; il faut des positions solides qui lui donnent lieu à des réflexions sérieuses, pour le faire décamper. Pour cet effet, il faut bien connaître le pays, le général auquel on a affaire, les endroits où il a ses magasins, les villes qui lui importent le plus, et les lieux dont il tire son fourrage, combiner toutes ces choses, et faire là-dessus des projets après avoir bien médité la matière. Celui des deux généraux qui calculera le plus de coups de suite gagnera à la longue tout l'avantage sur son rival.
Au commencement de la campagne, celui qui rassemble le premier son armée, et qui marche le premier en avant pour attaquer une ville ou pour prendre un poste, oblige l'autre à se régler sur ses mouvements, et le rejette sur la défensive. Lorsque c'est dans le cours d'une campagne, et que vous voulez obliger l'ennemi à changer de camp, il faut avoir une raison pour cela, ou que vous voulez <67>prendre une ville auprès de laquelle il campe, ou que vous le voulez rejeter dans un pays stérile où il ne subsistera qu'avec peine, ou que vous espérez d'engager une affaire qui vous procure de plus grands avantages encore. Si vous avez une raison pareille, il faut travailler au projet de l'exécution; mais, en le faisant, il faut aussi examiner bien soigneusement si les marches que vous allez faire et les camps que vous allez prendre ne pourraient pas vous rejeter avec l'armée dans de plus grands embarras, comme sont ceux de vous éloigner d'une mauvaise ville où vous avez vos vivres, et que les troupes légères pourraient prendre d'emblée en votre absence, ou de vous mettre dans une position où l'ennemi, de son côté, pourrait, par un mouvement, vous couper de votre pays et de vos derrières, ou bien si le pays vers lequel vous voulez tirer ne manquerait pas de fourrages, et vous obligerait peut-être de l'abandonner bientôt. En examinant ces choses, on juge en même temps sur la possibilité des choses que l'ennemi peut entreprendre et sur celles qu'il n'a pas le moyen de tenter, et ensuite on lait son projet ou pour se camper sur le flanc de l'ennemi, ou pour tirer vers une province d'où il tire ses vivres, ou pour le couper de sa capitale, ou pour menacer ses magasins, ou pour prendre des positions qui lui rétrécissent ses fourrages. Pour en donner un exemple connu de tous mes officiers, je formerai le dessein que nous aurions pu arranger pour obliger le prince de Lorraine de nous abandonner Königingrätz et Pardubitz, en 1745. Du camp de Divetz,67-a nous aurions dû marcher par la gauche, côtoyer le comté de Glatz, et tirer vers Hohenmauth. Comme le magasin des Autrichiens était à Teutsch-Brod, et qu'ils tiraient la plupart de leurs vivres de Moravie, l'armée autrichienne aurait été obligée de marcher vers Landskron; Königingrätz et Pardubitz seraient tombés sous notre pouvoir, et les Saxons, qui par cette marche auraient été coupés de leur pays, se seraient séparés certainement<68> du corps de l'armée pour couvrir leur pays. Ce qui m'empêcha alors de faire cette marche, c'était que, en prenant Königingrätz, je n'aurais rien gagné. Si les Saxons s'en étaient retournés chez eux, j'aurais toujours été obligé de détacher également pour fortifier le prince d'Anhalt, et surtout je n'avais pas assez de vivres à Glatz pour entreprendre de faire toute la campagne aux dépens de ce seul magasin. Les diversions que l'on fait par détachements obligent aussi l'ennemi à décamper. Toutes les choses que l'on fait, auxquelles l'ennemi n'est pas préparé, le rendent confus et le font décamper. De cette nature sont les passages de montagnes qu'il croit impraticables, et qui se passent presque toutes, et les passages de rivières qu'on lui dérobe. Qu'on lise la campagne du prince Eugène, l'année 1700,68-a en Italie; son passage des Alpes dérangea tout à fait M. de Vendôme.68-b Nous avons tous vu la confusion qui se mit, l'année 1744 dans l'armée française, lorsque le prince de Lorraine surprit le passage du Rhin.68-c Je conclus donc que les mêmes causes sont toujours suivies des mêmes effets, et que, toutes les fois qu'un général compassera bien ses mouvements et les fera pour des objets de conséquence, il jettera son ennemi sur la défensive, en l'obligeant à se régler sur lui.
ARTICLE XXI. DES PASSAGES DE RIVIÈRES.
Dès que l'ennemi est à l'autre bord de la rivière que vous voulez passer, la force devient inutile, et il faut recourir à la ruse. Il faut <69>imiter le passage du Rhône,69-a de César, celui du Pô, du prince Eugène, et celui du Rhin, du prince de Lorraine, lorsque c'est une grande rivière qu'il faut passer. Ces capitaines ont fait quelques détachements pour tromper les ennemis et leur dérober l'endroit qu'ils avaient choisi pour leur passage. Ils ont fait des préparatifs pour des ponts dans des endroits sur lesquels ils n'avaient aucun dessein, et leur force principale a dérobé par une marche de nuit l'avance dont elle avait besoin pour passer avant que les défenseurs le lui pussent empêcher. On choisit des lieux où des îles facilitent le passage, et l'on aime à trouver à l'autre bord des bois ou des pays difficiles qui empêchent les ennemis de vous attaquer avant que nous en sortiez. Il faut que les mesures soient extrêmement bien prises pour ces sortes d'entreprises, pour que les radeaux, les pontons et les ustensiles se trouvent tous sur les lieux à l'heure marquée, que chacun des pontonniers ou bateliers soit instruit de ce qu'il doit faire, que l'on évite surtout la confusion qui se met si facilement dans ces sortes d'expéditions nocturnes. Ensuite l'on envoie des troupes à l'autre bord, pour prendre poste, qui travaillent à se retrancher et à faire des abatis qui les couvrent jusqu'à ce que toute l'armée les ait jointes. A tous les passages de larges rivières, il faut retrancher avec soin les deux têtes de pont, et les bien garnir de troupes. On fortifie aussi les îles qui sont à portée, pour soutenir ces retranchements, afin que, dans le temps que l'armée poursuit ses opérations contre l'ennemi, celui-là ne puisse point vous ôter vos ponts et les détruire.
Lorsque les rivières sont étroites, on choisit pour les passer des lieux où elles font un coude, et où le rivage est haut et dominant de votre côté. On y place le plus de canons que l'on peut, et de l'infanterie. On fait ses ponts sous cette protection, et l'on passe ensuite; et, comme le coude que la rivière forme rétrécit le terrain, les plus<70> faibles corps sont d'abord appuyés, et l'on n'a qu'à avancer tant soit peu pour gagner toujours plus de terrain à mesure que les troupes passent, et qu'elles en peuvent occuper. S'il y a des gués, on les destine pour la cavalerie, et on les fait appareiller.
ARTICLE XXII. DE LA DÉFENSE DES RIVIÈRES.
Rien n'est aussi difficile, pour ne pas dire impossible, que de défendre le passage d'une rivière, principalement lorsque le front d'attaque est trop étendu. Je ne voudrais jamais me charger de cette commission, si mon front d'attaque surpassait huit milles d'Allemagne, et s'il n'y avait une ou deux forteresses sur cette rivière, dans cet espace, et, de plus, qu'il ne s'y trouvât aucun endroit guéable. Si toutes ces choses sont telles, il faut pourtant un certain temps pour se préparer aux entreprises de l'ennemi.
Voici les dispositions qu'il faut faire. On fera enlever tous les bateaux qui sont sur la rivière, que l'on fera conduire aux deux forteresses, et cela, dans l'intention de priver l'ennemi de ce secours. Ensuite il faut reconnaître les deux bords de la rivière, pour observer tous les endroits qui favorisent le passage de l'ennemi. S'il se trouve dans ces endroits, à la rive citérieure, quelque cassine ou quelque cimetière dont l'ennemi puisse profiter à son passage, on les fait aussitôt démolir. On note tous les lieux favorables aux passages, et l'on forme un projet d'attaque pour chacun en particulier, qu'il faut faire sur le terrain même. Ensuite l'on fait faire des chemins grands et larges pour plusieurs colonnes, tout du long du rivage de votre ligne de défense, pour marcher à l'ennemi commodément et sans embarras. Toutes ces précautions prises, on campe son armée au centre <71>de la ligne, c'est-à-dire qu'elle n'ait que quatre milles à faire pour arriver à une extrémité ou à l'autre. L'on fera seize petits détachements, commandés par les plus habiles et les plus vigilants officiers de l'armée, de hussards ou de dragons, dont huit se partageront le terrain de la droite, sous les ordres d'un général, et huit, sous les ordres d'un autre, partageront celui de la gauche. On les fait pour être averti des mouvements des ennemis et de l'endroit où ils passent. Ces détachements tiennent de jour des vedettes pour découvrir ce qui se passe, et la nuit ils patrouillent de quart d'heure en quart d'heure, tout proche de la rivière, et il ne faut pas qu'ils se retirent, à moins que d'avoir vu clairement que l'ennemi fait un pont et que sa tête a passé. Ces deux généraux et les deux commandants des places feront quatre fois par jour leur rapport au chef de l'armée, et l'on disposera des chevaux sur les chemins, pour que ces rapports arrivent vite. Si l'ennemi passe, on en reçoit d'abord la nouvelle. Le devoir du général est d'y marcher sur-le-champ. Pour cet effet, il se sera défait de son bagage, et il aura toujours le pied en l'air. Comme ses dispositions sont toutes faites, il les donne d'abord aux généraux, choisissant simplement celles du lieu. Il doit marcher en hâte, et prendre toute son infanterie en avant, à cause qu'il doit supposer que l'ennemi se sera retranché. Il faut ensuite attaquer vivement l'ennemi sans balancer, et se promettre les plus brillants succès. Les passages des petites rivières sont plus difficiles à disputer. Il faut rompre les gués par des arbres que l'on y jette. Si cependant la hauteur se trouve du côté de l'ennemi, c'est en vain qu'on tentera de lui résister.
<72>ARTICLE XXIII. DES SURPRISES DE VILLES.
Les villes que l'on veut surprendre doivent être mal gardées et mal fortifiées. Si elles ont des fossés d'eau, la surprise ne peut avoir lieu qu'en hiver. On surprend des villes avec une armée entière, comme cela arriva à Prague en 1741. On les surprend lorsqu'on les a endormies par un long blocus, comme le fit le prince Léopold à Glogau. On les surprend par détachements, comme le prince Eugène le tenta à Crémone, et comme les Autrichiens y réussirent à Cosel. La règle générale pour disposer des surprises est de bien connaître les ouvrages de la place et l'intérieur de la ville, pour y régler les attaques sur les situations locales. La surprise de Glogau est un chef-d'œuvre que tous ceux qui veulent faire des surprises doivent étudier. Celle de Prague était moins extraordinaire, car, une faible garnison ayant une ville immense à défendre, il n'était pas extraordinaire de l'emporter en multipliant les attaques. Cosel et Crémone se prirent par intelligence,72-a la première par un officier de la garnison qui, ayant déserté, avait découvert aux Autrichiens que l'excavation du fossé n'était pas perfectionnée; ils entrèrent par cet endroit, et la prirent. On pétarde les portes des petites villes. Il faut cependant envoyer des détachements devant toutes les portes, pour que l'ennemi ne puisse pas se sauver, et si l'on veut employer du canon, il faut le placer de façon que les canonniers puissent charger à couvert des petites armes, ou bien on risque de perdre le canon.
<73>ARTICLE XXIV. DE L'ATTAQUE ET DE LA DÉFENSE DES PLACES.73-a
1. ATTAQUE.
L'art de faire les siéges est devenu un métier comme celui de menuisier et d'horloger. De certaines règles infaillibles sont établies; c'est une routine qui va toujours son train, appliquant toujours la même théorie aux mêmes cas, de sorte que tout le monde sait qu'on choisit un lieu couvert pour le dépôt de la queue de la tranchée, qu'on fait la première parallèle le plus proche que l'on peut du chemin couvert, que l'on emploie la sape pour ménager le monde lorsque l'on n'est pas pressé, que l'on fait des puits pour découvrir les mines, qu'on évente celles des ennemis, que, après avoir nivelé le terrain, on saigne les inondations, qu'on attaque par le lieu le plus faible, que les premières batteries démontent le canon des défenses, qu'elles approchent de la place à mesure que l'on fait de nouvelles parallèles, qu'à la seconde ou troisième parallèle on fait des batteries à ricochet pour enfiler les lignes de prolongation, que, lorsque l'on est sur le glacis, on donne l'assaut sur la contrescarpe, que l'on y établit des batteries pour faire la brèche, qu'on prend ces ouvrages par de nouveaux assauts, jusqu'à ce qu'on approche du corps de la place, où de nouvelles batteries, ayant fait de nouvelles brèches, permettent de faire la galerie pour donner le dernier assaut. C'est alors que le commandant capitule et rend sa ville. Toutes ces choses sont assujetties à un calcul exact, et l'on peut supputer, étant même absent, à quel jour à peu près une ville se rendra, si des circonstances extraordinaires n'y apportent quelque empêchement, ou qu'un com<74>mandant d'un mérite distingué n'arrête les assiégeants par l'opiniâtreté de ses chicanes.
Je ne prétends point répéter ce que le prince d'Anhalt74-a et Vauban ont dit; ce sont nos maîtres, et ce sont eux qui ont réduit en préceptes une science qui n'était connue autrefois que par très-peu de personnes. J'ajouterai seulement quelques idées qui me sont venues en réfléchissant sur ces matières, et dont je crois que l'on pourrait se servir, surtout si les places assiégées n'ont que des fossés secs, et que le général cache bien son dessein. J'ai cru que l'on pourrait former, par exemple, deux attaques devant une ville, et, après que celles-là seraient avancées assez près du chemin couvert pour donner l'assaut de la contrescarpe, faire avancer de nuit un gros détachement d'un autre côté de la ville, qu'on se serait réservé pour cet usage; que ce détachement y donne l'assaut une demi-heure avant le jour. En même temps, il faut faire tirer tout le canon des batteries de nos deux attaques, pour que l'ennemi, s'imaginant que vous voulez prendre la contrescarpe, porte toutes ses attentions à ces deux attaques déclarées, et qu'en ce temps l'assaut de la surprise réussisse sans opposition. Je suis persuadé que l'ennemi courrait ou à l'un ou à l'autre, qu'il négligerait une des trois attaques, et que les assiégeants en profiteraient et emporteraient la place de ce côté-là. Il ne faut cependant hasarder de pareilles entreprises que lorsque le temps presse, et que l'on a des raisons importantes de finir le siége.
<75>2. DÉFENSE.
Rien ne défend mieux les places que les mines ou les inondations. Il faut de l'habileté pour en connaître tout l'avantage et pour s'en servir à propos. La science de défendre les places se réduit à retarder leur reddition. Les moyens que l'on emploie à cette intention ne sont pas les mêmes. Quelques officiers font trop grand cas des sorties; il me paraît qu'un homme que perd la garnison est plus pour elle que douze pour les assiégeants. Les grandes sorties exposent à de grandes pertes, et il arrive même qu'elles ne mènent à rien. Si je commandais dans une place, je ne ferais de grandes sorties que lorsque l'armée s'approcherait pour me secourir, parce que ce serait sans grand hasard; je ferais même mes plus grands efforts sur les tranchées dans le temps de la bataille, pour faire diversion à l'ennemi; mais dans un cas où je n'aurais aucun secours à attendre, et si je me voyais réduit à mes propres ressources, je mettrais toute mon application à gagner du temps. J'ai remarqué, dans tous les siéges que j'ai faits, qu'un coup de fusil met de la confusion parmi les travailleurs, qu'ils s'enfuient, et qu'on ne les remet pas à l'ouvrage de toute la nuit. J'ai donc imaginé que, faisant toutes les nuits à différentes reprises des sorties de douze hommes sur les travailleurs, on les disperserait, et l'on ferait perdre à l'ennemi une nuit après l'autre. De cette façon, je fais beaucoup avec peu de risque, et je ménage ma garnison pour m'en servir dans les ouvrages où commence la véritable défense des places. Là je préparerais mes feux longtemps d'avance; lorsqu'il s'agirait, par exemple, de l'assaut du chemin couvert, je n'y laisserais que peu de monde, garnissant bien d'infanterie et de canon l'ouvrage qui est immédiatement derrière et les ouvrages collatéraux; je préparerais deux sorties, avec lesquelles je leur tomberais sur les deux flancs lorsqu'ils commenceraient à travailler à leurs logements, et je les chasserais ainsi. Cette même manœuvre peut être répétée autant <76>de fois qu'il plaît au commandant, et elle sera très-meurtrière pour les ennemis, si elle est bien exécutée.
3. DÉFENSE CONTRE LES SURPRISES.
On défend les places contre les surprises en faisant souvent battre l'estrade aux environs, surtout avant la retraite et avant la diane. Les jours de marché, on double les gardes, et l'on visite tous ceux qui entrent, pour voir s'ils sont armés. L'hiver, on fait ouvrir les glaces des fossés, et l'on arrose le rempart d'eau, ce qui le rend glissant par les gelées et inabordable. On met même de petits postes d'infanterie dans des maisons voisines de la place, dont le feu avertit de l'approche de l'ennemi. On distribue ses postes au rempart à la garnison, et l'on se ménage une réserve, pour s'en servir où le besoin l'exige.76-a
ARTICLE XXV. DES COMBATS ET DES BATAILLES.
1. DE LA SURPRISE DES CAMPS.
Il est fort difficile de surprendre les Autrichiens dans leur camp, à cause des troupes légères qui les environnent pour l'ordinaire. Pour l'ordinaire, quand deux armées campent dans un voisinage fort proche, ou elles décident leurs affaires promptement, ou l'une des deux occupe un poste inattaquable; cet événement arrive rarement entre de grandes armées, mais il est commun entre les détachements. <77>Pour surprendre son ennemi dans son camp, il faut qu'il ne pense point à pouvoir être surpris, et qu'il se fie ou à sa supériorité, ou sur son poste, ou sur ses avis, ou enfin qu'il se repose entièrement sur la vigilance de ses troupes légères. Dans tous les desseins que l'on forme, la première chose par laquelle il faut commencer, c'est de connaître le pays, ensuite la disposition locale des ennemis. Il faut connaître parfaitement tous les chemins qui vont à ce camp, et faire ensuite la disposition générale, fondée sur toutes ces connaissances de détail; l'on choisit ce qu'il y a de mieux et de plus instruit parmi les chasseurs pour conduire les colonnes, et l'on couvre toutes ces choses du voile du mystère et du secret, qui est l'âme de pareilles entreprises. On porte ses troupes légères en avant sous d'autres prétextes, mais en effet pour empêcher qu'un maudit déserteur ne vous trahisse; ces hussards empêchent les patrouilles de l'ennemi de s'aventurer et de s'apercevoir des mouvements de l'armée. On donne des instructions aux officiers généraux pour tous les cas, de sorte qu'ils sont instruits de ce qu'ils doivent faire à tout événement. Si le camp de l'ennemi est dans une espèce de plaine, on peut faire une avant-garde de dragons qui, se joignant aux hussards, s'abandonnent à toute bride dans le camp des ennemis, y portent le désordre, et sabrent tout ce qu'ils trouvent. Il faut les soutenir de toute l'armée, prendre son infanterie en avant, et surtout opposer de l'infanterie aux ailes de cavalerie des ennemis. L'attaque de l'avant-garde doit commencer une demi-heure avant le jour, et l'armée ne doit en être éloignée que de huit cents pas. On observe un profond silence durant la marche; on défend aux soldats de fumer du tabac. Dès que l'attaque commence, et que le jour paraît, l'infanterie, en formant quatre à cinq têtes, marche tout droit au camp, pour soutenir l'avant-garde. Elle ne tirera point avant la pointe du jour, car elle pourrait blesser ses propres gens; mais lorsque l'on peut voir, on fait tirer vers les endroits où le ravage de l'avant-garde ne tombe pas, princi<78>palement sur les ailes de cavalerie, dont les cavaliers, n'ayant ni le temps de seller et de brider, seront obligés de se retirer à pied et d'abandonner les chevaux. On poursuivra l'ennemi à l'autre côté du camp, et on lui lâchera toute la cavalerie, pour profiter de son désordre et de sa confusion. Si l'ennemi a abandonné ses armes, il faut laisser un gros détachement pour la garde de son camp, ne se point arrêter au pillage, mais le poursuivre avec toute la chaleur imaginable, d'autant plus qu'on ne saurait jamais en trouver d'occasion plus belle, qu'on détruira totalement cette armée, et que, le reste de la campagne, l'on fera tout ce que l'on voudra. La fortune m'avait donné une occasion semblable le jour de la bataille de Mollwitz, car nous arrivâmes sur M. de Neipperg avant qu'aucun ennemi parût; ses troupes cantonnaient en trois villages, mais je n'eus ni l'esprit ni l'habileté d'en profiter. Voici ce qu'il aurait fallu faire : prendre le village de Mollwitz entre deux colonnes d'infanterie, l'envelopper et l'attaquer,78-a détacher en même temps vers les autres deux villages, où était la cavalerie autrichienne, des dragons pour les mettre en confusion, de l'infanterie pour les empêcher de monter à cheval; je suis persuadé que toute leur armée aurait été perdue.
2. PRÉCAUTIONS CONTRE LES SURPRISES.
J'ai déjà dit quelles précautions nous prenons dans nos campements, et comme nous les gardons; mais en supposant que, malgré toutes ces précautions, l'ennemi peut approcher de l'armée, voici ce que je conseillerais de faire. Les troupes se mettront promptement en bataille sur le terrain qui leur est assigné; la cavalerie attaquera brusquement ce qu'il y a vis-à-vis d'elle; l'infanterie restera sur son poste, et fera un feu de peloton le plus vif qu'elle pourra jusqu'à l'aube du jour, que les généraux verront où ils en sont, s'il convient <79>d'avancer, si leur cavalerie est victorieuse ou battue, et ce qu'ils pourront entreprendre. Dans ces sortes d'occasions, il faut qu'un chacun prenne son parti et agisse de lui-même, sans attendre les ordres du général en chef.
Pour moi, je n'attaquerais jamais au milieu de la nuit, parce que l'obscurité entraîne le désordre, et que beaucoup de soldats ne font leur devoir que lorsqu'ils sont vus et qu'ils craignent la punition. Sur l'île de Rügen, en 1715, Charles XII attaqua de nuit le prince d'Anhalt, qui ne venait que d'y débarquer. Le roi de Suède avait raison de le faire, car il voulait cacher sa faiblesse, qui aurait été découverte de jour; il n'avait que quatre mille hommes, il en attaqua vingt mille, et fut battu.79-a
3. ATTAQUES DE RETRANCHEMENTS.
Si vous êtes obligé d'attaquer un ennemi retranché, faites-le d'abord, et ne lui donnez pas le temps de perfectionner son ouvrage, car ce qui était bon le premier jour devient souvent mauvais le second. Avant que d'attaquer, reconnaissez vous-même le poste de l'ennemi. Votre première disposition, qui roule sur le choix de l'attaque, facilite votre succès ou le rend difficile. La plupart des retranchements se prennent parce qu'ils ne sont pas assez bien appuyés; celui de Turin se prit du côté de la Doire, où le prince d'Anhalt eut assez de terrain pour le tourner, et celui de Malplaquet, par le bois qui était à la gauche de Villars, par lequel on le tourna. Si l'on s'était d'abord avisé de cette attaque, cela aurait épargné la vie à à peu près quinze mille hommes des alliés. Si le retranchement s'appuie à une <80>rivière, et que son bord soit guéable, il faut l'attaquer de ce côté-là. On prit celui des Suédois à Stralsund en le tournant par la mer, qui était guéable à son bord, et l'on força les Suédois de l'abandonner. Lorsque les retranchements de l'ennemi sont trop étendus et trop vastes pour les troupes qu'il y a mises, on forme plusieurs attaques, et on les emporte à coup sûr; mais on cache sa disposition à l'ennemi, pour qu'il ne s'aperçoive pas d'avance de votre dessein, en y portant ses forces. Voici une disposition pour l'attaque d'un retranchement, que le plan Ier éclaircira. Je forme une ligne de trente bataillons; j'appuie ma gauche à la rivière N.; j'emploie douze bataillons à l'attaque de la gauche, par où je veux percer, et huit à la droite; les troupes qui attaquent sont sur deux lignes, avec des intervalles, en échiquier; mon infanterie fait la troisième, et ma cavalerie, quatre cents pas derrière l'infanterie, fait la quatrième ligne. De cette façon, ma ligne d'infanterie tient l'ennemi en respect, et elle est à portée de profiter du moindre mouvement faux que l'ennemi fera. Les attaques ont leurs dispositions particulières; chacune mène avec elle un certain nombre de travailleurs, avec des pelles, qui portent des claies et des fascines pour combler le fossé et pour faire des ouvertures à la cavalerie dès qu'on y est entré. L'infanterie qui attaque ne tirera point, et, dès qu'elle sera maîtresse du retranchement, elle se mettra en bataille sur le parapet et fera feu sur l'ennemi. La cavalerie entrera alors par les ouvertures que les travailleurs auront faites, se formera, et, quand elle sera assez nombreuse, elle attaquera l'ennemi; si elle est repoussée, elle se ralliera sous le feu de l'infanterie, jusqu'à ce qu'enfin toute l'armée ait pénétré et ait entièrement chassé l'ennemi.
4. DÉFENSE D'UN RETRANCHEMENT.
Je l'ai dit et je le répète, je ne voudrais jamais retrancher mon armée, à moins que je ne fisse un siége; et encore vaudrait-il mieux <81>aller au-devant de l'ennemi.81-a Mais supposons pour un moment qu'on voulût se retrancher; en ce cas, je propose la façon la plus avantageuse de le faire. On occupe un petit terrain, pour qu'on puisse le garnir de bataillons contigus et se ménager encore deux ou trois grosses réserves d'infanterie, pour les porter dans la bataille, du côté où l'ennemi fait ses efforts; on borde le parapet de bataillons; on place les réserves derrière et de sorte qu'elles sont également à portée de tous côtés. La cavalerie est derrière ces réserves, rangée sur une seule ligne. Il faut bien appuyer le retranchement. S'il l'est à une rivière, on continue le fossé du retranchement aussi loin que l'on peut dans la rivière, pour ne point être tourné; s'il l'est à un bois, on fait de ce côté-là un recoude au retranchement et un abatis le plus épais que l'on peut en avant; on flanque les redans le mieux que l'on peut, on fait le fossé extrêmement large et profond, l'on perfectionne les ouvrages tous les jours, soit en fortifiant les parapets, en fraisant les bermes, en palissadant ou en faisant des trous de loup, ou en l'entourant de chevaux de frise. Votre plus grand avantage dépend du choix du lieu et de certaines règles de fortification qu'il faut observer : 1o obliger l'ennemi à vous attaquer par un petit front; 2o et le réduire à des points d'attaque capitaux. Pour mieux expliquer mon idée, voyez le plan II. Le devant du terrain est rétréci par l'abatis et la rivière, et vous présentez à l'attaquant un front qui le déborde. Il ne saurait attaquer votre droite, à cause qu'il aurait la batterie de l'autre côté de la rivière en flanc et la redoute du centre à dos. Il n'a donc aucune autre attaque que celle de la redoute du centre, et il faut encore qu'il l'attaque du côté de l'abatis. Comme vous vous attendez à cette attaque, cette redoute est le mieux fortifié de tous les autres ouvrages, et, n'ayant qu'un objet à défendre, votre attention n'est distraite par rien d'autre.
Le numéro III présente un autre plan de retranchement. Ce sont<82> des redoutes saillantes et des redoutes retirées qui se flanquent, et qui sont jointes par un retranchement. Cette espèce de fortification rend les saillantes points d'attaque, et, comme il n'y en a que quelques-unes, on les peut perfectionner plus vite que s'il fallait fortifier également tout le front. Il faut que le feu de mousqueterie des redoutes saillantes se croise; par conséquent elles ne doivent être éloignées que de six cents pas les unes des autres. Notre infanterie défend un retranchement par des décharges de bataillons entiers; il faut que chaque homme soit pourvu de cent coups. On mêle le plus de canons que l'on peut entre les bataillons et dans la pointe des redoutes. De loin ils tirent à boulets, et de quatre cents pas à mitraille. Supposé que, malgré la bonté du retranchement et notre feu prodigieux, l'ennemi perce quelque part, alors la réserve d'infanterie avance sur lui et le rechasse; et, supposé que celle-là plie, c'est alors à la cavalerie à faire ses derniers efforts pour repousser l'ennemi.
5. POURQUOI LES RETRANCHEMENTS SOUVENT SONT FORCÉS.
La plupart des retranchements sont forcés, parce qu'ils ne sont pas faits selon les règles, que celui qui se défend est borné, que les troupes sont timides, et que celui qui attaque a ses mouvements libres et plus d'audace. De plus, l'exemple a fait voir que, dès qu'un retranchement est forcé dans un endroit, toute l'armée, découragée, l'abandonne. Je crois cependant que nos troupes auraient plus de résolution, et qu'on rechasserait l'ennemi autant de fois qu'il aurait percé; mais à quoi serviraient ces succès? Ces retranchements mêmes vous empêcheraient d'en profiter.
<83>6. POURQUOI LES LIGNES NE VALENT RIEN.
S'il se trouve autant d'inconvénients à se retrancher, il en résulte naturellement que les lignes sont plus mauvaises encore. Cette mode est venue dans nos guerres modernes par le prince Louis de Bade; il en fit à Brühl, les Français en firent ensuite en Flandre, durant la guerre de succession. Je dis qu'elles ne valent rien, à cause qu'elles occupent plus de terrain qu'on n'a de troupes pour les garder; que, en formant plusieurs attaques, on est sûr de les forcer, et que par conséquent elles ne couvrent point le pays, et qu'elles ne sont bonnes qu'à faire perdre la réputation aux troupes que l'on y place.
7. COMMENT ON PEUT BATTRE L'ENNEMI A FORCES INÉGALES.
Lorsque le nombre des troupes prussiennes est inférieur aux ennemis, il ne faut pas désespérer de les vaincre; mais il faut alors que la disposition du général supplée au nombre. Les armées faibles doivent chercher des pays fourrés et montagneux, à cause que les terrains y sont tous étroits, que le nombre des ennemis, dès qu'il ne saurait les déborder, leur devient inutile et quelquefois même à charge. J'ajoute encore qu'on y appuie bien mieux les ailes d'une armée dans un terrain montueux et coupé que dans des plaines. Nous n'aurions jamais gagné la bataille de Soor, si le terrain ne nous eût favorisés, car, quoique notre nombre n'allât qu'à la moitié de celui des Autrichiens, ils ne nous débordèrent pas; ainsi le terrain remit une sorte d'égalité entre les deux armées. Ainsi ma première règle tombe sur le choix du terrain, la seconde sur la disposition de la bataille même; c'est dans ces occasions que mon ordre de bataille oblique83-a peut être employé très-utilement. (Plan IV.) On refuse une <84>aile à l'ennemi, et l'on fortifie celle qui doit attaquer. Avec celle-là vous faites tous vos efforts sur une aile de l'ennemi, que vous prenez en flanc. Une armée de cent mille hommes, prise en flanc, peut être battue par trente mille hommes, car l'affaire se décide alors bien vite. Voyez le plan numéro IV. C'est ma droite qui fait tout l'effort; un corps d'infanterie se coule dans le bois, pour donner sur le flanc de la cavalerie ennemie et pour protéger l'attaque de notre cavalerie. Quelques régiments de hussards ont ordre de tomber sur le dos des ennemis; ensuite l'armée avance. Dès que la cavalerie ennemie est battue, l'infanterie du bois attaque celle des ennemis par le flanc, tandis que votre infanterie la prend de front; et il ne faut faire approcher l'aile gauche que lorsque la gauche des ennemis est totalement défaite. Voici les avantages de cette disposition : 1o un petit nombre peut se mesurer à un corps supérieur; 2o une partie de votre armée attaque l'ennemi d'un côté décisif; 3o si vous êtes battu, ce n'est qu'une partie de votre armée qui l'a été, et les trois quarts, de troupes fraîches, servent à faire la retraite.
8. DES POSTES. (Plan V.)
Lorsque l'ennemi occupe un poste, on en observe bien le fort ou le faible avant que de faire les dispositions d'attaque, et l'on se détermine toujours pour l'endroit où il y a le moins de résistance à craindre. Les attaques de villages sont si meurtrières, que je me suis fait une loi de les éviter soigneusement, à moins de m'y voir obligé nécessairement, à cause qu'on peut y perdre la fleur de son infanterie, et que de vie d'homme on ne parviendra pas à en former une meilleure que la nôtre. Il y a des généraux qui soutiennent qu'on ne saurait mieux attaquer un poste que par le centre. J'ai feint un poste semblable, supposant que l'ennemi a deux villes ou deux gros villages sur ses ailes. Il est sûr qu'en forçant le centre, les ailes sont <85>perdues, et qu'une attaque pareille peut mener aux plus brillantes victoires. J'en donne ici le dessin, en ajoutant que, si vous êtes heureux, il faut grossir l'attaque et, si vous percez, replier une partie des ennemis sur leur droite et les autres sur leur gauche.
Dans les postes, rien n'est plus redoutable que les batteries de canons chargés de mitraille, qui font un ravage horrible dans les bataillons. J'ai vu attaquer des batteries à Soor et à Kesselsdorf, et, ayant remarqué dans les ennemis les mêmes fautes dans les mêmes actions, cela m'a fait naître une idée que j'expose ici à tout hasard.
Je suppose qu'il faille emporter une batterie de quinze canons qui ne peut se tourner. J'ai vu que le feu des canons et de l'infanterie qui les soutient la rend inabordable. Nous n'avons emporté les batteries des ennemis que par leur faute. Notre infanterie assaillante, à moitié détruite, recula par deux reprises; l'infanterie ennemie voulut la poursuivre, et quitta son poste. Par ce mouvement, son canon lui devint inutile, et nos gens, les talonnant de près, arrivèrent en même temps que les ennemis à la batterie, qu'ils emportèrent. Ces deux expériences m'ont fait imaginer d'imiter ce que nos troupes ont fait alors, c'est-à-dire de former l'attaque sur deux lignes en échiquier, de mettre quelques escadrons de dragons derrière pour les soutenir, d'ordonner à la première ligne d'attaquer mollement et de se retirer dans les intervalles de la seconde, pour que l'ennemi, trompé par cette retraite simulée, coure à la poursuite, et abandonne son poste. Ce moment-là est comme le signal qu'il faut marcher en avant et attaquer vigoureusement, comme on en verra la disposition dans le plan VI.
9. DE LA DÉFENSE DES POSTES.
Mon principe est de ne jamais mettre ma confiance dans un poste, à moins qu'il ne soit physiquement démontré qu'il est inattaquable. <86>Toute la force de nos troupes est dans l'attaque; nous serions des fous d'y renoncer gratuitement. On observe, dans les postes, d'occuper les hauteurs et de bien appuyer ses ailes. Pour tous les villages qui seraient devant ou sur les ailes de l'armée, je les ferais allumer, à moins que le vent ne portât la fumée dans notre propre camp. S'il y avait cependant quelque bonne cassine massive, mille pas devant le front de l'armée, j'y mettrais de l'infanterie, pour foudroyer les ennemis et les incommoder pendant la bataille. Il faut bien prendre garde, dans les postes, de ne point placer des troupes dans des endroits où elles ne peuvent pas combattre. Notre camp de Grottkau, l'année 1741, ne valait rien, parce que le centre et la gauche étaient derrière des marais impraticables. Il n'y avait qu'une partie de la droite qui pût agir. Villeroi fut battu à Ramillies pour s'être ainsi posté; sa gauche lui était inutile, l'ennemi porta toute sa force contre la droite des Français, que rien ne put y résister. Je crois que les Prussiens peuvent prendre des postes comme les autres, s'en servir pour un moment, afin de profiter des avantages de l'artillerie, mais abandonner le poste tout d'un coup et attaquer fièrement l'ennemi, qui, d'assaillant devenant l'assailli, verra ses projets tout d'un coup détruits; de plus, toutes les choses que l'on fait, auxquelles l'ennemi ne s'attend pas, font un effet admirable.
10. BATAILLES DANS DES PLAINES COUPÉES.
Ces sortes de batailles sont absolument du genre des postes. On attaque par l'endroit le plus faible. Je ne voudrais jamais que mon infanterie tirât en de pareilles occasions, à cause que cela les arrête, que ce n'est pas les ennemis que l'on tue qui nous donnent la victoire, mais le terrain que l'on gagne. Ainsi, avancer fièrement et en bon ordre, et gagner en même temps du terrain, c'est gagner la bataille. J'ajoute à ceci comme une règle générale que, dans les ter<87>rains coupés et difficiles, on donne quinze pas pour les distances des escadrons; quand c'est une plaine, ils sont contigus. Pour la ligne d'infanterie, elle n'a d'autre intervalle à moins87-a celui qu'il faut pour le canon, et il n'y a qu'aux attaques de retranchements, aux attaques de batteries ou de villages, et dans les arrière-gardes de retraites, que je mets l'infanterie et la cavalerie en échiquier dans les attaques, pour que les corps puissent se replier sans confusion, ou pour fortifier tout d'un coup votre ligne par la seconde, qui entre dans les intervalles de la première, et dans les retraites, pour que les lignes puissent se retirer sans confusion et s'entre-soutenir toujours. Ceci est une règle générale.
11. DES BATAILLES EN RASE CAMPAGNE. (Plan VII.)
Je trouve ici le lieu de donner quelques règles générales de ce qu'il faut observer en formant l'armée vis-à-vis de l'ennemi, dans quelque occasion que ce soit. La première est de prendre des points de vue pour les ailes; on fait dire par exemple : La droite s'alignera sur ce clocher, et la gauche sur ce moulin à vent. Il faut, de plus, que le général retienne ses troupes, pour qu'elles ne prennent pas une fausse position. Il n'est pas toujours nécessaire d'attendre que toute l'armée soit formée pour attaquer, car cela va vite, et l'on pourrait perdre ses avantages mal à propos par ces longueurs; mais il faut cependant qu'un nombre considérable soit formé, et l'on a toujours sa principale attention à la première ligne; ainsi, sans égard à l'ordre de bataille, si les régiments de la première ligne n'y sont pas tous, on les remplace par ceux de la seconde. On appuie ses deux ailes, du moins l'une, avec laquelle on veut faire son principal effort. Les batailles en rase campagne doivent être générales, car l'ennemi, ayant tous ses mouvements libres, pourrait se servir d'un corps que vous <88>lui laissez à sa disposition pour vous tailler de la besogne. Si une des ailes de cavalerie n'est point appuyée, c'est au général qui commande la seconde ligne de dragons de déborder la première sans même qu'on le lui dise, et les hussards, qui sont en troisième ligne, doivent déborder les dragons. Ceci est une règle générale, dont voici la raison. Si l'ennemi fait quelque manœuvre pour prendre les cuirassiers de la première ligne en flanc, vos dragons et vos hussards tombent sur le sien, et votre cavalerie n'a rien à craindre. Vous verrez de plus, par le plan VII, que je place trois bataillons dans les intervalles de la droite et de la gauche de mes lignes d'infanterie. C'est pour plus de sûreté; supposé que la cavalerie soit battue, votre infanterie peut se soutenir, comme cela arriva à Mollwitz. Le général qui commande la seconde ligne d'infanterie est à trois cents pas de la première. S'il voit quelque intervalle dans la première ligne, il doit aussitôt le boucher par quelques bataillons de la seconde, qu'il y fera entrer. Dans les plaines, il faut toujours avoir une réserve de cavalerie derrière le centre de la bataille. Il faut choisir un bon officier pour la commander. Celui-là agit par lui-même; s'il voit qu'une des ailes de cavalerie a besoin de secours, il y vole avec son monde, et si cette aile est battue, il tombe sur le flanc de l'ennemi qui poursuit, et donne à la cavalerie le temps de se rallier et de se reconnaître. La cavalerie attaque au plein galop; elle engage l'affaire. L'infanterie marche à grands pas à l'ennemi. Les commandeurs des bataillons tâcheront d'enfoncer l'ennemi, sans tirer qu'il n'ait tourné le dos. Si les soldats commencent à tirer, ils doivent leur faire remettre le fusil sur l'épaule et avancer toujours, mais tirer par bataillons entiers dès que l'ennemi tourne le dos. Une bataille engagée de cette façon - là sera expédiée bien vite.
Je présente un ordre de bataille nouveau dans mon huitième plan. La différence qui s'y voit de l'autre est qu'il s'y trouve des corps d'infanterie aux extrémités de la cavalerie. En voici la raison : c'est pour<89> soutenir la cavalerie; dans le commencement de l'action, la canonnade de ces corps et de ceux des ailes d'infanterie doivent viser à la cavalerie ennemie, pour que la nôtre en ait meilleur jeu. Si une aile de cavalerie est poussée par l'ennemi, il ne saurait la poursuivre, car il se mettrait entre deux feux, et notre cavalerie a le temps de se rallier. Si notre cavalerie est victorieuse, comme il y a apparence, cette infanterie s'approche de celle de l'ennemi. Vos bataillons qui sont entre les deux lignes font un quart de conversion, et deviennent votre aile. Ceux-ci et ceux qui étaient sur l'aile chargent l'ennemi en flanc et en queue, de sorte que vous en aurez bon marché. Votre cavalerie victorieuse ne doit point laisser à celle de l'ennemi le temps de se rallier, mais la poursuivre sans cesse en bon ordre, et la couper le plus qu'elle peut de son infanterie. Si la confusion y est totale, le général de la cavalerie les fait poursuivre par les hussards, et les soutient par les cuirassiers, et il enverra les dragons sur la route que les fuyards de l'infanterie ennemie tiendront, pour les couper et faire nombre de prisonniers.
Le plan VIII diffère encore des autres, en ce que des escadrons de dragons sont mêlés parmi la seconde ligne d'infanterie. En voici la raison. J'ai remarqué, dans toutes les actions que j'ai eues avec les Autrichiens, que, lorsque le feu de la mousqueterie a duré un quart d'heure, leurs bataillons tourbillonnent à l'entour de leurs drapeaux. A Friedeberg, notre cavalerie donna dessus, et en fit grand nombre de prisonniers. Si donc ces dragons se trouvent d'abord à portée, il faut les lâcher alors sur cette infanterie, que vous détruirez à coup sûr. Mais on dira que je défends de tirer, et que cette disposition ne roule que sur le feu de mon infanterie. Je réponds à cela que de deux choses que je prévois il en arrivera une : ou que mon infanterie tirera malgré que cela lui est défendu, ou que, si elle exécute mes ordres, l'ennemi tournera également le dos. Dans l'un ou l'autre cas, il faut lâcher la cavalerie lorsqu'ils se mettent en con<90>fusion. Alors ces gens, pris en flanc, assaillis par devant, et coupés par derrière par les secondes lignes de cavalerie, tomberont presque tous entre vos mains. Ce ne sera pas une bataille, mais la destruction totale de vos ennemis, surtout s'il ne se trouve pas un défilé trop voisin qui protége leur fuite.
Plan IX. Je finis cet article par une seule réflexion. Si vous marchez par lignes à une bataille, soit par la droite, ou par la gauche, il faut que les pelotons observent bien leur distance, pour qu'ils ne soient ni trop pressés, ni trop éloignés. Si vous marchez de front (plan X), il faut que les pelotons et les bataillons soient tous serrés les uns sur les autres, pour que, lorsque vous commencez à vous déployer, vous vous formiez plus promptement.
12. DE L'ARTILLERIE.
Je distingue les gros canons de ceux qui sont attachés aux bataillons. On place les grosses pièces sur des hauteurs, au commencement de l'action, et les petites à cinquante pas devant le front. Il faut qu'ils visent et tirent juste. Quand on est à cinq cents pas de l'ennemi, les petits canons se tirent à bras d'hommes, et ils peuvent rester auprès des bataillons et tirer continuellement en avançant. Quand l'ennemi s'enfuit, les gros canons avancent, et lui donnent encore quelques décharges pour lui souhaiter bon voyage. Six canonniers sont auprès de chaque canon de la première ligne, et trois charpentiers des régiments. J'ai oublié de dire que les canons doivent tirer à mitraille à trois cent cinquante pas.
13. DE CE QU'IL FAUT OBSERVER DANS LA POURSUITE.
A quoi sert l'art de vaincre, si l'on ne sait pas profiter de ses avantages? Verser le sang des soldats à pure perte, c'est les conduire <91>inhumainement à la boucherie; et dans de certains cas, ne pas poursuivre l'ennemi pour augmenter sa peur ou faire plus de prisonniers, c'est en quelque façon remettre une chose en question, qui vient d'être décidée. Ce sont ou les vivres ou les fatigues qui empêchent une armée de poursuivre les vaincus. Quant aux vivres, c'est la faute du général. S'il donne bataille, il a un dessein, et s'il a un dessein, il doit préparer d'avance tout ce qu'il faut pour l'exécuter. On tient donc du pain et du biscuit tout prêts pour huit ou dix jours. Quant aux fatigues, à moins qu'elles n'aient été excessives, il faut faire dans des jours extraordinaires des choses extraordinaires. Après avoir vaincu, je veux donc que l'on fasse un détachement des régiments qui ont le plus souffert, qui auront soin des blessés, et qui les feront emporter à l'hôpital qu'on leur a préparé, songeant premièrement aux vôtres, et ne manquant pas d'humanité pour ceux des ennemis. Quant à l'armée, elle poursuivra l'ennemi jusqu'au premier défilé, et dans ces premiers temps91-a il ne tiendra nulle part, pourvu qu'on ne lui laisse pas le temps de revenir à lui-même. Cependant campez-vous toujours selon les règles, et ne vous endormez pas. Si la bataille a été bien complète, on peut détacher, ou pour couper la retraite à l'ennemi, ou pour s'emparer de ses magasins, ou pour faire le siége de trois ou quatre villes à la fois. Je ne puis point donner de règle générale là-dessus; il faut se régler sur les événements. J'ajoute seulement qu'il ne faut jamais s'imaginer d'avoir tout fait, lorsqu'il reste encore quelque chose à faire,91-b ni s'imaginer que votre ennemi, s'il est habile, ne profitera pas de vos fautes, quoiqu'il soit vaincu.
<92>14. DES AFFAIRES DE DÉTACHEMENT.
Ce qui se pratique dans les armées les jours de bataille se fait de même en petit dans les combats de détachement. Lorsque les détachements peuvent se ménager un petit secours qui leur arrive pendant l'action, cela détermine ordinairement l'événement en leur faveur, car l'ennemi, voyant arriver ce renfort, se le représente le triple plus fort, et se décourage. Lorsque notre infanterie n'a affaire qu'à des hussards, on la range souvent sur deux files; elle en occupe un plus grand front, charge plus commodément, et c'est faire assez d'honneur aux hussards que de leur présenter un corps sur deux files.
15. RETRAITES DES CORPS BATTUS.
Une bataille perdue est un moindre mal par la perte des troupes que par le découragement; car, en effet, sur une armée de cinquante mille hommes, qu'il y en ait quatre mille ou cinq mille de plus ou de moins, cet objet n'est pas assez considérable pour étouffer l'espérance. Un général battu doit travailler à guérir sa propre imagination et celle de ses officiers et soldats, et à ne point augmenter et amplifier soi-même ses pertes. Je fais des vœux au ciel pour que les Prussiens ne soient jamais battus, et j'ose dire que, tant qu'ils seront bien menés et disciplinés, ce malheur ne sera point à craindre. Mais, en cas d'accident, voilà comme il faudrait se remettre. Si vous voyez que votre affaire est sans ressource, c'est-à-dire, que vous ne pouvez plus empêcher ni résister aux mouvements que l'ennemi a faits, il faut prendre de l'infanterie de la seconde ligne et, si vous avez un défilé dans le voisinage, le garnir selon la disposition que j'ai donnée des retraites, et y mettre le plus de canons que vous pouvez; si vous <93>n'avez point de défilé voisin, retirer votre première ligne par les intervalles de la seconde, et la reformer à trois cents pas de là; y joindre les débris de votre cavalerie, et, si vous le voulez, faire un carré pour protéger votre retraite. Deux carrés sont fameux dans l'histoire : celui de M. de Schulenbourg à la bataille de Fraustadt, où il se retira jusqu'à l'Oder, sans que Charles XII le pût forcer, et celui que fit le prince d'Anhalt lorsque Styrum perdit la première bataille de Hochstadt. Le prince d'Anhalt traversa une plaine d'un mille de long, sans que la cavalerie française pût l'entamer. J'ajoute à ceci que pour être battu, il ne faut pas se sauver à vingt milles du champ de bataille; il faut s'arrêter au premier bon poste que l'on trouve, faire bonne contenance, remettre l'armée, et calmer les esprits qui sont encore découragés de leur disgrâce.
ARTICLE XXVI. POURQUOI ET COMMENT ON LIVRE BATAILLE.
Les batailles décident du sort des États. Lorsqu'on fait la guerre, il faut bien en venir à des moments décisifs, ou pour se tirer d'embarras, ou pour y mettre votre ennemi, ou pour terminer des querelles qui ne finiraient jamais. Un homme raisonnable ne doit faire aucune démarche sans un bon motif, et un général d'armée ne doit à plus forte raison jamais livrer bataille sans un but important, et, s'il est forcé de se battre, c'est toujours parce qu'il a commis quelque faute qui l'a réduit à recevoir cette fière loi de son ennemi. Vous voyez bien que je ne fais pas ici mon panégyrique, car, des cinq batailles que mes troupes ont livrées aux ennemis, il n'y en a eu que trois de préméditées de ma part; j'ai été forcé aux deux autres : à celle de Mollwitz, parce que les Autrichiens s'étaient mis entre <94>mon armée et Ohlau, où étaient mon artillerie et mes vivres; à celle de Soor, parce que les Autrichiens me coupaient le chemin de Trautenau, et que je ne pouvais éviter, sans ma ruine certaine, d'entrer en action. Mais que l'on voie la différence qu'il y a entre ces batailles forcées et les batailles prévues. Quels succès n'eurent pas celles de Friedeberg et de Kesselsdorf, et celle de Czaslau, qui nous procura la paix! Ainsi, en donnant des préceptes ici que je n'ai pas suivis moi-même, par imprudence, c'est pour que mes officiers profitent de mes fautes, et qu'ils sachent que je pense à m'en corriger. Quelquefois les deux armées sont également disposées à donner bataille; alors la besogne est promptement expédiée. Les meilleures batailles sont celles où l'on force l'ennemi par nécessité à se battre; car c'est une règle certaine qu'il faut toujours obliger l'ennemi à ce qui lui répugne, car, comme vos intérêts sont diamétralement contraires, il faut que vous vouliez tout ce qu'il ne veut pas. Voici les raisons pour lesquelles on livre bataille : pour faire lever le siége à l'ennemi d'une de vos places; pour le chasser d'une province qu'il envahit; pour pénétrer dans le sien, pour faire un siége, ou pour vaincre son obstination à ne pas vouloir la paix.94-a On oblige l'ennemi à se battre, en faisant une marche forcée qui vous porte à son dos, et qui le coupe de ses derrières, ou bien en menaçant une ville qu'il lui importe de conserver à tout prix. Mais qu'on y prenne bien garde : lorsqu'on fait faire de ces sortes de manœuvres aux armées, il ne faut pas non plus s'y mettre dans un même inconvénient en se postant de façon que l'ennemi peut vous couper de vos magasins à son tour. Les actions où l'on risque le moins sont les affaires d'arrière-garde. On se campe proche de l'ennemi, et, s'il veut se retirer pour passer quelque défilé en votre présence, vous tombez sur la queue de son armée. L'on risque peu dans ces actions, et l'on gagne beaucoup. Le prince<95> de Lorraine aurait pu engager une affaire de cette nature avec nous, si, au lieu de marcher à Soor, il avait attendu que nous eussions pris le camp de Trautenau, et qu'il se fût alors campé vis-à-vis de mon armée. La marche de Schatzlar nous aurait bien autrement coûté, et je crois que ce prince y aurait trouvé ses avantages.95-a On se bat, de plus, pour empêcher la jonction des ennemis. Cette raison est valable; mais un ennemi habile trouvera bien l'art de vous échapper par une marche forcée, ou en occupant un poste de choix. Quelquefois on ne prémédite pas une action, mais on est invité de l'engager par des fautes de l'ennemi, dont il faut profiter pour l'en punir.
J'ajoute à ces maximes que nos guerres doivent être courtes et vives. Il ne nous convient pas du tout de traîner les choses en longueur. Une guerre de durée détruirait insensiblement notre admirable discipline; elle dépeuplerait le pays, et épuiserait nos ressources. Il faut donc que ceux qui commandent des armées prussiennes cherchent prudemment à décider les choses; il ne faut point qu'ils pensent comme le maréchal de Luxembourg, à qui son fils disait dans la guerre d'Italie :95-b « Il me semble, mon père, que nous pourrions encore prendre une telle ville. - Tais-toi, petit sot, lui répondit le maréchal; veux-tu que nous retournions planter des choux chez nous? » En un mot, pour ce qui regarde les batailles, il faut suivre la maxime du sanhédrin des Hébreux :95-c I vaut mieux qu'un homme meure que si tout le peuple périssait.95-d
<96>ARTICLE XXVII. DES HASARDS ET DES CAS FORTUITS QUI ARRIVENT A LA GUERRE.96-a
Les généraux sont plus à plaindre que l'on ne pense; tout le monde les juge sans les entendre. Les gazettes les sacrifient aux mauvais propos du public, et, de quelques milliers de personnes qui les condamnent, il n'y en a pas une peut-être qui en sait assez pour commander le moindre détachement d'une armée. Je ne prétends point faire l'apologie des généraux qui font des fautes, car ils méritent la critique; aussi je sacrifie volontiers ma campagne de l'année 1744, et j'avoue que, parmi beaucoup d'écoles, je n'y ai fait que quelques choses de bien, comme le siége de Prague, la retraite et la défense de Kolin, et enfin la retraite en Silésie. Je prétends parler ici de ces événements malheureux sur lesquels la prévoyance et le conseil n'ont aucun empire; et comme c'est pour mes officiers que j'écris, je ne leur alléguerai d'exemples que de choses qui me sont arrivées. Comme nous étions au camp de Reichenbach, en 1741, j'avais dessein de gagner la rivière de la Neisse par une marche forcée, et de me mettre entre cette ville et l'armée de Neipperg, pour en couper les Autrichiens. Toute la disposition était faite. Il survint des pluies abondantes, qui gâtèrent tous les chemins. Notre avant-garde, qui conduisait les pontons avec elle, ne put point avancer. Le jour de la marche, il fit un brouillard si épais, que les gardes d'infanterie qui avaient été dans les villages s'égarèrent et ne purent pas même <97>rejoindre leurs régiments. Cela alla si loin que, au lieu de marcher à quatre heures comme cela était résolu, nous ne pûmes marcher qu'à midi. Ainsi plus de marche forcée; ainsi l'ennemi nous prévint, et un brouillard détruisit tout mon projet.
Une mauvaise récolte dans un pays où l'on veut porter la guerre fera manquer toute la campagne; des maladies qui se mettent dans les troupes au milieu des opérations vous mettront sur la défensive, comme cela arriva l'an 44, en Bohême, par la mauvaise nourriture que les troupes avaient prise.97-a Je chargeai, pendant la bataille de Friedeberg, un de mes aides de camp de dire au prince Charles qu'il se mît à la tête de ma seconde ligne comme le plus ancien, parce que Kalckstein avait été détaché sur l'aile droite, contre les Saxons. Cet aide de camp fit un quiproquo, et dit au Margrave de former ma seconde ligne de la première. Je m'aperçus encore à temps de ce malentendu, et j'eus le temps d'y remédier. Mais que l'on soit bien sur ses gardes, et que l'on pense qu'une commission rendue de travers peut perdre toutes vos affaires. Si un général devient malade, ou qu'il ait le malheur d'être tué à la tête d'un détachement d'importance, voilà tout d'un coup bien des mesures dérangées, car il faut de bonnes têtes et des génies offensifs pour les détachements, et ces derniers sont rares; je n'en connais dans mon armée que trois ou quatre tout au plus. Si, malgré toutes vos précautions, l'ennemi vient à bout de vous enlever un convoi, toutes vos mesures sont dérangées et vos desseins suspendus. Si vous êtes obligé par des raisons de guerre de faire quelques mouvements en arrière, vous découragez vos troupes. J'ai été assez heureux de n'en point faire l'expérience avec mon armée entière; mais j'ai vu, après la bataille de Mollwitz, combien de temps il faut pour rassurer un corps découragé; car ma cavalerie était au point qu'elle croyait que je l'envoyais à la boucherie lorsque je faisais quelque détachement pour l'aguerrir. C'est<98> depuis la bataille de Friedeberg que l'on peut marquer l'époque de sa régénération.
Que l'ennemi découvre un espion d'importance que vous avez dans son camp, voilà votre boussole perdue, et vous n'apprenez plus de ses manœuvres que celles que vous voyez.
La négligence des officiers qui doivent battre l'estrade peut vous mettre dans les plus grands embarras. Neipperg fut surpris à Mollwitz de cette façon-là, car l'officier hussard qu'il avait chargé d'aller à la découverte négligea son devoir, et nous fûmes vis-à-vis de lui lorsqu'il s'y attendit le moins. Un officier de Zieten fit mal la patrouille aux bords de l'Elbe; justement les ennemis firent, la nuit,98-a leur pont à Selmitz, et surprirent le passage.
Apprenez donc à ne jamais confier la sûreté de toute l'armée à la vigilance d'un seul petit officier, et retenez bien ce que j'ai dit dans l'article de la défense des rivières en général. Les batteurs d'estrade ne doivent être regardés que comme une précaution superflue; il ne faut jamais entièrement se reposer là-dessus, mais prendre encore beaucoup d'autres précautions plus solides et plus certaines.
Les trahisons sont le pire de tous les malheurs. En 1734, le prince Eugène fut trahi par le général Stein, qui était gagné par les Français. Je perdis Cosel par la trahison d'un officier de cette garnison qui déserta et y introduisit les ennemis.98-b
Enfin, de tout ce que je viens de dire il en résulte que, quelque heureux que l'on soit, il ne faut jamais se confier à la fortune, ni se bouffir de ses succès, mais penser que notre peu de sagesse et de prudence devient souvent le jouet des hasards et de ces cas fortuits par lesquels je ne sais quel destin se plaît à humilier l'orgueil des présomptueux.
<99>ARTICLE XXVIII. S'IL FAUT QU'UN GÉNÉRAL TIENNE DES CONSEILS DE GUERRE.
Le prince Eugène disait qu'il n'y avait rien de tel que de tenir un conseil de guerre toutes les fois qu'un général avait envie de ne rien entreprendre. Cela est si vrai, que la plupart des voix sont toujours pour la négative. Un général auquel le prince confie ses troupes doit agir par lui-même, et la confiance qu'il a dans le mérite de ce général l'autorise à le faire. De plus, le secret si nécessaire à la guerre n'est jamais observé dans les conseils de guerre. Je crois cependant qu'un général auquel un subalterne ouvre un bon avis doit en profiter. Un vrai citoyen, quand il s'agit du service de l'État, s'oublie soi-même. Il va au bien des affaires, sans s'embarrasser si ce qui y mène vient de lui ou d'un autre, pourvu qu'il obtienne son but.
ARTICLE XXIX. DES NOUVELLES MANŒUVRES DE L'ARMÉE.
Vous aurez vu, par toutes les maximes que j'ai établies, sur quoi se fonde la théorie des évolutions que j'ai introduites dans les troupes. Le dessein de ces manœuvres est de profiter et de gagner du temps dans toutes les occasions, soit pour sortir du camp, soit pour être formé plus vite que l'ennemi, soit pour se mettre promptement et sans confusion dans l'ordre de bataille ordinaire ou oblique, soit pour gagner promptement le terrain et décider une affaire plus vite que ce n'a été l'usage jusqu'à présent, soit pour renverser l'ennemi <100>par notre furieux choc de cavalerie, dont l'impétuosité entraîne le poltron comme le brave homme. Tous servent également alors, et aucun cavalier ne devient inutile. Ce système est donc fondé sur la promptitude de tous les mouvements et sur la nécessité de l'attaque. Je me flatte que les généraux qui se convaincront de la nécessité et de l'utilité de cette discipline joindront leurs efforts aux miens pour la perfectionner et la maintenir, soit en paix, ou en guerre. Je n'oublierai jamais ce que Végèce dit des Romains : « Et enfin, s'écrie cet auteur dans une espèce d'enthousiasme, la discipline romaine triompha de la haute taille des Germains, de la force des Gaulois, de la ruse des Grecs, du nombre des Barbares, et subjugua toute la terre connue. »100-a Tant la fortune des États tient à la discipline des armées!
ARTICLE XXX. DES QUARTIERS D'HIVER.
Lorsque la campagne est finie, l'on pense aux quartiers d'hiver, que l'on prend selon les circonstances où l'on se trouve. On règle premièrement la chaîne de troupes qui couvre les quartiers. On fait ces chaînes de trois façons : derrière une rivière, par des postes qui défendent des montagnes, ou par la protection de villes fortes. L'hiver de 1741 à 42, le corps de mes troupes qui hiverna en Bohême prit ses quartiers derrière l'Elbe. La chaîne qui le couvrait alors, de Brandeis, Nimbourg, Kolin, Podiebrad et Pardubitz, se terminait à Königingrätz. J'ajoute à ceci qu'il ne faut jamais se fier aux rivières, qu'on les passe toute part quand elles sont gelées, et qu'une précaution nécessaire est de placer des hussards dans tous ces postes <101>pour être vigilants sur les mouvements de l'ennemi, et ces hussards font sans cesse des patrouilles en avant, pour savoir si l'ennemi est tranquille, ou s'il assemble ses troupes quelque part.101-a
L'hiver de 44 à 45, nous fîmes la chaîne de nos quartiers le long des montagnes qui séparent la Bohême de la Silésie, observant exactement les limites des frontières, pour avoir fin repos. Le lieutenant-général Truchsess avait la frontière depuis la Lusace jusqu'au pays de Glatz, c'est-à-dire, les postes de Schmiedeberg, de Friedland, qu'on avait fortifiés par deux redoutes, quelques petits postes fortifiés vers le chemin de Schatzlar, Liebau et Silberberg. Truchsess avait la réserve pour soutenir celui de ces postes que l'ennemi voudrait insulter. Tous ces détachements s'étaient fortifiés par des abatis; ils avaient rompu les chemins qui vont en Bohême, et chaque poste avait ses hussards pour battre l'estrade. Lehwaldt défendait le comté de Glatz avec un détachement pareil et les mêmes précautions. Ces deux généraux se prêtaient la main. Si les Autrichiens marchaient à Truchsess, Lehwaldt leur venait à dos par la Bohême, et vice vers101-a. Les villes de Troppau et de Jägerndorf faisaient nos têtes dans la Haute-Silésie; elles communiquaient à Glatz par Ziegenhals et Patschkau, et à Neisse par Neustadt. J'ajoute à ceci qu'il ne faut jamais mettre sa confiance aux montagnes, et se souvenir du proverbe qui dit : Le soldat passe où passe la chèvre.
Je renvoie aux quartiers d'hiver du comte de Saxe pour l'exemple de chaînes de quartiers soutenues par des forteresses. Ce sont les meilleures; mais tout le monde n'a pas le choix libre, et il faut faire ses chaînes sur le terrain que l'on occupe. J'ajoute à ceci pour maxime qu'il ne faut pas s'opiniâtrer pour une ville ou pour un poste dans des quartiers d'hiver, à moins que de ce poste l'ennemi ne puisse vous<102> faire beaucoup de mal, parce que votre unique attention doit être de procurer du repos à vos troupes dans leurs quartiers. J'ajoute pour seconde maxime que la meilleure méthode est d'envoyer les régiments par brigades dans leurs quartiers, pour que les généraux les gardent sous leur inspection. Notre service demande aussi qu'on place, tant qu'on le peut, les régiments auprès des généraux qui en sont les chefs. Cette règle cependant est sujette à des exceptions, et c'est au général en chef à voir jusqu'où il peut y avoir égard.
Voici la règle que je donne pour l'entretien des troupes. Si leurs quartiers sont dans mon pays, il faut que je donne une gratification aux capitaines et aux subalternes, que le soldat reçoive le pain gratis, et de la viande de même. Si c'est en pays ennemi, le général principal aura quinze mille,102-a ceux d'infanterie et de cavalerie dix mille, les lieutenants-généraux sept mille, les généraux-majors cinq mille, les capitaines de cavalerie deux mille, les capitaines d'infanterie dix-huit cents, les subalternes cent ducats, le soldat pain, viande et bière gratis, que fournit le pays, mais point d'argent, car l'argent le fait déserter. Il faut que le général tienne la main que tout cela se fasse avec ordre. Point de pillage; mais il ne faut pas non plus qu'il chicane trop les officiers sur quelques légers profits. Si l'armée est en pays ennemi, c'est au général à la recompléter. Il distribue, par exemple, les cercles : trois régiments sur celui-ci, quatre sur celui-là, etc. Il subdivise ces cercles, et les assigne comme des cantons. Si les états veulent livrer les recrues, tant mieux; sinon, on use de force. Il faut les faire livrer de bonne heure, pour que les officiers aient le temps de les exercer, qu'ils soient en état de servir le prin<103>temps suivant. Il faut, de plus, que les capitaines envoient en recrutement. Le général en chef doit se mêler de toute cette économie, ainsi que pour les chevaux d'artillerie et de munitions de guerre et de bouche, que le pays ennemi est aussi obligé de livrer, ou de les payer en argent. Le général a aussi l'œil pour que les contributions soient exactement payées à la caisse de guerre. C'est aux dépens du pays ennemi que l'on refait tous les équipages, les affûts, les chariots, et tout ce qui appartient à l'attirail d'une armée. Le général tiendra la main à ce que les officiers de cavalerie réparent les selles, brides, étriers, bottes, etc., et que ceux d'infanterie fassent provision de souliers, bas, chemises et guêtres pour la campagne prochaine; qu'ils fassent raccommoder les couvertures des tentes et les tentes mêmes; qu'on fasse fourbir les lames de la cavalerie et raccommoder les armes des fantassins; que l'artillerie fasse nombre de cartouches pour la campagne prochaine, pour l'usage de l'infanterie, des hussards et du canon; que les troupes qui font la chaîne des quartiers soient abondamment pourvues de poudre et de balles, et, en général, qu'il ne manque de rien à l'armée.
Si le général en a le temps, il fera bien de visiter lui-même quelques quartiers, pour voir après l'économie des troupes, et pour voir si les officiers exercent les troupes, ou s'ils se négligent; car il faut non seulement exercer les recrues, mais aussi les vieux soldats, pour les entretenir dans l'habitude.
Vers le temps que l'ouverture de la campagne s'approche, on forme des quartiers de cantonnement selon l'ordre de bataille, la cavalerie sur les ailes, l'infanterie au centre. Ces cantonnements ont à peu près quatre à cinq milles de front, sur deux milles de profondeur. On les rétrécit pour l'ordinaire vers le temps que l'on compte de camper. J'ai trouvé qu'il était bon de diviser les troupes sous six commandements des premiers généraux dans les cantonnements; par exemple, l'un aura toute la cavalerie de la droite, l'autre toute la ca<104>valerie de la gauche, un autre l'infanterie de la droite de la première ligne, un autre l'infanterie de la droite de la seconde ligne, un autre l'infanterie de la gauche de la première, un autre l'infanterie de la gauche de la seconde ligne. De cette façon, les ordres s'expédient d'autant plus vite, et vos troupes se mettent facilement en colonnes pour entrer dans le camp.
J'avertis encore, à l'occasion des quartiers d'hiver, qu'il n'y faut jamais envoyer les troupes avant que d'être bien sûr que l'armée des ennemis est tout à fait séparée.104-a
ARTICLE XXXI. DES CAMPAGNES D'HIVER.
Les campagnes d'hiver ruinent les troupes par les maladies qu'elles causent, et parce que l'action continuelle dans laquelle elles sont empêche de les recruter, de les habiller de neuf, et de rétablir tout l'attirail, tant des munitions de guerre que de bouche. Il est sûr que la meilleure armée du monde n'y résistera pas longtemps, et que par cette raison il faut éviter les guerres d'hiver, comme étant de toutes les expéditions de guerre les plus pernicieuses.
Il y a cependant des circonstances qui peuvent obliger le général à recourir à cet expédient. J'ai, je crois, fait plus de campagnes d'hiver qu'aucun général de ce siècle. Il n'est pas hors de propos d'exposer à cette occasion les motifs qui m'y ont porté. L'année 40, à la mort de l'empereur Charles VI, il n'y avait que deux régiments impériaux dans toute la Silésie. J'avais résolu de faire valoir mes droits <105>sur ce duché, et j'étais par conséquent obligé d'agir en hiver pour profiter de tout ce qui pouvait m'être avantageux, de m'emparer de toute la province, et d'établir le théâtre de la guerre auprès de la rivière de la Neisse, au lieu que, en attendant le printemps, nous aurions eu la guerre entre Crossen et Glogau, et j'aurais peut-être obtenu après trois ou quatre campagnes obstinées ce que je gagnais tout d'un coup alors par une marche toute simple.105-a Cette raison était valable, à ce que je crois.
L'année 42, je fis une campagne d'hiver en Moravie, pour dégager par celle diversion la Bavière; et si je ne réussis pas, c'est que les Français étaient des lâches, et les Saxons des traîtres.105-b
L'hiver de 44 à 45 se fit la troisième campagne d'hiver. Les Autrichiens entrèrent en Silésie, et je fus obligé de les en faire chasser.105-c
L'hiver de 45 à 46, les Autrichiens et Saxons voulurent pénétrer dans mes États héréditaires et y porter le fer et le feu. Je suivis mes principes, et je portai pendant les rigueurs de l'hiver la guerre chez eux.105-d
Dans de pareilles circonstances, je ferai toujours la même chose, et j'approuverai la conduite de mes officiers, s'ils le font; mais je blâme en même temps tous ceux qui de gaîté de cœur s'engagent dans de pareilles entreprises.
Quant au détail de ces campagnes d'hiver, l'on fait marcher par des cantonnements extrêmement serrés quelquefois deux ou trois régiments, même d'infanterie, dans un village, s'il est grand. L'on fait même entier toute l'infanterie dans une ville. C'est de cette façon que le prince d'Anhalt marcha en Saxe, prenant ses quartiers à Eilenbourg, Torgau, Meissen; il campa depuis. J'omets deux ou trois petites villes dont j'ai oublié le nom.
<106>Dès qu'on approche de l'ennemi, on donne un rendez-vous aux troupes, et l'on marche par colonnes, selon que c'est l'usage; et lorsque c'en vient aux moments décisifs de votre expédition, c'est-à-dire que vous allez tomber dans les quartiers de vos ennemis, ou que vous allez marcher à eux pour leur livrer bataille, vous campez en ordre de bataille. Les troupes couchent à la belle étoile. Chaque compagnie se fait un grand feu, et y passe la nuit. Mais comme ces fatigues sont trop violentes, et que le corps humain n'est pas fait pour y résister à la longue, il faut mettre tant de vigueur et d'audace dans ces entreprises, qu'elles ne puissent pas durer longtemps, ne point balancer à la vue du danger, et prendre une résolution vive avec fermeté et la soutenir. J'observe qu'il ne faut jamais entreprendre des campagnes d'hiver dans des pays où il y a beaucoup de places fortes; car, comme la saison n'est pas propre aux siéges, et que les grandes forteresses ne se prennent pas par surprise, on doit être sûr d'avance qu'un pareil projet échouera, à cause qu'il est entièrement contre la possibilité.
Toutes les fois donc qu'on a le choix libre, il faut donner du repos aux troupes pendant l'hiver le plus que l'on peut, et bien employer ce temps à rétablir l'armée, pour prévenir plus tôt l'ennemi en campagne le printemps d'après.
Voilà à peu près les points principaux des grandes manœuvres de guerre, dont j'ai détaillé, autant que je l'ai pu, toutes mes maximes. Je me suis appliqué principalement à rendre les choses claires et intelligibles. Si cependant vous106-a avez des doutes sur quelques-uns de ces articles, vous me ferez plaisir de me les exposer, pour que je puisse vous déduire mes raisons plus amplement, ou pour me ranger de votre avis, si je suis tombé en défaut. J'ai appris par mon peu d'ex<107>périence à la guerre que cet art est intarissable, et que, en le recherchant, on découvre sans cesse de nouvelles choses; et je ne croirai point avoir perdu mon temps, si cet ouvrage donne lieu à mes officiers de faire des réflexions sur un métier qui leur ouvre la carrière la plus brillante pour se couvrir de gloire, et qui, dérobant leurs noms à la nuit des temps, leur assure l'immortalité pour prix de leurs travaux. Dixit
Federic.
(Potsdam) 2 avril 1748.
100-a Végèce, De re militari, liv. I, chap. 1. Voyez aussi notre t. I, p. 223, et ci-dessus, p. 3.
101-a La traduction ajoute, p. 198 et 199 : Ueberdem müssen von Distances zu Distances hinter der Chaine von der Infanterie noch Brigaden von Cavallerie und von Infanterie bereit sein, um gleich zum Succurs zu rücken, wenn und wo solcher nöthig sein dürfte.
102-a Comme les mots pays ennemi font allusion à l'Autriche, il est probable que les sommes indiquées ici doivent être énoncées en florins. Le mot florins, qui manque soit dans notre autographe, soit dans la traduction, se trouve dans le texte des Œuvres de Frédéric II, roi de Prusse, publiées du vivant de l'auteur. A Berlin, 1789, t. III, p. 373. Le premier texte autographe de l'ouvrage de Frédéric, intitulé Instruction pour les généraux, ne renferme pas encore le passage relatif aux gratifications.
104-a La traduction ajoute, p. 207 : Ich recommandire deshalb, dass man sich jederzeit dessen erinnere, was dem Churfürsten Friedrich Wilhelm dem Grossen widerfuhr, als der Maréchal de Turenne, über Thann und Belfort, in dessen Winterquartiere im Elsass einfiel. Voyez t. I, p. 84.
105-a Voyez t. II, p. 56 et suivantes.
105-b L. c., p. 116 et suivantes.
105-c Voyez t. III, p. 87 et suivantes.
105-d L. c., p. 164 et suivantes.
106-a Voyez ci-dessus, p. 3.
11-a Voyez t. III, p. 145.
12-a Ce mot, créé par Frédéric, signifie arrêter. La traduction officielle et inédite de ce chapitre porte : hemmen.
12-b Voyez t. II, p. 102, 121 et suivantes.
14-a La traduction porte Littau.
14-b Welcher vermuthlich bei Austerlitz sich gelagert, etc. (Traduction.)
15-a Iglau. (Traduction.)
15-b Kremsier und Ungarisch-Hradisch. (Ibidem.)
17-a Voyez t. I, p. 76; t. V, p. 18; et t. XXVII. III, p. 41.
17-b Voyez t. III, p. 165 et suivantes.
18-a Voici comment Frédéric s'exprime dans l'Histoire de mon temps (t. III, p. 85) : « On sait que qui veut bâtir l'édifice d'une armée, doit prendre le ventre pour fondement. » Dans le Palladion (t. XI, p. 196), il dit, d'après Homère : « Le pain fait le soldat. » Voyez aussi t. VII, p. 18 et 89; t. X, p. 301; et ci-dessus, p. 10.
20-a La traduction porte, p. 18 : auf acht Tage.
21-a Lorsque le Roi assiégeait Olmütz, il fit venir de Neisse des moulins à bras, par un ordre daté du 14 juin 1758. Voyez Léopold von Orlich, Fürst Moritz von Anhalt-Dessau, Berlin, 1842, p. 125.
22-a Voyez Reglement vor die Königl. Preussische Infanterie, p. 340-344 : Wie es bei den Escortes und bei Bedeckung der Armee soll gehalten werden.
22-b La traduction ajoute, p. 23 et 24 : Eine gute Art deren man sich bedienen kann um die Convois zu decken, ist, dass man zum voraus die Défilés occupiret, wo der Convoi passiren muss, und dass man die Truppen, so solchen decken sollen, bis an eine halbe Meile vorwärts nach der Seite gegen den Feind zu postiret; welches die Convois verdecket hält und auf gewisse Art deren Marsch masquiret.
25-a La traduction ajoute, p. 31 : Man fouragiret nicht mehr als ein Dorf auf einmal, hernach ein anderes, damit diejenigen, so die Fouragirung decken, sich nicht aus einander eparpilliren.
25-b De même, p. 31 et 33 : Wenn man grosse Fouragirungen von grüner Fourage thut, so bin ich der Meinung, dass man nicht ein gar zu weitläuftiges Terrain auf einmal fouragiren, sondern vielmehr solches auf zweimal und gleich nach einander thun müsse; auf diese Art wird eure Kette desto stärker und setzet eure Fourageurs ausser Gefahr insultiret zu werden, wohergegen, wenn das Terrain, so ihr nehmet, gar zu weitläuftig vor die Escorte ist, so wird eure Kette überall schwach, und ist mithin exponiret, von dem Feinde forciret zu werden.
26-a .... Und nimmt zugleich einige alte Leute aus den benachbarten Dorfschaften, oder auch Jäger, Hirten und auch Schlächter mit sich. (Variante de la traduction, p. 35 et 36.)
28-a La traduction ajoute à la fin de cet alinéa, p. 41 et 41 : Ich füge inzwischen noch hinzu, wie es vor einen General important sein wird, dass, wenn er seine General-Position genommen hat, er sein Terrain von einem Ende bis zum andern selbst abschreite und messe, dafern er sonsten die Zeit dazu hat.
3-a Végèce, De re militari, liv. I, chap. I. Voyez aussi notre t. VIII, p. 6 et 7.
3-b Voyez t. VI, p. 105.
3-c Après avoir travaillé plusieurs mois à polir son ouvrage, Frédéric l'envoya à son frère le Prince de Prusse, le 19 juin 1748. Voyez, t. XXVI, p. 117-119, ses lettres du 4 mars, du 19 et du 24 juin.
30-a La traduction ajoute, p. 45 et 46 : Die grosse Kunst in Distribuirung der Truppen auf einem Terrain ist, solche dergestalt zu placiren, dass sie frei agiren und dass sie durchgehends nützlich sein konnen. Villeroi, dem vielleicht diese Regel unbekannt war, beraubete sich selbst, als er sich in den Plainen von Ramillies formirte, seines ganzen linken Flügels, welchen er hinter einen Morast placirte, wo er nicht agiren, noch einmal von dar den rechten Flügel secundiren konnte.
30-b Cet alinéa est précédé du suivant dans la traduction, p. 46 : Um zu wissen, ob ihr euren Ort gut choisiret habt, wo ihr campiren wollet, so sehet zu, ob ihr, wann ihr ein kleines Mouvement machet, den Feind zwingen könnet, ein grosses Mouvement zu machen, oder aber, ob, wenn der Feind einen Marsch thun müssen, er dadurch obligiret sei noch mehrere und andere Märsche zu thun. Derjenige, welcher die wenigsten Märsche zu thun hat, ist am besten campiret.
31-a Voyez Reglement vor die Königl. Preussische Infanterie, p. 248-255 : Wie das Lager aufgeschlagen werden soll.
31-b Ce terme est rendu dans la traduction, p. 48, par ordre de bataille, expression qui se trouve aussi dans notre texte original, un peu plus bas.
31-c Le Roi veut dire du Main. Voyez t. III, p. 12 et suivantes.
31-d La traduction ajoute, p. 49 : Dieses scheinet lächerlich zu sein, ist aber dem ohnerachtet wahr.
33-a La traduction ajoute, p. 53 : Inzwischen muss man nicht darauf trauen, denn der Feind kann remarquiren, dass ihr eure Fouragirung zu gleicher Zeit mit ihm machet, da er dann eine Fouragirung commandiren, solche aber gleich wieder zurück kommen lassen, und euch alsdenn auf den Halsfallen kann.
33-b Voyez t. III, p. 133 et suivantes, et les Œuvres de Frédéric II, publiées du vivant de l'auteur, Berlin, 1789, t. III, p. 271, note.
33-c Voyez t. III, p. 136 et suivantes.
35-a La traduction ajoute, p. 56 : Inzwischen würde ich allemal lieber eine Observations-Armee haben, um die Belagerung zu decken, als ein retranchirtes Lager, und dieses darum, weil die Erfahrung gezeiget hat, dass die alte Methode derer Retranchements gar nicht zuverlässig ist. Der Prinz Condé sahe sein Retranchement vor Arras durch Turenne forciret; Condé forcirte hergegen dasjenige, welches Turenne, wo ich mich nicht irre, um Valenciennes gemachet hatte; und von solcher Zeit an haben diese beiden grossen Meister in der Kriegskunst keine Retranchements weiter gemachet, sondern hatten ihre Observations-Armeen, um die Belagerungen zu decken.
35-b Voyez t. III, p. 72.
35-c L. c., p. 71 et 72.
37-a Voyez t. I, p. 49.
38-a La traduction ajoute, p. 63 et 64 : Vor allen Dingen muss ich diesem noch hinzufügen, dass so oft kleine Flüsse oder Moraste bei dem Lager sind, man solche sofort sondiren lassen muss, damit es sonsten nicht geschehe, dass man einen unrechten Point d'appui nehme, auf den Fall, dass man den Fluss durchwaten kann oder der Morast practicable ist. Villars ward zum Theil deshalb bei Malplaquet geschlagen, weil er einen Morast, der zu seiner Linken war, vor inpracticable hielt, welchen man aber eine trockene Wiese zu sein fand, über welche unsere Truppen ihm auf die Flanquen fielen. Man muss alles mit seinen Augen sehen, und nicht glauben, dass dergleichen Attentiones Kleinigkeiten sind.
38-b Reglement vor die Königl. Preussische Infanterie, p. 256 et suivantes.
38-c Reglement vor die Königl. Preussische Cavallerie-Regimenter, p. 149 et suivantes.
4-a Le Roi veut parler des quatre règlements militaires qu'il publia en allemand, en 1743, savoir : Reglement vor die Königl. Preussische Infanterie; Reglement vor die Königl. Preussischen Cavallerie-Regimenter; Reglement vor die Königlich Preussischen Dragoner-Regimenter; et Règlement vor die Königl. Preussischen Husaren-Regimenter. Voyez t. XXVI, p. 119.
40-a Voyez t. I, p. 140.
40-b Le 10 décembre 1710.
40-c Le 14 août 1737. Voyez t. I, p. 196.
40-d C'est le maréchal comte de Khevenhüller qui fut battu aux bords du Timoc, le 28 septembre 1737. Voyez t. I, p. 196.
40-e Voyez les Œuvres de Frédéric, publiées du vivant de l'auteur, t. III, p. 282, seconde note.
42-a Voyez ci-dessus, p. 18.
42-b Voyez t. III, p. 113 et suivantes.
42-c Le 5 janvier 1675. Voyez t. I, p. 84.
42-d Ces quatre dernières lignes sont remplacées dans la traduction, p. 74 et 75, par celles-ci : Oder auch wie es der Maréchal de Luxembourg in der Bataille von Fleurus machte, wo er unter Faveur des Getreides, welches sehr hoch stand, ein Corps Infanterie passiren und auf die Flanquen des Fürsten von Waldeck fallen liess, durch welches Manœuvre er die Bataille gewann. Dieses geschahe in der Campagne von 1690.
43-a Cet article est omis dans la traduction.
44-a Voyez t. VIII, p. 133.
48-a La traduction inédite de ce chapitre ajoute ici : Dieserwegen muss derjenige, so eine Armee commandiret, sich niemals à la tête von seiner Cavallerie setzen, um den Feind zu attaquiren. Voyez t. II, p. 76, 83 et 84; t. XVII, p. 98 et 99.
49-a Voyez t. III, p. 116, 117 et 123.
5-a Voyez t. VI, p. 103, et t. IX, p. 215.
50-a Mazeppa. Voyez t. VII, p. 89 et suivantes; ci-dessus, p. 9.
51-a Démétrius Cantemir. Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XXV, p. 220 et suivantes.
51-b Voyez Reglement vor die Königl. Preussische Cavallerie-Regimenter, p. 258-262 : Was die Officiers, wann sie auf Parteien ausgeschicket werden, zu observiren haben.
51-c La traduction ajoute, p. 83 : Was die Kunst anbetrifft den Feind zu obligiren um Detachements zu machen, so kann man nur, um sich eine ganz neuerliche Idee davon zu machen, die schöne Campagne lesen, welche der Maréchal von Luxembourg gegen den König von England in Flandern gethan, und welche sich mit der Bataille von Landen oder von Neerwinde, 1693, endigte. Frédéric parle probablement de l'Histoire militaire de Flandre, ou Campagnes du maréchal de Luxembourg, depuis 1690 jusqu'en 1694, par M. de Beaurain (ou plutôt par le comte de Boisgelin).
52-a Le 3 août 1692.
53-a Voyez ci-dessus, p. 33.
54-a La traduction ajoute, p. 93, l'alinéa suivant : Wenn man wohl reflectiret über das Land so zum Theatro des Krieges dienet, über die Position der Armee, welche man commandiret. über die Sicherheit seiner Depots von Vivres, über die Stärke derer Kriegesplätze und über die Mittel, welche der Feind hat oder nicht hat um letztere zu attaquiren, über den Schaden, welchen seine leichten Truppen euch thun können, wenn der Feind solche auf eure Flanquen oder auf euren Rücken. oder sonsten placiret, oder wenn er sich deren bedienet, um eine Diversion zu machen, wenn, sage ich, man alle diese Puncte consideriret und erwäget, ohne sich zu flattiren; so kann man darauf rechnen, dass ein habiler Feind precisement dasjenige thun wird, so euch am meisten schaden kann, dass dieses seine Absicht ist, und dass man sich solcher sofort, wie man kann, entgegensetzen muss.
55-a Voyez t. III, p. 132 et 133.
56-a La traduction ajoute, p. 98 et 99 : Seit der Zeit, dass diese Mémoires gefertiget worden sind, hat die Kaiserin-Königin von Ungarn die Last derer Imposten denen mährischen und böhmischen Unterthanen viel schwerer gemachet. Man könnte vielleicht von diesem Umstände profitiren, um sich diese Unterthanen affectionirt zu machen, zumalen wenn man sie flattirete, dass man sie gelinder tractiren würde, wann man diese Länder gewonnen haben werde.
57-a Nous ajoutons ce titre, d'après la traduction, pour mettre cette subdivision de l'article en harmonie avec les six autres.
60-a Du 28 mai au 4 juin 1745. Voyez t. III, p. 123 et suivantes.
60-b La traduction ajoute, p. 106 : Man muss nur bei solcher Art von Marsch darauf Attention haben, dass man dem Feinde nicht die Flanque biete.
61-a Und öffnet sich den Weg dazu durch die leichten Truppen, welche man vor die Avantgarde vorausgehen lässet. (Traduction, p. 108.)
62-a La traduction ajoute à ce titre, p. 109 : Plan A.
62-b Wie der Plan A anzeiget. (Traduction, p. 110.)
63-a La traduction ajoute à ce titre, p. 111 : Plan B.
63-b Voyez t. III, p. 76 et 77.
63-c La traduction porte de plus, p. 113 : Man kann auch Flatterminen an den Angles des Retranchements machen, welche die letzteren Grenadiers, indem sie den Fluss passiren, auffliegen lassen.
65-a Voyez t. III, p. 148 et suivantes.
67-a Voyez t. III, p. 133 et 134.
68-a Ou plutôt 1701.
68-b Il faut lire : le maréchal de Catinat. La méprise qui se trouve dans notre texte est répétée dans la traduction, p. 125.
68-c Voyez t. III, p. 51 et suivantes.
69-a Frédéric veut dire : le passage du Rhin. Voyez Jules César, De bello gallico, liv. IV, chap. 16, 17 et 18. La traduction porte également, p. 126 : über die Rhone.
72-a Cosel fut pris le 27 mai 1745 (voyez t. III, p. 134); Crémone le 1er février 1702. C'est dans cette dernière ville que le maréchal de Villeroi fut fait prisonnier par le prince Eugène.
73-a Cet article est omis dans la traduction.
74-a L'ouvrage du prince Léopold d'Anhalt-Dessau auquel le Roi fait allusion est intitulé : Deutliche und ausführliche Beschreibung, wie eine Stadt soll belagert und nachher die Belagerung mit gutem Success bis zur Uebergabe geführet werden, 1788. Voyez t. XVI, p. 159 et 160. Voyez aussi J.-D.-E. Preuss, Die militärische Richtung in Friedrichs Jugendleben. Berlin, 1856, p. 23 et 24.
76-a La traduction manuscrite ajoute : Man machet in dem verdeckten Weg, in den Angles rentrants, Caponnières, wo man zwölf Mann placiret, welches vor Surprisen decket und die Garnison nicht fatiguiret.
78-a Ici la traduction porte en marge, p. 141 : Plan C.
79-a La traduction ajoute, p. 143 et 144 : Die grosse Regel vom Kriege in allem was man Treffen, Bataillen oder Action nennet, ist, dass man seine Flanquen und seinen Rücken versichere und dass man dem Feind die Flanque abgewinne : dieses geschiehet durch verschiedentliche Mittel; inzwischen läuft alles auf eins hinaus.
8-a Tout cet article est omis dans la traduction de 1753.
81-a Ce passage rappelle ce que le Roi dit du camp de Bunzelwitz, t. V, p. 135 et suivantes.
83-a Voyez t. XXVII. III, p. 298.
87-a Le sens exigerait ici que, au lieu de à moins.
9-a Voyez t. I, p. 135, et t. VII, p. 93-98.
9-b Voyez t. I, p. 121 et suivantes, 139 et suivantes.
9-c Voyez t. II, p. 104 et suivantes.
91-a In der ersten Consternation. (Traduction, p. 173.)
91-b Voyez t. X, p. 288, et t. XVIII, p. 117 et 118.
94-a La traduction ajoute, p. 181 : Oder aber auch, um ihn wegen eines Fehlers zu strafen, welchen er begangen hat.
95-a Ce qui précède, à partir des mots : « Le prince de Lorraine, » est omis dans la traduction, p. 182.
95-b Bei einem Kriege in Flandern. (Traduction, p. 183.)
95-c Évangile selon saint Jean, chap. XI, v. 50.
95-d La traduction ajoute, p. 184 : Was endlich noch die Art betrifft, einen Feind wegen seiner begangenen Fauten zu strafen, da muss man die Relationes von der Bataille von Seneffe lesen, wo der Prinz von Condé eine Affaire von der Arrieregarde mit dem Prinzen von Oranien oder Fürst Waldeck engagirte, weil dieser negligiret hatte, an der Tête eines Défilé Truppen zu postiren, welches er passiren musste, um seine Arrieregarde an sich zu ziehen. Man lese noch die Relation von der Bataille bei Leuze, so durch den Maréchal Luxembourg gewonnen ward; desgleichen die Relation von der Bataille bei Rocoux, etc.
96-a Dans la traduction, p. 185, cet article commence par le passage suivant : Dieser Articul würde sehr lang sein, wenn ich darin das Capitul aller Accidents so einem General im Kriege arriviren können, abhandeln wollte; ich will mich aber nur kurz einschränken, um zu zeigen, dass sowohl Geschicklichkeit, als auch Glück bei dem Kriege erfordert wird.
97-a Voyez t. III, p. 85.
98-a La nuit du 18 au 19 novembre 1744. Voyez t. III, p. 77 et 78.
98-b Voyez ci-dessus, p. 72.