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ŒUVRES DE FRÉDÉRIC LE GRAND TOME XXVIII.

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ŒUVRES DE FRÉDÉRIC LE GRAND TOME XXVIII. BERLIN IMPRIMERIE ROYALE (R. DECKER) MDCCCLVI

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OEUVRES MILITAIRES DE FRÉDÉRIC II ROI DE PRUSSE TOME I. BERLIN IMPRIMERIE ROYALE (R. DECKER) MDCCCLVI

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OEUVRES MILITAIRES TOME I.

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AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.

Les ouvrages militaires de Frédéric sont de deux espèces : les Règlements et les Instructions. Les premiers traitent de la partie purement technique du service, c'est-à-dire, du maniement des armes, des évolutions, en un mot, de ce qu'on nomme ici le petit service (den kleinen Waffendienst), et en France l'école du soldat, l'école de peloton, de bataillon, etc. Ces écrits sont tous rédigés en allemand. Les Instructions ont pour objet l'art de la guerre dans ce qu'il a de plus difficile et de plus élevé; ce sont de véritables ouvrages scientifiques et en quelque sorte littéraires, composés les uns en allemand, les autres en français.

Les Règlements du Roi pour l'infanterie, la cavalerie (les cuirassiers), les dragons et les hussards, étaient en partie la reproduction de ceux que Frédéric-Guillaume Ier avait publiés pour l'infanterie dès 1714, et pour la cavalerie à partir de 1720. Frédéric commença, en 1743, à les faire réimprimer, en y ajoutant quelques suppléments, fruits de sa propre expérience. Dans ses ouvrages en français, il donne à ces Règlements le nom d'Institutions militaires,I-a et il les<II> appelle le catéchisme de ses officiers, par opposition aux ouvrages dans lesquels il parle des grands principes de la guerre et de ce qui concerne les généraux.II-a Les Règlements n'ayant aucun caractère scientifique ni littéraire, nous n'avons pas cru pouvoir les admettre dans notre recueil.

Il n'en est pas de même des ouvrages diversement intitulés que le public connaît sous le nom général d'Instructions militaires, nom par lequel nous les avons désignés en commençant. Avec son infatigable activité. Frédéric en composa un grand nombre de 1741 à 1785, en mettant sans cesse à profit les lumières que l'expérience lui fournissait. Son but était, comme il le dit lui-même,II-b de rectifier ses propres idées, et d'étudier de nouveau les principes de la guerre ou de les enseigner aux officiers de son armée. Ces Instructions sont de tout point dignes d'entrer dans notre édition des Œuvres du grand roi, soit par leur valeur intrinsèque, soit par leur mérite littéraire, soit enfin par le jour qu'elles jettent sur la vie intellectuelle de leur auteur. L'ordre dans lequel nous les imprimons, savoir, celui de leurs dates, ne contribuera pas moins à faire connaître le développement des idées de Frédéric sur la tactique. Nous ne saurions éviter d'en donner quelques-unes qui touchent au domaine des Règlements; mais comme elles présentent aussi les caractères du genre dans lequel nous les classons, elles forment, pour ainsi dire, la transition des premiers de ces ouvrages à ceux qui nous occupent.

A notre grand regret, nous n'avons pas pu ranger les Instructions en une seule série chronologique, parce que nous avons cru devoir séparer les trente-huit ouvrages en langue allemande des seize qui sont rédigés en français; une traduction des premiers nous aurait offert, il est vrai, l'avantage d'imprimer de suite les cinquante-quatre écrits militaires de l'auguste auteur, mais, en revanche, cela aurait ôté aux pièces traduites une grande partie de leur originalité.

Nous sommes heureux que notre recueil des ouvrages militaires du Roi ait obtenu l'approbation d'un juge aussi éclairé que Son Excellence monsieur le général de cavalerie de Reyher, chef de l'état-major général de l'armée, qui a bien<III> voulu revoir avec l'attention la plus scrupuleuse le texte de toutes les pièces, et qui pousse même l'obligeance jusqu'à relire les épreuves de ces trois volumes. On comprend combien le concours de ses lumières nous a été précieux à tous égards, et quelle reconnaissance nous devons à cet officier distingué.

I. LES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA GUERRE, APPLIQUÉS A LA TACTIQUE ET A LA DISCIPLINE DES TROUPES PRUSSIENNES.

Les Archives royales possèdent trois manuscrits de cet important ouvrage, savoir : deux rédactions différentes en français et de la main de l'Auteur, et une traduction officielle en allemand, écrite par un secrétaire.

La première rédaction originale, conservée aux Archives de l'État (K. 365. G), date de 1746 ou 1747; elle est intitulée : Instruction pour les généraux qui auront à commander des détachements, des ailes, des secondes lignes et des armées prussiennes. Ce manuscrit se compose de quarante-sept pages in-4, sur papier à tranche dorée; il est enrichi de sept plans dessinés rapidement et sans art par l'Auteur lui-même, qui du reste n'y indique ni le temps ni le lieu où il l'a rédigé. Mais comme les exemples cités dans cet autographe sont tirés de la seconde guerre de Silésie, et que les batailles de Hohenfriedeberg, de Soor et de Kesselsdorf y sont mentionnées, la rédaction ne peut pas en être antérieure à l'année 1746. A cette preuve tirée du contenu même de l'ouvrage vient s'enjoindre une qui ne permet plus de conserver aucun doute. Dans son Testament politique (inédit), daté de Sans-Souci, 7 novembre 1768, et conservé aux Archives de la maison royale (149. G), Frédéric dit, p. 45, en parlant des principes fondamentaux de la guerre : « Je joins à cet ouvrage l'Instruction que j'ai donnée à mes généraux. Il ne faut pas s'étonner si vous trouvez quelque contradiction dans ce que j'écris <IV>à présent et ce que contient cette Instruction. La raison en est que j'avais minuté cette Instruction après la paix de 1746, et que, dans les guerres précédentes, l'ennemi ne connaissait ni le terrain ni la tactique, que son artillerie était pitoyable, et que son infanterie ne valait pas mieux. » - Quant au second autographe, il a été achevé le 2 avril 1748.

On ne lira pas sans intérêt le résumé exact que nous allons donner du contenu de l'Instruction pour les généraux. Après une courte introduction vient un premier article, composé de douze règles Pour empêcher les désertions. L'article II traite De la qualité des troupes prussiennes et du mérite qui leur est propre. Les articles suivants ne sont pas numérotés, à l'exception du quatorzième; en voici les titres : Des projets de campagne; - De la subsistance et du commissariat; - De la bière, de l'eau-de-vie, des vivandiers; - Des fourrages secs et verts; - Des campements; - Des sûretés que l'on prend pour la garde du camp; - De la connaissance du pays et du coup d'œil; - De la distribution des troupes; - Des attachements, comment et pourquoi ils doivent se faire; - Des talents qu'il faut à un général; - Des ruses, des stratagèmes de guerre, des espions. - XIV. Autre article. Il y a une autre espèce de ruse qui est admirable, c'est celle des doubles espions, etc. - Des marques par lesquelles on peut deviner les intentions des ennemis; - De la différence des pays, et des précautions auxquelles ils obligent un général; - Des marches d'une armée en avant, ou pour une retraite, ou pour une bataille. NB. Marches pour joindre des secours; - Des retraites en colonnes renversées; - Des précautions qu'on doit prendre dans les retraites contre les hussards et les pandours; - Comment les Prussiens doivent traiter les troupes légères quand nous faisons l'offensive; - De ce qu'un général peut attendre des mouvements qu'il fait faire à son armée; - Des passages des rivières; - De la défense des rivières; - Des surprises des villes; - De l'attaque et de la défense des places; - Des batailles de toute espèce (c'est à ce dernier article que se rapportent les sept plans dont nous avons parlé); - Des raisons de mes nouvelles manœuvres de cavalerie et d'infanterie; - Des chaînes des quartiers d'hiver, et de tout ce qui peut avoir rapport à ces quartiers; - Des campagnes d'hiver.

<V>A la fin de l'ouvrage on lit le mot Dixit; la signature manque.

Quelques-uns des articles que nous avons énumérés sont fort courts, d'autres presque entièrement raturés. On reconnaît dans tous le premier jet des Principes généraux.

Frédéric s'est servi de cahiers de deux et de quatre feuilles; il a mis en tête du premier le titre cité plus haut, et au commencement de chacun des suivants les mots Système de guerre, cahier 2, 3, etc. Il n'y a pas de pagination. Ce manuscrit renferme aussi les articles II, XII et XXIV de l'ouvrage retouché : Des projets de campagne; - Des talents qu'il faut à un général; - De l'attaque et de la défense des places, qui sont omis dans l'édition allemande. Il y a plus de deux pages raturées dans l'article XII.

La seconde rédaction originale est également en entier de la main du Roi; elle est conservée aux Archives de la maison royale (K. 148. G), et intitulée : Les Principes généraux de la guerre, appliqués à la tactique et à la discipline des troupes prussiennes. C'est le même ouvrage, revu et corrigé. Il se compose de trente et un articles et de dix plans coloriés; ces derniers sont d'une main étrangère, mais l'Auteur les a numérotés lui-même. Cet autographe, de trente-neuf pages in-4 serrées, est formé de cinq cahiers de papier à tranche dorée, dont chacun a un titre spécial. Le premier porte en tête : Les Principes généraux de la guerre, appliqués à la tactique, etc.; les quatre autres : Réflexions et maximes militaires. A la fin de l'ouvrage, dont le style est vif, précis et très-caractéristique, se trouve le mot Dixit, et plus bas : Federic, ce 2 d'avril 1748.

Le Prince de Prusse a été la seule personne, que nous sachions, à laquelle son frère ait communiqué le manuscrit de ses Principes généraux, qu'il lui a dédiés.V-a

Le royal auteur tint plus de quatre ans son écrit en réserve. Voici comment il s'exprime à cet égard à la page 50 d'un Testament politique (inédit), daté de Potsdam, 27 août 1762, et conservé aux Archives de la maison royale (104. A) :<VI> « J'ai trouvé à propos d'ajouter à ce Testament politique un traité de l'art militaire appliqué à la tactique et aux évolutions des troupes prussiennes. J'avais composé cet ouvrage il y a quatre ans, et ne l'ayant voulu donner à personne de crainte de l'indiscrétion, je le joins à celui que je viens d'achever aujourd'hui, afin que tout ce qui regarde le gouvernement de cet État, soit en paix, soit en guerre, se trouve réuni ensemble. » Cependant, lorsque des indices certains annoncèrent au Roi que la guerre (de sept ans) ne tarderait pas à éclater.VI-a il fit faire, à l'usage de ses généraux, une traduction allemande des Principes, qu'il livra à l'impression. Les Archives de l'État conservent (K. 148. E) le manuscrit de cette traduction, de cent cinquante pages in-folio. Il a été relié, comme l'original français, en fort papier marbré; mais on voit, par les traces que les compositeurs y ont laissées, qu'il avait été divisé à l'imprimerie. La traduction allemande, de la main d'un secrétaire, fut imprimée comme manuscrit sous le titre de : Die General-Principia vom Kriege, appliciret auf die Tactique und auf die Disciplin derer Preussischen Truppen (sans lieu d'impression), 1763, deux cent quatorze pages grand in-8, signées Friderich.

Les treize plans joints à cette édition ont été tirés sur les planches destinées à l'impression des Principes généraux, impression projetée, mais non exécutée; aussi les mots explicatifs sont-ils en français. L'ordre dans lequel les plans doivent se suivre est indiqué par les lettres A, B, C, et par les chiffres 1 à 10.

La traduction allemande des Principes généraux est, à peu d'exceptions près, fort exacte, soit pour la forme, soit pour le fond des choses. Elle a été considérablement retouchée, et cela, dans le cabinet même du Roi. C'était M. Eichel, conseiller intime de Cabinet, qui servait de secrétaire à Frédéric pour ce travail, et qui a écrit de sa main l'introduction. Plusieurs fautes graves de l'autographe français, en ce qui concerne les noms de localités, ont été corrigées dans la traduction; en outre, un certain nombre de phrases explicatives plus ou moins longues ont été ajoutées. Quant aux articles II, XII et XXIV, dont nous avons parlé à l'occasion du premier texte français, ils se trouvent, à la vérité, dans le<VII> manuscrit de la traduction allemande, mais ils n'ont pas été imprimés avec le reste.

Frédéric considérait son ouvrage comme un traité destiné à l'instruction de tous ses généraux, sans en excepter les plus anciens et les plus expérimentés. Il l'adressa au feld-maréchal comte de Schwerin, par un ordre de Cabinet du 30 janvier 1753, « pour qu'il se mît bien au fait du contenu de cet écrit. »VII-a

Tous les exemplaires des General-Principia vom Kriege qui ont été distribués renferment une préface écrite à la main et datée de Berlin, 23 janvier 1753. On y recommande de garder le plus profond secret sur ce livre. De plus, les divers exemplaires en furent remis et renvoyés dans des étuis de tôle ou de cuir bien fermés,VII-b Cet ouvrage demeura donc inconnu au public, jusqu'au moment où le général-major de Czettritz fut fait prisonnier par le baron de Beck, feld-maréchal-lieutenant autrichien, ce qui arriva le 20 février 1760, près de Cossdorf sur l'Elbe.VII-c Dans les bagages de M. de Czettritz était compris l'exemplaire des General-Principia vom Kriege qui lui avait été confié par le Roi, et qui tomba par conséquent dans les mains des ennemis. Bientôt après (1761), cet ouvrage fut réimprimé à l'étranger, mais inexactement, et il en parut la même année une traduction française, qui à son tour fut remise en allemand en 1762. On trouve sur les premières de ces publications des renseignements détaillés dans les Geständnisse eines Oestreichischen Veterans (par le colonel de Cogniazo), Breslau, 1790, t. III, p. 125. Le public ne connaît encore que la contrefaçonVII-d et ses différentes réimpressions, soit dans l'une, soit dans l'autre des deux langues.VII-e C'est la traduction<VIII> française de la première contrefaçon qui a été reproduite dans les Œuvres de Frédéric II, roi de Prusse, publiées du vivant de l'auteur. A Berlin, 1789, t. III, p. 239-382. Les éditeurs de ce recueil le disent eux-mêmes,VIII-a Mais leur texte présente des lacunes (p. 296, 333, 361 et 367), des notes destinées à faire de la polémique contre Frédéric (p. 271, 282, 340, 366, 378 et 379), et l'on y remarque l'absence de la belle introduction qui est placée en tête de l'édition allemande originale de 1753, p. 1-4, et qui manque dans toutes les contrefaçons.

G. Scharnhorst a réimprimé la première de celles-ci dans son ouvrage, Unterricht des Königs von Preussen an die Generale seiner Armeen, etc., Hanovre, 1794, p. 1-268,VIII-b et son texte a été reproduit dans le livre intitulé : Unterricht Friedrichs II. für die Generale seiner Armee, nebst den von dem Könige späterhin gegebenen Instructionen, neu herausgegeben und mit Anmerkungen in Bezug auf die neuesten Veränderungen der Kriegführung versehen von einigen deutschen Ofcieren,VIII-c Leipzig, librairie Baumgärtner, 1819, t. I, p. 1-291, et t. II, p. 1-180.

Frédéric, ne tenant aucun compte des diverses contrefaçons de ses Principes généraux de la guerre, continua, même après la guerre de sept ans, à remettre<IX> à ses généraux l'édition de 1753, en leur imposant la loi du secret le plus rigoureux. C'est ainsi que, le 20 décembre 1770, il envoya cet ouvrage au général-major de Krusemarck, inspecteur général de la cavalerie du Brandebourg et du pays de Magdebourg, pour tous les généraux de son inspection.IX-a Mais il garda par devers lui le manuscrit original français de 1748; et comme cet autographe fut oublié après la mort du Roi, ce n'est qu'à présent, c'est-à-dire cent huit ans après leur composition, que les Principes généraux parviennent à la connaissance du public sous leur forme primitive.

Nous imprimons le texte autographe de 1748, avec des variantes contenant les additions et les corrections de la traduction allemande de 1753.

Le royal auteur avait décidé de joindre treize plans aux Principes généraux. Les planches originales, gravées sur cuivre, sont conservées à l'état-major général de l'année. Ces planches, à la vérité, ne sont guère en harmonie avec l'impression de notre édition monumentale des Œuvres de Frédéric, et il semble que, artistiquement parlant, il aurait mieux valu en faire dessiner et graver de nouvelles. D'un autre côté, si l'on se place au point de vue plus élevé qui nous dirige dans noire travail, c'est-à-dire, au point de vue historique, il semble préférable de conserver les plans originaux, sur lesquels sans doute les regards du grand monarque se sont arrêtés plus d'une fois; et c'est dans ce sens que Sa Majesté le Roi a daigné résoudre cette question, en ordonnant que les planches originales seraient toutes employées, sans aucun changement, pour en enrichir l'édition que son auguste volonté fait exécuter. Les treize plans forment la première section de l'atlas qui accompagne les Œuvres militaires.

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II. AVANT-PROPOS DE L'EXTRAIT TIRÉ DES COMMENTAIRES DU CHEVALIER FOLARD SUR L'HISTOIRE DE POLYBE.

Jean-Charles de Folard, né à Avignon en 1669, y mourut en 1752. Au commencement de l'année 1748, Frédéric, désirant faire quelques expériences sur le système de cet écrivain militaire, l'invita à se rendre à Berlin pour y assister; mais l'âge de M. de Folard ne lui permit pas d'entreprendre ce voyage,X-a

L'ouvrage de l'auteur français est intitulé : Histoire de Polybe traduite du grec, avec un commentaire par M. de Folard, six volumes in-4, Amsterdam, 1729. Le titre complet de l'Extrait est : Extrait tiré des Commentaires du chevalier Folard sur l'Histoire de Polybe, pour l'usage d'un officier; avec les plans et les figures nécessaires pour l'intelligence de cet abrégé (sans lieu d'impression), MDCCLIII, cent soixante-douze pages in-4.

Frédéric parle de la valeur et du but de son travail dans sa lettre au prince Guillaume son frère, du 12 février 1753 (t. XXVI, p. 126).

Le 6 février 1753, M. de Balbi,X-b lieutenant-colonel du génie, écrivit à M. de Francheville pour lui remettre le manuscrit de l'Extrait et de l'Avant-propos, en le priant, de la part du Roi, de le faire imprimer, mais à cent dix exemplaires seulement.

Les autographes de l'Avant-propos de Frédéric et de la lettre de M. de Balbi à M. de FranchevilleX-c appartiennent à M. le major Louis Blesson.

<XI>Nous ne reproduisons que l'Avant-propos, dont nous avons trouvé le texte imprimé tout à fait conforme à l'autographe.

III. PENSÉES ET RÈGLES GÉNÉRALES POUR LA GUERRE.

L'autographe de cet ouvrage inédit se compose de vingt-neuf pages in-4. Nous en tenons la copie de feu madame la comtesse d'Itzenplitz-Friedland. Les plans, au nombre de neuf, ont été dessinés à la plume dans le texte par l'auguste auteur lui-même, qui communiqua son manuscrit au général de Winterfeldt, en ajoutant à l'envoi les mois suivants : Durchzulesen und mir wieder zu schicken. Winterfeldt renvoya les Pensées au Roi, à Potsdam, le 11 novembre 1755, après les avoir gardées vingt-quatre heures. Il lui adressa en même temps les plus vifs remercîments, et s'exprima sur cet intéressant travail dans les termes les plus flatteurs.XI-a

Il est facile de remarquer, en lisant les Pensées, qu'elles ont été écrites, comme la plupart des ouvrages militaires qui suivent, pour compléter les Principes généraux. On y retrouve les mêmes idées, exprimées souvent dans les mêmes termes. Nous avons cru inutile d'indiquer ces répétitions au lecteur, qui reconnaîtra facilement les passages qu'il aura déjà vus.

Les fac-similé des neuf plans insérés dans le manuscrit du Roi sont réunis à la fin du volume sous les numéros I à IX.

<XII>

IV. INSTRUCTION POUR LE PRINCE HENRI, CHARGÉ DU COMMANDEMENT DE L'ARMÉE EN SAXE.

Cette Instruction, de six pages grand in-4, écrite en entier de la main du Roi, à Breslau, le 11 mars 1758,XII-a se trouve aux Archives de l'État, parmi la correspondance de Frédéric avec le prince Henri (F. 105. Cc). Nous avons eu la satisfaction de la citer, en 1838, dans notre ouvrage, Friedrich der Grosse als Schriftsteller, Ergänzungsheft, p. 76, no 10. Une année plus tard, il en a paru une traduction allemande dans le Militair-Wochenblatt, Berlin, 1839, no 5, p. 18-20. Enfin, l'original a été reproduit dans l'ouvrage de M. K.-W. de Schöning, Der Siebenjährige Krieg, t. I, p. 148-153. Notre texte est exactement imprimé sur le manuscrit de Frédéric.

V. DISPOSITION PRÉALABLE POUR LE MARÉCHAL KEITH, EN CAS QUE LES ENNEMIS VIENNENT ATTAQUER LE CAMP DU ROI, ET VI. DISPOSITION POUR LES COLONELS DE L'ARTILLERIE DIESKAU ET MOLLER.

L'autographe de la première de ces pièces et l'original de la seconde, signés du Roi, sont conservés aux Archives de l'État, parmi la correspondance officielle de Frédéric avec le feld-maréchal Keith (F. 87. N). La Disposition pour celui-ci, sans date, a probablement été écrite le même jour que la Disposition pour l'ar<XIII>tillerie, qui fut envoyée au maréchal, le 30 juin 1758, du camp de Prossnitz, pour être communiquée aux deux colonels,XIII-a

Pour connaître la situation dans laquelle Frédéric se trouvait, et qui lui fit juger nécessaire d'expédier ces pièces, il faut lire. t. IV, p. 218 223, la relation qu'il donne de son expédition en Moravie.

M. K.-W. de Schöning a imprimé ces deux Dispositions dans ses Historisch-biographische Nachrichten zur Geschichte der Brandenburgisch-Preussischen Artillerie, Berlin, 1844, t. II, p. 388 et 389, 113 et 114 mais son texte offre quelques inexactitudes. Nous avons tâché de reproduire les originaux le plus fidèlement possible.

Il a paru une traduction allemande de l'Instruction pour l'artillerie dans le journal de MM. de Decker, de Ciriacy et L. Blesson, Zeitschrift für Kunst, Wissenschaft und Geschichte des Krieges, Berlin, 1828, in-8, t. XII, cahier I, p. 79-81. Cette traduction a été réimprimée dans l'ouvrage de MM. Louis de Malinowsky et Robert de Bonin, Geschichte der brandenburgisch-preussischen Artillerie, Berlin, 1842, t. III, p. 52 et 53.

VII. REFLEXIONS SLR LA TACTIQUE ET SUR QUELQUES PARTIES DE LA GUERRE, OU REFLEXIONS SUR QUELQUES CHANGEMENTS DANS LA FAÇON DE FAIRE LA GUERRE.

Frédéric envoya cet écrit, du 27 décembre 1758, au duc Ferdinand de Brunswic, en mettant de sa main sous le premier titre ces mots, sans date : « Je vous <XIV>envoie, mon cher, mes occupations du quartier d'hiver. Je vous prie que cela ne passe pas au delà de mon neveu. »XIV-a Le second titre se trouve à la troisième page, en tête de la pièce même. Les deux titres et le texte sont de la main d'un secrétaire. Le Roi, en relisant la copie, a rayé (p. 170, l. 20 de notre édition) le mot montré, et mis au-dessus : indiqué. On lit au haut de la première page les mots : Prés. ce 25 janvier 1759, de la main du duc Ferdinand.

Le manuscrit original, que nous reproduisons, est conservé aux archives de l'état-major de l'armée, dans la correspondance du Roi avec le duc de Brunswic, année 1769, volume 336, p. 61-82.

Les Réflexions furent publiées pour la première fois dans l'ouvrage, Tactique et manœuvres des Prussiens. Pièce posthume, par M. le D. de G. (le duc de Gisors), avec quelques lettres et réponses du roi de Prusse à M. le baron de La Motte Fouqué, son lieutenant-général (sans nom de libraire, ni lieu d'impression), 1767, quatre-vingt-six pages. Ce livre contient, p. 45, la Lettre du roi de Prusse au lieutenant-général Fouqué en lui envoyant ses Réflexions sur la Tactique et sur quelques parties de la guerre, Breslau, le 23 décembre 1758; p. 46-74, l'écrit même qui nous occupe, daté de Breslau, 21 décembre 1758, et intitulé : Réflexions sur quelques changements dans la façon de faire la guerre. A la page 75 est insérée la lettre de M. de Fouqué au Roi au sujet des Réflexions, Léobschütz, le 2 janvier 1759. Enfin, l'on trouve, p. 84-86, la réponse du Roi, du 9 janvier 1759. Ces quatre pièces ont été souvent réimprimées; dans les Mémoires du baron de La Motte Fouqué, publiés par M. G.-A. Büttner, t. I, p. 45-71, la pièce principale porte le titre de : Réflexions sur quelques changements à introduire dans la façon de faire la guerre. Mais les éditions antérieures à la nôtre sont incomplètes et inexactes.

On peut consulter, relativement aux Réflexions, dans notre t. XX, p. 129 à 134, nos 9, 11 et 12, la correspondance de Frédéric avec le général Fouqué.

<XV>

VIII. INSTRUCTION POUR LES GÉNÉRAUX-MAJORS DE CAVALERIE.

Cette Instruction, du 16 mars 1759, fut remise au prince Henri le 17. Elle a été publiée, d'après l'exemplaire manuscrit que le Roi en avait envoyé au général Fouqué, avec sa lettre, datée de Rohnstock, 24 mars 1759, dans les Lettres secrètes touchant la dernière guerre, de main de maître, divisées en deux parties. A Francfort, aux dépens de la Compagnie des libraires, 1771, p. 216-223. Le même ouvrage a été réimprimé plusieurs fois, entre autres dans le Recueil de lettres de S. M. le roi de Prusse pour servir à l'histoire de la guerre dernière. A Leipzig, 1772, seconde partie, p. 50-57.

On ne trouve dans les Mémoires du général de La Motte Fouqué ni la lettre de Frédéric, du 24 mars 1759, ni l'Instruction, du 16. Nous imprimons ces deux pièces d'après la première édition, de 1771, dans la persuasion que c'est une traduction faite sur l'original allemand pris par les Autrichiens dans la guerre de sept ans. En effet, l'Instruction pour les généraux-majors de la cavalerie forme le pendant de l'Instruction für die General-Majors von der Infanterie, du 12 février 1759, qui sera imprimée t. XXX.

Nous ajoutons à ce volume, comme Appendice, la lettre de Frédéric à son frère le prince Henri, du 17 mars 1759; quant à l'Instruction même, en allemand, qu'il lui avait remise, nous n'avons pu la découvrir aux Archives.

Berlin, 25 mars 1856.

J.-D.-E. Preuss,
Historiographe de Brandebourg.

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I. LES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA GUERRE, APPLIQUÉS A LA TACTIQUE ET A LA DISCIPLINE DES TROUPES PRUSSIENNES.[Titelblatt]

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LES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA GUERRE, APPLIQUÉS A LA TACTIQUE ET A LA DISCIPLINE DES TROUPES PRUSSIENNES.

[Introduction]

Les guerres que j'ai faites m'ont donné lieu à réfléchir profondément sur les principes de ce grand art qui a élevé ou renversé tant d'empires. La discipline romaine3-a ne subsiste plus que chez nous; il faut de même que, en suivant leur exemple, la guerre nous soit une méditation, et la paix un exercice.3-b

J'ai cru qu'il serait utile de vous communiquer mes réflexions,3-c à vous qui devez avoir la première part au commandement après moi, à vous, à qui un demi-mot doit expliquer mes pensées, à vous enfin qui, dans mon absence, devez agir par mes principes.

J'ai fondu dans cet ouvrage les réflexions que j'ai faites et celles que j'ai trouvées dans les écrits des plus grands généraux; j'en ai<4> formé un corps dont j'ai fait l'application à la discipline de nos troupes.

Je n'écris que pour mes officiers, je ne parle que de ce qui est applicable aux Prussiens, et je n'envisage d'ennemis que nos voisins, ce qui est malheureusement un synonyme. J'espère que la lecture de cet ouvrage convaincra plus que tous mes discours et démontrera à mes généraux que la discipline de nos troupes est le fondement de la gloire et de la conservation de l'État, et que, l'envisageant de ce point de vue, ils s'animeront plus que jamais à maintenir l'ordre dans toute sa vigueur, pour qu'on ne puisse pas dire de nous que nous avons laissé émousser entre nos mains les instruments de notre réputation. Il est beau d'avoir acquis de la gloire; mais, bien loin de s'endormir dans une sécurité blâmable, il faut préparer de loin les moyens dont le temps ou l'événement nous mettra en état de nous servir.

Je fonde tous mes raisonnements sur mes Institutions militaires;4-a et comme c'est le catéchisme des officiers, je ne traite dans cet écrit que ce qui tient à la partie du général et à ce que la guerre a de plus grand et de plus sublime.

ARTICLE Ier. DES TROUPES PRUSSIENNES, DE LEURS DÉFAUTS ET DE LEURS AVANTAGES.

L'institution de nos troupes exige de ceux qui les commandent une application infinie; elles veulent être entretenues dans une disci<5>pline continuelle, elles veulent être conservées avec un soin extrême, et elles veulent être mieux nourries que peut-être toutes les autres troupes de l'Europe.

Nos régiments sont composés la moitié de citoyens, et l'autre moitié de mercenaires;5-a ces derniers, n'étant attachés à l'État par aucun lien, deviennent transfuges à la première occasion, et voilà d'abord un objet important que celui d'empêcher la désertion. Quelques-uns de nos généraux croient qu'un homme n'est qu'un homme, et que la perte d'un individu n'influe point sur la totalité. Mais ce qui peut se dire d'autres armées n'est point applicable à la nôtre : qu'un homme maladroit déserte, et qu'il soit remplacé par un lourdaud, c'est la même chose; mais qu'un soldat qu'on a dressé deux ans de suite pour lui donner le degré d'adresse nécessaire sorte du corps, et qu'il soit mal ou point du tout remplacé, cela tire à conséquence à la longue; et ne voit-on pas que la négligence des officiers du petit détail a abîmé des régiments entiers? J'en ai vu fondre par la désertion à un point étonnant. Des pertes pareilles diminuent l'armée, où le nombre fait toujours beaucoup. Vous perdez donc, si vous n'y tenez pas la main, vos meilleures forces, et vous n'êtes pas en état de les réparer; car, quoiqu'il y ait des hommes dans mes États, y en a-t-il beaucoup de la taille dont sont nos soldats? Et quand même ils y seraient, seront-ils d'abord dressés comme les autres?

C'est donc un devoir essentiel de tout général qui commande une armée ou un corps séparé de mes troupes de prévenir la désertion.

On l'empêche : 1o en évitant de se camper proche de grands bois, si la raison de guerre ne vous y oblige; 2o en faisant souvent visiter les soldats dans leurs tentes; 3o en faisant faire des patrouilles de hussards tout à l'entour du camp; 4o en postant de nuit des chasseurs dans les grains, et en doublant les vedettes de cavalerie le soir, pour<6> que la chaîne soit plus serrée; 5o en ne souffrant point que le soldat se débande, mais en obligeant les officiers de les mener en rang et file à la paille ou à l'eau; 6o en punissant sévèrement la maraude, qui est la source des plus grands désordres; 7o en ne retirant les gardes des villages, les jours de marche, que lorsque l'armée est déjà en bataille; 8o en ne marchant de nuit que lorsqu'une raison importante l'exige; 9o en faisant des défenses rigoureuses pour que, les jours de marche, aucun soldat ne quitte son peloton; 10o en faisant faire des patrouilles de hussards à côté de l'infanterie lorsqu'elle passe les bois; 11o en plaçant des officiers à l'entrée et à la sortie des défilés, pour reformer les troupes; 12o en cachant soigneusement aux troupes les mouvements que l'on est obligé de faire en arrière, et en les couvrant de prétextes qui leur fassent plaisir; 13o en étant toujours attentif à ce que les troupes ne manquent de rien, soit pain, viande, paille, eau-de-vie, etc.; 14o en examinant les raisons de la désertion, lorsqu'elle se met ou dans un régiment, ou dans une compagnie, pour savoir si le soldat a reçu régulièrement son prêt et toutes les douceurs qui lui sont assignées, ou si son capitaine est coupable de malversation.

L'entretien de la discipline n'exige pas moins de soins. On dira peut-être : Les colonels y tiendront la main; mais cela ne suffit pas. Il faut que tout soit monté au plus parfait dans une armée, et que l'on voie que ce qui se fait est l'ouvrage d'un seul homme. La plus grande partie d'une armée est composée de gens indolents; si le général n'est sans cesse à leurs trousses, toute cette machine si ingénieuse et si parfaite se détraquera bien vite, et le général n'aura plus qu'en idée une armée bien disciplinée. Il faut donc s'accoutumer à travailler sans cesse, et ceux qui le feront verront par leur expérience que cela était nécessaire, et qu'il se trouve tous les jours des abus à réprimer que ceux-là seuls ne voient pas, qui ne se donnent pas la peine d'y regarder.

<7>Quoique cette application pénible et continuelle paraisse dure, pourvu qu'un général l'ait, il ne s'en voit que trop récompensé; et quels avantages des troupes si lestes, si braves et si bien disciplinées ne lui donnent-elles pas sur ses ennemis! Un général audacieux chez les autres peuples n'est que dans les règles chez nous; il peut oser et entreprendre tout ce qu'il est possible à des hommes d'exécuter.

Que n'entreprendrait-on pas avec des troupes si bien disciplinées! L'ordre est devenu habituel à toute l'armée; l'exactitude de l'officier et du soldat est poussée au point que tout est prêt une demi-heure avant l'heure marquée, que, depuis l'officier jusqu'au dernier fantassin, personne ne raisonne, mais tout le monde exécute, que la volonté du général est promptement obéie, et que, pourvu qu'il sache bien commander, il peut être sûr de l'exécution. Nos troupes sont si lestes et si agiles, qu'elles se forment en bataille en moins de rien; on ne peut presque jamais être surpris, à cause de la rapidité de leurs mouvements. Voulez-vous vous servir des fusils, quelles troupes font un feu pareil aux nôtres? Les ennemis disent que c'est être exposé à la gueule de l'enfer que de se trouver vis-à-vis de notre infanterie. Voulez-vous que l'infanterie n'attaque qu'avec la baïonnette, quelle infanterie marchera mieux à l'ennemi sans flotter et avec un grand pas? où verra-t-on plus de contenance dans les plus grands dangers? Faudra-t-il faire un quart de conversion pour tomber sur le flanc de l'ennemi, dans un moment ce mouvement s'exécute, et cela même sans la moindre peine.

Dans un pays où le premier état est le militaire, où la fleur de la noblesse sert dans l'armée, où tous les officiers sont gens de naissance, où des citoyens même sont soldats, c'est-à-dire des fils de bourgeois et de paysans, on doit bien se persuader qu'il doit y avoir de l'honneur dans des troupes ainsi composées. Aussi y en a-t-il beaucoup, car j'ai vu des officiers périr plutôt que de reculer; qu'eux et jusqu'au commun soldat ne souffrent point dans leur corps des gens qui ont<8> témoigné des faiblesses qu'on ne relèverait assurément pas en d'autres aimées; j'ai vu des officiers et des soldats fortement blessés, qui n'ont point voulu abandonner leur poste, ni se retirer pour se faire panser. Avec de pareilles troupes on dompterait l'univers entier, si les victoires ne leur étaient pas aussi fatales qu'à leurs ennemis; car vous pouvez tout entreprendre avec elles, pourvu que vous ayez des vivres. Marchez, vous gagnerez de vitesse sur les ennemis; attaquez des bois, vous y forcerez les troupes; gravissez contre des montagnes, vous déposterez ceux qui les défendent; servez-vous des armes à feu, ce sera un massacre; faites agir votre cavalerie, ce sera une boucherie affreuse et la destruction des ennemis.

Mais, comme la bonté des troupes ne suffit pas, et qu'un général, à force d'être malhabile, pourrait détruire d'aussi grands avantages, je vais traiter de la partie du général et prescrire des règles que j'ai apprises à mes dépens, ou que de grands généraux nous ont laissées.

ARTICLE II. DES PROJETS DE CAMPAGNE.8-a

On commence la guerre par les projets de campagne, et, pour l'ordinaire, les voisins d'un prince sont ses ennemis. Nous regarderons donc comme tels les Russes, les Saxons, surtout les Autrichiens. La politique et l'art militaire doivent se prêter la main dans les projets de campagne. Il faut connaître la force du prince auquel on fait la guerre, ses alliés, et le pays qui doit devenir le théâtre de votre honte ou de votre gloire. Quant au nombre des troupes, pourvu que vous puissiez opposer soixante-quinze mille hommes à cent mille, cela doit vous suffire. Quant aux alliances, ou l'on ménage des <9>princes qui sont sollicités par les ennemis, ou on les écrase avant qu'ils puissent joindre leurs forces aux autres; et quant au pays où l'on veut porter la guerre, il est aussi nécessaire d'en avoir une connaissance parfaite qu'il l'est à un homme de connaître l'échiquier, s'il veut jouer aux échecs.

En général, toutes les guerres qui nous éloignent trop de nos frontières ne valent rien, et l'on a vu toutes celles que d'autres nations ont faites de même finir malheureusement. Charles XII vit éclipser sa gloire dans les déserts de Poltawa,9-a l'empereur Charles VI ne put se maintenir en Espagne,9-b ni les Français en Bohême.9-c Tous les projets de campagne qui par conséquent visent à la pointe ne valent rien, et doivent être rejetés comme mauvais.

On forme d'autres projets pour se défendre, et d'autres encore pour attaquer.

Un projet de défensive absolue ne vaut rien; il vous réduit à prendre des camps forts; l'ennemi vous tourne, et, comme vous n'osez pas combattre, vous vous retirez. L'ennemi vous tourne encore, et il se trouve, compte fait, que vous perdez plus de terrain par votre retraite qu'après la perte d'une bataille, et que votre armée se fondra plus considérablement par la désertion qu'après l'action la plus sanglante. Une défensive aussi restreinte que celle que je propose ne vaut rien, car il y a tout à perdre et rien à espérer. Je préférerais donc à cette conduite l'audace d'un général qui risquerait une bataille à propos, car il a tout à espérer, et, dans son malheur même, il lui reste toujours la ressource de la défensive.

Un projet de campagne offensive demande qu'on examine la frontière de l'ennemi, que, après avoir bien discuté sur les points d'at<10>taque, on règle sur ceux-là le lieu où l'armée doit s'assembler, et qu'on pourvoie enfin aux vivres.

Pour rendre ceci plus clair, je vais illustrer mes principes par des exemples, en faisant des projets pour attaquer la Saxe, la Bohême et la Moravie.

S'il s'agit d'attaquer la Saxe, il faut s'emparer de l'Elbe; mais, pour commencer l'expédition, Halle serait le lieu le plus commode pour assembler l'armée. Le grand dépôt serait à Halle, et le magasin principal à Magdebourg. Un général qui ne se pourvoit pas assez de vivres, fût-il supérieur à César, il ne sera pas longtemps héros. On en commet le soin à un homme intègre, discret et habile; on se pourvoit de farines pour toute une campagne, et l'armée même en conduit avec elle pour trois semaines ou un mois. Vous laisserez une garnison à Halle, et vous aurez toutes les attentions possibles pour que l'ennemi, par des trahisons, ne puisse pas endommager votre magasin. Si l'ennemi tient la campagne, il faut lui livrer bataille, pour que vous puissiez pousser vos opérations. Si vous êtes heureux, vous entreprenez le siége de Wittenberg. Cela vous rend maître du cours de l'Elbe, qui doit vous donner vos vivres; vous la remontez toujours jusqu'à Dresde, et vous emparez de cette capitale. Il faut se faire en même temps ces objections : Si l'ennemi prend le poste de Meissen, comment pourrai-je le tourner? ou, s'il prend celui de Kesselsdorf, quelle manœuvre ferai-je pour l'en déposter? Il vient alors dans l'esprit ou de marcher par la droite pour le tourner, ou d'envoyer un détachement de l'autre côté de l'Elbe pour attaquer le Vieux-Dresde, ce qui pourra faire reculer cette armée, ou bien il faut se résoudre de la combattre, comme le fit le prince d'Anhalt.

Si je forme des desseins sur la Bohême, j'examine toute cette frontière qui confine avec la Silésie, et j'y trouve quatre passages plus considérables que les autres.

L'un est à côté de la Lusace, le second est celui de Schatzlar, le<11> troisième est celui de Braunau, et le quatrième va de la comté de Glatz, par Rückerts et Reinerz, droit à Königingrätz. Celui de Friedland, qui est celui de Lusace, ne vaut rien, à cause qu'il n'y a dans ce voisinage aucune place forte en Silésie où l'on puisse former des magasins, qu'il ne conduit en Bohême que par un coin de ce royaume, et qu'enfin le pays, de ce côté-là, est monlueux, fait pour la chicane, et peu abondant en vivres. Le passage de Schatzlar a à peu près les mêmes inconvénients, et si l'ennemi choisit le camp de la hauteur qui est derrière cette ville, il n'y a pas moyen de l'attaquer ni de le tourner, car le chemin de Golden-Oelse est un défilé abominable. Ce chemin n'est donc praticable qu'en cas que l'ennemi n'y soit pas; cependant, comme au débouché de ce coupe-gorge il faut encore défiler auprès de la forêt de Silva,11-a je préférerais à ce chemin celui de Braunau, qui, de tous ceux qui de Silésie vont en Bohême, est le plus facile, à cause que vous avez vos dépôts à Schweidnitz, ce qui est dans le voisinage, et que, en entrant de ce côté-là en Bohême, vous couvrez toute la Basse-Silésie, au lieu que le chemin de Glatz en Bohême ne couvre rien; d'ailleurs, celui de Braunau vaut mieux, en ce que, en toutes les guerres qu'on fait en Silésie, il faut regarder l'Oder comme sa mère nourricière, et cette rivière est plus proche de Schweidnitz que de Glatz, et les chemins de Schweidnitz sont plus faciles pour les chariots que ceux de Glatz. Ainsi, le chemin de Braunau étant le plus praticable à tout égard, on y doit fixer son point d'attaque.

Cela décidé, j'établis mon magasin à Schweidnitz, sous la garde de deux à trois mille hommes; je destine en même temps un corps de sept mille hommes pour couvrir la Haute-Silésie, du côté de Neustadt; et je destine un corps de trois mille hommes pour couvrir l'autre côté de l'Oder, de Cosel à Brieg. Ces deux détachements sont indispensables; ils couvrent le flanc gauche de la Basse-Silésie contre<12> les incursions des Hongrois, qui feraient bientôt sister12-a le train de vos convois et les arrangements qu'on est obligé de prendre pour ses vivres sur ses derrières. Ces deux corps sont d'autant moins aventurés, que Neisse peut servir de retraite à l'un, et Cosel et Brieg à l'autre.

Il est difficile de déterminer la nature des opérations que l'on formera en Bohême, sans avoir premièrement établi le cas de la question. Mon expérience m'a fait voir que ce pays est facile à conquérir, mais difficile à conserver. Ceux qui voudront subjuguer ce royaume se tromperont dans leurs entreprises toutes les fois qu'ils y porteront la guerre; pour prendre la Bohême, il faut attaquer l'Autriche par le Danube et par la Moravie; alors ce grand royaume tombe de lui-même, et on n'a qu'à y envoyer des garnisons.

Si nous faisons seuls la guerre à la reine de Hongrie, nos campagnes seront des défensives revêtues et masquées de tous les attributs d'une guerre offensive. Voici sur quoi j'appuie mon opinion. La Bohême n'a ni villes tenables, ni rivières navigables, ce qui nous oblige à tirer tous nos convois de la Silésie; une chaîne de montagnes que la nature a faite pour la chicane sépare ces deux États. Battez l'ennemi, prenez-lui des villes, vous n'avez rien gagné; car ces villes ne sont pas tenables, vous n'osez pas y hasarder vos magasins, et si vous vous enfoncez dans le pays ennemi, ces montagnes vous resserrent la gorge pour les vivres, l'ennemi vous coupe de vos derrières, et vous risquez de voir périr votre armée par la famine. Comment passer l'hiver dans un pays pareil? Comment assurer vos quartiers? Comment donner du repos aux troupes et les refaire de leurs fatigues? Peut-être dira-t-on : N'avons-nous pas passé l'hiver de 41 à 42 en Bohême?12-b J'en conviens; mais nous n'étions pas seuls; les Fran<13>çais occupaient les Autrichiens, de façon qu'ils ne pouvaient pas penser à nous.

Toutes ces circonstances doivent donc obliger le général de se plier à ses moyens, et de préférer à un projet brillant un projet praticable. Ce projet ne se réduira pas à grand chose, à moins qu'on n'ait une très-grande supériorité sur les Autrichiens. En supposant que tout est égal, je crois que la campagne se bornera à vivre aux dépens de l'ennemi pendant la saison que l'on campe. On doit, avec cela, fourrager radicalement toutes les frontières de la Silésie, pour empêcher l'ennemi d'y entretenir beaucoup de troupes, et l'on doit, sur la fin de la campagne, retourner en Silésie par le pays de Glatz, où les chemins pour une retraite sont les moins mauvais. Ce pays, que vous avez fait fourrager le long de vos frontières pendant l'été, vous donnera de la tranquillité pendant l'hiver.

Si l'on veut attaquer la Moravie, il faudrait former de tout autres desseins. Trois chemins y conduisent : celui de Glatz, par Littau, à Olmütz; celui de Troppau, par Sternberg; et celui de Hultschin et Prérau. Je choisis de ceux-là celui de Jägerndorf, Zuckmantel et Sternberg, à cause qu'il est le plus proche de Neisse. En supposant que mes forces sont égales à celles de l'ennemi, je détache sept à huit mille hommes vers Braunau et Schatzlar, pour couvrir de ce côté la Basse-Silésie. Ces troupes vivront aux dépens de la Bohême, et, si des ennemis trop nombreux se présentent, elles ont une retraite proche et sûre à Schweidnitz. Je fais un second détachement plus important que le premier, dont je confie la conduite au plus habile officier de l'armée. Je l'envoie vers la Jablunka, pour couvrir mon flanc gauche contre les Hongrois, et pour assurer mes convois et les dispositions que je suis obligé de faire en Haute-Silésie pour les vivres de l'armée qui doit agir en Moravie. Comme mon armée dépend de ses subsistances, et que celles-là dépendent du corps de la Jablunka, qui les protége, c'est de la conduite du général qui commande ce<14> corps que j'attends le succès de mes desseins. Selon ce projet, mon principal amas doit être à Neisse, et mon dépôt à Troppau, et cela, parce que Troppau peut être mis en état de défense, et qu'on n'y mettra jamais Jägerndorf; que Troppau peut contenir une garnison honnête, et l'autre ville à peine un bataillon. Je fais un dépôt pour trois mois à Troppau, sans compter un mois de subsistances que je conduis avec l'armée. Je fais lever de la terre à Sternberg et placer des palissades, à cause que c'est le seul lieu qui, sur celte roule, peut donner une espèce de protection à mes convois. Tous ces arrangements faits, mon armée marche à Olmütz, et j'y conduis douze mortiers et vingt-quatre pièces de batterie, pour en faire le siége. On peut saigner toutes les inondations que l'ennemi peut faire à cette place, et d'ailleurs la Morawa n'a que peu de profondeur dans son lit. Si l'on chasse l'ennemi de ce voisinage, la place ne tiendra pas plus de huit ou dix jours de tranchée ouverte. L'attaque est du côté de Wischau;14-a la ville prise, on comble les tranchées, on répare les brèches, et l'on transporte en même temps sous bonne escorte le magasin de Troppau à Olmütz, en même temps que Neisse rafraîchit celui de Troppau. Il faut avancer ensuite sur l'ennemi, qui se sera campé proche de Pohrlitz ou de Wischau,14-b où il se sera refait de ses pertes, et aura peut-être reçu des secours. Il est difficile de le tourner dans les postes qu'il peut y prendre, parce qu'il faut garder le dos vers Olmütz pour le couvrir; mais il faut, pour gagner du terrain, engager une affaire, si cela est faisable, et alors l'ennemi se retirera à Brünn, où il fera ses derniers efforts pour se soutenir, et il se campera, selon toutes les apparences, sur les montagnes qui sont derrière le Spielberg. C'est là le point le plus critique de cette campagne. Le siége de Brünn serait trop difficile, tant que l'ennemi se tiendrait dans le voisinage, et il est difficile de l'en écarter. Voici ce<15>pendant les moyens dont on peut se servir. Il faut envoyer de gros partis vers l'Autriche, pour que les cris des Viennois obligent le général autrichien de courir à leur secours. Si l'ennemi quitte son poste, il faut lui marcher sur le corps pour le combattre, et, la victoire remportée, former le siége de Brünn. On fera venir d'Olmütz pour trois semaines de vivres et l'artillerie de batterie. La ville de Brünn est peu de chose; elle peut tenir huit jours de tranchée ouverte, et le château douze tout au plus. Celte ville prise, on y fait avancer son magasin d'Olmütz, on ravitaille la place, et l'on marche vers Znaim et Nikolsbourg, ce qui forcera l'ennemi de se jeter en Autriche. Quoique les Autrichiens abandonnent la Moravie avec leur aimée, ils ne laisseront pas d'y envoyer leurs troupes légères, l'attachement du peuple et la situation du pays les favorisant entièrement. Ces troupes légères se nicheront à votre droite, dans les montagnes qui prennent du cloître Saar à Trebitsch15-a et Gurein, et à votre gauche, du côté de Hradisch et Napagedla.15-b Il faudra attendre les quartiers d'hiver pour chasser entièrement ces troupes légères de leur repaire, et comme il est à présumer que les troupes hongroises auront abandonné leur dessein sur la Haute-Silésie, on pourra employer en Moravie une partie du corps qu'on leur avait opposé du côté de la Jablunka.

Si j'ai désapprouvé un projet de campagne d'une défensive absolue, ce n'est pas que je ne sente bien qu'on ne peut pas toujours faire une guerre tout à fait offensive; mais je demande qu'un général ne soit gêné par aucun ordre dans sa défensive, et qu'elle soit plutôt une ruse qui, enflant l'amour-propre des ennemis, les induise dans des fautes dont il pourra profiter.

Le plus grand art du général dans la défensive, c'est d'affamer son ennemi; c'est un moyen où, sans rien hasarder, il y a tout à<16> gagner, et voilà ce qu'il faut, ôter au hasard tout ce qu'on peut lui dérober par la prudence et la conduite. La faim vaincra un homme plus sûrement que le courage de son adversaire; mais, comme l'enlèvement d'un convoi ou la perte d'un magasin ne finit pas la guerre, et qu'il faut des batailles pour décider, il est nécessaire d'employer l'un et l'autre de ces moyens pour réussir. Je me contenterai de faire deux projets de défensive selon mes principes, l'un pour la Basse-Silésie, et l'autre pour l'Électorat.

Je suppose que les Autrichiens veulent attaquer la Basse-Silésie du côté de la Bohême, et voici les dispositions par lesquelles je m'oppose à leurs desseins.

J'établis mon magasin principal à Schweidnitz, que je garnis de cinq bataillons et de trois escadrons de hussards; j'établis un dépôt au château de Liegnitz, pour être en état de côtoyer les ennemis, s'ils pénètrent et tournent de ce côté-là; je détache aussi pour Neisse, si le cas l'exige; mais surtout je mets à Glatz une garnison de sept bataillons et de trois régiments de hussards, pour que ce corps puisse entrer en Bohême, enlever les convois de l'ennemi et, s'il se peut, se saisir du magasin de Königingrätz et le ruiner, ce qui ferait perdre toute cette campagne aux Autrichiens, et nous en délivrerait à bon marché. Je ferais camper mon armée du côté de Schönberg et Liebau, ce qui masque le chemin de Schatzlar; alors il ne reste aux ennemis d'entrée en Silésie que par Braunau. Je ferais même retrancher mon camp, pour arborer tous les dehors de la timidité. Si l'ennemi entre en Silésie par Braunau, je le laisserai faire, et j'irai, avant qu'il s'en aperçoive, me camper à son dos; mais, pour faire ces mouvements, il faut avoir du pain et de la farine dans l'armée pour quinze jours. Par cette manœuvre, j'oblige l'ennemi à me combattre, et comme je me vas camper à son dos, il dépend de moi de prendre un champ de bataille où je trouve mes plus grands avantages; je ne risque rien par cette manœuvre, dès que Schweidnitz sera achevé<17> d'être fortifié, et l'ennemi battu dans une pareille rencontre n'a plus de retraite. Mais, supposé que les Autrichiens aillent de leur côté en tâtonnant, il faut alors tomber sur le corps d'un de leurs détachements ou de leur avant-garde, et se servir de la ruse pour les enhardir et pour profiter alors de leur témérité.

La défense du Brandebourg est beaucoup plus difficile, à cause que le pays est ouvert, et que les bois qui confinent avec la Saxe rendent les marches et les camps mauvais; cependant je crois qu'il faudrait s'y prendre ainsi.

Berlin, qui est une ville ouverte et la capitale du pays, doit attirer ma principale attention. Cette ville n'est qu'à douze milles de Wittenberg. Je suppose que l'armée des ennemis s'assemble auprès de cette dernière place. Les ennemis peuvent former trois desseins : l'un, de longer l'Elbe, qui leur deviendrait très-difficile à cause de Magdebourg, qui n'est pas une ville qu'on puisse laisser sur ses derrières; l'autre, par l'Oder et le Nouveau-Canal,17-a qui leur laisserait tout leur pays à découvert, et où on les rejetterait d'abord en Saxe, en marchant à Wittenberg; le troisième dessein est celui de marcher droit à Berlin. La meilleure défensive que l'on puisse faire, c'est de marcher en Saxe, comme nous le fîmes l'hiver de 1745.17-b Se retirer derrière la Sprée ou la Havel, c'est perdre le pays. J'aimerais mieux assembler mon armée auprès de Brandebourg, mettre mes vivres à Brandebourg et Spandow, faire abattre tous les ponts de la Havel, hors ceux de ces villes, et forcer quelques marches pour rencontrer les Saxons dans leur pays, les battre et les mettre à leur tour sur la défensive. On dira tout ce qu'on voudra, mais il n'y a point d'autre parti à prendre.

Les projets de campagne les plus difficiles à faire, ce sont ceux par lesquels on doit s'opposer à beaucoup d'ennemis puissants; c'est<18> alors qu'il faut avoir recours à la politique, pour les brouiller entre eux et pour en détacher l'un ou l'autre par des avantages qu'on leur procure. Quant au militaire, il faut alors savoir perdre à propos (qui veut défendre tout ne défendra rien), sacrifier une province à un ennemi, et marcher, en attendant, avec toutes vos forces contre les autres et les obliger à une bataille, faire les derniers efforts pour les détruire, et détacher alors contre les autres. Ces sortes de guerres ruinent les armées par les fatigues et les marches qu'on leur fait faire, et si elles durent, elles prennent pourtant une fin malheureuse.

En général, les projets de campagne doivent être ajustés aux conjonctures des temps, à l'espèce et au nombre d'ennemis que l'on a; il ne faut jamais mépriser l'ennemi dans le cabinet, mais se mettre dans sa place et penser ce qu'on ferait, si on était de lui. Plus on prévoit d'obstacles dans ses desseins, et moins on en trouve ensuite dans l'exécution. En un mot, il faut tout prévoir, sentir les difficultés et les résoudre.

ARTICLE III. DES SUBSISTANCES ET DU COMMISSARIAT.

« Quand on veut bâtir une armée, dit un grand général, il faut commencer par le ventre; c'en est le fondement. »18-a

Je divise cette matière en deux parties, dont l'une regarde les lieux et la manière d'assembler des magasins, et l'autre les moyens <19>pour rendre ces magasins mobiles. La première règle est de faire vos amas principaux sur vos derrières, et toujours dans une ville fortifiée. Nous avons eu, dans nos guerres de Silésie et de Bohême, notre grand magasin à Breslau, ce qui était pour la commodité de l'Oder, qui le rafraîchissait sans cesse. Quand on fait son principal magasin devant l'armée, on court risque de le perdre au premier échec, et l'on est sans ressource; au lieu que, les mettant par échelons, on ne fait pas la guerre en désespéré, et une petite disgrâce n'entraînera pas votre perte totale. Les magasins de l'Électorat doivent être à Spandow et Magdebourg; celui de Magdebourg devient, à cause de l'Elbe, offensif vers la Saxe, comme celui de Schweidnitz est offensif vers la Bohême.

Il faut avoir une grande attention au choix des commis du commissariat. Si ce sont des fripons, l'État y fait des pertes trop considérables. C'est pourquoi il faut leur donner de fidèles surveillants. On assemble les magasins de deux façons : ou l'on fait livrer les grains par les paysans et les gentilshommes, et on le leur rabat de la contribution, selon la taxe de la chambre; ou, si le pays n'en a pas en assez grande abondance, on fait des contrats avec des livranciers. Le commissaire des guerres doit signer et faire ses contrats lui-même, et nous avons des bateaux faits exprès pour transporter, par le moyen des canaux et des rivières, les farines et l'avoine. Il ne faut avoir recours aux entrepreneurs que dans le dernier besoin. Ce sont des arabes qui mettent le taux aux denrées, et les vendent à un prix exorbitant. Il faut, de plus, former ses magasins d'avance et de bonne heure, pour que tout soit fait lorsque l'armée quitte ses quartiers pour entrer en campagne; car, si l'on tarde trop, ou les gelées empêchent les transports par eau, ou les chemins se trouvent si gâtés qu'on ne peut qu'avec de grandes incommodités rassembler les provisions nécessaires, ou les partis des ennemis dérangent toutes les mesures que l'on avait prises.

<20>Outre les chariots qui conduisent pour cinq jours20-a de pain à la suite des régiments, le commissariat a ses caissons à part, et tout ce charroi pris ensemble peut conduire pour un mois de provisions pour l'armée. Cependant, s'il est possible, il faut se servir des rivières; elles seules peuvent maintenir l'abondance dans l'armée. Il faut que les caissons soient attelés par des chevaux. Nous nous sommes servis de bœufs, et nous nous en sommes mal trouvés. Il faut que des écuyers préposés à ces charrois et à ceux de l'artillerie en aient grand soin, et que le général y tienne la main; car la perte des bêtes diminue le nombre des caissons et par conséquent de vos vivres. De plus, quand les chevaux ne sont pas bien entretenus, leurs forces ne fournissent pas à la fatigue, et vous perdez dans les marches rudes vos chevaux, vos caissons et votre farine. Ces pertes réitérées deviennent de conséquence; elles tiennent aux grands projets de la guerre. Ainsi le général doit avoir une attention particulière à des détails qui lui sont aussi importants. Nous avons l'Elbe pour nous contre la Saxe, et l'Oder pour défendre la Silésie. Il faudrait se servir de la mer en Prusse; en Bohême et en Moravie, l'on ne peut compter que sur les caissons.

L'on forme quelquefois trois ou quatre dépôts de vivres sur une même ligne. Voilà comme nous fîmes en Bohême l'année 1742. Nous avions des magasins à Pardubitz, Nimbourg, Podiebrad et Brandeis, pour être en état de côtoyer les ennemis, et de les suivre vers Prague, en cas qu'ils entreprissent d'y marcher. Dans la dernière campagne que nous avons faite en Bohême, Breslau fournissait Schweidnitz, Schweidnitz fournissait Jaromircz, et Jaromircz nourrissait l'armée. Outre les caissons, l'armée mène avec elle des fours de fer; leur nombre n'était pas suffisant, je l'ai fait augmenter, et il faut, au moindre jour de repos, faire cuire du pain d'avance. Dans toutes les expéditions qu'on entreprend, il faut avoir pour dix jours de<21> pain et de biscuit avec soi. Le biscuit est admirable, mais nos soldats le mangent en soupes, et ne savent pas s'en servir. Quand on marche dans le pays ennemi, on dépose son amas de farine dans une ville voisine de l'armée, que l'on garnit de troupes. Nous avons eu notre farine, l'année 1745, en Bohême, à Neustadt, puis à Jaromircz, et, sur la fin de la campagne, à Trautenau. Si nous étions avancés davantage, nous n'aurions pu faire de dépôt solide qu'à Pardubitz. J'ai fait construire pour chaque compagnie un moulin de main qui sera d'un grand usage. On trouve du blé partout. Au moyen de ces moulins,21-a on le fera moudre par les soldats, qui livreront cette farine au commissariat, et recevront à sa place du pain tout fait. Cette farine, mêlée à portion égale avec la farine royale, ménagera les magasins, et nous fera subsister plus longtemps que nous avons fait dans le même camp, et nous épargnera beaucoup de convois.

Comme j'en suis aux convois, je vais ajouter tout ce qui regarde cette matière. On fait les escortes plus ou moins nombreuses, à proportion des ennemis que l'on a à craindre, et de la quantité de chariots qu'il faut escorter. On garnit les villes où le convoi passe d'infanterie, pour lui procurer des points d'appui; on fait souvent même, comme nous l'avons pratiqué en Bohême, de gros détachements pour couvrir ces convois. Dans tous les pays de chicanes, on fait consister la sûreté des convois dans l'infanterie; nous n'avons ajouté que peu de hussards, pour battre l'estrade et pour avertir l'infanterie des endroits où l'ennemi s'est embusqué. Je me suis aussi servi de l'infanterie dans les plaines préférablement à la cavalerie, parce que je m'en suis bien trouvé. Je renvoie, pour le détail de ces escortes, à mes<22> Institutions militaires;22-a j'ajoute seulement que le général ne saurait jamais prendre assez de précautions pour les assurer.22-b

ARTICLE IV. DES VIVANDIERS, DE LA BIÈRE, DE L'EAU-DE-VIE.

Lorsqu'on veut entreprendre une expédition, le commissariat fait brasser de l'eau-de-vie et de la bière à force sur cette frontière, pour qu'au moins l'armée soit bien pourvue pendant le premier temps. Dès que l'armée est dans le pays ennemi, on se saisit de toutes les brasseries qui se trouvent sous l'inspection du camp, et l'on fait brasser principalement de l'eau-de-vie, pour que le soldat, qui ne peut s'en passer, n'en manque pas. Quant aux vivandiers, on les protége, surtout dans les pays ennemis; si les paysans se sont enfuis et ont quitté leurs maisons, et que par conséquent on ne peut tirer aucun secours de la province où l'on se trouve, on est en droit de ne la plus ménager, et en conséquence on envoie les vivandiers et femmes de soldats au fourrage, pour piller des légumes et des bestiaux. Ensuite de cela, on a l'œil à ce que les prix soient faits dans l'armée avec équité, de façon que le soldat ne soit point surfait, et que le vivandier puisse subsister également. Je dois ajouter que nos soldats reçoivent deux livres de pain par jour, et deux livres de viande par semaine, gratis. On fait venir des hordes de bœufs, qui arrivent à l'ar<23>mée avec les escortes des convois. Cette douceur est due à ces pauvres soldats, surtout en Bohême, où ils font la guerre comme dans un désert.

ARTICLE V. DES FOURRAGES SECS ET VERTS.

Les fourrages secs s'amassent dans les magasins; ils consistent en foin, en paille hachée, en avoine, en orge, etc. Il faut que l'avoine ne soit pas brûlée, ou les chevaux jettent la gourme, et deviennent incapables de servir dès l'ouverture de la campagne. La paille hachée gonfle les chevaux sans les nourrir; cependant on s'en sert encore, parce que c'est l'usage. Les fourrages secs dont on forme des magasins sont à l'intention de prévenir l'ennemi à l'ouverture de la campagne, ou bien pour faire des expéditions d'hiver. Cependant une armée sera clouée à son magasin, tant qu'elle ne vivra que du sec; car le charroi du fourrage attire un embarras d'un détail immense; souvent une province entière ne peut pas fournir tous les chevaux et les chariots qui y sont employés. Sans le secours des grandes rivières, les magasins du sec ne contribuent jamais à l'offensive. Je nourris toute ma cavalerie au sec pendant la campagne de 1741, en Silésie; mais nous ne marchions que de Strehlen à Schweidnitz, où il y avait un magasin, et de Schweidnitz vers Grottkau, où nous étions dans le voisinage de Brieg et de l'Oder.

Lorsqu'on entreprend quelque expédition en hiver, on fait filer pour cinq jours de foin, que le cavalier charge sur son cheval. Lorsqu'on voudra porter la guerre en Bohême ou en Moravie, il faudra attendre que le vert soit venu, ou la cavalerie périra.

<24>Les fourrages verts et les blés se prennent dans les campagnes, et, lorsque la moisson est faite, on fourrage les villages.

Lorsqu'on arrive dans un camp où l'on a l'intention de séjourner, on fait reconnaître les fourrages, et l'on en fait la répartition, en supputant le nombre de jours qu'ils pourront fournir. Les grands fourrages se font toujours sous l'escorte d'un corps de cavalerie et d'infanterie proportionné au voisinage où l'on est de l'ennemi, et à ce que l'on peut avoir à craindre. On fait les fourrages ou de toute l'armée entière, ou par aile. Les fourrageurs se rassemblent du côté du chemin qu'ils doivent suivre, ou aux ailes, ou devant le front, ou derrière l'armée. Les hussards marchent en avant; si le pays est de plaine, la cavalerie les suit; si ce sont des défilés, l'infanterie marche la première, un quart des fourrageurs suit l'avant-garde, ensuite vient l'escorte, toujours mêlée de cavalerie et d'infanterie, les fourrageurs, l'escorte, et ainsi du reste jusqu'à la clôture, que fait l'arrière-garde, suivie d'un gros de hussards.

NB. L'infanterie mène son canon dans toutes les escortes, et les fourrageurs sont toujours armés de leur carabine et de leur épée.

Lorsque l'on arrive à l'endroit qu'on veut fourrager, on forme la chaîne, postant les bataillons dans les villages, derrière des haies ou des chemins creux, mêlant les escadrons de cavalerie entre cette infanterie, et se ménageant une réserve que l'on met dans le centre pour accourir du côté où l'ennemi entreprendrait de percer; les hussards escarmouchent avec l'ennemi, pour l'amuser et l'éloigner du fourrage. Lorsque toute cette disposition est ainsi faite, on distribue le champ du fourrage par corps, et l'on défend aux fourrageurs de sortir de la chaîne. Le général qui commande au fourrage est attentif que les trousses soient grosses et bien faites; lorsque les chevaux sont chargés, on renvoie les fourrageurs par troupes au camp, sous de petites escortes, et le gros du corps se rassemble, quand tout est parti, et fait l'arrière-garde avec les hussards.

<25>On fourrage les villages à peu près de même, à la différence près que l'infanterie se poste autour du village, et la cavalerie à côté et sur les derrières, dans les terrains où elle peut agir.25-a C'est dans les pays montueux que les fourrages sont difficiles à faire; les escortes sont presque toutes d'infanterie et de hussards dans de semblables cas.

Lorsqu'on veut séjourner dans un camp proche de l'ennemi, on commence par enlever les fourrages qui sont entre les deux camps; ensuite on fourrage à une lieue à la ronde, prenant les fourrages éloignés les premiers, vous réservant pour la fin ceux qui sont proche du camp. Si vous prenez un camp de marche ou de passage, vous fourragez dans le camp et le voisinage.25-b

ARTICLE VI. DE LA CONNAISSANCE DU PAYS.

Il y a deux façons de connaître un pays : la première, et par laquelle on doit commencer, c'est en étudiant la carte géographique de la province où l'on doit faire la guerre. On retient les noms des grandes villes et des rivières, on s'imprime les contrées montagneuses, et après s'être fait une idée générale de tout le pays, il faut en venir aux connaissances locales. Celles-là demandent qu'on sache où passent <26>tous les grands chemins, que l'on connaisse la situation des villes, si elles peuvent être défendues en les accommodant, ou si cela n'est pas praticable, de quel côté on pourrait les attaquer, en cas que l'ennemi s'en soit saisi, et quelle garnison elles exigent pour les défendre; il faut avoir le plan des places fortes et avoir étudié leur force et leur faiblesse. On doit connaître le cours des rivières et leur différente profondeur, jusqu'où elles sont navigables, et les endroits où on les peut passer à gué, savoir quels ruisseaux sont impraticables au printemps et desséchés en été; ces connaissances doivent même s'étendre sur les marais principaux de la province. Dans le plat pays, il faut distinguer les contrées abondantes de celles qui ne le sont pas, observer les marches que l'ennemi peut faire ou qu'on ferait soi-même d'une grande ville à l'autre ou d'une rivière à l'autre, remarquer les meilleurs camps qui se trouvent sur ces chemins et se les noter. Les pays de plaines se connaissent bien vite; il semble que ce soit une carte géographique que l'on a couchée devant soi; mais les pays de bois et de montagnes sont difficiles à connaître, parce que la vue y est toujours bornée. Pour acquérir cette connaissance si importante, il faut aller dans ces montagnes à cheval, la carte à la main, ayant avec soi des maires des villages voisins, des chasseurs, des pasteurs, et même des bouchers.26-a Quand il se trouve quelque montagne plus haute que les autres, il faut y monter pour se faire une idée du pays que l'on en peut découvrir. On doit s'informer de tous les chemins, tant pour savoir sur combien de colonnes l'on peut marcher que pour se faire d'avance des projets pour tourner par un tel chemin le camp ennemi, s'il se place à un tel endroit, ou pour se mettre sur son flanc, s'il se place autre part. Il faut reconnaître avec soin des camps de défensive dont on pourrait avoir besoin, des champs de<27> bataille, et les endroits que l'ennemi pourrait occuper; il faut surtout s'imprimer profondément les postes les plus importants, les gorges de certains défilés et les positions principales de ces contrées, et réfléchir sur toutes les opérations de guerre qui pourraient se faire dans ces lieux, pour que ces idées se trouvent arrangées si nettement dans l'esprit, qu'on ne soit embarrassé de rien lorsque la guerre s'y fait. Ces méditations doivent être profondes et bien digérées, et il faut se donner tout le temps que des matières de cette importance demandent; lorsqu'on n'a pas bien vu la première fois, il faut retourner une seconde, revoir et examiner encore. J'ajoute pour règle générale que tous les camps que l'on choisit, soit offensifs, ou défensifs, doivent avoir de l'eau et du bois dans leur voisinage, et quand même le front de ces camps est fort, il faut que le derrière en soit ouvert, pour qu'on en puisse sortir facilement. S'il est nécessaire d'acquérir la connaissance d'un pays voisin où la bienséance ne permet pas qu'on voyage de cette façon, il faut y envoyer des officiers habiles, sous divers prétextes, ou, s'il le faut même, on peut les envoyer déguisés. On les instruit des choses qu'ils doivent remarquer, et on se note sur la carte les lieux ou les camps dont ils rendent compte. Cependant, toutes les fois que l'on peut voir par ses propres yeux, il le faut faire.

ARTICLE VII. DU COUP D'ŒIL.

Ce qu'on appelle le coup d'œil du général consiste en deux choses, dont l'une est le talent de juger sur-le-champ le nombre de troupes que peut contenir un terrain. Celui-là s'acquiert par la pratique, et lorsque l'on a tracé soi-même quelques camps, l'œil s'y forme, et ne <28>se trompe que très-peu sur les dimensions. L'autre talent, qui lui est tout à fait supérieur, est celui de juger dès le premier moment de tous les avantages que l'on peut tirer du terrain; l'on peut acquérir ce talent et le perfectionner, pourvu que l'on soit né avec un génie heureux pour la guerre. Le fondement de cette espèce de coup d'oeil est sans contredit la fortification. Il y a des règles de la première que l'on applique à la position des aimées; ainsi le général habile lire parti de la moindre hauteur, d'un chemin creux, d'un ravin, d'un marais; et comme dans le carré d'une lieue de terrain il y a peut-être deux cents positions à prendre, son œil saisira à l'instant la meilleure, et le général habile montera sur la moindre hauteur pour découvrir le terrain et pour choisir sa position, de même qu'il verra par les règles de la fortification le lieu faible de la bataille des ennemis.28-a

Les avantages que nous apprenons par les règles de la fortification sont d'occuper soigneusement les hauteurs, et de les choisir de la sorte qu'elles ne soient pas dominées par d'autres, d'appuyer les ailes pour garder son flanc, d'occuper des lieux susceptibles de défense, et de n'en point prendre de ceux qu'un honnête homme ne saurait soutenir sans risquer sa réputation. On juge par la même règle des endroits faibles de l'ennemi, soit qu'ils le soient par un vice de la position locale, ou par la distribution défectueuse des troupes, ou par la faiblesse des défenses. Ceci m'amène au sujet de la façon dont il faut distribuer les troupes pour profiter du terrain.

<29>

ARTICLE VIII. DE LA DISTRIBUTION DES TROUPES.

La connaissance et le choix du terrain sont des parties essentielles; mais il faut en savoir profiter en distribuant les troupes dans des lieux qui leur sont convenables. Notre cavalerie, qu'on a dressée pour agir avec vigueur, demande des plaines; notre infanterie est également bien partout; elle a le feu pour défensive, et la baïonnette pour offensive. Mais comme on prend ses sûretés dans des camps qui sont proches de l'ennemi, et comme ce grand voisinage pourrait engager une affaire d'un moment à l'autre, on commence à pourvoir à sa défensive. La plupart des ordres de bataille modernes sont vicieux, en ce qu'ils suivent tous la même méthode, sans avoir égard au terrain, qui en rend l'application fausse et mauvaise. Il faut placer chaque arme dans le lieu qui lui est convenable; on choisit la plaine pour la cavalerie, mais cela ne suffit pas; si cette plaine ne contient que mille pas, et qu'il y ait un bois qui la borne, on doit supposer que l'ennemi y placera de l'infanterie pour rallier la cavalerie sous son feu. En ce cas, il faut changer la disposition, mettre de l'infanterie sur l'extrémité de votre aile, pour qu'elle puisse protéger à son tour votre cavalerie. On place quelquefois tous les gens de cheval sur une aile, quelquefois en seconde ligne; en d'autres temps, on assure les deux ailes par une ou deux brigades d'infanterie. Les postes convenables à cette arme sont toutes les hauteurs, les cimetières, les chemins creux, les ravins; et, en disposant les troupes de cette façon, on ne doit jamais craindre d'être attaqué par l'ennemi. Mais si vous postez votre cavalerie derrière un marais, vous n'en pouvez rien attendre; si vous la mettez proche d'un bois, l'ennemi peut y glisser des troupes, la fusiller de là et la mettre en confusion, <30>sans qu'elle puisse se défendre. De même, si vous aventurez de l'infanterie dans une plaine sans assurer ses flancs, l'ennemi profitera de votre faute, et l'attaquera du côté par lequel elle ne saurait se défendre. Il faut donc toujours avoir égard aux lieux où l'on se trouve. Dans les pays de montagnes et de postes, je mettrais ma cavalerie en seconde ligne, et je ne l'emploierais dans la première qu'aux endroits seuls où elle pourrait agir, ne fût-ce que quelques escadrons, pour tomber sur le flanc de l'infanterie qui voudrait risquer de m'attaquer. J'ajoute comme une règle générale que dans toutes les armées bien conduites il doit y avoir une réserve de cavalerie dans les plaines, et de l'infanterie, avec quelques dragons ou hussards, dans les pays de chicane.30-a

ARTICLE IX. DES DIFFÉRENTS CAMPS.

30-bLe général qui commande doit choisir son camp lui-même, à cause que du choix de ce lieu dépend le succès de son entreprise. Il devient quelquefois son champ de bataille, et comme il y a beaucoup de choses à observer dans cette partie de l'art militaire, je serai obligé <31>d'entrer dans un assez grand détail. Je renvoie la façon de camper les troupes à ce que j'en ai dit dans mes Institutions militaires;31-a je ne parle ici que des grandes parties de la guerre, et de ce qui regarde le général.

Tous les camps que l'on prend se rapportent en gros à deux objets, dont l'un est la défensive, et l'autre l'offensive.

1. CAMPS D'ASSEMBLBÉE.

Les camps d'assemblée sont de la première espèce, et l'on n'a en vue que la commodité des troupes; elles campent par corps, proche des magasins, et de façon cependant que l'armée puisse se former en rang de bannière31-b en peu de temps. Ces camps étant éloignés de l'ennemi, on n'a rien à appréhender. Le roi d'Angleterre campa très-imprudemment de cette façon aux bords du Necker,31-c vis-à-vis des Français, et il pensa être battu à Dettingen. La règle générale que l'on observe dans tous les campements, c'est de les choisir de façon que les troupes aient du bois et de l'eau à portée, et nous nous retranchons comme les Romains, pour éviter les entreprises que les troupes légères, que nos ennemis ont en grand nombre, pourraient tenter pendant la nuit, et pour empêcher la désertion; car j'ai toujours trouvé que nous en avions moins lorsque nous avions joint les redans tout à l'entour du camp que lorsque nous avions négligé cette précaution.31-d

<32>

2. LES CAMPS DE REPOS.

Les camps de repos sont ceux où l'on attend ou sur le vert, ou sur l'ennemi; on veut qu'il se déclare, pour se régler sur ses manœuvres. Comme on y cherche la tranquillité, on les prend de façon, ou qu'ils soient couverts d'une rivière, ou de marais, enfin de manière que leur front soit inabordable. Le camp de Strehlen était de ce genre. Quand les ruisseaux sont petits, on y fait des digues, et l'on vient à son but par le moyen des inondations.

Le général, bien loin d'être oisif dans un camp de cette espèce, n'ayant pas de grands soucis du côté de l'ennemi, peut tourner son attention du côté de son armée, et ce repos est propre à remettre la discipline en vigueur, à examiner si le service se fait à la rigueur, selon que je l'ai prescrit dans mes Institutions militaires, si les officiers sont vigilants aux gardes, à observer s'ils savent tout ce qu'ils doivent faire à leur poste, à examiner si toutes les gardes, soit de cavalerie, ou d'infanterie, sont placées selon les règles que j'en ai prescrites. Il faut faire exercer l'infanterie trois fois par semaine, les recrues tous les jours, et quelquefois on fait manœuvrer des corps entiers ensemble. La cavalerie exercera de même, si elle ne fourrage pas, et le général tiendra la main à ce que les jeunes chevaux et les nouveaux cavaliers soient bien dressés; il examinera le complet de chaque corps; il verra les chevaux, et donnera des louanges aux officiers qui en ont soin, et des réprimandes sévères à ceux qui les négligent; car il ne faut pas croire qu'une grande armée s'anime d'elle-même; il y a des négligents, des paresseux partout en grand nombre, et c'est au général à les pousser sans cesse et à les tenir à leur devoir. Ainsi ces camps de repos, lorsqu'on les emploie comme je viens de l'indiquer, deviennent d'une utilité infinie, et l'ordre qu'on y renouvelle avec l'égalité des corps se conserve pendant toute la campagne.

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3. CAMPS DE FOURRAGE.

Les camps de fourrage se prennent quelquefois proche, quelquefois loin de l'ennemi. Je ne compte parler que des premiers. On les choisit dans les contrées les plus abondantes, et l'on prend un terrain fort par sa nature pour y camper, ou on le rend fort en remuant la terre. Il faut que les camps de fourrage soient forts lorsqu'ils se trouvent dans le voisinage de l'ennemi, car il faut regarder un fourrage comme un détachement. Souvent la sixième partie et quelquefois la moitié de l'armée s'y trouve, ce qui fournit une belle occasion à l'ennemi de vous attaquer à votre désavantage, si la force du poste ne l'en détourne pas. Cependant, quand même votre poste est admirable, quand même il semble que vous n'ayez rien à craindre, il faut encore prendre d'autres précautions. On garde le secret sur les jours et les lieux que l'on veut fourrager, et on n'en donne la disposition au général qui doit commander ce corps que le soir, sur le tard; de plus, on met en campagne le plus de partis que l'on peut, pour être informé des mouvements que fait l'ennemi, et, s'il se peut, on tâche de faire ses fourrages les mêmes jours qu'il fait les siens, car alors on n'a rien du tout à risquer.33-a

Le camp que le prince de Lorraine avait derrière Königingrätz33-b était par sa nature inattaquable et propre pour le fourrage, et celui que nous occupâmes auprès de Chlum33-c fut rendu tel par l'art, c'est-à-dire par l'abatis que je fis faire sur la droite, et par les redoutes que je fis élever pour couvrir le front de l'infanterie.

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4. CAMPS RETRANCHÉS.

L'on se retranche dans son camp lorsqu'on fait le siége d'une ville, ou lorsqu'on veut défendre un passage difficile, où l'on aide la nature du terrain par des ouvrages de fortification, pour être à l'abri des insultes de l'ennemi. Voici les règles qu'il faut observer dans tous les retranchements en général : en bien choisir la situation; mettre à profit tous les marais, ruisseaux, inondations ou abatis qui en peuvent rétrécir l'étendue; les faire plutôt trop étroits que trop étendus, à cause que ce n'est pas le retranchement qui arrête l'ennemi, mais les troupes que vous lui opposez. Je ne voudrais donc jamais faire de retranchement, à moins de le pouvoir border d'une ligne contiguë de bataillons, et conserver encore une réserve d'infanterie pour la porter où il en pourrait être besoin. Les abatis, de même, ne sont bons que tant qu'ils sont défendus par l'infanterie. Il faut surtout prendre bien garde que le retranchement soit bien appuyé à l'entour des villes qu'on assiége. Il aboutit, pour l'ordinaire, à quelque rivière. Le fossé du retranchement doit entrer dans cette rivière aussi loin qu'il ne trouve plus de fond, et qu'elle n'est plus guéable. Si l'on néglige cette précaution, on risque d'être tourné. Je dois ajouter qu'un soin principal qu'on doit prendre, c'est de se pourvoir de vivres d'avance lorsqu'on se retranche à l'entour d'une ville que l'on veut assiéger. Les retranchements doivent, de plus, être bien flanqués, pour qu'à chaque point d'attaque l'ennemi ait à essuyer quatre à cinq feux qui croisent sur lui. Les retranchements dans les gorges de montagnes exigent beaucoup de soin et de précaution, surtout pour qu'on garde bien ses flancs; on fait pour cet effet sur les deux ailes des redoutes où on les appuie, et quelquefois le retranchement fait un recoude, pour que le corps qu'on y poste n'ait pas lieu de craindre qu'on puisse le tourner. Les habiles gens savent l'art d'obliger l'ennemi à des points d'attaque, et ceux-là, ils les fortifient <35>du double, par exemple, en rendant les fossés plus profonds, en y mettant des palissades et des fraises aux bermes, en donnant aux parapets assez d'épaisseur pour qu'ils résistent au canon, et en faisant faire des trous de loup à l'entour de ces endroits qui sont les plus exposés.35-a

5. DES CAMPS DÉFENSIFS.

Je vais parler à présent de ces camps défensifs qui ne sont forts que par le terrain, et qui n'ont d'autre objet que d'empêcher l'ennemi de vous attaquer.

Lorsque ces situations doivent répondre parfaitement à l'usage que l'on en veut faire, il faut que le front et les deux côtés soient d'une force égale, et le derrière ouvert et libre. Ce sont des hauteurs qui ont le front escarpé et les flancs couverts de marais, comme celui de Marschowitz, où se tint le prince de Lorraine,35-b ou bien couverts d'un ruisseau de marais par le front et d'étangs par les flancs, comme était celui de Konopischt,35-c où nous campâmes l'année 1744; ou bien l'on se met sous la protection d'une place forte, comme M. de Neipperg, qui choisit, après la perte de la bataille de Mollwitz, un camp admirable auprès de Neisse. Il est vrai qu'un général qui choisit des camps forts est inattaquable pendant qu'il s'y tient; mais lorsque l'ennemi fait des marches pour le tourner, il est <36>obligé de quitter son poste. Ainsi un général qui veut faire la défensive en prenant des camps forts en doit avoir un choix tout fait, pour n'avoir besoin que de marcher dans un autre camp fort sur ses derrières, dès que l'ennemi le tourne. La Bohême est le pays des camps forts; on est obligé d'en prendre là par force, parce que la nature a fait de ce royaume un pays de chicane. Je le répète encore, qu'un général y prenne bien garde, et qu'il ne tombe pas dans une faute irréparable par le choix vicieux de ses postes, et qu'il ne se mette pas dans un cul-de-sac, dans un terrain où il ne peut entrer que par un défilé. Si l'ennemi est habile, il l'y renfermera, et, ne pouvant combattre faute de terrain, il essuiera la plus grande ignominie qui puisse arriver à un homme de guerre, c'est-à-dire, de mettre les armes bas sans pouvoir se défendre.

6. DES CAMPS QUI COUVRENT LE PAYS.

Les camps qui couvrent le pays regardent plus un certain lieu que la force du lieu même; c'est le point d'attaque par où l'ennemi peut percer que l'on occupe. Ce ne sont pas tous les chemins par lesquels il peut venir, mais celui qui le mène à son plus grand dessein, et le lieu où, en se tenant, on a moins à craindre de l'ennemi, et d'où l'on peut lui donner le plus d'appréhensions; enfin un lieu qui oblige l'ennemi à beaucoup de circonspection et de marches, et qui me mette en état de parer à tous ses desseins par de petits mouvements. Le camp de Neustadt défend toute la Basse-Silésie et une partie de la haute contre les entreprises que peut former une armée qui est en Moravie. On prend devant soi la ville de Neustadt et la rivière de Hotzeplotz, et de là, si l'ennemi voulait pénétrer entre Ottmachau et Glatz, il n'y aurait qu'à se porter entre Neisse et Ziegenhals, dans un camp très-fort, pour le couper de la Moravie. Par la même raison, il n'oserait marcher du côté de Cosel; car, en mar<37>chant alors entre Troppau et Jägerndorf, vous lui coupez tous ses convois, et il y a des camps très-bons et très-forts à prendre. Il y a entre Liebau et Schönberg un camp de la même importance pour couvrir la Basse-Silésie contre la Bohême, comme je l'ai dit plus haut. On s'accommode dans ces lieux le mieux que l'on peut, selon les règles que j'en ai données. J'y ajoute deux choses : l'une, que les tentes ne doivent jamais être mises sur le lieu que vous choisissez pour votre champ de bataille; l'autre, que votre champ de bataille ne doit être qu'à une demi-portée de fusil quand vous avez une rivière devant vous.

Le Brandebourg ne saurait être couvert par aucun camp, parce que le pays a trente lieues et plus de longueur, et qu'il est ouvert. Pour le défendre contre la Saxe, il faut prendre Wittenberg et s'y camper, ou bien imiter l'expédition de l'hiver de 1745. Du côté du pays de Hanovre, il y a le camp de Werben,37-a qui défend et couvre tout.

7. DES CAMPS OFFENSIFS.

Les camps offensifs sont ouverts par le devant et couverts sur les ailes, par cette raison qu'on ne peut rien attendre des troupes, si l'on n'a pas prévu à garder leur flanc, qui est la partie faible de toutes les armées. Tel était notre camp de Czaslau avant la bataille, en 1742; tel était celui de Schweidnitz avant celle de Friedeberg, en 1745; tel était celui de Neudorf, auprès de Neisse, en 1741. Je dois ajouter que nous garnissons toujours les villages qui se trouvent sur les ailes ou devant notre camp, mais que l'ordre est d'en retirer les troupes, si c'en vient à une affaire, à cause que, dans notre voisinage, les villages sont de bois et mal bâtis, et que, les ennemis y mettant le feu, on perdrait les troupes qu'on y a postées. J'excepte de cette règle les cassines <38>massives et les cimetières, pourvu qu'il ne se trouve aucune maison de bois dans le voisinage. Cependant, notre principe étant d'attaquer et non pas de nous défendre, il ne faut garnir de postes semblables que lorsqu'ils sont dans le front ou devant les ailes; ils protégent l'attaque de vos troupes, et ils incommodent fort les ennemis pendant la bataille.38-a

ARTICLE X. DES SURETÉS QUE L'ON PREND DANS SON CAMP.

Les piquets d'infanterie couvrent le front de la première ligne; lorsqu'il y a une rivière devant vous, on pousse les piquets jusqu'à ses bords. Les piquets de la seconde ligne couvrent vos derrières. Les piquets sont enfermés dans des redans qu'on joint les uns aux autres par de légers retranchements,38-b ce qui rend votre camp retranché selon l'usage des Romains. On garnit les villages qui sont sur les ailes et à un petit quart de mille devant le front de l'armée; on occupe même des postes à un quart de mille à la droite ou à la gauche, s'ils défendent un défilé, un pont ou quelque passage. Les corps de garde de cavalerie se postent selon les règles que j'en ai données dans mes Institutions militaires.38-c Nous n'avons eu, sur quatre-<39>vingts escadrons, que trois cents hommes de garde. J'en excepte les cas d'une grande proximité de l'ennemi, surtout lorsque rien ne sépare les deux armées. L'on pousse pour l'ordinaire une avant-garde du côté où est l'ennemi, par la droite, comme nous le fîmes avant la bataille de Friedeberg en marchant à Schweidnitz, en avant, comme nous le fîmes avant que d'entrer en Lusace et de marcher à Naumbourg. Il faut que les armes soient mêlées dans les avant-gardes, par exemple, deux mille hussards, quinze cents dragons et deux mille grenadiers. Toutes les fois que vous poussez un corps semblable en avant, il faut que le général qui le commande soit habile; et comme il ne va point en avant pour combattre, mais pour avertir, il doit prendre de bons camps derrière des défilés ou derrière des bois dont il est le maître, et il doit avoir continuellement des batteurs d'estrade en campagne, pour être à chaque moment informé de ce qui se passe dans le camp des ennemis. De plus, il faut que les hussards que vous avez dans votre camp fassent des patrouilles sur vos flancs et sur vos derrières, pour que votre précaution ne laisse rien échapper de ce qui peut vous assurer contre les entreprises de l'ennemi. Si beaucoup de troupes légères se mettent entre votre avant-garde et vous, marchez à son secours; c'est un signe que l'ennemi a formé un dessein sur elle. Pour achever tout ce qu'il y a à dire sur cette matière, j'ajoute que les généraux qui cantonnent ne doivent jamais prendre d'autres villages que ceux qui sont entre les deux lignes, ou ils courront risque d'être enlevés.

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ARTICLE XI. QUAND ET POURQUOI IL FAUT FAIRE DES DÉTACHEMENTS.

C'est une ancienne règle de guerre, et je ne fais que la répéter : si vous séparez vos forces, vous serez battu en détail; si vous voulez livrer bataille, rassemblez le plus de troupes que vous pourrez; on ne saurait les employer plus utilement. Cette règle est si sûre, que tous les généraux qui s'en sont écartés ont presque tous eu lieu de s'en repentir. Le détachement d'Albemarle, qui fut battu à Denain,40-a perdit toute la campagne du grand Eugène; Starhemberg, séparé des Anglais, perdit en Espagne la bataille de Villaviciosa;40-b les détachements furent funestes aux Autrichiens pendant les dernières campagnes qu'ils firent en Hongrie; Hildbourghausen fut battu à Banjaluka,40-c Wallis40-d reçut un échec aux bords du Timoc; et enfin les Saxons furent battus à Kesselsdorf,40-e à cause qu'ils n'avaient pas attiré à eux le prince de Lorraine, comme ils le pouvaient faire. J'aurais mérité d'être battu à Soor, si l'habileté de mes généraux et la valeur des troupes ne m'eussent préservé de cette disgrâce. Mais, me dira-t-on, il ne faut donc point détacher? Je réponds qu'il le faut bien quelquefois, mais que c'est une manœuvre très-délicate, qu'il ne faut faire que pour des raisons valables, et encore à propos, et lorsque les circonstances le permettent. Si vous agissez offensivement, ne détachez jamais; si c'est dans un pays ouvert, et que vous êtes maître de quelques places, ne détachez que pour assurer vos <41>convois. Toutes les fois que vous ferez la guerre en Bohême ou en Moravie, vous serez bien obligé de détacher pour la sûreté de vos vivres, car les chaînes de montagnes que les convois ont à passer demandent qu'on couvre ces convois par des détachements, ou que vous y envoyiez des corps qui y campent et y restent jusqu'à ce qu'il vous soit venu assez de vivres pour subsister pendant quelques mois, et que vous soyez maître de quelque place dans le pays ennemi, où vous puissiez établir votre dépôt. Pendant que vous faites de ces sortes de détachements, il faut prendre des camps forts où vous puissiez attendre qu'ils vous aient rejoint.

Je ne compte point les avant-gardes au nombre des détachements, à cause qu'elles sont à portée de l'armée, et qu'on ne les aventure jamais trop en avant. Lorsqu'on est sur la défensive, on est souvent obligé de détacher. Ces détachements que j'avais en Haute-Silésie, se trouvant à portée des forteresses, y étaient en sûreté, comme je l'ai dit plus haut. Les officiers qui commandent des détachements doivent être fermes, hardis et prudents. Leur chef leur donne des instructions générales; mais il faut qu'ils sachent prendre conseil d'eux-mêmes, avancer sur l'ennemi ou se retirer, selon que les circonstances le demandent. Ils doivent toujours se retirer devant des forces supérieures, et profiter du nombre quand il est de leur côté. Souvent ils se retirent de nuit à l'approche de l'ennemi, et quand celui-là les croit en fuite, ils reviennent brusquement, le chargent et le mettent en déroute. Pour les troupes légères, ils ne doivent que les mépriser. Un officier qui commande un détachement commence à pourvoir à sa sûreté, et, dès que cela est fait, il forme des desseins sur l'ennemi; car, s'il veut dormir en repos, il ne faut pas qu'il y laisse dormir l'autre. En formant toujours des projets et en en exécutant un ou deux avec bonheur, il met son ennemi sur la défensive. Lorsque ces détachements sont voisins de l'armée, ils y tiennent par quelque ville ou quelque bois qui y communique.

<42>La guerre défensive invite et conduit naturellement aux détachements. Les petits génies veulent tout conserver, les hommes sensés ne voient que l'objet principal; ils parent les grands coups, et souffrent un petit mal pour en éviter un de plus grande conséquence; qui conserve tout ne conserve rien.42-a La partie essentielle où il faut s'attacher, c'est à l'armée de l'ennemi; il faut deviner son véritable dessein, et s'y opposer de toutes ses forces. Nous abandonnâmes la Haute-Silésie au pillage des Hongrois, l'année 1745, pour nous opposer avec plus de force aux desseins du prince de Lorraine,42-b et nous ne détachâmes qu'après l'avoir bien battu; Nassau chassa ensuite en quinze jours les Hongrois de toute la Haute-Silésie.

Il y a des généraux qui détachent avant que d'attaquer l'ennemi, pour que ce corps arrive pendant l'affaire, et tombe sur les derrières de l'ennemi. Cela est dangereux, à cause que ces détachements sont sujets à s'égarer, à arriver trop tard ou trop tôt. Charles XII détacha la veille de la bataille de Poltawa; le détachement s'égara, et le Roi fut battu. Lorsque le prince Eugène voulut surprendre Crémone, il manqua son coup, à cause que le détachement du prince Vaudemont, qui devait attaquer la porte du Pô, arriva trop tard. Il ne faut détacher dans les batailles que comme Turenne le fit à Colmar,42-c où il présentait sa première ligne vis-à-vis du front de l'électeur Frédéric-Guillaume, et où sa seconde ligne se glissa par des chemins creux sur le flanc de ce prince, qu'elle attaqua et qu'elle fit plier; ou comme fit M. de Luxembourg à la bataille de Landen, où, à la faveur du blé, qui était fort haut, il fit passer un corps d'infanterie sur le flanc du prince Guillaume d'Orange, et gagna la bataille par cette manœuvre.42-d

<43>On ne doit détacher qu'après des batailles, pour la sûreté des convois, ou bien il faut que les détachements ne se fassent tout au plus qu'à un demi-mille du camp.

En finissant cet article, j'avertis que les détachements les plus dangereux et les plus condamnables sont ceux qui affaiblissent farinée d'un tiers ou de la moitié.

ARTICLE XII. DES TALENTS QU'IL FAUT A UN GÉNÉRAL.43-a

Un parfait capitaine est un être de raison; c'est la république platonicienne, c'est le centre de gravité des philosophes, c'est l'or potable des chimistes. La perfection est incompatible en tout genre avec l'humanité; mais le sentiment de notre imperfection ne doit pas nous empêcher de tracer de parfaits modèles, pour que ces âmes généreuses, animées d'un principe d'honneur et d'émulation, en approchent en partie, si elles ne peuvent pas l'imiter en entier.

Ce ne sont, après tout, que les grands exemples et les grands modèles qui forment les hommes; et si des héros comme Eugène, Condé, Turenne ou César attirent notre admiration, combien plus ne doit-on point être ému par un tableau qui nous représente leurs différentes perfections réunies ensemble! Combien de vertus contradictoires n'entrent pas dans la composition d'un général!

Je suppose, devant toutes choses, qu'il soit honnête homme et bon citoyen, qualités sans lesquelles l'habileté et l'art de la guerre <44>sont plus pernicieux qu'utiles. On demande, de plus, qu'il soit dissimulé, paraissant naturel, doux et sévère, sans cesse défiant et toujours tranquille, ménager par humanité et quelquefois prodigue du sang de ses soldats, travaillant de la tète, agissant de sa personne, discret, profond, instruit de tout, n'oubliant pas une chose pour en faire une autre, et ne négligeant pas comme étant au-dessous de lui ces petits détails qui tiennent si fort aux grandes choses.

Je recommande toutes ces qualités, à cause de leur importance. En voici la raison. L'art de cacher sa pensée, ou la dissimulation, est indispensable à tout homme qui a de grandes affaires à conduire. Toute l'armée lit son sort sur son visage; elle examine les causes de sa bonne ou de sa méchante humeur, ses gestes; en un mot, rien n'échappe.44-a Quand il est pensif, les officiers disent : Sans doute que notre général couve un grand dessein. A-t-il l'air triste ou chagrin : Ah! dit-on, c'est que les affaires vont mal. Leur imagination, qui se donne à de vaines conjectures, croit pis que le mal réel. Ces bruits découragent, ils courent l'armée, et passent de votre camp dans celui de l'ennemi. Il faut donc que le général soit comme un comédien, qui monte son visage sur l'air qui convient au rôle qu'il veut jouer, et, s'il n'est pas maître de lui-même, qu'il affecte une maladie, ou qu'il invente quelque prétexte spécieux pour donner le change au public. Arrive-t-il quelque mauvaise nouvelle, on fait semblant de la mépriser devant le monde, on étale avec ostentation le nombre et la grandeur de ses ressources, on dédaigne l'ennemi en public, on le respecte en particulier. Si quelque parti essuie une disgrâce à la petite guerre, on en examine la raison; on trouve toujours que c'est la mauvaise conduite ou l'ignorance de l'officier qui l'a mené qui en est la cause; on dit ouvertement que ce n'est point faute de la bravoure des troupes qui ont eu à essuyer ce malheur; on examine les fautes de cet officier, et on en fait une leçon aux autres. De cette fa<45>çon vous instruisez les officiers, et vous n'ôtez point aux troupes la confiance qu'elles ont en leurs propres forces.

La douceur et la sévérité s'exercent alternativement avec le soldat; il faut que le général soit populaire, qu'il parle aux soldats, soit lorsqu'il passe dans leurs tentes, ou lorsque c'est un jour de marche. On voit quelquefois si la marmite va bien, on entre dans leurs petits besoins et l'on fait ce que l'on peut pour les soulager, on leur épargne des fatigues inutiles. Mais on fait tomber toute la rigueur de la loi sur le soldat mutin, sur le raisonneur, sur le pillard, et l'on fait, lorsqu'il est nécessaire, des punitions sévères aux déserteurs. En un mot, tout ce qui regarde le service doit être regardé gravement; tout ce qui est hors de là souffre de l'indulgence. On loue les officiers des belles actions qu'ils ont faites, on leur fait des honnêtetés, on leur rend service; mais on ne les épargne pas dans toutes les choses qui regardent leur devoir, et on les oblige à le faire par force quand ils le négligent. Le général ne fait pas mal de parler quelquefois guerre avec les généraux de son armée qui ont le plus de lumières; on les met sur des chapitres généraux, on entend leurs sentiments, et si, dans la liberté de la conversation, ils ouvrent un bon avis, il faut en profiter sans faire remarquer qu'on trouve la chose bonne; mais, lorsqu'elle est exécutée et qu'elle a réussi, il faut dire en présence de beaucoup d'officiers : C'est à monsieur un tel que je dois le succès de cette affaire. Vous flattez par ce moyen l'amour-propre des autres, vous les intéressez à l'avantage des affaires générales, et votre modestie, au lieu de vous attirer des envieux, vous gagne des amis.

Les Normands donnent une règle à leurs enfants : Défie-toi. - De qui? - De tout le monde. Ici c'est le cas de se défier de ses ennemis; il n'y a que des fous qui s'y confient. Mais quelquefois la sûreté vous endort, et je demande qu'un général veille toujours sur le dessein de ses ennemis; il est la sentinelle de son armée, il doit voir, entendre,<46> prévoir et prévenir pour elle tout le mal qui pourrait lui arriver. C'est après les plus grands avantages qu'il faut être le plus défiant. On croit l'ennemi découragé, et vous tombez en léthargie sur toutes ses entreprises. Souvent un ennemi habile vous amuse par de feintes propositions de paix; ne donnez pas légèrement dans ce piége, et songez que ses intentions ne sauraient être sincères.

Il faut toujours raisonner sur la situation où l'on se trouve, et dire : Quel dessein formerais-je, si j'étais de l'ennemi? Après en avoir imaginé plusieurs, il faut penser aux moyens de les faire échouer, et surtout corriger sur-le-champ ce qu'il y a de défectueux ou dans votre position, ou dans votre campement, ou dans vos dépôts, ou dans vos détachements. Ces corrections doivent être promptes : les heures décident de beaucoup à la guerre, et c'est là que l'on apprend à connaître le prix des moments. Que tout ceci ne vous rende pas timide, car la hardiesse veut être jointe à la circonspection; et comme on ne peut jamais démontrer la sûreté d'une entreprise, il suffit de la bien disposer. L'événement doit se remettre à la fortune. Cela se réduit donc à prévoir et à éviter tout le mal que l'ennemi pourrait nous faire, et à lui donner tant d'appréhensions pour lui-même, que ces inquiétudes et vos entreprises continuelles le réduisent à la défensive.

Si vous voulez gagner l'amitié du soldat, ne le fatiguez ni ne l'exposez sans qu'il voie que cela est nécessaire. Soyez leur père, et non pas leur bourreau. On ménage le soldat dans les siéges par les sapes, et dans les batailles en prenant les ennemis par leur faible, et en expédiant promptement. C'est pourquoi, plus les attaques sont vives, et moins elles coûtent; en abrégeant les batailles, vous ôtez au temps le moyen de vous emporter du monde, et le soldat ainsi conduit prend confiance au général, et s'expose gaîment aux dangers.

Le principal ouvrage du général, c'est le travail du cabinet, faire des projets, combiner des idées, réfléchir sur les avantages, choisir<47> ses positions principales, prévoir les desseins des ennemis, les prévenir et les inquiéter sans cesse. Mais cela ne suffit pas; il faut encore qu'il soit actif, qu'il ordonne et qu'il exécute, qu'il voie toujours par lui-même. Il faut donc qu'il prenne ses camps, qu'il pose ses gardes, et qu'il se promène souvent à l'entour du camp pour se rendre les situations familières; car, s'il lui arrivait d'être attaqué à l'improviste, rien ne lui sera nouveau. Les situations se sont si bien imprimées dans son esprit, qu'il peut donner ses ordres de tous côtés, comme s'il était sur les lieux, et que rien ne peut arriver à quoi il n'ait pensé d'avance; ainsi ses dispositions seront toujours justes. Il faut donc raisonner en soi-même sur les positions de détail d'un camp et les revoir souvent, car quelquefois les bonnes idées ne viennent qu'après avoir réfléchi sur le même objet plusieurs fois. Soyez donc actif et infatigable, et défaites-vous de toute paresse de corps et d'esprit, sans quoi vous n'égalerez jamais les grands capitaines qui nous servent d'exemple.

Un ancien a dit que ce n'était pas être homme que de ne pas savoir se taire. L'indiscrétion, qui n'est qu'un défaut léger dans la société civile, devient un vice important dans un général, à cause que, s'il divulgue les plus beaux projets du monde qu'il a faits, l'ennemi les apprend, et les fait avorter avant leur naissance. La première précaution que l'on prend est de donner des chiffres à tous les généraux qui commandent des corps ou dans des forteresses, pour qu'une lettre interceptée ne renverse pas vos desseins. On cache même, à la guerre, ses véritables intentions, et comme telle entreprise demande beaucoup et divers préparatifs, on les fait sous d'autres prétextes, et l'on déroute ceux qui veulent en pénétrer le but. On ne donne souvent les ordres et les dispositions que sur le tard et la veille qu'on les veut exécuter. Il ne faut pas employer souvent la même ruse pour cacher ses desseins, mais les varier et en inventer souvent de nouvelles; car un général est environné de cinquante<48> mille curieux de son armée qui veulent le deviner, et d'ennemis qui ont un plus grand intérêt encore à approfondir ses vues.

Il faut que le général pèse tous ses desseins avec circonspection, qu'il soit lent dans ses délibérations, mais qu'il prenne des résolutions courtes dans des jours de bataille et dans des cas inopinés, et qu'il sache qu'il vaut mieux prendre une mauvaise résolution et l'exécuter sur-le-champ que de n'en prendre aucune.

Le général ne doit pas non plus exposer légèrement sa personne; surtout il ne doit jamais risquer d'être fait prisonnier.48-a

ARTICLE XIII. DES STRATAGÈMES ET DES RUSES DE GUERRE.

On prend alternativement, à la guerre, la peau de lion et la peau de renard; la ruse réussit où la force échouerait. Il est donc absolument nécessaire de se servir de toutes les deux. C'est une corde de plus que l'on a sur son arc; et comme souvent la force résiste à la force, souvent aussi la force succombe sous la ruse.

Les ruses sont immenses, et je ne prétends pas les rapporter toutes; leur but est le même, et consiste à faire faire à l'ennemi la démarche que l'on veut. Elles servent donc à cacher son propre dessein et à substituer dans sa place des illusions qui paraissent annoncer des vues toutes contraires. Quand les troupes sont à la veille de s'assembler, on leur fait quelquefois faire des contre-marches pour alarmer l'ennemi, et pour lui cacher le lieu où l'on veut assembler les troupes et percer tout de suite. Quand on est dans un pays où il y a des villes <49>fortes, on se campe dans un endroit qui menace deux ou trois places en même temps. Si l'ennemi jette des troupes dans toutes ensemble, il s'affaiblit; on profite de ce moment pour lui tomber sur le corps; ou, si l'ennemi se jette d'un côté, vous tournez vers la ville où il n'a point envoyé de secours, et en faites le siége. Si vous voulez vous emparer de quelque passage important ou passer une rivière, vous vous éloignerez de ce passage ou de l'endroit où vous avez dessein de passer, pour attirer l'ennemi de votre côté, et, ayant tout disposé d'avance et ménagé une marche sur lui, vous tournez à l'improviste vers cet endroit, et vous en saisissez.

Si vous avez envie de vous battre, et que l'ennemi semble éviter un engagement, vous débitez que votre armée s'est affaiblie, ou vous faites le timide, comme nous fûmes obligés de jouer ce rôle avant la bataille de Friedeberg.49-a J'avais fait faire des routes pour marcher sur quatre colonnes à Breslau, à l'approche du prince de Lorraine. Son amour-propre conspira avec moi à le tromper; il descendit dans la plaine, et nous le battîmes. On rétrécit quelquefois son camp pour paraître plus faible, on fait de petits détachements que l'on fait passer pour considérables, pour que l'ennemi, méprisant votre faiblesse, quitte ses avantages. Si j'avais eu intention de prendre Königingrätz et Pardubitz, en 1745, je n'aurais eu qu'à faire deux marches, par le comté de Glatz, vers la Moravie; le prince de Lorraine y serait accouru, parce que cette démonstration lui aurait fait craindre pour ce marquisat, d'où il tirait ses vivres, et la Bohême aurait été abandonnée. Ainsi l'ennemi prend jalousie de ses places que l'on menace d'assiéger, des lieux par lesquels il communique à sa capitale, et des endroits où il a le dépôt de ses vivres.

Lorsqu'on n'a point intention de se battre, on se débite plus fort que l'on n'est, et l'on fait une guerre de contenance. C'est le chef-d'œuvre des Autrichiens, c'est l'école où il faut l'apprendre. Vous<50> affectez par votre contenance l'envie d'en venir aux mains, vous affichez les desseins les plus téméraires, et souvent l'ennemi croit qu'il n'en aura pas bon jeu, et se tient également sur la défensive de son côté.

Cette guerre consiste en partie dans l'art de prendre des postes et de ne les abandonner qu'à la dernière extrémité; votre seconde ligne se retire la première, et la première la suit imperceptiblement; et comme vous avez des défilés devant vous, l'ennemi n'a pas le moyen de profiter de votre retraite. Dans ces retraites même, vous choisissez des positions obliques qui donnent à penser à l'ennemi, et ses inquiétudes le rendent timide et vous conduisent indirectement à votre but.

C'est aussi une ruse que de présenter à l'ennemi beaucoup de têtes. S'il prend la fausse attaque pour la véritable, il est perdu. C'est par la ruse encore qu'on l'oblige à détacher, et qu'on tombe sur lui lorsque ces détachements sont faits. Une des meilleures ruses de guerre, c'est d'endormir les ennemis lorsqu'il est temps de séparer les troupes pour les quartiers d'hiver. On recule alors pour mieux sauter, et l'on distribue ses troupes de façon que l'on peut les rejoindre promptement. En tombant alors sur les quartiers de l'ennemi, on peut réparer dans quinze jours les disgrâces de toute une campagne. Lisez les deux dernières campagnes de Turenne, et étudiez-les souvent; c'est le chef-d'œuvre des ruses modernes.

Les ruses dont les anciens se servaient à la guerre sont devenues le partage des troupes légères. Celles-là font des embuscades, celles-là attirent leurs ennemis, par une fuite simulée, dans des défilés, pour les tailler en pièces. Les généraux modernes ne sont guère assez ignorants pour tomber dans ces sortes d'embuscades grossières; cela arriva à Charles XII, auprès de Poltawa, par la trahison d'un prince des Tartares,50-a et à Pierre Ier, au Pruth, par la trahison d'un prince de<51> ce pays-là,51-a qui lui avait promis également des vivres, et ne put lui en procurer.

Comme j'ai déduit avec un assez ample détail ce qui regarde le genre de guerre des partis ou des détachements dans mes Institutions militaires,51-b je renvoie ceux qui voudront s'en rafraîchir la mémoire à ce livre même, n'y pouvant rien ajouter.51-c

ARTICLE XIV. DES ESPIONS, DE L'USAGE QU'ON EN PEUT FAIRE DANS TOUS LES CAS, ET COMMENT ON APPREND DES NOUVELLES DE L'ENNEMI.

Si l'on savait toujours les desseins des ennemis d'avance, avec une armée inférieure on leur serait supérieur. Tous ceux qui commandent des armées travaillent à se procurer cet avantage; mais ils n'y réussissent pas tous. Il y a quatre sortes d'espions : les petites gens qui se mêlent de ce métier, les doubles espions, les espions de conséquence, et ceux enfin qu'on oblige par violence à ce malheureux emploi.

Les petites gens, c'est-à-dire les bourgeois qu'on envoie dans le <52>camp ennemi, les paysans, les prêtres, etc., ne peuvent être employés qu'à savoir l'endroit où l'ennemi campe. La plupart de leurs rapports sont si embrouillés et si confus, qu'ils rendent plus incertain qu'on ne le serait dans la plus profonde ignorance. La déposition des déserteurs n'est guère plus instructive; les soldats savent la nouvelle de leur régiment et pas davantage, et les hussards, étant toujours commandés sur les devants de l'armée, ne savent quelquefois pas même où elle campe. Cependant on couche leur déposition par écrit; c'est l'unique moyen d'en tirer quelque parti.

On se sert des espions doubles pour donner de fausses nouvelles aux ennemis. Il y avait un Italien, à Schmiedeberg, qui servait les Autrichiens en cette qualité. Nous lui fîmes si bien accroire que nous nous retirerions à Breslau à l'approche des ennemis, qu'il en assura le prince de Lorraine, et qu'il fut trompé.

Le prince Eugène eut pendant longtemps le maître de poste de Versailles à ses gages. Ce malheureux ouvrait les expéditions de la cour aux généraux, et les envoyait au prince Eugène, qui les recevait avant même ceux qui commandaient les armées françaises. Luxembourg avait gagné un secrétaire du roi Guillaume, qui lui donnait avis de tout; le Roi le découvrit, et tira tout le parti qu'il était possible d'une affaire aussi délicate. Il obligea ce traître de marquer à Luxembourg que les alliés feraient le lendemain un grand fourrage, et les Français pensèrent être surpris à Steenkerke.52-a Sans des prodiges de valeur, leur armée aurait été totalement défaite. Il est difficile d'avoir de pareils espions, non pas que les Autrichiens ne soient corruptibles comme d'autres, mais à cause que leurs troupes légères, qui les entourent comme un nuage, ne laissent passer personne sans le visiter. Cela m'a fait naître l'idée de corrompre une couple de leurs officiers de hussards, par le moyen desquels la correspondance pourrait s'entretenir, et cela, lorsque les hussards escar<53>mouchent; leur usage est alors de faire quelquefois la trêve et de se parler; alors facilement les lettres pourraient être rendues.

Quand on veut faire donner de fausses nouvelles aux ennemis ou en avoir des siennes, on fait passer dans son camp un soldat comme transfuge, qui leur rapporte ce que l'on veut, ou qui y sème même des billets pour animer les troupes à la désertion, et qui par un détour revient à votre camp.

Lorsque par aucun moyen on ne peut avoir dans le pays de l'ennemi de ses nouvelles, il reste un expédient auquel on peut avoir recours, quoiqu'il soit dur et cruel : c'est de prendre un gros bourgeois qui a femme, enfants et maison; on lui donne un homme d'esprit qu'on déguise en valet (il faut qu'il sache la langue du pays). Le bourgeois est obligé de le prendre comme son cocher, et de se rendre au camp des ennemis sous prétexte de se plaindre des violences que vous lui faites souffrir; et, s'il ne ramène pas votre homme après avoir séjourné dans le camp ennemi, vous le menacez de faire égorger sa femme et ses enfants et de faire brûler et piller sa maison. J'ai été obligé de me servir de ce moyen lorsque nous étions au camp de Chlum,53-a et cela me réussit. J'ajoute à ceci qu'il faut être d'une libéralité prodigue envers les espions. Un homme qui risque la corde pour votre service mérite bien d'être récompensé.

ARTICLE XV. DES MARQUES CARACTÉRISTIQUES PAR LESQUELLES ON PEUT DEVINER LES INTENTIONS DES ENNEMIS.

La chose qui découvre le plus sûrement le dessein de l'ennemi avant l'ouverture de la campagne est la forme qu'il donne aux dépôts <54>de ses vivres : par exemple, lorsque les Autrichiens forment leurs magasins à Olmütz, on peut compter que leur dessein est d'attaquer la Haute-Silésie; lorsqu'ils les forment à Königingrätz, alors le côté de Schweidnitz est menacé. Lorsque les Saxons voulurent attaquer l'Électorat, leurs magasins indiquaient le chemin qu'ils voulaient tenir, car leurs dépôts étaient à Zittau, à Görlitz, à Guben, ce qui tombait droit sur Crossen. C'est donc la première nouvelle qu'il faut apprendre : où l'ennemi forme-t-il ses magasins? Les Français, pour ôter encore cette connaissance aux alliés, ont de doubles amas de vivres, les uns sur la Meuse, et les autres sur l'Escaut. Quand les Autrichiens sont en campagne, on peut deviner les jours qu'ils marcheront; car un usage dont ils ne s'écartent jamais, c'est de faire cuire le soldat tous les jours de marche. Ainsi donc, lorsqu'on voit dans leur camp beaucoup de fumée avant midi, à cinq ou huit heures du matin, on peut compter qu'ils feront un mouvement le même jour. Toutes les fois que les Autrichiens veulent se battre, ils retirent à eux tous les gros détachements de troupes légères, et lorsqu'on s'en aperçoit, il faut être sur ses gardes. Quand on attaque quelques postes de leurs Hongrois, et qu'ils font ferme, on peut en conclure sûrement que leur armée est à portée de les secourir et fort proche. Lorsque les troupes légères se mettent entre vous et un détachement que vous avez fait, vous en pouvez conclure que l'ennemi a quelque dessein sur ce détachement, et prendre vos mesures là-dessus. J'ajoute à ceci que si l'ennemi vous oppose toujours le même général, vous pouvez apprendre sa manière, et le deviner ensuite par ses usages et sa méthode.54-a

<55>

ARTICLE XVI. DE NOTRE PAYS; DU PAYS NEUTRE; DE CELUI DES ENNEMIS; DE LA DIFFÉRENCE DES RELIGIONS; QUELLE CONDUITE TOUS CES CAS DIFFÉRENTS DEMANDENT.

On fait la guerre dans trois sortes de pays : dans le sien, dans celui de la puissance neutre, et dans celui de son ennemi. Si je n'avais en vue que l'éclat de la réputation, je ne voudrais jamais faire la guerre que dans mon propre pays, à cause de tous les avantages qui s'y trouvent; car tout le monde sert d'espion, l'ennemi ne saurait faire un pas sans être trahi. On peut envoyer hardiment de grands et de petits partis, on peut surprendre les agresseurs et mouvoir contre eux tous les ressorts de la guerre, des plus petits jusqu'aux plus grands, et, dans leur déroute, tout paysan devient soldat et sert contre eux. C'est ce dont l'électeur Frédéric-Guillaume fit l'expérience après la bataille de Fehrbellin, où les paysans tuèrent plus de Suédois qu'il n'en était péri dans la bataille même, et c'est ce que j'ai vu après la bataille de Friedeberg, où les montagnards de la Silésie prirent quantité de fuyards de l'armée autrichienne prisonniers de guerre.55-a

Lorsque la guerre se fait dans un pays neutre, l'avantage paraît égal entre les deux partis; c'est à qui gagnera l'amitié et la confiance des habitants. On y tient une sévère discipline, on défend le pillage et la maraude, que l'on punit sévèrement, on prête aux ennemis les plus sinistres intentions. Si le pays est protestant, comme la Saxe, <56>on joue le rôle de défenseur de la religion luthérienne, et on souffle le fanatisme au cœur du vulgaire, dont la simplicité est facilement abusée. Si le pays est catholique, on ne parle que de tolérance, on prêche la modération, et l'on rejette sur les prêtres l'aigreur qu'il y a entre les sectes chrétiennes, qui conviennent toutes des points essentiels des dogmes. Il faut que l'on règle les partis que l'on met en campagne sur la protection du pays : on peut tout hasarder chez soi; on va plus bride en main dans le pays neutre, à moins que l'on ne soit sûr du peuple, ou du moins du plus grand nombre.

Dans des pays tout à fait ennemis, comme la Bohême ou la Moravie, il ne faut jouer qu'à jeu sûr, ne point aventurer de partis, par les raisons que j'ai alléguées ci-dessus, et faire la guerre la plus serrée que l'on peut. Les troupes légères servent alors pour la plupart à couvrir les convois. Il ne faut point s'imaginer que l'on gagnera ces peuples; il n'y a que les hussites du cercle de Königingrätz dont on puisse tirer parti. Les seigneurs sont traîtres quand ils font les bien intentionnés pour nous; il en est de même des prêtres et des baillis, car leurs intérêts sont liés à ceux de la maison d'Autriche, et comme l'intérêt est presque universellement le grand mobile des actions humaines, il ne faut jamais se fier aux hommes, si leurs intérêts ne sont pas les mêmes que les nôtres. Le fanatisme en tient lieu, et lorsqu'on peut animer le peuple pour la liberté de sa conscience, qu'il est agité par des prêtres et des dévots, on peut entièrement compter sur lui; c'est intéresser à votre cause Dieu et les enfers.56-a

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ARTICLE XVII. DE TOUTES LES MARCHES QU'UNE ARMÉE PEUT FAIRE.

Une armée marche pour faire des progrès dans le pays ennemi, pour occuper un camp plus avantageux, pour joindre un secours, pour livrer bataille, ou pour se retirer devant 1'ennemi.

La règle générale est que, après avoir pourvu à la sûreté du camp, l'on fasse d'abord reconnaître tous les chemins qui en sortent et tous les environs, pour être en état de faire des dispositions sur les différents événements qui peuvent arriver. On envoie pour cet effet de gros détachements, sous différents autres prétextes, avec des ingénieurs et des quartiers-maîtres généraux, qui se rendent à tous les lieux où l'on pourrait marcher, qui en lèvent les situations, et reconnaissent en même temps sur combien de colonnes on pourrait marcher. On joint des chasseurs à ces détachements pour se noter ces chemins et pour y conduire les colonnes, en cas que le général y mène l'armée. Les officiers font le rapport du camp même, des chemins qui y conduisent, et de l'espèce de terrain, soit bois, montagnes, plaines ou rivières, que l'on y rencontre; et le général, instruit de toutes ces particularités, fait ses dispositions en conséquence.

1. DES MARCHES ORDINAIRES.57-a

Si l'on n'est point dans un trop proche voisinage des ennemis, voici à peu près la disposition que l'on fait. Je suppose qu'il y ait <58>quatre chemins qui conduisent dans le nouveau camp. L'avant-garde se mettra en chemin ce soir à huit heures, sous les ordres de N.; elle sera composée de six bataillons de grenadiers, d'un régiment d'infanterie, de deux régiments de dragons, chacun à cinq escadrons, et de deux régiments de hussards.

Tous les fourriers de l'armée l'accompagneront. L'avant-garde ne prendra que ses tentes avec; son gros bagage restera avec celui de l'armée. Elle avancera de deux milles pour s'emparer de ce défilé, de cette rivière, de cette montagne, cette ville ou ce village, etc., où elle attendra l'approche de l'armée; ensuite elle entrera dans le nouveau camp, qu'elle fera tracer.

L'armée suivra demain à trois heures du matin, sur quatre colonnes; les gardes des villages rentreront dans les régiments lorsqu'ils seront en bataille.

La cavalerie des deux lignes de la droite, défilant par la droite, formera la première colonne; l'infanterie des deux lignes de la droite, défilant par la droite, fera la seconde; l'infanterie de la gauche des deux lignes, défilant par la droite, formera la troisième, et toute la cavalerie de l'aile gauche, défilant par la droite, fera la quatrième colonne.

Les régiments d'infanterie N. N. N. de la seconde ligne, les dragons N. N. de la seconde, et trois régiments de hussards, sous les ordres du général N., couvriront le bagage; le bagage marchera en suivant les deux colonnes d'infanterie.

Quatre adjudants auront le soin des chariots, pour qu'ils se suivent avec ordre, et qu'ils se serrent d'aussi près qu'il est possible.

Le général qui commande cette arrière-garde fera avertir le chef de l'armée à temps, en cas qu'il ait besoin de quelque secours.

Les quatre colonnes seront conduites par les chasseurs qui ont reconnu les chemins.

A la tête de chaque colonne marchera un détachement de char<59>pentiers, et des chariots chargés de poutres, poutrelles, planches, etc., pour construire des ponts sur les ruisseaux.

Les colonnes s'observeront dans leur marche, pour que la tête de Tune ne dépasse point celle des autres; les généraux prendront garde que leurs bataillons restent serrés et contigus les uns aux autres, et que les officiers qui commandent les pelotons tiennent bien leurs distances.

S'il y a quelque défilé à passer, la tête marchera lentement, ou s'arrêtera, pour donner à la queue le temps de le passer et de regagner sa distance.

Voilà à peu près comme se font communément les dispositions. Si vous avez des défilés, des bois ou des montagnes à passer, vous partagez vos colonnes; la tête est toute pour l'infanterie, et la queue pour la cavalerie. Si la plaine est dans le centre, vous la donnez à la cavalerie, et l'infanterie prend les colonnes de l'extrémité, qui traversent les bois. Cependant il ne faut pas que l'ennemi soit trop proche, car alors, pour ne pas détruire entièrement l'ordre de bataille, on se contente de placer quelques bataillons de grenadiers à la tête de la cavalerie.

2. POUR JOINDRE UN SECOURS.

Lorsqu'on veut qu'un secours joigne sûrement l'armée, le moyen le plus sûr est de marcher à sa rencontre par un terrain difficile, en se retirant devant l'ennemi pour éviter la bataille, et l'on regagne bientôt par la supériorité de cette jonction le terrain que l'on a, pour ainsi dire, prêté à l'ennemi.

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3. MARCHES PARALLÈLES.

Lorsqu'on fait des marches parallèles à la position de l'ennemi, cela se fait ou par la droite, ou par la gauche, sur deux lignes, dont chacune desquelles forme une colonne, et l'on fait précéder cette marche par une avant-garde, observant du reste les mêmes formalités que j'ai prescrites. Telles furent toutes les marches que nous fîmes depuis Frankenstein jusqu'à Hohenfriedeberg;60-a elles étaient par la droite. Je préférerais cette disposition à toutes les autres, à cause que, en faisant un demi-tour à gauche ou à droite, toute l'armée se trouve en bataille, et que c'est la façon la plus prompte de se former. Je m'en servirais toujours, si j'en avais le choix, pour attaquer l'ennemi, et j'en ai expérimenté l'avantage à Friedeberg et à Soor.60-b

4. DES MARCHES DE BATAILLE.

Quand on marche à l'ennemi à l'intention d'engager une affaire, on se débarrasse de tout son bagage, qu'on envoie sous une escorte à la ville la plus voisine. On forme ensuite une avant-garde, qui ne précède l'armée que d'un petit quart de mille. Si l'armée marche de front à l'ennemi, il faut que les colonnes non seulement ne se dépassent pas, mais que, en approchant du champ de bataille, elles s'étendent assez pour que les troupes n'aient ni plus ni moins de terrain qu'elles peuvent occuper pour se former. Cela est fort difficile, et, pour la plupart du temps, quelques bataillons n'ont point de terrain, ou les généraux en donnent trop. La marche par lignes n'en<61>traîne jamais de tels inconvénients; c'est pourquoi je la tiens la meilleure de toutes. Les marches que l'on fait pour se battre demandent beaucoup de précautions. Il faut que le général aille bride en main, qu'il reconnaisse le terrain lui-même, sans s'exposer, de distance en distance, pour qu'il ait plusieurs positions, dans son esprit, toutes prêtes et dont il puisse se servir en cas que l'ennemi vienne à sa rencontre. L'on tâche de découvrir le terrain ou de quelque clocher. ou de quelque hauteur.61-a

5. DES RETRAITES A COLONNES RENVERSÉES.

Les retraites ordinaires se font ainsi : l'on se débarrasse de son bagage, un ou deux jours avant que de marcher, que l'on fait partir sous bonne escorte; ensuite on règle ses colonnes sur le nombre des chemins que l'on peut tenir, et la marche des troupes sur la nature du pays. Si c'est un pays de plaine, la cavalerie fait l'arrière-garde; si c'est un pays fourré, c'est à l'infanterie que celte commission est due. Si c'est un pays de plaine, l'armée marchera sur quatre colonnes; l'infanterie de la droite de la seconde ligne, défilant par la droite et suivie de la seconde ligne de la cavalerie de la droite, fera la quatrième colonne; l'infanterie de la droite de la première ligne, défilant par la droite et suivie de même par la droite de la première ligne de la cavalerie, formera la troisième colonne; celle de la gauche de la première ligne, suivie de la gauche de la première de cavalerie, fera la seconde; celle de la gauche de la seconde d'infanterie, suivie de la seconde de la gauche de cavalerie, fera la première. Ainsi votre cavalerie fait toute l'arrière-garde, et, pour plus de précaution, vous la soutenez de tous les hussards de l'armée.

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6. RETRAITES PAR DES DÉFILÉS, AYANT DES MONTAGNES DERRIÈRE VOUS.62-a

Si vous avez des défilés à passer, il faut les faire occuper par de l'infanterie la veille de votre marche, et l'on poste cette infanterie de façon qu'elle déborde les colonnes qui se retirent à travers l'espace des chemins, qu'elle laisse vide dans son centre. Supposé que vous marchiez sur deux colonnes, la cavalerie de la droite, défilant par la gauche, la seconde ligne la première, fait la tête de la seconde colonne; l'infanterie de la seconde ligne de la droite, suivie de sa première, se joignent à cette cavalerie; la cavalerie de la gauche des deux lignes, défilant par sa gauche, la seconde la première, fait la tête de la première colonne; à celle-là se joint l'infanterie de la gauche, défilant par la gauche, la seconde ligne la première; ce qui forme vos deux colonnes. Six bataillons que l'on prend les derniers de la première ligne, soutenus de dix escadrons de hussards, feront l'arrière-garde. Ces troupes se mettront en bataille devant le défilé, pendant que l'armée le passe. On les poste sur deux lignes en échiquier.62-b Les troupes qui sont de l'autre côté du défilé doivent nécessairement les déborder, pour les protéger par leur feu. Lorsque toute l'armée est passée, la première ligne de l'arrière-garde passe par les intervalles de la seconde, et se jette dans le défilé. Quand elle est partie, la seconde fait la même manœuvre sous la protection du feu de ceux qui sont postés de l'autre côté, et qui doivent suivre les derniers et faire l'arrière-garde à leur tour.

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7. DES RETRAITES EN PASSANT DES RIVIÈRES.63-a

La manœuvre la plus difficile de toutes, c'est de passer une rivière en présence de l'ennemi, en se retirant. Je ne puis rien alléguer de mieux sur cette matière que la retraite que nous fîmes l'année 1744 en repassant l'Elbe à Kolin.63-b Cependant, comme il n'y a pas toujours des villes à ces endroits, je suppose que l'on n'ait que deux ponts; dans ce cas, il faut faire travailler à un bon retranchement qui enveloppe les deux ponts, et faire même une coupure plus petite pour chaque pont en particulier. Cela fait, on envoie des troupes et beaucoup de canons à l'autre bord, que l'on choisit haut, mais pas trop âpre, pour dominer de là sur ce côté citérieur. Ensuite l'on garnit d'infanterie le grand retranchement. Cela fait, votre infanterie passe la première; la cavalerie fait l'arrière-garde, et se retire en échiquier par le retranchement qui couvre la première retraite. Lorsque tout est passé, on garnit d'infanterie les petites têtes de pont, et l'infanterie du retranchement l'abandonne et se retire. Si l'ennemi veut la suivre, il essuie le feu des deux têtes de pont et des troupes placées à l'autre bord. Quand celles du retranchement ont passé, on lève les ponts. Les troupes des têtes de pont repassent en bateau sous la protection de celles de l'autre bord, qui s'approchent alors pour les mieux défendre, et, dès que les pontons sont chargés sur les chariots, les dernières troupes se mettent aussi en marche.63-c

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ARTICLE XVIII. QUELLES PRÉCAUTIONS ON DOIT PRENDRE, DANS LES RETRAITES, CONTRE LES HUSSARDS ET LES PANDOURS.

Les hussards et les pandours ne sont redoutables qu'à ceux qui ne les connaissent point; ils ne sont valeureux que lorsque l'espérance du butin les anime, ou lorsqu'ils peuvent causer du dommage sans s'exposer eux-mêmes. Ils exercent cette première espèce de bravoure contre les convois et contre les équipages, et l'autre contre des corps qui sont obligés de se retirer, et qu'ils harcèlent dans leur retraite. Nos troupes n'ont aucun affront à craindre de leur part; mais, comme leur façon de chicaner rend la marche des troupes plus lente, et qu'ils ne laissent pas que de tuer du monde que l'on perd très-mal à propos, je dois ajouter ici la méthode que je crois la meilleure pour se tirer d'affaire avec eux.

Lorsqu'on se retire par les plaines, on chasse les hussards par quelques coups de canon, et les pandours par des hussards ou des dragons, qu'ils craignent beaucoup. Les retraites difficiles, où les pandours peuvent faire le plus de mal, ce sont celles où l'on a des bois, des défilés et des montagnes sur son chemin. Il est presque inévitable de ne pas perdre du monde alors. Voici ce que l'on fait : l'arrière-garde occupe les hauteurs, et fait face à l'ennemi; on envoie des pelotons à côté de la marche, qui, en côtoyant l'armée, tiennent toujours les hauteurs ou les bois, et l'on a quelques escadrons de hussards à la main, que l'on fait agir, pour peu que le terrain le permette. Il ne faut point s'amuser dans cette occasion, mais poursuivre sa marche tout de suite; s'arrêter, c'est sacrifier du monde mal à propos. Les pandours, de leur côté, se jettent à terre, et tirent <65>des coups que l'on ne voit pas d'où ils partent, et, lorsque la marche de l'armée oblige l'arrière-garde et les pelotons détachés de la suivre et de quitter leurs hauteurs, les pandours s'en emparent, et, étant à couvert, ils tirent de là sur la marche de ceux qui se retirent; et, comme ils sont éparpillés et cachés derrière des hauteurs ou des arbres, ou bien couchés par terre, le feu de peloton ni le canon chargé de mitraille ne peut leur faire grand mal. J ai fait deux retraites pareilles l'année 1745, l'une65-a par le fond de Liebenthal, pour marcher à Staudenz, l'autre de Trautenau à Schatzlar,65-a où, malgré toutes les précautions imaginables, nous eûmes dans la première soixante morts et blessés, et dans la seconde plus de deux cents. Lorsque les retraites se font par des chemins difficiles, il faut faire de petites marches, pour les expédier plus vite et avoir le temps de prendre d'autant mieux ses précautions. Un mille d'Allemagne doit être la plus longue marche. Alors, comme on n'est pas pressé, on peut quelquefois donner la chasse aux pandours, principalement lorsqu'ils ont l'imprudence de se fourrer dans des bouquets de bois que l'on peut tourner.

ARTICLE XIX. COMMENT IL CONVENT AUX PRUSSIENS DE TRAITER LES TROUPES LÉGÈRES LORSQU'ON AGIT OFFENSIVEMENT CONTRE ELLES.

Notre façon d'occuper un poste que les troupes légères tiennent est de les brusquer. Comme leur façon de combattre est de s'éparpiller, ils ne peuvent tenir contre des troupes réglées; on ne les mar<66>chande pas du tout, on jette simplement quelques troupes sur les flancs du corps qui marche à eux, pour les couvrir, et, en ne les marchandant point, on les fait plier où l'on veut. Nos hussards et nos dragons les attaquent serrés et le sabre à la main. Ils ne sauraient tenir contre cette attaque; aussi les a-t-on toujours battus, sans égard au nombre, qui était toujours de leur côté.

ARTICLE XX. PAR QUELS MOUVEMENTS ON OBLIGE L'ENNEMI D'EN FAIRE NÉCESSAIREMENT DE SON COTÉ.

Si l'on croit qu'il suffit de remuer son armée pour que l'ennemi en fasse autant de son côté, l'on se trompe beaucoup. Ce n'est pas le mouvement qui décide, mais la façon de le faire. Tous les mouvements d'apparence ne dérouteront point un ennemi habile; il faut des positions solides qui lui donnent lieu à des réflexions sérieuses, pour le faire décamper. Pour cet effet, il faut bien connaître le pays, le général auquel on a affaire, les endroits où il a ses magasins, les villes qui lui importent le plus, et les lieux dont il tire son fourrage, combiner toutes ces choses, et faire là-dessus des projets après avoir bien médité la matière. Celui des deux généraux qui calculera le plus de coups de suite gagnera à la longue tout l'avantage sur son rival.

Au commencement de la campagne, celui qui rassemble le premier son armée, et qui marche le premier en avant pour attaquer une ville ou pour prendre un poste, oblige l'autre à se régler sur ses mouvements, et le rejette sur la défensive. Lorsque c'est dans le cours d'une campagne, et que vous voulez obliger l'ennemi à changer de camp, il faut avoir une raison pour cela, ou que vous voulez <67>prendre une ville auprès de laquelle il campe, ou que vous le voulez rejeter dans un pays stérile où il ne subsistera qu'avec peine, ou que vous espérez d'engager une affaire qui vous procure de plus grands avantages encore. Si vous avez une raison pareille, il faut travailler au projet de l'exécution; mais, en le faisant, il faut aussi examiner bien soigneusement si les marches que vous allez faire et les camps que vous allez prendre ne pourraient pas vous rejeter avec l'armée dans de plus grands embarras, comme sont ceux de vous éloigner d'une mauvaise ville où vous avez vos vivres, et que les troupes légères pourraient prendre d'emblée en votre absence, ou de vous mettre dans une position où l'ennemi, de son côté, pourrait, par un mouvement, vous couper de votre pays et de vos derrières, ou bien si le pays vers lequel vous voulez tirer ne manquerait pas de fourrages, et vous obligerait peut-être de l'abandonner bientôt. En examinant ces choses, on juge en même temps sur la possibilité des choses que l'ennemi peut entreprendre et sur celles qu'il n'a pas le moyen de tenter, et ensuite on lait son projet ou pour se camper sur le flanc de l'ennemi, ou pour tirer vers une province d'où il tire ses vivres, ou pour le couper de sa capitale, ou pour menacer ses magasins, ou pour prendre des positions qui lui rétrécissent ses fourrages. Pour en donner un exemple connu de tous mes officiers, je formerai le dessein que nous aurions pu arranger pour obliger le prince de Lorraine de nous abandonner Königingrätz et Pardubitz, en 1745. Du camp de Divetz,67-a nous aurions dû marcher par la gauche, côtoyer le comté de Glatz, et tirer vers Hohenmauth. Comme le magasin des Autrichiens était à Teutsch-Brod, et qu'ils tiraient la plupart de leurs vivres de Moravie, l'armée autrichienne aurait été obligée de marcher vers Landskron; Königingrätz et Pardubitz seraient tombés sous notre pouvoir, et les Saxons, qui par cette marche auraient été coupés de leur pays, se seraient séparés certainement<68> du corps de l'armée pour couvrir leur pays. Ce qui m'empêcha alors de faire cette marche, c'était que, en prenant Königingrätz, je n'aurais rien gagné. Si les Saxons s'en étaient retournés chez eux, j'aurais toujours été obligé de détacher également pour fortifier le prince d'Anhalt, et surtout je n'avais pas assez de vivres à Glatz pour entreprendre de faire toute la campagne aux dépens de ce seul magasin. Les diversions que l'on fait par détachements obligent aussi l'ennemi à décamper. Toutes les choses que l'on fait, auxquelles l'ennemi n'est pas préparé, le rendent confus et le font décamper. De cette nature sont les passages de montagnes qu'il croit impraticables, et qui se passent presque toutes, et les passages de rivières qu'on lui dérobe. Qu'on lise la campagne du prince Eugène, l'année 1700,68-a en Italie; son passage des Alpes dérangea tout à fait M. de Vendôme.68-b Nous avons tous vu la confusion qui se mit, l'année 1744 dans l'armée française, lorsque le prince de Lorraine surprit le passage du Rhin.68-c Je conclus donc que les mêmes causes sont toujours suivies des mêmes effets, et que, toutes les fois qu'un général compassera bien ses mouvements et les fera pour des objets de conséquence, il jettera son ennemi sur la défensive, en l'obligeant à se régler sur lui.

ARTICLE XXI. DES PASSAGES DE RIVIÈRES.

Dès que l'ennemi est à l'autre bord de la rivière que vous voulez passer, la force devient inutile, et il faut recourir à la ruse. Il faut <69>imiter le passage du Rhône,69-a de César, celui du Pô, du prince Eugène, et celui du Rhin, du prince de Lorraine, lorsque c'est une grande rivière qu'il faut passer. Ces capitaines ont fait quelques détachements pour tromper les ennemis et leur dérober l'endroit qu'ils avaient choisi pour leur passage. Ils ont fait des préparatifs pour des ponts dans des endroits sur lesquels ils n'avaient aucun dessein, et leur force principale a dérobé par une marche de nuit l'avance dont elle avait besoin pour passer avant que les défenseurs le lui pussent empêcher. On choisit des lieux où des îles facilitent le passage, et l'on aime à trouver à l'autre bord des bois ou des pays difficiles qui empêchent les ennemis de vous attaquer avant que nous en sortiez. Il faut que les mesures soient extrêmement bien prises pour ces sortes d'entreprises, pour que les radeaux, les pontons et les ustensiles se trouvent tous sur les lieux à l'heure marquée, que chacun des pontonniers ou bateliers soit instruit de ce qu'il doit faire, que l'on évite surtout la confusion qui se met si facilement dans ces sortes d'expéditions nocturnes. Ensuite l'on envoie des troupes à l'autre bord, pour prendre poste, qui travaillent à se retrancher et à faire des abatis qui les couvrent jusqu'à ce que toute l'armée les ait jointes. A tous les passages de larges rivières, il faut retrancher avec soin les deux têtes de pont, et les bien garnir de troupes. On fortifie aussi les îles qui sont à portée, pour soutenir ces retranchements, afin que, dans le temps que l'armée poursuit ses opérations contre l'ennemi, celui-là ne puisse point vous ôter vos ponts et les détruire.

Lorsque les rivières sont étroites, on choisit pour les passer des lieux où elles font un coude, et où le rivage est haut et dominant de votre côté. On y place le plus de canons que l'on peut, et de l'infanterie. On fait ses ponts sous cette protection, et l'on passe ensuite; et, comme le coude que la rivière forme rétrécit le terrain, les plus<70> faibles corps sont d'abord appuyés, et l'on n'a qu'à avancer tant soit peu pour gagner toujours plus de terrain à mesure que les troupes passent, et qu'elles en peuvent occuper. S'il y a des gués, on les destine pour la cavalerie, et on les fait appareiller.

ARTICLE XXII. DE LA DÉFENSE DES RIVIÈRES.

Rien n'est aussi difficile, pour ne pas dire impossible, que de défendre le passage d'une rivière, principalement lorsque le front d'attaque est trop étendu. Je ne voudrais jamais me charger de cette commission, si mon front d'attaque surpassait huit milles d'Allemagne, et s'il n'y avait une ou deux forteresses sur cette rivière, dans cet espace, et, de plus, qu'il ne s'y trouvât aucun endroit guéable. Si toutes ces choses sont telles, il faut pourtant un certain temps pour se préparer aux entreprises de l'ennemi.

Voici les dispositions qu'il faut faire. On fera enlever tous les bateaux qui sont sur la rivière, que l'on fera conduire aux deux forteresses, et cela, dans l'intention de priver l'ennemi de ce secours. Ensuite il faut reconnaître les deux bords de la rivière, pour observer tous les endroits qui favorisent le passage de l'ennemi. S'il se trouve dans ces endroits, à la rive citérieure, quelque cassine ou quelque cimetière dont l'ennemi puisse profiter à son passage, on les fait aussitôt démolir. On note tous les lieux favorables aux passages, et l'on forme un projet d'attaque pour chacun en particulier, qu'il faut faire sur le terrain même. Ensuite l'on fait faire des chemins grands et larges pour plusieurs colonnes, tout du long du rivage de votre ligne de défense, pour marcher à l'ennemi commodément et sans embarras. Toutes ces précautions prises, on campe son armée au centre <71>de la ligne, c'est-à-dire qu'elle n'ait que quatre milles à faire pour arriver à une extrémité ou à l'autre. L'on fera seize petits détachements, commandés par les plus habiles et les plus vigilants officiers de l'armée, de hussards ou de dragons, dont huit se partageront le terrain de la droite, sous les ordres d'un général, et huit, sous les ordres d'un autre, partageront celui de la gauche. On les fait pour être averti des mouvements des ennemis et de l'endroit où ils passent. Ces détachements tiennent de jour des vedettes pour découvrir ce qui se passe, et la nuit ils patrouillent de quart d'heure en quart d'heure, tout proche de la rivière, et il ne faut pas qu'ils se retirent, à moins que d'avoir vu clairement que l'ennemi fait un pont et que sa tête a passé. Ces deux généraux et les deux commandants des places feront quatre fois par jour leur rapport au chef de l'armée, et l'on disposera des chevaux sur les chemins, pour que ces rapports arrivent vite. Si l'ennemi passe, on en reçoit d'abord la nouvelle. Le devoir du général est d'y marcher sur-le-champ. Pour cet effet, il se sera défait de son bagage, et il aura toujours le pied en l'air. Comme ses dispositions sont toutes faites, il les donne d'abord aux généraux, choisissant simplement celles du lieu. Il doit marcher en hâte, et prendre toute son infanterie en avant, à cause qu'il doit supposer que l'ennemi se sera retranché. Il faut ensuite attaquer vivement l'ennemi sans balancer, et se promettre les plus brillants succès. Les passages des petites rivières sont plus difficiles à disputer. Il faut rompre les gués par des arbres que l'on y jette. Si cependant la hauteur se trouve du côté de l'ennemi, c'est en vain qu'on tentera de lui résister.

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ARTICLE XXIII. DES SURPRISES DE VILLES.

Les villes que l'on veut surprendre doivent être mal gardées et mal fortifiées. Si elles ont des fossés d'eau, la surprise ne peut avoir lieu qu'en hiver. On surprend des villes avec une armée entière, comme cela arriva à Prague en 1741. On les surprend lorsqu'on les a endormies par un long blocus, comme le fit le prince Léopold à Glogau. On les surprend par détachements, comme le prince Eugène le tenta à Crémone, et comme les Autrichiens y réussirent à Cosel. La règle générale pour disposer des surprises est de bien connaître les ouvrages de la place et l'intérieur de la ville, pour y régler les attaques sur les situations locales. La surprise de Glogau est un chef-d'œuvre que tous ceux qui veulent faire des surprises doivent étudier. Celle de Prague était moins extraordinaire, car, une faible garnison ayant une ville immense à défendre, il n'était pas extraordinaire de l'emporter en multipliant les attaques. Cosel et Crémone se prirent par intelligence,72-a la première par un officier de la garnison qui, ayant déserté, avait découvert aux Autrichiens que l'excavation du fossé n'était pas perfectionnée; ils entrèrent par cet endroit, et la prirent. On pétarde les portes des petites villes. Il faut cependant envoyer des détachements devant toutes les portes, pour que l'ennemi ne puisse pas se sauver, et si l'on veut employer du canon, il faut le placer de façon que les canonniers puissent charger à couvert des petites armes, ou bien on risque de perdre le canon.

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ARTICLE XXIV. DE L'ATTAQUE ET DE LA DÉFENSE DES PLACES.73-a

1. ATTAQUE.

L'art de faire les siéges est devenu un métier comme celui de menuisier et d'horloger. De certaines règles infaillibles sont établies; c'est une routine qui va toujours son train, appliquant toujours la même théorie aux mêmes cas, de sorte que tout le monde sait qu'on choisit un lieu couvert pour le dépôt de la queue de la tranchée, qu'on fait la première parallèle le plus proche que l'on peut du chemin couvert, que l'on emploie la sape pour ménager le monde lorsque l'on n'est pas pressé, que l'on fait des puits pour découvrir les mines, qu'on évente celles des ennemis, que, après avoir nivelé le terrain, on saigne les inondations, qu'on attaque par le lieu le plus faible, que les premières batteries démontent le canon des défenses, qu'elles approchent de la place à mesure que l'on fait de nouvelles parallèles, qu'à la seconde ou troisième parallèle on fait des batteries à ricochet pour enfiler les lignes de prolongation, que, lorsque l'on est sur le glacis, on donne l'assaut sur la contrescarpe, que l'on y établit des batteries pour faire la brèche, qu'on prend ces ouvrages par de nouveaux assauts, jusqu'à ce qu'on approche du corps de la place, où de nouvelles batteries, ayant fait de nouvelles brèches, permettent de faire la galerie pour donner le dernier assaut. C'est alors que le commandant capitule et rend sa ville. Toutes ces choses sont assujetties à un calcul exact, et l'on peut supputer, étant même absent, à quel jour à peu près une ville se rendra, si des circonstances extraordinaires n'y apportent quelque empêchement, ou qu'un com<74>mandant d'un mérite distingué n'arrête les assiégeants par l'opiniâtreté de ses chicanes.

Je ne prétends point répéter ce que le prince d'Anhalt74-a et Vauban ont dit; ce sont nos maîtres, et ce sont eux qui ont réduit en préceptes une science qui n'était connue autrefois que par très-peu de personnes. J'ajouterai seulement quelques idées qui me sont venues en réfléchissant sur ces matières, et dont je crois que l'on pourrait se servir, surtout si les places assiégées n'ont que des fossés secs, et que le général cache bien son dessein. J'ai cru que l'on pourrait former, par exemple, deux attaques devant une ville, et, après que celles-là seraient avancées assez près du chemin couvert pour donner l'assaut de la contrescarpe, faire avancer de nuit un gros détachement d'un autre côté de la ville, qu'on se serait réservé pour cet usage; que ce détachement y donne l'assaut une demi-heure avant le jour. En même temps, il faut faire tirer tout le canon des batteries de nos deux attaques, pour que l'ennemi, s'imaginant que vous voulez prendre la contrescarpe, porte toutes ses attentions à ces deux attaques déclarées, et qu'en ce temps l'assaut de la surprise réussisse sans opposition. Je suis persuadé que l'ennemi courrait ou à l'un ou à l'autre, qu'il négligerait une des trois attaques, et que les assiégeants en profiteraient et emporteraient la place de ce côté-là. Il ne faut cependant hasarder de pareilles entreprises que lorsque le temps presse, et que l'on a des raisons importantes de finir le siége.

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2. DÉFENSE.

Rien ne défend mieux les places que les mines ou les inondations. Il faut de l'habileté pour en connaître tout l'avantage et pour s'en servir à propos. La science de défendre les places se réduit à retarder leur reddition. Les moyens que l'on emploie à cette intention ne sont pas les mêmes. Quelques officiers font trop grand cas des sorties; il me paraît qu'un homme que perd la garnison est plus pour elle que douze pour les assiégeants. Les grandes sorties exposent à de grandes pertes, et il arrive même qu'elles ne mènent à rien. Si je commandais dans une place, je ne ferais de grandes sorties que lorsque l'armée s'approcherait pour me secourir, parce que ce serait sans grand hasard; je ferais même mes plus grands efforts sur les tranchées dans le temps de la bataille, pour faire diversion à l'ennemi; mais dans un cas où je n'aurais aucun secours à attendre, et si je me voyais réduit à mes propres ressources, je mettrais toute mon application à gagner du temps. J'ai remarqué, dans tous les siéges que j'ai faits, qu'un coup de fusil met de la confusion parmi les travailleurs, qu'ils s'enfuient, et qu'on ne les remet pas à l'ouvrage de toute la nuit. J'ai donc imaginé que, faisant toutes les nuits à différentes reprises des sorties de douze hommes sur les travailleurs, on les disperserait, et l'on ferait perdre à l'ennemi une nuit après l'autre. De cette façon, je fais beaucoup avec peu de risque, et je ménage ma garnison pour m'en servir dans les ouvrages où commence la véritable défense des places. Là je préparerais mes feux longtemps d'avance; lorsqu'il s'agirait, par exemple, de l'assaut du chemin couvert, je n'y laisserais que peu de monde, garnissant bien d'infanterie et de canon l'ouvrage qui est immédiatement derrière et les ouvrages collatéraux; je préparerais deux sorties, avec lesquelles je leur tomberais sur les deux flancs lorsqu'ils commenceraient à travailler à leurs logements, et je les chasserais ainsi. Cette même manœuvre peut être répétée autant <76>de fois qu'il plaît au commandant, et elle sera très-meurtrière pour les ennemis, si elle est bien exécutée.

3. DÉFENSE CONTRE LES SURPRISES.

On défend les places contre les surprises en faisant souvent battre l'estrade aux environs, surtout avant la retraite et avant la diane. Les jours de marché, on double les gardes, et l'on visite tous ceux qui entrent, pour voir s'ils sont armés. L'hiver, on fait ouvrir les glaces des fossés, et l'on arrose le rempart d'eau, ce qui le rend glissant par les gelées et inabordable. On met même de petits postes d'infanterie dans des maisons voisines de la place, dont le feu avertit de l'approche de l'ennemi. On distribue ses postes au rempart à la garnison, et l'on se ménage une réserve, pour s'en servir où le besoin l'exige.76-a

ARTICLE XXV. DES COMBATS ET DES BATAILLES.

1. DE LA SURPRISE DES CAMPS.

Il est fort difficile de surprendre les Autrichiens dans leur camp, à cause des troupes légères qui les environnent pour l'ordinaire. Pour l'ordinaire, quand deux armées campent dans un voisinage fort proche, ou elles décident leurs affaires promptement, ou l'une des deux occupe un poste inattaquable; cet événement arrive rarement entre de grandes armées, mais il est commun entre les détachements. <77>Pour surprendre son ennemi dans son camp, il faut qu'il ne pense point à pouvoir être surpris, et qu'il se fie ou à sa supériorité, ou sur son poste, ou sur ses avis, ou enfin qu'il se repose entièrement sur la vigilance de ses troupes légères. Dans tous les desseins que l'on forme, la première chose par laquelle il faut commencer, c'est de connaître le pays, ensuite la disposition locale des ennemis. Il faut connaître parfaitement tous les chemins qui vont à ce camp, et faire ensuite la disposition générale, fondée sur toutes ces connaissances de détail; l'on choisit ce qu'il y a de mieux et de plus instruit parmi les chasseurs pour conduire les colonnes, et l'on couvre toutes ces choses du voile du mystère et du secret, qui est l'âme de pareilles entreprises. On porte ses troupes légères en avant sous d'autres prétextes, mais en effet pour empêcher qu'un maudit déserteur ne vous trahisse; ces hussards empêchent les patrouilles de l'ennemi de s'aventurer et de s'apercevoir des mouvements de l'armée. On donne des instructions aux officiers généraux pour tous les cas, de sorte qu'ils sont instruits de ce qu'ils doivent faire à tout événement. Si le camp de l'ennemi est dans une espèce de plaine, on peut faire une avant-garde de dragons qui, se joignant aux hussards, s'abandonnent à toute bride dans le camp des ennemis, y portent le désordre, et sabrent tout ce qu'ils trouvent. Il faut les soutenir de toute l'armée, prendre son infanterie en avant, et surtout opposer de l'infanterie aux ailes de cavalerie des ennemis. L'attaque de l'avant-garde doit commencer une demi-heure avant le jour, et l'armée ne doit en être éloignée que de huit cents pas. On observe un profond silence durant la marche; on défend aux soldats de fumer du tabac. Dès que l'attaque commence, et que le jour paraît, l'infanterie, en formant quatre à cinq têtes, marche tout droit au camp, pour soutenir l'avant-garde. Elle ne tirera point avant la pointe du jour, car elle pourrait blesser ses propres gens; mais lorsque l'on peut voir, on fait tirer vers les endroits où le ravage de l'avant-garde ne tombe pas, princi<78>palement sur les ailes de cavalerie, dont les cavaliers, n'ayant ni le temps de seller et de brider, seront obligés de se retirer à pied et d'abandonner les chevaux. On poursuivra l'ennemi à l'autre côté du camp, et on lui lâchera toute la cavalerie, pour profiter de son désordre et de sa confusion. Si l'ennemi a abandonné ses armes, il faut laisser un gros détachement pour la garde de son camp, ne se point arrêter au pillage, mais le poursuivre avec toute la chaleur imaginable, d'autant plus qu'on ne saurait jamais en trouver d'occasion plus belle, qu'on détruira totalement cette armée, et que, le reste de la campagne, l'on fera tout ce que l'on voudra. La fortune m'avait donné une occasion semblable le jour de la bataille de Mollwitz, car nous arrivâmes sur M. de Neipperg avant qu'aucun ennemi parût; ses troupes cantonnaient en trois villages, mais je n'eus ni l'esprit ni l'habileté d'en profiter. Voici ce qu'il aurait fallu faire : prendre le village de Mollwitz entre deux colonnes d'infanterie, l'envelopper et l'attaquer,78-a détacher en même temps vers les autres deux villages, où était la cavalerie autrichienne, des dragons pour les mettre en confusion, de l'infanterie pour les empêcher de monter à cheval; je suis persuadé que toute leur armée aurait été perdue.

2. PRÉCAUTIONS CONTRE LES SURPRISES.

J'ai déjà dit quelles précautions nous prenons dans nos campements, et comme nous les gardons; mais en supposant que, malgré toutes ces précautions, l'ennemi peut approcher de l'armée, voici ce que je conseillerais de faire. Les troupes se mettront promptement en bataille sur le terrain qui leur est assigné; la cavalerie attaquera brusquement ce qu'il y a vis-à-vis d'elle; l'infanterie restera sur son poste, et fera un feu de peloton le plus vif qu'elle pourra jusqu'à l'aube du jour, que les généraux verront où ils en sont, s'il convient <79>d'avancer, si leur cavalerie est victorieuse ou battue, et ce qu'ils pourront entreprendre. Dans ces sortes d'occasions, il faut qu'un chacun prenne son parti et agisse de lui-même, sans attendre les ordres du général en chef.

Pour moi, je n'attaquerais jamais au milieu de la nuit, parce que l'obscurité entraîne le désordre, et que beaucoup de soldats ne font leur devoir que lorsqu'ils sont vus et qu'ils craignent la punition. Sur l'île de Rügen, en 1715, Charles XII attaqua de nuit le prince d'Anhalt, qui ne venait que d'y débarquer. Le roi de Suède avait raison de le faire, car il voulait cacher sa faiblesse, qui aurait été découverte de jour; il n'avait que quatre mille hommes, il en attaqua vingt mille, et fut battu.79-a

3. ATTAQUES DE RETRANCHEMENTS.

Si vous êtes obligé d'attaquer un ennemi retranché, faites-le d'abord, et ne lui donnez pas le temps de perfectionner son ouvrage, car ce qui était bon le premier jour devient souvent mauvais le second. Avant que d'attaquer, reconnaissez vous-même le poste de l'ennemi. Votre première disposition, qui roule sur le choix de l'attaque, facilite votre succès ou le rend difficile. La plupart des retranchements se prennent parce qu'ils ne sont pas assez bien appuyés; celui de Turin se prit du côté de la Doire, où le prince d'Anhalt eut assez de terrain pour le tourner, et celui de Malplaquet, par le bois qui était à la gauche de Villars, par lequel on le tourna. Si l'on s'était d'abord avisé de cette attaque, cela aurait épargné la vie à à peu près quinze mille hommes des alliés. Si le retranchement s'appuie à une <80>rivière, et que son bord soit guéable, il faut l'attaquer de ce côté-là. On prit celui des Suédois à Stralsund en le tournant par la mer, qui était guéable à son bord, et l'on força les Suédois de l'abandonner. Lorsque les retranchements de l'ennemi sont trop étendus et trop vastes pour les troupes qu'il y a mises, on forme plusieurs attaques, et on les emporte à coup sûr; mais on cache sa disposition à l'ennemi, pour qu'il ne s'aperçoive pas d'avance de votre dessein, en y portant ses forces. Voici une disposition pour l'attaque d'un retranchement, que le plan Ier éclaircira. Je forme une ligne de trente bataillons; j'appuie ma gauche à la rivière N.; j'emploie douze bataillons à l'attaque de la gauche, par où je veux percer, et huit à la droite; les troupes qui attaquent sont sur deux lignes, avec des intervalles, en échiquier; mon infanterie fait la troisième, et ma cavalerie, quatre cents pas derrière l'infanterie, fait la quatrième ligne. De cette façon, ma ligne d'infanterie tient l'ennemi en respect, et elle est à portée de profiter du moindre mouvement faux que l'ennemi fera. Les attaques ont leurs dispositions particulières; chacune mène avec elle un certain nombre de travailleurs, avec des pelles, qui portent des claies et des fascines pour combler le fossé et pour faire des ouvertures à la cavalerie dès qu'on y est entré. L'infanterie qui attaque ne tirera point, et, dès qu'elle sera maîtresse du retranchement, elle se mettra en bataille sur le parapet et fera feu sur l'ennemi. La cavalerie entrera alors par les ouvertures que les travailleurs auront faites, se formera, et, quand elle sera assez nombreuse, elle attaquera l'ennemi; si elle est repoussée, elle se ralliera sous le feu de l'infanterie, jusqu'à ce qu'enfin toute l'armée ait pénétré et ait entièrement chassé l'ennemi.

4. DÉFENSE D'UN RETRANCHEMENT.

Je l'ai dit et je le répète, je ne voudrais jamais retrancher mon armée, à moins que je ne fisse un siége; et encore vaudrait-il mieux <81>aller au-devant de l'ennemi.81-a Mais supposons pour un moment qu'on voulût se retrancher; en ce cas, je propose la façon la plus avantageuse de le faire. On occupe un petit terrain, pour qu'on puisse le garnir de bataillons contigus et se ménager encore deux ou trois grosses réserves d'infanterie, pour les porter dans la bataille, du côté où l'ennemi fait ses efforts; on borde le parapet de bataillons; on place les réserves derrière et de sorte qu'elles sont également à portée de tous côtés. La cavalerie est derrière ces réserves, rangée sur une seule ligne. Il faut bien appuyer le retranchement. S'il l'est à une rivière, on continue le fossé du retranchement aussi loin que l'on peut dans la rivière, pour ne point être tourné; s'il l'est à un bois, on fait de ce côté-là un recoude au retranchement et un abatis le plus épais que l'on peut en avant; on flanque les redans le mieux que l'on peut, on fait le fossé extrêmement large et profond, l'on perfectionne les ouvrages tous les jours, soit en fortifiant les parapets, en fraisant les bermes, en palissadant ou en faisant des trous de loup, ou en l'entourant de chevaux de frise. Votre plus grand avantage dépend du choix du lieu et de certaines règles de fortification qu'il faut observer : 1o obliger l'ennemi à vous attaquer par un petit front; 2o et le réduire à des points d'attaque capitaux. Pour mieux expliquer mon idée, voyez le plan II. Le devant du terrain est rétréci par l'abatis et la rivière, et vous présentez à l'attaquant un front qui le déborde. Il ne saurait attaquer votre droite, à cause qu'il aurait la batterie de l'autre côté de la rivière en flanc et la redoute du centre à dos. Il n'a donc aucune autre attaque que celle de la redoute du centre, et il faut encore qu'il l'attaque du côté de l'abatis. Comme vous vous attendez à cette attaque, cette redoute est le mieux fortifié de tous les autres ouvrages, et, n'ayant qu'un objet à défendre, votre attention n'est distraite par rien d'autre.

Le numéro III présente un autre plan de retranchement. Ce sont<82> des redoutes saillantes et des redoutes retirées qui se flanquent, et qui sont jointes par un retranchement. Cette espèce de fortification rend les saillantes points d'attaque, et, comme il n'y en a que quelques-unes, on les peut perfectionner plus vite que s'il fallait fortifier également tout le front. Il faut que le feu de mousqueterie des redoutes saillantes se croise; par conséquent elles ne doivent être éloignées que de six cents pas les unes des autres. Notre infanterie défend un retranchement par des décharges de bataillons entiers; il faut que chaque homme soit pourvu de cent coups. On mêle le plus de canons que l'on peut entre les bataillons et dans la pointe des redoutes. De loin ils tirent à boulets, et de quatre cents pas à mitraille. Supposé que, malgré la bonté du retranchement et notre feu prodigieux, l'ennemi perce quelque part, alors la réserve d'infanterie avance sur lui et le rechasse; et, supposé que celle-là plie, c'est alors à la cavalerie à faire ses derniers efforts pour repousser l'ennemi.

5. POURQUOI LES RETRANCHEMENTS SOUVENT SONT FORCÉS.

La plupart des retranchements sont forcés, parce qu'ils ne sont pas faits selon les règles, que celui qui se défend est borné, que les troupes sont timides, et que celui qui attaque a ses mouvements libres et plus d'audace. De plus, l'exemple a fait voir que, dès qu'un retranchement est forcé dans un endroit, toute l'armée, découragée, l'abandonne. Je crois cependant que nos troupes auraient plus de résolution, et qu'on rechasserait l'ennemi autant de fois qu'il aurait percé; mais à quoi serviraient ces succès? Ces retranchements mêmes vous empêcheraient d'en profiter.

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6. POURQUOI LES LIGNES NE VALENT RIEN.

S'il se trouve autant d'inconvénients à se retrancher, il en résulte naturellement que les lignes sont plus mauvaises encore. Cette mode est venue dans nos guerres modernes par le prince Louis de Bade; il en fit à Brühl, les Français en firent ensuite en Flandre, durant la guerre de succession. Je dis qu'elles ne valent rien, à cause qu'elles occupent plus de terrain qu'on n'a de troupes pour les garder; que, en formant plusieurs attaques, on est sûr de les forcer, et que par conséquent elles ne couvrent point le pays, et qu'elles ne sont bonnes qu'à faire perdre la réputation aux troupes que l'on y place.

7. COMMENT ON PEUT BATTRE L'ENNEMI A FORCES INÉGALES.

Lorsque le nombre des troupes prussiennes est inférieur aux ennemis, il ne faut pas désespérer de les vaincre; mais il faut alors que la disposition du général supplée au nombre. Les armées faibles doivent chercher des pays fourrés et montagneux, à cause que les terrains y sont tous étroits, que le nombre des ennemis, dès qu'il ne saurait les déborder, leur devient inutile et quelquefois même à charge. J'ajoute encore qu'on y appuie bien mieux les ailes d'une armée dans un terrain montueux et coupé que dans des plaines. Nous n'aurions jamais gagné la bataille de Soor, si le terrain ne nous eût favorisés, car, quoique notre nombre n'allât qu'à la moitié de celui des Autrichiens, ils ne nous débordèrent pas; ainsi le terrain remit une sorte d'égalité entre les deux armées. Ainsi ma première règle tombe sur le choix du terrain, la seconde sur la disposition de la bataille même; c'est dans ces occasions que mon ordre de bataille oblique83-a peut être employé très-utilement. (Plan IV.) On refuse une <84>aile à l'ennemi, et l'on fortifie celle qui doit attaquer. Avec celle-là vous faites tous vos efforts sur une aile de l'ennemi, que vous prenez en flanc. Une armée de cent mille hommes, prise en flanc, peut être battue par trente mille hommes, car l'affaire se décide alors bien vite. Voyez le plan numéro IV. C'est ma droite qui fait tout l'effort; un corps d'infanterie se coule dans le bois, pour donner sur le flanc de la cavalerie ennemie et pour protéger l'attaque de notre cavalerie. Quelques régiments de hussards ont ordre de tomber sur le dos des ennemis; ensuite l'armée avance. Dès que la cavalerie ennemie est battue, l'infanterie du bois attaque celle des ennemis par le flanc, tandis que votre infanterie la prend de front; et il ne faut faire approcher l'aile gauche que lorsque la gauche des ennemis est totalement défaite. Voici les avantages de cette disposition : 1o un petit nombre peut se mesurer à un corps supérieur; 2o une partie de votre armée attaque l'ennemi d'un côté décisif; 3o si vous êtes battu, ce n'est qu'une partie de votre armée qui l'a été, et les trois quarts, de troupes fraîches, servent à faire la retraite.

8. DES POSTES. (Plan V.)

Lorsque l'ennemi occupe un poste, on en observe bien le fort ou le faible avant que de faire les dispositions d'attaque, et l'on se détermine toujours pour l'endroit où il y a le moins de résistance à craindre. Les attaques de villages sont si meurtrières, que je me suis fait une loi de les éviter soigneusement, à moins de m'y voir obligé nécessairement, à cause qu'on peut y perdre la fleur de son infanterie, et que de vie d'homme on ne parviendra pas à en former une meilleure que la nôtre. Il y a des généraux qui soutiennent qu'on ne saurait mieux attaquer un poste que par le centre. J'ai feint un poste semblable, supposant que l'ennemi a deux villes ou deux gros villages sur ses ailes. Il est sûr qu'en forçant le centre, les ailes sont <85>perdues, et qu'une attaque pareille peut mener aux plus brillantes victoires. J'en donne ici le dessin, en ajoutant que, si vous êtes heureux, il faut grossir l'attaque et, si vous percez, replier une partie des ennemis sur leur droite et les autres sur leur gauche.

Dans les postes, rien n'est plus redoutable que les batteries de canons chargés de mitraille, qui font un ravage horrible dans les bataillons. J'ai vu attaquer des batteries à Soor et à Kesselsdorf, et, ayant remarqué dans les ennemis les mêmes fautes dans les mêmes actions, cela m'a fait naître une idée que j'expose ici à tout hasard.

Je suppose qu'il faille emporter une batterie de quinze canons qui ne peut se tourner. J'ai vu que le feu des canons et de l'infanterie qui les soutient la rend inabordable. Nous n'avons emporté les batteries des ennemis que par leur faute. Notre infanterie assaillante, à moitié détruite, recula par deux reprises; l'infanterie ennemie voulut la poursuivre, et quitta son poste. Par ce mouvement, son canon lui devint inutile, et nos gens, les talonnant de près, arrivèrent en même temps que les ennemis à la batterie, qu'ils emportèrent. Ces deux expériences m'ont fait imaginer d'imiter ce que nos troupes ont fait alors, c'est-à-dire de former l'attaque sur deux lignes en échiquier, de mettre quelques escadrons de dragons derrière pour les soutenir, d'ordonner à la première ligne d'attaquer mollement et de se retirer dans les intervalles de la seconde, pour que l'ennemi, trompé par cette retraite simulée, coure à la poursuite, et abandonne son poste. Ce moment-là est comme le signal qu'il faut marcher en avant et attaquer vigoureusement, comme on en verra la disposition dans le plan VI.

9. DE LA DÉFENSE DES POSTES.

Mon principe est de ne jamais mettre ma confiance dans un poste, à moins qu'il ne soit physiquement démontré qu'il est inattaquable. <86>Toute la force de nos troupes est dans l'attaque; nous serions des fous d'y renoncer gratuitement. On observe, dans les postes, d'occuper les hauteurs et de bien appuyer ses ailes. Pour tous les villages qui seraient devant ou sur les ailes de l'armée, je les ferais allumer, à moins que le vent ne portât la fumée dans notre propre camp. S'il y avait cependant quelque bonne cassine massive, mille pas devant le front de l'armée, j'y mettrais de l'infanterie, pour foudroyer les ennemis et les incommoder pendant la bataille. Il faut bien prendre garde, dans les postes, de ne point placer des troupes dans des endroits où elles ne peuvent pas combattre. Notre camp de Grottkau, l'année 1741, ne valait rien, parce que le centre et la gauche étaient derrière des marais impraticables. Il n'y avait qu'une partie de la droite qui pût agir. Villeroi fut battu à Ramillies pour s'être ainsi posté; sa gauche lui était inutile, l'ennemi porta toute sa force contre la droite des Français, que rien ne put y résister. Je crois que les Prussiens peuvent prendre des postes comme les autres, s'en servir pour un moment, afin de profiter des avantages de l'artillerie, mais abandonner le poste tout d'un coup et attaquer fièrement l'ennemi, qui, d'assaillant devenant l'assailli, verra ses projets tout d'un coup détruits; de plus, toutes les choses que l'on fait, auxquelles l'ennemi ne s'attend pas, font un effet admirable.

10. BATAILLES DANS DES PLAINES COUPÉES.

Ces sortes de batailles sont absolument du genre des postes. On attaque par l'endroit le plus faible. Je ne voudrais jamais que mon infanterie tirât en de pareilles occasions, à cause que cela les arrête, que ce n'est pas les ennemis que l'on tue qui nous donnent la victoire, mais le terrain que l'on gagne. Ainsi, avancer fièrement et en bon ordre, et gagner en même temps du terrain, c'est gagner la bataille. J'ajoute à ceci comme une règle générale que, dans les ter<87>rains coupés et difficiles, on donne quinze pas pour les distances des escadrons; quand c'est une plaine, ils sont contigus. Pour la ligne d'infanterie, elle n'a d'autre intervalle à moins87-a celui qu'il faut pour le canon, et il n'y a qu'aux attaques de retranchements, aux attaques de batteries ou de villages, et dans les arrière-gardes de retraites, que je mets l'infanterie et la cavalerie en échiquier dans les attaques, pour que les corps puissent se replier sans confusion, ou pour fortifier tout d'un coup votre ligne par la seconde, qui entre dans les intervalles de la première, et dans les retraites, pour que les lignes puissent se retirer sans confusion et s'entre-soutenir toujours. Ceci est une règle générale.

11. DES BATAILLES EN RASE CAMPAGNE. (Plan VII.)

Je trouve ici le lieu de donner quelques règles générales de ce qu'il faut observer en formant l'armée vis-à-vis de l'ennemi, dans quelque occasion que ce soit. La première est de prendre des points de vue pour les ailes; on fait dire par exemple : La droite s'alignera sur ce clocher, et la gauche sur ce moulin à vent. Il faut, de plus, que le général retienne ses troupes, pour qu'elles ne prennent pas une fausse position. Il n'est pas toujours nécessaire d'attendre que toute l'armée soit formée pour attaquer, car cela va vite, et l'on pourrait perdre ses avantages mal à propos par ces longueurs; mais il faut cependant qu'un nombre considérable soit formé, et l'on a toujours sa principale attention à la première ligne; ainsi, sans égard à l'ordre de bataille, si les régiments de la première ligne n'y sont pas tous, on les remplace par ceux de la seconde. On appuie ses deux ailes, du moins l'une, avec laquelle on veut faire son principal effort. Les batailles en rase campagne doivent être générales, car l'ennemi, ayant tous ses mouvements libres, pourrait se servir d'un corps que vous <88>lui laissez à sa disposition pour vous tailler de la besogne. Si une des ailes de cavalerie n'est point appuyée, c'est au général qui commande la seconde ligne de dragons de déborder la première sans même qu'on le lui dise, et les hussards, qui sont en troisième ligne, doivent déborder les dragons. Ceci est une règle générale, dont voici la raison. Si l'ennemi fait quelque manœuvre pour prendre les cuirassiers de la première ligne en flanc, vos dragons et vos hussards tombent sur le sien, et votre cavalerie n'a rien à craindre. Vous verrez de plus, par le plan VII, que je place trois bataillons dans les intervalles de la droite et de la gauche de mes lignes d'infanterie. C'est pour plus de sûreté; supposé que la cavalerie soit battue, votre infanterie peut se soutenir, comme cela arriva à Mollwitz. Le général qui commande la seconde ligne d'infanterie est à trois cents pas de la première. S'il voit quelque intervalle dans la première ligne, il doit aussitôt le boucher par quelques bataillons de la seconde, qu'il y fera entrer. Dans les plaines, il faut toujours avoir une réserve de cavalerie derrière le centre de la bataille. Il faut choisir un bon officier pour la commander. Celui-là agit par lui-même; s'il voit qu'une des ailes de cavalerie a besoin de secours, il y vole avec son monde, et si cette aile est battue, il tombe sur le flanc de l'ennemi qui poursuit, et donne à la cavalerie le temps de se rallier et de se reconnaître. La cavalerie attaque au plein galop; elle engage l'affaire. L'infanterie marche à grands pas à l'ennemi. Les commandeurs des bataillons tâcheront d'enfoncer l'ennemi, sans tirer qu'il n'ait tourné le dos. Si les soldats commencent à tirer, ils doivent leur faire remettre le fusil sur l'épaule et avancer toujours, mais tirer par bataillons entiers dès que l'ennemi tourne le dos. Une bataille engagée de cette façon - là sera expédiée bien vite.

Je présente un ordre de bataille nouveau dans mon huitième plan. La différence qui s'y voit de l'autre est qu'il s'y trouve des corps d'infanterie aux extrémités de la cavalerie. En voici la raison : c'est pour<89> soutenir la cavalerie; dans le commencement de l'action, la canonnade de ces corps et de ceux des ailes d'infanterie doivent viser à la cavalerie ennemie, pour que la nôtre en ait meilleur jeu. Si une aile de cavalerie est poussée par l'ennemi, il ne saurait la poursuivre, car il se mettrait entre deux feux, et notre cavalerie a le temps de se rallier. Si notre cavalerie est victorieuse, comme il y a apparence, cette infanterie s'approche de celle de l'ennemi. Vos bataillons qui sont entre les deux lignes font un quart de conversion, et deviennent votre aile. Ceux-ci et ceux qui étaient sur l'aile chargent l'ennemi en flanc et en queue, de sorte que vous en aurez bon marché. Votre cavalerie victorieuse ne doit point laisser à celle de l'ennemi le temps de se rallier, mais la poursuivre sans cesse en bon ordre, et la couper le plus qu'elle peut de son infanterie. Si la confusion y est totale, le général de la cavalerie les fait poursuivre par les hussards, et les soutient par les cuirassiers, et il enverra les dragons sur la route que les fuyards de l'infanterie ennemie tiendront, pour les couper et faire nombre de prisonniers.

Le plan VIII diffère encore des autres, en ce que des escadrons de dragons sont mêlés parmi la seconde ligne d'infanterie. En voici la raison. J'ai remarqué, dans toutes les actions que j'ai eues avec les Autrichiens, que, lorsque le feu de la mousqueterie a duré un quart d'heure, leurs bataillons tourbillonnent à l'entour de leurs drapeaux. A Friedeberg, notre cavalerie donna dessus, et en fit grand nombre de prisonniers. Si donc ces dragons se trouvent d'abord à portée, il faut les lâcher alors sur cette infanterie, que vous détruirez à coup sûr. Mais on dira que je défends de tirer, et que cette disposition ne roule que sur le feu de mon infanterie. Je réponds à cela que de deux choses que je prévois il en arrivera une : ou que mon infanterie tirera malgré que cela lui est défendu, ou que, si elle exécute mes ordres, l'ennemi tournera également le dos. Dans l'un ou l'autre cas, il faut lâcher la cavalerie lorsqu'ils se mettent en con<90>fusion. Alors ces gens, pris en flanc, assaillis par devant, et coupés par derrière par les secondes lignes de cavalerie, tomberont presque tous entre vos mains. Ce ne sera pas une bataille, mais la destruction totale de vos ennemis, surtout s'il ne se trouve pas un défilé trop voisin qui protége leur fuite.

Plan IX. Je finis cet article par une seule réflexion. Si vous marchez par lignes à une bataille, soit par la droite, ou par la gauche, il faut que les pelotons observent bien leur distance, pour qu'ils ne soient ni trop pressés, ni trop éloignés. Si vous marchez de front (plan X), il faut que les pelotons et les bataillons soient tous serrés les uns sur les autres, pour que, lorsque vous commencez à vous déployer, vous vous formiez plus promptement.

12. DE L'ARTILLERIE.

Je distingue les gros canons de ceux qui sont attachés aux bataillons. On place les grosses pièces sur des hauteurs, au commencement de l'action, et les petites à cinquante pas devant le front. Il faut qu'ils visent et tirent juste. Quand on est à cinq cents pas de l'ennemi, les petits canons se tirent à bras d'hommes, et ils peuvent rester auprès des bataillons et tirer continuellement en avançant. Quand l'ennemi s'enfuit, les gros canons avancent, et lui donnent encore quelques décharges pour lui souhaiter bon voyage. Six canonniers sont auprès de chaque canon de la première ligne, et trois charpentiers des régiments. J'ai oublié de dire que les canons doivent tirer à mitraille à trois cent cinquante pas.

13. DE CE QU'IL FAUT OBSERVER DANS LA POURSUITE.

A quoi sert l'art de vaincre, si l'on ne sait pas profiter de ses avantages? Verser le sang des soldats à pure perte, c'est les conduire <91>inhumainement à la boucherie; et dans de certains cas, ne pas poursuivre l'ennemi pour augmenter sa peur ou faire plus de prisonniers, c'est en quelque façon remettre une chose en question, qui vient d'être décidée. Ce sont ou les vivres ou les fatigues qui empêchent une armée de poursuivre les vaincus. Quant aux vivres, c'est la faute du général. S'il donne bataille, il a un dessein, et s'il a un dessein, il doit préparer d'avance tout ce qu'il faut pour l'exécuter. On tient donc du pain et du biscuit tout prêts pour huit ou dix jours. Quant aux fatigues, à moins qu'elles n'aient été excessives, il faut faire dans des jours extraordinaires des choses extraordinaires. Après avoir vaincu, je veux donc que l'on fasse un détachement des régiments qui ont le plus souffert, qui auront soin des blessés, et qui les feront emporter à l'hôpital qu'on leur a préparé, songeant premièrement aux vôtres, et ne manquant pas d'humanité pour ceux des ennemis. Quant à l'armée, elle poursuivra l'ennemi jusqu'au premier défilé, et dans ces premiers temps91-a il ne tiendra nulle part, pourvu qu'on ne lui laisse pas le temps de revenir à lui-même. Cependant campez-vous toujours selon les règles, et ne vous endormez pas. Si la bataille a été bien complète, on peut détacher, ou pour couper la retraite à l'ennemi, ou pour s'emparer de ses magasins, ou pour faire le siége de trois ou quatre villes à la fois. Je ne puis point donner de règle générale là-dessus; il faut se régler sur les événements. J'ajoute seulement qu'il ne faut jamais s'imaginer d'avoir tout fait, lorsqu'il reste encore quelque chose à faire,91-b ni s'imaginer que votre ennemi, s'il est habile, ne profitera pas de vos fautes, quoiqu'il soit vaincu.

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14. DES AFFAIRES DE DÉTACHEMENT.

Ce qui se pratique dans les armées les jours de bataille se fait de même en petit dans les combats de détachement. Lorsque les détachements peuvent se ménager un petit secours qui leur arrive pendant l'action, cela détermine ordinairement l'événement en leur faveur, car l'ennemi, voyant arriver ce renfort, se le représente le triple plus fort, et se décourage. Lorsque notre infanterie n'a affaire qu'à des hussards, on la range souvent sur deux files; elle en occupe un plus grand front, charge plus commodément, et c'est faire assez d'honneur aux hussards que de leur présenter un corps sur deux files.

15. RETRAITES DES CORPS BATTUS.

Une bataille perdue est un moindre mal par la perte des troupes que par le découragement; car, en effet, sur une armée de cinquante mille hommes, qu'il y en ait quatre mille ou cinq mille de plus ou de moins, cet objet n'est pas assez considérable pour étouffer l'espérance. Un général battu doit travailler à guérir sa propre imagination et celle de ses officiers et soldats, et à ne point augmenter et amplifier soi-même ses pertes. Je fais des vœux au ciel pour que les Prussiens ne soient jamais battus, et j'ose dire que, tant qu'ils seront bien menés et disciplinés, ce malheur ne sera point à craindre. Mais, en cas d'accident, voilà comme il faudrait se remettre. Si vous voyez que votre affaire est sans ressource, c'est-à-dire, que vous ne pouvez plus empêcher ni résister aux mouvements que l'ennemi a faits, il faut prendre de l'infanterie de la seconde ligne et, si vous avez un défilé dans le voisinage, le garnir selon la disposition que j'ai donnée des retraites, et y mettre le plus de canons que vous pouvez; si vous <93>n'avez point de défilé voisin, retirer votre première ligne par les intervalles de la seconde, et la reformer à trois cents pas de là; y joindre les débris de votre cavalerie, et, si vous le voulez, faire un carré pour protéger votre retraite. Deux carrés sont fameux dans l'histoire : celui de M. de Schulenbourg à la bataille de Fraustadt, où il se retira jusqu'à l'Oder, sans que Charles XII le pût forcer, et celui que fit le prince d'Anhalt lorsque Styrum perdit la première bataille de Hochstadt. Le prince d'Anhalt traversa une plaine d'un mille de long, sans que la cavalerie française pût l'entamer. J'ajoute à ceci que pour être battu, il ne faut pas se sauver à vingt milles du champ de bataille; il faut s'arrêter au premier bon poste que l'on trouve, faire bonne contenance, remettre l'armée, et calmer les esprits qui sont encore découragés de leur disgrâce.

ARTICLE XXVI. POURQUOI ET COMMENT ON LIVRE BATAILLE.

Les batailles décident du sort des États. Lorsqu'on fait la guerre, il faut bien en venir à des moments décisifs, ou pour se tirer d'embarras, ou pour y mettre votre ennemi, ou pour terminer des querelles qui ne finiraient jamais. Un homme raisonnable ne doit faire aucune démarche sans un bon motif, et un général d'armée ne doit à plus forte raison jamais livrer bataille sans un but important, et, s'il est forcé de se battre, c'est toujours parce qu'il a commis quelque faute qui l'a réduit à recevoir cette fière loi de son ennemi. Vous voyez bien que je ne fais pas ici mon panégyrique, car, des cinq batailles que mes troupes ont livrées aux ennemis, il n'y en a eu que trois de préméditées de ma part; j'ai été forcé aux deux autres : à celle de Mollwitz, parce que les Autrichiens s'étaient mis entre <94>mon armée et Ohlau, où étaient mon artillerie et mes vivres; à celle de Soor, parce que les Autrichiens me coupaient le chemin de Trautenau, et que je ne pouvais éviter, sans ma ruine certaine, d'entrer en action. Mais que l'on voie la différence qu'il y a entre ces batailles forcées et les batailles prévues. Quels succès n'eurent pas celles de Friedeberg et de Kesselsdorf, et celle de Czaslau, qui nous procura la paix! Ainsi, en donnant des préceptes ici que je n'ai pas suivis moi-même, par imprudence, c'est pour que mes officiers profitent de mes fautes, et qu'ils sachent que je pense à m'en corriger. Quelquefois les deux armées sont également disposées à donner bataille; alors la besogne est promptement expédiée. Les meilleures batailles sont celles où l'on force l'ennemi par nécessité à se battre; car c'est une règle certaine qu'il faut toujours obliger l'ennemi à ce qui lui répugne, car, comme vos intérêts sont diamétralement contraires, il faut que vous vouliez tout ce qu'il ne veut pas. Voici les raisons pour lesquelles on livre bataille : pour faire lever le siége à l'ennemi d'une de vos places; pour le chasser d'une province qu'il envahit; pour pénétrer dans le sien, pour faire un siége, ou pour vaincre son obstination à ne pas vouloir la paix.94-a On oblige l'ennemi à se battre, en faisant une marche forcée qui vous porte à son dos, et qui le coupe de ses derrières, ou bien en menaçant une ville qu'il lui importe de conserver à tout prix. Mais qu'on y prenne bien garde : lorsqu'on fait faire de ces sortes de manœuvres aux armées, il ne faut pas non plus s'y mettre dans un même inconvénient en se postant de façon que l'ennemi peut vous couper de vos magasins à son tour. Les actions où l'on risque le moins sont les affaires d'arrière-garde. On se campe proche de l'ennemi, et, s'il veut se retirer pour passer quelque défilé en votre présence, vous tombez sur la queue de son armée. L'on risque peu dans ces actions, et l'on gagne beaucoup. Le prince<95> de Lorraine aurait pu engager une affaire de cette nature avec nous, si, au lieu de marcher à Soor, il avait attendu que nous eussions pris le camp de Trautenau, et qu'il se fût alors campé vis-à-vis de mon armée. La marche de Schatzlar nous aurait bien autrement coûté, et je crois que ce prince y aurait trouvé ses avantages.95-a On se bat, de plus, pour empêcher la jonction des ennemis. Cette raison est valable; mais un ennemi habile trouvera bien l'art de vous échapper par une marche forcée, ou en occupant un poste de choix. Quelquefois on ne prémédite pas une action, mais on est invité de l'engager par des fautes de l'ennemi, dont il faut profiter pour l'en punir.

J'ajoute à ces maximes que nos guerres doivent être courtes et vives. Il ne nous convient pas du tout de traîner les choses en longueur. Une guerre de durée détruirait insensiblement notre admirable discipline; elle dépeuplerait le pays, et épuiserait nos ressources. Il faut donc que ceux qui commandent des armées prussiennes cherchent prudemment à décider les choses; il ne faut point qu'ils pensent comme le maréchal de Luxembourg, à qui son fils disait dans la guerre d'Italie :95-b « Il me semble, mon père, que nous pourrions encore prendre une telle ville. - Tais-toi, petit sot, lui répondit le maréchal; veux-tu que nous retournions planter des choux chez nous? » En un mot, pour ce qui regarde les batailles, il faut suivre la maxime du sanhédrin des Hébreux :95-c I vaut mieux qu'un homme meure que si tout le peuple périssait.95-d

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ARTICLE XXVII. DES HASARDS ET DES CAS FORTUITS QUI ARRIVENT A LA GUERRE.96-a

Les généraux sont plus à plaindre que l'on ne pense; tout le monde les juge sans les entendre. Les gazettes les sacrifient aux mauvais propos du public, et, de quelques milliers de personnes qui les condamnent, il n'y en a pas une peut-être qui en sait assez pour commander le moindre détachement d'une armée. Je ne prétends point faire l'apologie des généraux qui font des fautes, car ils méritent la critique; aussi je sacrifie volontiers ma campagne de l'année 1744, et j'avoue que, parmi beaucoup d'écoles, je n'y ai fait que quelques choses de bien, comme le siége de Prague, la retraite et la défense de Kolin, et enfin la retraite en Silésie. Je prétends parler ici de ces événements malheureux sur lesquels la prévoyance et le conseil n'ont aucun empire; et comme c'est pour mes officiers que j'écris, je ne leur alléguerai d'exemples que de choses qui me sont arrivées. Comme nous étions au camp de Reichenbach, en 1741, j'avais dessein de gagner la rivière de la Neisse par une marche forcée, et de me mettre entre cette ville et l'armée de Neipperg, pour en couper les Autrichiens. Toute la disposition était faite. Il survint des pluies abondantes, qui gâtèrent tous les chemins. Notre avant-garde, qui conduisait les pontons avec elle, ne put point avancer. Le jour de la marche, il fit un brouillard si épais, que les gardes d'infanterie qui avaient été dans les villages s'égarèrent et ne purent pas même <97>rejoindre leurs régiments. Cela alla si loin que, au lieu de marcher à quatre heures comme cela était résolu, nous ne pûmes marcher qu'à midi. Ainsi plus de marche forcée; ainsi l'ennemi nous prévint, et un brouillard détruisit tout mon projet.

Une mauvaise récolte dans un pays où l'on veut porter la guerre fera manquer toute la campagne; des maladies qui se mettent dans les troupes au milieu des opérations vous mettront sur la défensive, comme cela arriva l'an 44, en Bohême, par la mauvaise nourriture que les troupes avaient prise.97-a Je chargeai, pendant la bataille de Friedeberg, un de mes aides de camp de dire au prince Charles qu'il se mît à la tête de ma seconde ligne comme le plus ancien, parce que Kalckstein avait été détaché sur l'aile droite, contre les Saxons. Cet aide de camp fit un quiproquo, et dit au Margrave de former ma seconde ligne de la première. Je m'aperçus encore à temps de ce malentendu, et j'eus le temps d'y remédier. Mais que l'on soit bien sur ses gardes, et que l'on pense qu'une commission rendue de travers peut perdre toutes vos affaires. Si un général devient malade, ou qu'il ait le malheur d'être tué à la tête d'un détachement d'importance, voilà tout d'un coup bien des mesures dérangées, car il faut de bonnes têtes et des génies offensifs pour les détachements, et ces derniers sont rares; je n'en connais dans mon armée que trois ou quatre tout au plus. Si, malgré toutes vos précautions, l'ennemi vient à bout de vous enlever un convoi, toutes vos mesures sont dérangées et vos desseins suspendus. Si vous êtes obligé par des raisons de guerre de faire quelques mouvements en arrière, vous découragez vos troupes. J'ai été assez heureux de n'en point faire l'expérience avec mon armée entière; mais j'ai vu, après la bataille de Mollwitz, combien de temps il faut pour rassurer un corps découragé; car ma cavalerie était au point qu'elle croyait que je l'envoyais à la boucherie lorsque je faisais quelque détachement pour l'aguerrir. C'est<98> depuis la bataille de Friedeberg que l'on peut marquer l'époque de sa régénération.

Que l'ennemi découvre un espion d'importance que vous avez dans son camp, voilà votre boussole perdue, et vous n'apprenez plus de ses manœuvres que celles que vous voyez.

La négligence des officiers qui doivent battre l'estrade peut vous mettre dans les plus grands embarras. Neipperg fut surpris à Mollwitz de cette façon-là, car l'officier hussard qu'il avait chargé d'aller à la découverte négligea son devoir, et nous fûmes vis-à-vis de lui lorsqu'il s'y attendit le moins. Un officier de Zieten fit mal la patrouille aux bords de l'Elbe; justement les ennemis firent, la nuit,98-a leur pont à Selmitz, et surprirent le passage.

Apprenez donc à ne jamais confier la sûreté de toute l'armée à la vigilance d'un seul petit officier, et retenez bien ce que j'ai dit dans l'article de la défense des rivières en général. Les batteurs d'estrade ne doivent être regardés que comme une précaution superflue; il ne faut jamais entièrement se reposer là-dessus, mais prendre encore beaucoup d'autres précautions plus solides et plus certaines.

Les trahisons sont le pire de tous les malheurs. En 1734, le prince Eugène fut trahi par le général Stein, qui était gagné par les Français. Je perdis Cosel par la trahison d'un officier de cette garnison qui déserta et y introduisit les ennemis.98-b

Enfin, de tout ce que je viens de dire il en résulte que, quelque heureux que l'on soit, il ne faut jamais se confier à la fortune, ni se bouffir de ses succès, mais penser que notre peu de sagesse et de prudence devient souvent le jouet des hasards et de ces cas fortuits par lesquels je ne sais quel destin se plaît à humilier l'orgueil des présomptueux.

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ARTICLE XXVIII. S'IL FAUT QU'UN GÉNÉRAL TIENNE DES CONSEILS DE GUERRE.

Le prince Eugène disait qu'il n'y avait rien de tel que de tenir un conseil de guerre toutes les fois qu'un général avait envie de ne rien entreprendre. Cela est si vrai, que la plupart des voix sont toujours pour la négative. Un général auquel le prince confie ses troupes doit agir par lui-même, et la confiance qu'il a dans le mérite de ce général l'autorise à le faire. De plus, le secret si nécessaire à la guerre n'est jamais observé dans les conseils de guerre. Je crois cependant qu'un général auquel un subalterne ouvre un bon avis doit en profiter. Un vrai citoyen, quand il s'agit du service de l'État, s'oublie soi-même. Il va au bien des affaires, sans s'embarrasser si ce qui y mène vient de lui ou d'un autre, pourvu qu'il obtienne son but.

ARTICLE XXIX. DES NOUVELLES MANŒUVRES DE L'ARMÉE.

Vous aurez vu, par toutes les maximes que j'ai établies, sur quoi se fonde la théorie des évolutions que j'ai introduites dans les troupes. Le dessein de ces manœuvres est de profiter et de gagner du temps dans toutes les occasions, soit pour sortir du camp, soit pour être formé plus vite que l'ennemi, soit pour se mettre promptement et sans confusion dans l'ordre de bataille ordinaire ou oblique, soit pour gagner promptement le terrain et décider une affaire plus vite que ce n'a été l'usage jusqu'à présent, soit pour renverser l'ennemi <100>par notre furieux choc de cavalerie, dont l'impétuosité entraîne le poltron comme le brave homme. Tous servent également alors, et aucun cavalier ne devient inutile. Ce système est donc fondé sur la promptitude de tous les mouvements et sur la nécessité de l'attaque. Je me flatte que les généraux qui se convaincront de la nécessité et de l'utilité de cette discipline joindront leurs efforts aux miens pour la perfectionner et la maintenir, soit en paix, ou en guerre. Je n'oublierai jamais ce que Végèce dit des Romains : « Et enfin, s'écrie cet auteur dans une espèce d'enthousiasme, la discipline romaine triompha de la haute taille des Germains, de la force des Gaulois, de la ruse des Grecs, du nombre des Barbares, et subjugua toute la terre connue. »100-a Tant la fortune des États tient à la discipline des armées!

ARTICLE XXX. DES QUARTIERS D'HIVER.

Lorsque la campagne est finie, l'on pense aux quartiers d'hiver, que l'on prend selon les circonstances où l'on se trouve. On règle premièrement la chaîne de troupes qui couvre les quartiers. On fait ces chaînes de trois façons : derrière une rivière, par des postes qui défendent des montagnes, ou par la protection de villes fortes. L'hiver de 1741 à 42, le corps de mes troupes qui hiverna en Bohême prit ses quartiers derrière l'Elbe. La chaîne qui le couvrait alors, de Brandeis, Nimbourg, Kolin, Podiebrad et Pardubitz, se terminait à Königingrätz. J'ajoute à ceci qu'il ne faut jamais se fier aux rivières, qu'on les passe toute part quand elles sont gelées, et qu'une précaution nécessaire est de placer des hussards dans tous ces postes <101>pour être vigilants sur les mouvements de l'ennemi, et ces hussards font sans cesse des patrouilles en avant, pour savoir si l'ennemi est tranquille, ou s'il assemble ses troupes quelque part.101-a

L'hiver de 44 à 45, nous fîmes la chaîne de nos quartiers le long des montagnes qui séparent la Bohême de la Silésie, observant exactement les limites des frontières, pour avoir fin repos. Le lieutenant-général Truchsess avait la frontière depuis la Lusace jusqu'au pays de Glatz, c'est-à-dire, les postes de Schmiedeberg, de Friedland, qu'on avait fortifiés par deux redoutes, quelques petits postes fortifiés vers le chemin de Schatzlar, Liebau et Silberberg. Truchsess avait la réserve pour soutenir celui de ces postes que l'ennemi voudrait insulter. Tous ces détachements s'étaient fortifiés par des abatis; ils avaient rompu les chemins qui vont en Bohême, et chaque poste avait ses hussards pour battre l'estrade. Lehwaldt défendait le comté de Glatz avec un détachement pareil et les mêmes précautions. Ces deux généraux se prêtaient la main. Si les Autrichiens marchaient à Truchsess, Lehwaldt leur venait à dos par la Bohême, et vice vers101-a. Les villes de Troppau et de Jägerndorf faisaient nos têtes dans la Haute-Silésie; elles communiquaient à Glatz par Ziegenhals et Patschkau, et à Neisse par Neustadt. J'ajoute à ceci qu'il ne faut jamais mettre sa confiance aux montagnes, et se souvenir du proverbe qui dit : Le soldat passe où passe la chèvre.

Je renvoie aux quartiers d'hiver du comte de Saxe pour l'exemple de chaînes de quartiers soutenues par des forteresses. Ce sont les meilleures; mais tout le monde n'a pas le choix libre, et il faut faire ses chaînes sur le terrain que l'on occupe. J'ajoute à ceci pour maxime qu'il ne faut pas s'opiniâtrer pour une ville ou pour un poste dans des quartiers d'hiver, à moins que de ce poste l'ennemi ne puisse vous<102> faire beaucoup de mal, parce que votre unique attention doit être de procurer du repos à vos troupes dans leurs quartiers. J'ajoute pour seconde maxime que la meilleure méthode est d'envoyer les régiments par brigades dans leurs quartiers, pour que les généraux les gardent sous leur inspection. Notre service demande aussi qu'on place, tant qu'on le peut, les régiments auprès des généraux qui en sont les chefs. Cette règle cependant est sujette à des exceptions, et c'est au général en chef à voir jusqu'où il peut y avoir égard.

Voici la règle que je donne pour l'entretien des troupes. Si leurs quartiers sont dans mon pays, il faut que je donne une gratification aux capitaines et aux subalternes, que le soldat reçoive le pain gratis, et de la viande de même. Si c'est en pays ennemi, le général principal aura quinze mille,102-a ceux d'infanterie et de cavalerie dix mille, les lieutenants-généraux sept mille, les généraux-majors cinq mille, les capitaines de cavalerie deux mille, les capitaines d'infanterie dix-huit cents, les subalternes cent ducats, le soldat pain, viande et bière gratis, que fournit le pays, mais point d'argent, car l'argent le fait déserter. Il faut que le général tienne la main que tout cela se fasse avec ordre. Point de pillage; mais il ne faut pas non plus qu'il chicane trop les officiers sur quelques légers profits. Si l'armée est en pays ennemi, c'est au général à la recompléter. Il distribue, par exemple, les cercles : trois régiments sur celui-ci, quatre sur celui-là, etc. Il subdivise ces cercles, et les assigne comme des cantons. Si les états veulent livrer les recrues, tant mieux; sinon, on use de force. Il faut les faire livrer de bonne heure, pour que les officiers aient le temps de les exercer, qu'ils soient en état de servir le prin<103>temps suivant. Il faut, de plus, que les capitaines envoient en recrutement. Le général en chef doit se mêler de toute cette économie, ainsi que pour les chevaux d'artillerie et de munitions de guerre et de bouche, que le pays ennemi est aussi obligé de livrer, ou de les payer en argent. Le général a aussi l'œil pour que les contributions soient exactement payées à la caisse de guerre. C'est aux dépens du pays ennemi que l'on refait tous les équipages, les affûts, les chariots, et tout ce qui appartient à l'attirail d'une armée. Le général tiendra la main à ce que les officiers de cavalerie réparent les selles, brides, étriers, bottes, etc., et que ceux d'infanterie fassent provision de souliers, bas, chemises et guêtres pour la campagne prochaine; qu'ils fassent raccommoder les couvertures des tentes et les tentes mêmes; qu'on fasse fourbir les lames de la cavalerie et raccommoder les armes des fantassins; que l'artillerie fasse nombre de cartouches pour la campagne prochaine, pour l'usage de l'infanterie, des hussards et du canon; que les troupes qui font la chaîne des quartiers soient abondamment pourvues de poudre et de balles, et, en général, qu'il ne manque de rien à l'armée.

Si le général en a le temps, il fera bien de visiter lui-même quelques quartiers, pour voir après l'économie des troupes, et pour voir si les officiers exercent les troupes, ou s'ils se négligent; car il faut non seulement exercer les recrues, mais aussi les vieux soldats, pour les entretenir dans l'habitude.

Vers le temps que l'ouverture de la campagne s'approche, on forme des quartiers de cantonnement selon l'ordre de bataille, la cavalerie sur les ailes, l'infanterie au centre. Ces cantonnements ont à peu près quatre à cinq milles de front, sur deux milles de profondeur. On les rétrécit pour l'ordinaire vers le temps que l'on compte de camper. J'ai trouvé qu'il était bon de diviser les troupes sous six commandements des premiers généraux dans les cantonnements; par exemple, l'un aura toute la cavalerie de la droite, l'autre toute la ca<104>valerie de la gauche, un autre l'infanterie de la droite de la première ligne, un autre l'infanterie de la droite de la seconde ligne, un autre l'infanterie de la gauche de la première, un autre l'infanterie de la gauche de la seconde ligne. De cette façon, les ordres s'expédient d'autant plus vite, et vos troupes se mettent facilement en colonnes pour entrer dans le camp.

J'avertis encore, à l'occasion des quartiers d'hiver, qu'il n'y faut jamais envoyer les troupes avant que d'être bien sûr que l'armée des ennemis est tout à fait séparée.104-a

ARTICLE XXXI. DES CAMPAGNES D'HIVER.

Les campagnes d'hiver ruinent les troupes par les maladies qu'elles causent, et parce que l'action continuelle dans laquelle elles sont empêche de les recruter, de les habiller de neuf, et de rétablir tout l'attirail, tant des munitions de guerre que de bouche. Il est sûr que la meilleure armée du monde n'y résistera pas longtemps, et que par cette raison il faut éviter les guerres d'hiver, comme étant de toutes les expéditions de guerre les plus pernicieuses.

Il y a cependant des circonstances qui peuvent obliger le général à recourir à cet expédient. J'ai, je crois, fait plus de campagnes d'hiver qu'aucun général de ce siècle. Il n'est pas hors de propos d'exposer à cette occasion les motifs qui m'y ont porté. L'année 40, à la mort de l'empereur Charles VI, il n'y avait que deux régiments impériaux dans toute la Silésie. J'avais résolu de faire valoir mes droits <105>sur ce duché, et j'étais par conséquent obligé d'agir en hiver pour profiter de tout ce qui pouvait m'être avantageux, de m'emparer de toute la province, et d'établir le théâtre de la guerre auprès de la rivière de la Neisse, au lieu que, en attendant le printemps, nous aurions eu la guerre entre Crossen et Glogau, et j'aurais peut-être obtenu après trois ou quatre campagnes obstinées ce que je gagnais tout d'un coup alors par une marche toute simple.105-a Cette raison était valable, à ce que je crois.

L'année 42, je fis une campagne d'hiver en Moravie, pour dégager par celle diversion la Bavière; et si je ne réussis pas, c'est que les Français étaient des lâches, et les Saxons des traîtres.105-b

L'hiver de 44 à 45 se fit la troisième campagne d'hiver. Les Autrichiens entrèrent en Silésie, et je fus obligé de les en faire chasser.105-c

L'hiver de 45 à 46, les Autrichiens et Saxons voulurent pénétrer dans mes États héréditaires et y porter le fer et le feu. Je suivis mes principes, et je portai pendant les rigueurs de l'hiver la guerre chez eux.105-d

Dans de pareilles circonstances, je ferai toujours la même chose, et j'approuverai la conduite de mes officiers, s'ils le font; mais je blâme en même temps tous ceux qui de gaîté de cœur s'engagent dans de pareilles entreprises.

Quant au détail de ces campagnes d'hiver, l'on fait marcher par des cantonnements extrêmement serrés quelquefois deux ou trois régiments, même d'infanterie, dans un village, s'il est grand. L'on fait même entier toute l'infanterie dans une ville. C'est de cette façon que le prince d'Anhalt marcha en Saxe, prenant ses quartiers à Eilenbourg, Torgau, Meissen; il campa depuis. J'omets deux ou trois petites villes dont j'ai oublié le nom.

<106>Dès qu'on approche de l'ennemi, on donne un rendez-vous aux troupes, et l'on marche par colonnes, selon que c'est l'usage; et lorsque c'en vient aux moments décisifs de votre expédition, c'est-à-dire que vous allez tomber dans les quartiers de vos ennemis, ou que vous allez marcher à eux pour leur livrer bataille, vous campez en ordre de bataille. Les troupes couchent à la belle étoile. Chaque compagnie se fait un grand feu, et y passe la nuit. Mais comme ces fatigues sont trop violentes, et que le corps humain n'est pas fait pour y résister à la longue, il faut mettre tant de vigueur et d'audace dans ces entreprises, qu'elles ne puissent pas durer longtemps, ne point balancer à la vue du danger, et prendre une résolution vive avec fermeté et la soutenir. J'observe qu'il ne faut jamais entreprendre des campagnes d'hiver dans des pays où il y a beaucoup de places fortes; car, comme la saison n'est pas propre aux siéges, et que les grandes forteresses ne se prennent pas par surprise, on doit être sûr d'avance qu'un pareil projet échouera, à cause qu'il est entièrement contre la possibilité.

Toutes les fois donc qu'on a le choix libre, il faut donner du repos aux troupes pendant l'hiver le plus que l'on peut, et bien employer ce temps à rétablir l'armée, pour prévenir plus tôt l'ennemi en campagne le printemps d'après.

Voilà à peu près les points principaux des grandes manœuvres de guerre, dont j'ai détaillé, autant que je l'ai pu, toutes mes maximes. Je me suis appliqué principalement à rendre les choses claires et intelligibles. Si cependant vous106-a avez des doutes sur quelques-uns de ces articles, vous me ferez plaisir de me les exposer, pour que je puisse vous déduire mes raisons plus amplement, ou pour me ranger de votre avis, si je suis tombé en défaut. J'ai appris par mon peu d'ex<107>périence à la guerre que cet art est intarissable, et que, en le recherchant, on découvre sans cesse de nouvelles choses; et je ne croirai point avoir perdu mon temps, si cet ouvrage donne lieu à mes officiers de faire des réflexions sur un métier qui leur ouvre la carrière la plus brillante pour se couvrir de gloire, et qui, dérobant leurs noms à la nuit des temps, leur assure l'immortalité pour prix de leurs travaux. Dixit

Federic.

(Potsdam) 2 avril 1748.

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II. AVANT-PROPOS DE L'EXTRAIT TIRÉ DES COMMENTAIRES DU CHEVALIER FOLARD SUR L'HISTOIRE DE POLYBE.[Titelblatt]

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AVANT-PROPOS DE L'EXTRAIT TIRÉ DES COMMENTAIRES DU CHEVALIER FOLARD SUR L'HISTOIRE DE POLYBE.

L'ouvrage que nous vous donnons peut s'appeler l'Esprit de M. de Folard. Parmi les visions et les extravagances de cet illustre militaire, il se trouve des trésors; il avait enfoui des diamants au milieu du fumier, nous les en avons retirés, et, au lieu de six gros volumes in-quarto, nous donnons aux amateurs le quart d'un de ces volumes. On a fait main basse sur le système des colonnes; on n'a conservé que les manœuvres de guerre dont il donne une description juste, la critique sage qu'il emploie sur la conduite de quelques généraux français, certaines règles de tactique, des exemples de défenses singulières et ingénieuses, et quelques projets qui fournissent matière à des réflexions plus utiles encore que ces projets mêmes. On ne doit pas réprouver le chevalier de Folard de ce qu'il s'est fait un système de guerre particulier; on doit plutôt applaudir à ce que son ouvrage a pu fournir à un extrait aussi utile que l'est celui qu'on vient de faire. Dans le grand nombre de livres qui sont écrits, il y en a bien peu qui soient tout d'or; il y en a peu même dont on pourrait tirer autant de bonnes choses que du Commentaire de Polybe. Il serait à<112> souhaiter pour les progrès des connaissances humaines que, au lieu d'écrire, sans faire des livres nouveaux, on s'appliquât plutôt à faire de bons extraits de ceux que nous avons déjà; on pourrait espérer alors de ne pas perdre inutilement son temps par ses lectures. Nous nous flattons que les militaires nous sauront gré de leur avoir épargné la lecture des six volumes, en leur en présentant la quintessence. L'art de la guerre, qui mérite certainement d'être étudié et approfondi autant qu'aucun des autres arts, manque encore de livres classiques. Nous en avons peu. César, dans ses Commentaires, ne nous apprend guère autre chose que ce que nous voyons dans la guerre des pandours; son expédition dans la Grande-Bretagne n'est autre chose; un général de nos jours ne pourrait se servir que de la disposition de sa cavalerie à la journée de Pharsale. Il n'y a rien à profiter de toutes les guerres qui se sont faites du temps du Bas-Empire. On voit renaître l'art militaire pendant les troubles de Flandre, et Turenne, élève du prince Maurice d'Orange,112-a y apprit cet art négligé pendant tant de siècles; ses Deux dernières campagnes, écrites par lui-même,112-b sont comptées parmi nos meilleurs livres classiques. Après celui-là vient Feuquières, ce sévère censeur des généraux de son temps;112-c on peut y ajouter Santa Cruz 112-d et l'Histoire militaire du règne<113> de Louis XIV,113-a qui devient importante pour l'étude des projets de campagne; non pas qu'on les propose comme des modèles, mais à cause qu'on voit par leur succès en quoi on avait manqué alors de prendre ses mesures, et que les fautes des autres nous font acquérir l'expérience à leurs dépens. A la suite de ces ouvrages, on pourra compter Folard, rédigé au point où nous Pavons réduit. Ceux qui ont eu soin de faire imprimer cet abrégé ne se sont proposé que la plus grande gloire du service, en tâchant de faciliter aux officiers l'étude de leur art et d'un métier qui mène à l'immortalité.113-b

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III. PENSÉES ET RÈGLES GÉNÉRALES POUR LA GUERRE.[Titelblatt]

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PENSÉES ET RÈGLES GÉNÉRALES POUR LA GUERRE.

ASSEMBLÉE D'ARMÉE.

Assembler l'armée au point d'où l'on peut, comme d'un centre, diriger les opérations : pour la défensive, à l'endroit qui couvre le mieux le pays et ses magasins, qui couvre les places les plus exposées à l'insulte de l'ennemi; offensive, porter d'abord le camp à un endroit d'où les convois sont assurés par l'armée, et qui donne différentes jalousies à l'ennemi, ou qui facilite de grandes entreprises. NB. L'endroit où l'armée s'assemble doit toujours couvrir une ligne de défense, comme une première parallèle, dans les guerres de campagne. Cette première parallèle est ou une rivière, ou une chaîne de montagnes dont on occupe les plus considérables passages, ou une chaîne de forteresses. Lorsqu'on avance dans le pays ennemi, pour procéder en règle, il faut, d'abord après les premières victoires et prises de villes, s'établir une seconde parallèle; ces parallèles sont principalement pour assurer ses derrières, ses convois, etc., et pour être en tout cas sûr de trouver une retraite en cas de malheur, encore pour empêcher les troupes légères de gagner vos flancs et vos derrières.

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MARCHES.

Il faut savoir pourquoi l'on marche, où l'on marche, et à quoi aboutira ce mouvement. On ne doit remuer une armée que par de bonnes raisons; les marches forcées sont des témoins tacites de ce que le général s'est laissé leurrer par son antagoniste, sans quoi il ne serait pas obligé de courir pour regagner de vitesse le temps que l'autre lui a dérobé. Dans toutes les marches, il faut une bonne avant-garde qui éclaire la marche. Le nombre de colonnes se règle sur le nombre des chemins, qu'on a fait soigneusement reconnaître. La cavalerie ne doit point traverser des bois; c'est, en cas qu'elle en trouve sur son chemin, à quelques bataillons d'infanterie qu'on donne à cette colonne de l'escorter. Les hussards doivent être à l'avant-garde, sur les flancs de l'armée, et à l'arrière-garde, si l'on est éloigné de l'ennemi. Le bagage doit avoir la colonne du milieu de l'armée, couvert par une bonne arrière - garde. L'avant - garde ne doit précéder l'armée que d'un quart de mille; si l'on est près de l'ennemi, de douze cents pas seulement.

CAMPEMENTS.

Les camps doivent être adaptés au but que l'on se propose de remplir. Un camp d'assemblée ne demande pas de grandes précautions; les autres sont offensifs ou défensifs. Les offensifs, qui sont dans un terrain où l'on attend un ennemi pour y livrer bataille, sont encore d'un genre très - différent entre eux. La règle générale est que les ailes soient bien appuyées. Si c'est un terrain où l'on sait que l'ennemi doit venir, et qu'on l'y attende, il faut, si l'on est en force égale, choisir une plaine où la cavalerie puisse agir librement, ce qui <119>doit dépêcher bien vite la besogne. Si l'on est plus faible que l'ennemi, il faut choisir un terrain qui va en se rétrécissant devant le front, de sorte que la ligne de l'ennemi est toujours débordée par la vôtre, de sorte que son nombre lui devient inutile, et vous, quoique plus faible, vous lui pouvez tenir tête. Les camps défensifs sont ou ceux de fourrage, quand ils sont proches de l'ennemi, ou ceux que l'on appelle postes. La force d'un camp défensif doit consister dans son front et dans ses ailes; quel qu'il soit, le derrière en doit être dégagé de défilés, pour que l'armée puisse en sortir sans embarras. On ne trouve presque jamais dans la nature un terrain à souhait et tel qu'on le désire; il faut y suppléer par l'art, remuer la terre, faire des redoutes avec des fougasses, et réduire l'ennemi à des points d'attaque. Les abatis sont bons quand on a le temps de les perfectionner; sans cela, ils ne valent rien. Quelque camp fort que l'on prenne, il faut supposer que l'ennemi peut marcher par sa droite ou par sa gauche, et, en ces cas, il faut avoir choisi d'avance un ou deux camps où l'on peut marcher dans le besoin, sans quoi, par ses marches, l'ennemi vous forcera au combat quand il le voudra.

DES DÉTACHEMENTS.

Lorsqu'on a vis-à-vis de soi beaucoup de troupes légères, on est forcé à faire des détachements pour couvrir sa ligne de défense, surtout pour protéger ses convois de vivres. Ces détachements doivent être forts; ceux qui sont à portée d'être soutenus de l'armée sont les meilleurs. On peut les hasarder davantage et les rendre plus forts lorsqu'on est éloigné de l'armée de l'ennemi; on n'ose guère les éloigner quand l'ennemi, avec son grand corps, se trouve dans le voisinage. Ces détachements doivent toujours se poster derrière des défilés et dans des terrains étroits, pour avoir le temps de se retirer ou <120>du moins, s'il faut combattre, ne point être accablé par le nombre. Pour peu qu'il se trouve de proportion entre les troupes légères des deux armées, et que les gens du pays ne soient pas totalement contre vous, il faut que les détachements masquent leur défensive par des entreprises conduites avec sagesse sur les détachements et vivres des ennemis. En un mot, lorsqu'on se tient trop serré, l'ennemi forme sans soin des projets contre vous; lorsqu'on en forme contre lui, il pense à se précautionner contre vos entreprises, et cela le met sur la défensive.

DES VIVRES ET DES PRÉCAUTIONS QU'ILS EXIGENT.

Une armée est une multitude d'hommes qui veut être nourrie tous les jours;120-a cette nourriture consiste en bon pain, bonne viande, des légumes qu'on trouve aux environs du camp, de Peau-de-vie, et, si l'on peut, de la bière. Il ne suffit pas d'avoir en abondance toutes ces denrées dans l'armée, il faut encore que tout soit à bon marché. Pour pourvoir à ces besoins, on fait des magasins sur la frontière d'où l'on veut commencer les opérations. Si une rivière vous favorise, on y charge dessus des provisions pour plusieurs mois, selon que l'on juge en avoir besoin; si l'on manque de rivière, on fait charrier avec soi pour un ou deux mois de farine, on en fait un dépôt général dans un endroit que l'on accommode ou avec des ouvrages de terre, des palissades, etc., et on y met bonne garnison, qui sert ensuite d'escorte pour les provisions journalières qui vont au camp. Nous avons des moulins à bras dont nous pouvons nous servir et prolonger nos subsistances par ce moyen. Il y a une bonne manière d'assurer les convois, qui est de placer un gros corps entre l'ennemi et le convoi, et d'y donner une escorte à part; l'ennemi craint alors <121>de s'engager entre le détachement et l'escorte, et par ce moyen on le lient en respect. On doit aussi occuper d'avance les postes et défilés que le convoi doit passer, pour ôter à l'ennemi le moyen de s'en servir, et il faut faire parquer les chariots toutes les fois qu'ils passent ces sortes d'endroits. La partie des vivres est la plus intéressante. Si l'ennemi veut faire une guerre défensive, il ne peut vous entamer que par vos subsistances; tous ses détachements n'ont d'autre but que celui-là, et toutes ses troupes légères sont en campagne à ce dessein, ce qui oblige à employer la plus grande prudence et jusqu'aux précautions superflues, pour assurer vos convois, car, si vous êtes vaincu par la misère, vous l'êtes plus fort que si vous perdiez une bataille.

DES FOURRAGES.

On fourrage lorsqu'on est loin de l'ennemi; on fourrage aussi lorsque l'on est campé dans son voisinage. Quand on est loin de l'ennemi, on n'a qu'à donner un bon général et une bonne escorte aux fourrageurs pour les garantir des troupes légères, avec une disposition bien adaptée au terrain, et l'on n'a rien à craindre. Les fourrages qui se font près de l'armée ennemie exigent beaucoup plus de précaution; si l'on peut, il faut fourrager le même jour que l'ennemi et observer, comme je l'ai dit en parlant des camps, de choisir un camp fort dans un terrain étroit, d'y faire de bonnes redoutes entourées de fougasses, car c'est un des moments qu'un ennemi habile choisira de préférence pour vous attaquer, vous sachant affaibli d'un quart de vos forces, qui sont au fourrage. Ces fourrages doivent se faire avec plus de précautions encore que les autres; il faut avoir le plus de partis en campagne que l'on peut, pour savoir ce que fait l'ennemi, se servir de tous les espions que l'on peut trouver, car, comme je l'ai dit, l'ennemi pourrait vous attaquer pendant le four<122>rage, ou bien faire un détachement si considérable, que le général et les fourrageurs se verraient obligés de retourner les mains vides ou de combattre avec le plus grand désavantage. C'est alors que tous les fourrages qui se font au delà d'un mille de l'armée sont très-dangereux.

COMBATS ET BATAILLES.

Les combats sont des affaires qui s'engagent de petit corps à petit corps, ou bien lorsqu'il n'y a qu'une partie de l'armée qui attaque ou se défend; les batailles sont des actions générales où tout s'engage également des deux parts. Dans toutes les occasions où il est question d'attaquer l'ennemi, la manière dont on doit combattre dépend du terrain et des avantages que l'ennemi a l'habileté de se donner. Tout ce qui est attaque de poste est d'ordinaire combat. Un ennemi qui veut éviter le combat cherche ses avantages dans un terrain de difficile abord, coupé de ravins, de chemins creux, rétréci par des rivières ou par des bois; il se campe sur le sommet des montagnes ou des hauteurs, il garnit des villages, il fait des batteries, il fortifie son terrain par sa disposition, il place chaque arme dans le lieu qui leur est propre, il fortifie son infanterie du secours de sa cavalerie et sa cavalerie de celui de son infanterie, il se couvre de chevaux de frise, de redoutes, de retranchements. Tous ces cas différents, adaptés à d'autres terrains, exigent d'autres dispositions de celui qui attaque. Le terrain est le premier oracle que l'on doit consulter, après quoi on peut deviner la disposition de l'ennemi par la connaissance que l'on a des règles de la guerre, qui font juger de son ordonnance et des ruses et précautions qu'il a prises, pour prendre ses mesures en conséquence. Comme il est impossible que la parole fasse d'aussi fortes impressions sur l'esprit que le dessin, qui représente tout à coup <123>à l'œil ce que l'on doit concevoir, et qui abrége en même temps un long et ennuyeux verbiage, je donne ci-joint le plan de différents postes, avec les façons différentes de les attaquer. Je suppose dans tout ceci mon armée forte de cinquante-cinq bataillons et de cent dix escadrons; j'ajoute à ceci des règles générales que l'on doit toujours observer.

1o Si l'on marche en colonnes serrées, les faire déployer à quinze cents pas de l'ennemi, jamais plus proche, crainte du ravage du canon. 2o Si l'on forme l'ordre biais, déborder, avec l'aile qui attaque, un corps des troupes ennemies, sans quoi, lorsque vous marchez pour l'attaquer, au lieu de déborder l'ennemi, l'espèce de quart de conversion que vous êtes obligé de faire en manœuvrant vers lui vous fait tomber sur le second ou troisième escadron avec la cavalerie, ou sur le second ou troisième bataillon avec l'infanterie, au lieu de le déborder ou au moins donner sur l'extrémité de sa ligne. 3o Toujours déborder l'ennemi avec vos attaques et l'extrémité de vos lignes, et ne jamais conduire les troupes au hasard et de sorte que vous puissiez être débordé. 4o Mener l'infanterie toujours ensemble, et que, s'il s'y fait une ouverture, ce ne soit pas vers l'aile qui charge. 5o Si l'on est obligé de tirer, vers une droite ou une gauche, des régiments des flancs et de la seconde ligne, faire avertir l'autre aile d'en remettre autant en seconde ligne, pour que celle-là, regagnant à mesure l'aile qui attaque, puisse la couvrir et la fortifier. 6o Dans toutes les attaques où l'on fait sortir un corps devant l'armée, soit pour attaquer un village, une batterie, etc., il faut que la ligne, en marchant, ne reste pas plus de cent pas en arrière du corps qui l'attaque, pour le soutenir et le protéger. 7o Si vous attaquez avec l'infanterie par échelons, conduire les brigades de sorte qu'elles se couvrent toujours mutuellement les flancs; la cavalerie de même. Les flancs, on ne saurait assez le répéter, sont le faible des troupes; il faut toujours les garder et les fortifier. 8o Tirer le moins<124> que l'on peut avec l'infanterie dans les actions, mais charger avec la baïonnette. 9o Ne jamais employer ma colonne quand l'ennemi a sa cavalerie en bataille derrière son infanterie; ma colonne n'est bonne que lorsque le feu d'infanterie s'engage, malgré que l'on en a, dans une ligne; alors, et s'il ne se trouve point de cavalerie derrière, on forme d'un bataillon de la seconde ligne une colonne fortifiée de quatre escadrons, et l'on perce. 10o Quand on attaque des villages, que le premier corps qui entre y prenne poste, et que ceux qui suivent nettoient entièrement le village. 11o Avoir toujours, outre la réserve, de la cavalerie en seconde ligne; elle n'a pas besoin d'être trop près; on doit la tenir hors du feu jusqu'au moment où elle doit entrer en action. 12o Avoir toujours un peloton de la seconde ligne derrière les canons de la première. 13o Vos flancs, forts de trois bataillons, doivent avoir une réserve de deux compagnies de grenadiers. 14o Avoir toujours trois ou quatre escadrons en réserve derrière la ligne de cavalerie, à l'extrémité, pour déborder l'ennemi, si l'occasion s'en présente. 15o Quand on attaque un poste dont le terrain fait toute la force, ne point se précipiter, marcher avec l'avant-garde, reconnaître la position de l'ennemi, pour faire sa disposition en conséquence, et, si l'on peut, ne point attaquer le taureau par les cornes; au contraire, si l'ennemi s'ébranle, l'attaquer le plus brusquement que l'on peut, sans le marchander le moins du monde. 16o Conduire toujours, lorsqu'on veut attaquer des troupes postées, les dix mortiers avec soi pour en faire deux batteries croisées derrière la ligne, pour bombarder les batteries ennemies dans le temps qu'on marche pour l'attaquer. 17o Ne point bombarder un village, si le vent vient vers nous, mais le bombarder et réduire en cendres, si le vent pousse vers l'armée de l'ennemi.

Voilà quelques règles qu'il faut toujours avoir présentes à l'esprit, pour en faire usage lorsque l'occasion s'en présente. J'en viens à présent aux plans.

<125>Par la position de l'ennemi on voit (plan Ier) qu'il a rétréci son front, ce qui en rend l'attaque difficile, à cause que, en débouchant de cette trouée, il faut attaquer avec une tête toute une ligne formée; d'ailleurs, on doit supposer certainement que l'ennemi aura farci le bois de troupes légères d'infanterie. La disposition qu'il faut faire pour l'attaque de ce poste est de se former devant le bois, l'infanterie en première ligne, la cavalerie en seconde; de tirer un corps de douze bataillons pour se rendre maître du bois; de faire des ponts à droite pour pouvoir faire passer la rivière à quelque infanterie avec du canon; après s'être rendu maître du bois, de faire marcher autant d'infanterie que l'on peut pour border le bois; de former une grosse aile de cavalerie entre la rivière et le bois; de refuser la droite et d'attaquer avec la gauche la droite de l'ennemi, pour la prendre en flanc, etc.

Ce terrain dans lequel je suppose que l'ennemi s'est mis (plan II) est très-fort par son assiette. Si l'on pouvait éviter de l'y attaquer, ce serait mon avis; mais s'il y a nécessité absolue de le faire, voici le moyen d'y parvenir. Il faut que ce soit la gauche sur laquelle roule tout le combat, à cause que la droite de l'ennemi est la moins fortifiée. C'est à la cavalerie à faire l'effort de ce côté-là par une grande attaque, en s'appuyant au marais; la droite doit rester hors de la portée du mousquet, pour ne point souffrir inutilement. Le chemin creux, étant très-profond, sert de bornes aux deux armées. Si l'attaque de la cavalerie réussit, on peut marcher avec l'infanterie par la gauche, tourner la droite de l'ennemi et la prendre en flanc. Si l'on attaquait par la droite, on engagerait une affaire meurtrière, incertaine, et où l'on pourrait perdre prodigieusement de monde. Cependant je ferais faire une batterie de mortiers vis-à-vis de la batterie de la droite de l'ennemi qui flanque la cavalerie, pour la faire taire, comme l'on voit par le dessin ci-dessus; car je suppose que le chemin creux de l'ennemi se perd vers sa droite; j'ai même mis<126> quelques bataillons à l'extrémité de ma gauche, avec une batterie qui tire sur la cavalerie ennemie, afin d'en précipiter la fuite et la déroute.

En voyant la position de l'ennemi (plan III), on voit, que sa droite est derrière un abatis où il a une grosse batterie qui flanque le village; ensuite son infanterie occupe une hauteur; ensuite vient le village, une petite plaine, un bois garni d'infanterie, une petite plaine, et sa gauche s'appuie sur l'extrémité d'une colline. Il faut attaquer ce terrain par la droite; alors on évite l'abatis, la hauteur et le village, qui seraient très-meurtriers. Je formerais un ordre de bataille en biais; ma batterie de mortiers serait sur la droite, la cavalerie en seconde et troisième ligne, et tout l'effort doit se faire par la droite. Dès que mon infanterie a enfoncé la gauche de l'ennemi, quelques bataillons pénétreront pour se rendre maîtres du bois. Pour prendre le reste de l'armée en flanc, les cinq bataillons qui ont attaqué l'infanterie, après l'avoir culbutée, se mettront chacun en colonne, pour que la cavalerie puisse passer entre deux et attaquer la cavalerie ennemie qui voudra protéger la retraite de son infanterie. Il faut faire passer par cette trouée le plus de cavalerie que l'on peut, pour qu'elle puisse soutenir l'effort, du reste de la cavalerie ennemie, qui pourrait venir au secours de sa gauche mise en déroute. En cas même que la cavalerie soit repoussée, elle peut toujours se rallier sous la protection du feu de mes cinq colonnes d'infanterie. (Plan IV.)

Voici (plan V) une disposition d'autant plus trompeuse, qu'on ne s'aperçoit point du piége que l'ennemi vous tend. Sa première ligne couvre son véritable arrangement; sa cavalerie de la droite s'aligne avec sa seconde ligne, de sorte qu'elle est flanquée par le flanc de son infanterie; la seconde ligne de cette cavalerie déborde la première, de sorte que tout est flanqué; il y a des ravins, chemins creux et étangs devant le front de la ligne; la cavalerie de la gauche est<127> fortifiée par un carré d'infanterie qui s'appuie à un marais. Je n'attaquerais point cette gauche, parce quelle est très-fortifiée, et que le ruisseau qui sort de l'étang rétrécit mon front d'attaque; je me déterminerais donc pour la gauche.127-a Il faut que ma cavalerie attaque par échelons, comme on le voit par le plan; la droite de ma cavalerie qui attaque se met escadron derrière escadron, pour éviter le feu d'infanterie qu'elle recevrait en flanc, et qui serait terrible. Il faut que je me serve du ruisseau qui sort de l'étang pour y appuyer ma droite, et que l'infanterie attaque par la gauche, selon qu'on le voit dans le plan. La difficulté commencera après qu'on aura culbuté la première ligne d'infanterie; alors on trouve un village garni d'infanterie derrière laquelle la ligne battue de l'ennemi peut se rallier. Pour l'empêcher, il faut que notre cavalerie victorieuse tourne d'abord après avoir chassé celle de l'ennemi, pour gagner les derrières de ce village. Il faut, de plus, y attirer votre réserve, et, s'il faut de nécessité attaquer le village, prendre des troupes fraîches de la seconde ligne, qui n'ont point été dans le feu, pour l'exécuter. Dès que vous aurez emporté le village, la bataille est gagnée, et il ne s'agit que de poursuivre chaudement l'ennemi.

Par cette disposition (plan VI), l'on voit que l'ennemi a garni le front de sa cavalerie de chevaux de frise, ainsi que les trois quarts de son armée, qu'à son centre il a une ou deux grosses batteries, qu'à sa gauche il a trente compagnies de grenadiers en première ligne, soutenues en seconde des Hongrois le sabre à la main et six hommes de hauteur, et qu'il a couvert sa cavalerie de la gauche de chevaux de frise. Je n'examine pas si cette disposition est bonne ou vicieuse, mais on n'a qu'à voir ma disposition, et l'on en jugera facilement. On voit que, jusqu'à six cents pas de l'ennemi, je masque mes colonnes d'infanterie derrière la cavalerie; à six cents pas, elles entrent entre les régiments, et tirent le canon en avançant sur la cavalerie<128> ennemie. Si celle-là tient, et laisse devant soi ses chevaux de frise, mon infanterie se déploie et l'abîme avec le feu du canon et des petites armes; si la cavalerie s'impatiente et retire ses chevaux de frise pour attaquer, la mienne fait la carrière, et doit la battre, ayant toujours derrière elle ces colonnes d'infanterie pour la soutenir. Si la cavalerie ennemie est battue, ces bataillons se déploient, et prennent l'infanterie ennemie dans le flanc. Quant à l'infanterie, si les grenadiers autrichiens laissent attaquer leurs Hongrois à la turque, je fais sortir par ma droite deux escadrons, et deux par la gauche du front d'attaque, pour les prendre en flanc, et j'ai encore deux escadrons en seconde ligne pour repousser ce qui pourrait pénétrer, sans compter que mon gros canon en fera un grand meurtre. Ensuite la cavalerie victorieuse n'a qu'à prendre à dos la seconde ligne de l'ennemi, et je suis sûr qu'il sera battu sans grande peine.

Cette disposition (plan VII) est plus raisonnée, plus masquée, et par conséquent plus forte que la précédente. Le front et le flanc de l'infanterie sont couverts de chevaux de frise; la cavalerie est placée devant des carrés d'infanterie entourés de chevaux de frise. Cette cavalerie doit se retirer, en cas que notre cavalerie fasse une attaque sur elle, pour que les attaquants, mis en confusion par ce feu d'infanterie, rebroussent chemin, et qu'alors ils puissent revenir sur ceux qui les ont attaqués. Mais comme il faut tout considérer et mettre à profit dans les dispositions de l'ennemi, leurs chevaux de frise nous sont d'un grand avantage, à cause que cette ligne doit avoir une peine infinie d'avancer. Voici ce que je propose pour attaquer cette armée. Je fais abstraction du terrain; qu'on l'entame par la droite ou la gauche, c'est égal, selon que le terrain paraît le plus favorable. Ma disposition est d'attaquer par la droite; mon infanterie, à six cents pas de l'ennemi, perce la cavalerie; je laisse une colonne de deux bataillons sur l'aile, avec quatre canons, les huit autres bataillons, chacun déployé sur deux lignes, devant la cavalerie, farcis de canons.

<129>La cavalerie ennemie souffrira si fort du feu des canons et petites armes de mon infanterie, qu'elle sera obligée de prendre un parti, savoir, celui d'attaquer mon infanterie ou de s'enfuir. Si elle attaque mon infanterie, je n'en suis pas embarrassé; son feu la défendra d'un côté, et ma cavalerie est à portée de la soutenir de l'autre; j'ai dix bataillons dont celui de la gauche de la seconde ligne peut toujours couvrir le flanc, en cas que l'ennemi l'attaque. Mais il est plutôt à supposer que, comme la cavalerie a reçu l'ordre de se retirer derrière ses carrés d'infanterie, elle le fera; en ce cas, il faut attaquer la dernière redoute de l'ennemi la première, ensuite la seconde, et faire, en attendant, tirer tout le canon de ces détachements, tant sur les redoutes que sur la cavalerie qui est derrière. Après que l'on a emporté deux redoutes, la cavalerie, avec une quinzaine d'escadrons, peut choquer, et il faut que toute l'aile la suive. Après la cavalerie ennemie renversée, notre seconde ligne de cavalerie doit tourner sur le corps de bataille de l'ennemi et le prendre à dos, et la droite de mon infanterie doit joindre le corps qui a forcé les carrés, pour tourner l'infanterie ennemie et lui donner en flanc. L'ennemi ne peut guère m'empêcher de faire ces mouvements, vu qu'il est gêné par ses chevaux de frise, et qu'il ne saurait faire dans un moment un quart de conversion avec une armée, sans compter que le terrain nous peut fournir des parties avantageuses dont on peut profiter pour gêner davantage l'ennemi et l'obliger de ne point bouger de sa situation. On doit avoir la plus grande attention à imprimer aux officiers qui attaquent cette redoute mouvante de ne se point abandonner à une ardeur démesurée, de rester serrés et en ordre, à cause de la cavalerie ennemie toujours prête à profiter du moindre faux mouvement qu'elle pourrait faire. On doit surtout se garder de donner le flanc et de tirer par bataillon; on ne doit employer que le feu de peloton, et, pour l'attaque de ces redoutes, ce doit être un coup de main, la baïonnette au bout du fusil, mais surtout ne point se débander après<130> les avoir chassés, faire tirer beaucoup de canon sur la cavalerie ennemie pour l'éloigner, et, quand on voit que cela réussit, il faut que les bataillons de la seconde ligne forment les premiers la colonne, que, en attendant, la cavalerie approche de la première ligne, et celle-là ne doit former ses colonnes que lorsque la cavalerie est immédiatement derrière elle. C'est alors que la cavalerie doit attaquer avec furie, surtout que les régiments de la gauche doivent prendre garde de n'être point pris en flanc par les régiments ennemis qui se trouvent le plus près du corps de bataille. Voilà, je crois, ce que l'on peut imaginer de mieux. Cependant je ne disconviens point que la besogne ne soit difficile; mais je n'imagine rien de mieux ni de plus sûr que ce que je propose, et je ne puis entamer une armée arrangée de cette manière qu'en attaquant une des extrémités de sa ligne, en employant mon infanterie toujours soutenue de cavalerie, et le plus d'artillerie que le terrain et les circonstances permettent d'y mettre en œuvre. Je ne disconviens pas que l'ennemi, voyant mon attaque décidée, ne fera des efforts pour allonger le flanc de sa bataille; cependant, pour l'empêcher que de l'aile de son corps de bataille il ne dirige son artillerie sur mon attaque, il faut y opposer une espèce de batterie qui la tienne en respect, ou du moins qui l'empêche de diriger son feu vers mon attaque. Selon moi, l'art de la guerre est de déranger les dispositions de l'ennemi par des diversions qui le forcent d'abandonner les projets qu'il avait formés; surtout si on peut l'obliger à changer sa disposition, on peut compter que la bataille est à demi gagnée, parce que sa force consiste dans son assiette fixe, et si je l'oblige à remuer ses troupes, le moindre mouvement en rompt l'ensemble et détruit la force de sa disposition.

On voit par le plan ci-joint (VIII) que le poste de l'ennemi est excessivement fort, et que le seul endroit par où il est attaquable est celui où il a placé ses chevaux de frise. Supposons donc qu'il fallût absolument l'attaquer, cela ferait une affaire de poste purement et<131> simplement. Voici mon projet : on voit que je forme ma première ligne d'infanterie, que, vis-à-vis de l'endroit que je veux attaquer, je forme au-devant deux lignes d'infanterie, que je détache à chaque aile deux bataillons destinés pour attaquer ou masquer les deux redoutes des deux flancs de l'attaque, que mes deux batteries à bombes doivent y jeter dessus sans discontinuation, pour favoriser l'assaut du corps qui attaque; l'infanterie doit faire tirer beaucoup son canon en avançant vers la ligne; elle doit marcher un bon pas et ne tirer que lorsqu'elle se trouve sur les chevaux de frise de l'ennemi, et si elle parvient à déposter l'infanterie ennemie, elle doit s'approprier ses chevaux de frise et s'y tenir jusqu'à ce que la cavalerie arrive; alors elle se met en colonne, et la laisse déboucher pour charger l'ennemi. Une trouée comme celle-là, faite dans un poste, oblige l'ennemi à en abandonner tout le front; alors vous pouvez y entrer avec toute votre armée, et agir ensuite selon que les circonstances l'exigent. Mais mon avis est qu'on ne saurait mettre assez de vigueur et de vivacité dans des moments où un ennemi commence à se mettre en désordre, pour achever sa déroute.

On voit, par toutes ces dispositions différentes de combats, combien les circonstances obligent à varier les dispositions, et qu'un tertre ou un marais bourbeux ne doivent pas être négligés, pour peu qu'on puisse s'en servir. Le point principal est de soutenir toujours une arme par l'autre, de fortifier la cavalerie par l'infanterie et le canon, et d'avoir toujours de la cavalerie à portée de soutenir l'infanterie. Je ne dois pas omettre que, dans toutes les occasions où les combats ne s'engagent qu'en un endroit, il faut que la réserve se tienne de ce côté-là, soit à la droite, soit à la gauche, car, en cas d'accident, cette réserve peut réparer le combat et vous donner la victoire. On voit donc clairement que le grand art d'un général consiste à bien connaître le terrain, à profiter de tout ce qu'il a de favorable pour lui, à savoir faire sa disposition convenable pour<132> chaque occasion, et c'est dans ces sortes d'affaires de poste où il faut, pour que votre disposition soit bonne, qu'on se règle sur celle de l'ennemi et sur le terrain où l'on veut combattre. Je me flatte que ces petites esquisses de terrain et d'armées qui s'y trouvent postées pourront du moins faire juger, en voyant une armée rangée en bataille, dont on examine le terrain autant que cela se peut dans ces moments critiques, quel peut être l'ordre de combat que l'ennemi a donné à ses troupes, ce qui sert de guide à l'attaquant pour régler ses dispositions sur ces connaissances.

BATAILLES.

Les batailles sont des actions générales où toute l'armée s'engage avec celle de l'ennemi; c'est ce que j'appelle affaires de rase campagne, à cause qu'elles n'ont rarement lieu que dans des terrains ouverts. C'est dans ces occasions - là où il ne faut point marchander l'ennemi, se former promptement, marcher tout de suite à lui en ligne parallèle de son front. La cavalerie seule est en état de décider d'une journée pareille; la nôtre doit faire la grande attaque tout de suite, avoir une réserve de hussards qu'elle peut envoyer sur-le-champ, après avoir culbuté l'ennemi, à dos de son infanterie. Dans une occasion semblable, je répondrais bien que l'affaire ne serait ni longue, ni meurtrière, et que l'infanterie ne serait que spectatrice du combat; sa besogne étant très-facilitée, elle ne pourrait servir tout au plus que pour achever de battre un corps d'infanterie déjà ébranlé, et que son feu achèverait de dissiper. (Plan IX.)

Un avantage comme celui d'une plaine serait trop grand pour nous, et nous ne devons nous attendre qu'à des affaires de postes ou à de fortes dispositions de la part des ennemis; c'est dans ces sortes d'affaires, ou pour faire finir un feu d'infanterie qui souvent s'engage <133>mal à propos, qu'on doit faire ma colonne, fortifiée de deux ou quatre escadrons de cavalerie, qui sûrement achèvera de décider l'affaire.

DES RETRAITES.

Les retraites sont de toutes les manœuvres de guerre les plus difficiles. Il faut empêcher que l'armée se décourage, il faut éviter la confusion. Pour empêcher que l'armée se décourage, on dit qu'il faut reculer pour mieux sauter, on leur fait des contes borgnes, on débite des nouvelles avantageuses, etc. Quant à la retraite, il faut prévoir toutes les chicanes que l'ennemi vous peut faire, occuper d'avance les postes ou les endroits dont il pourrait profiter pour vous inquiéter, et c'est dans ces marches où il faut être plus sévère qu'à l'ordinaire, pour empêcher les officiers de se négliger. Malgré tout cela, il est bien difficile d'empêcher qu'une arrière-garde ne souffre pas, si elle a des pandours à ses trousses, surtout si la marche traverse un pays fourré.

DIFFICULTÉ DES SURPRISES DE CAMPS; DIFFICULTÉ D'ATTAQUER UNE ARMÉE EN MARCHE.

Il est, pour ainsi dire, impossible de surprendre les Autrichiens dans leurs camps; ils ont trop grand nombre de troupes légères, dont une partie couvre leur camp et l'autre est toujours occupée à vous entourer, vous observer et vous harceler. Le hasard cependant pourrait faire réussir un pareil dessein; mais il n'y a que les fous qui comptent sur le hasard. On dit de même dans beaucoup de livres de guerre que le moment favorable de prendre l'ennemi au dépourvu, c'est de l'attaquer dans sa marche; mais c'est beaucoup plus difficile <134>que l'on ne pense; en voici les raisons. D'ordinaire on ne campe tout au plus près qu'à une demi-lieue de l'ennemi; si rien ne sépare les armées, on peut compter qu'elles se battent tout de suite; mais si elles ont des défilés entre elles, ou qu'il y ait un terrain difficile entre les deux armées, comment atteindre celle de l'ennemi? Ce ne pourrait être qu'avec la cavalerie; mais si le terrain par où marche l'ennemi ne convient qu'à l'infanterie, comment ma cavalerie pourra-t-elle agir? C'est donner trop au hasard que d'entamer ces sortes d'expéditions à la légère. Mais si les armées campent à deux ou trois milles les unes des autres, il est impossible de joindre celle de l'ennemi, si elle marche par sa droite ou par sa gauche, à moins que son mouvement ne tende qu'à s'approcher de vous. En ce cas-là, et si vous jugez convenable d'engager une action, vous pouvez marcher à la rencontre de l'ennemi; 1o savoir si ce terrain où il veut camper vous est favorable; 2o partir de nuit pour ne pas arriver trop tard; 3o engager l'affaire sans délai et brusquement. Mais en ce cas, et après cette marche de nuit que vous aurez faite, il vous sera très-difficile de poursuivre cet ennemi, si vous venez à bout de le battre, et la poursuite est plus nécessaire et plus utile que la bataille même.

DE LA POURSUITE.

Il y a trois sortes de poursuites : poursuites de détachements, poursuites d'ailes d'armée, poursuites d'armées entières. Celles de la première espèce doivent se faire avec prudence; surtout, plus le détachement est faible, et plus il doit appréhender des embuscades. Si c'est un corps détaché de l'armée qui poursuit un corps détaché de l'armée ennemie, il doit craindre, s'il le presse trop, qu'il sera secouru de son chef, et par conséquent craindre l'approche de ces secours, qui de victorieux pourraient le rendre vaincu. C'est donc à la prudence <135>de l'officier qui commande ce détachement à prévoir ce qui peut arriver, à observer le terrain, s'il est propre à des embuscades, et à arrêter l'ardeur de ses troupes, s'il a lieu de craindre ou l'arrivée des secours ennemis, ou quelque piége que le fuyard prendra lieu de lui tendre à la faveur d'un terrain propre à seconder ses vues. La poursuite d'une aile victorieuse engage à des considérations à peu près semblables. Il faut que les officiers de cavalerie sur lesquels roule cette besogne aient l'esprit présent, et qu'ils se gardent de poursuivre trop chaudement la cavalerie ennemie, s'ils voient ou des haies, ou des villages garnis d'infanterie; dans tous les autres cas où il y a des plaines et des hauteurs, et où l'on est sûr qu'il n'y a point d'infanterie, il faut, après avoir culbuté la cavalerie, la poursuivre chaudement jusqu'à ce qu'on voie que tous les différents corps qui composent les fuyards se confondent. Alors quelques escadrons qui poursuivent à coups de pistolet ces gens en déroute suffisent pour en augmenter la terreur, pourvu qu'une grosse ligne de cavalerie bien serrée la soutienne au grand trot, et tâche de profiter d'un défilé pour faire nombre de prisonniers sur ces fuyards, que le nombre embarrasse dans ce moment, et que la confusion totale empêche d'agir et de s'opposer au moindre effort des victorieux. Dès qu'un général de cavalerie voit une confusion générale à l'aile qu'il a chargée et battue, il peut détacher ses hussards et ses dragons pour tomber à dos de l'infanterie ennemie, pour faciliter par là le succès de la bataille. Il peut encore détacher des corps vers les lieux où l'ennemi probablement doit faire sa retraite, ce qui achèverait de le déconcerter; des troupes qui s'enfuient prennent toujours le chemin par lequel elles sont venues, parce que la multitude, qui décide dans une fuite, n'en connaît pas d'autre. Quant à l'armée en général, il est sûr que c'est l'ordre qui décide de la supériorité, et qu'une armée qui est battue n'est qu'un nombre d'hommes qui rompent l'arrangement dans lequel on les a mis et qui les rendait redoutables, et par consé<136>quent se mettent hors d'état d'obéir au commandement de ceux qui pourraient les conduire. Autant respectable que se rend un général par son habileté avant que son armée soit mise en confusion, autant se réduit-il à rien, avec toute sa science, dès le moment que la confusion se met dans ses troupes; il peut aussi peu donner des preuves de son habileté qu'un violon peut jouer, quelque grand maître qu'il soit, si ses quatre cordes se cassent sous son archet.136-a C'est donc ce moment de confusion où tout l'ordre se détruit, où tout commandement cesse, où l'habileté devient inutile, dont un bon général doit profiter; car toute bataille qui ne se donne pas pour terminer la guerre devient une effusion de sang inutile à l'État. Si vous avez donc travaillé pendant toute une campagne à trouver le moment où vous pourrez mettre l'ennemi en confusion, il faut en profiter quand il est arrivé. Pour cela, 1o il faut mener avec soi du pain pour quelques jours; 2o il faut poursuivre l'ennemi quelques jours, surtout celui de la bataille; s'il ne peut trouver le moment de se recueillir, il fuira toujours plus loin; s'il fait même mine de s'arrêter quelque part, il faut le brusquer où il paraît vouloir faire ferme, ne point épargner les troupes alors, soit par des fatigues ou des attaques nouvelles, puisqu'il s'agit, par ces fatigues-là, de leur procurer par la suite un long repos. Chaque jour de poursuite diminuera l'armée ennemie de quelques milliers d'hommes, et bientôt il ne lui restera plus de corps assemblé, surtout si l'on fait tous les efforts possibles pour leur enlever le bagage. C'est par ces sortes d'actions que, dans peu de campagnes, on fait plus de chemin que d'autres généraux dans beaucoup d'années; mais cela n'est pas facile, car beaucoup d'officiers se tiennent quittes pour avoir fait leur devoir à la rigueur; la plupart sont si aises que la bataille soit finie, qu'on a bien de la peine à leur inspirer cette nouvelle ardeur de poursuivre. Il faut surtout bien choisir les officiers détachés pour hâter la fuite des ennemis, et<137> prendre les meilleurs de tous; au défaut de quoi on réussirait aussi peu que le prince Eugène et Marlborough, qui, après la bataille de Malplaquet, détachèrent le général Bülow, des Hanovriens, qui se garda bien d'approcher de l'arrière-garde française, et ne la suivit qu'à six mille pas.

DES DISPOSITIONS DIFFÉRENTES D'ARMÉE.

Je ne parle point des dispositions différentes pour les passages de rivières, pour les retraites, pour les surprises d'armée, à cause que j'en ai parlé dans ma première partie; mais je recommande à tous ceux qui sont chargés d'en faire de penser surtout à garder leurs flancs et à fortifier l'infanterie par la cavalerie, celle-là par l'infanterie, l'une et l'autre par le canon, à joindre les secours de la fortification et des mines à ceux-là, et d'employer le tout selon les circonstances dans lesquelles ils se trouvent et selon le terrain dans lequel ils sont placés. Je ne parle point d'attaques de retranchements, à cause que ce n'est point l'usage de nos voisins de se retrancher; mais s'il faut attaquer un retranchement, il faut se résoudre le joui que l'ennemi commence à y travailler, ou n'y point penser du tout, à cause que chaque moment que vous perdez est autant de gagné pour lui, dont il profite pour se rendre plus redoutable. La principale attention dans ce qui concerne l'attaque même est de profiter du terrain, des ravins ou des fonds pour masquer à l'ennemi l'endroit par lequel on veut faire son plus considérable effort, pour qu'il ne puisse point y porter des troupes.

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DES GRANDES PARTIES DE LA GUERRE.

PROJETS DE CAMPAGNE ET RÉSOLUTIONS A PRENDRE SUR DES MOUVEMENTS DE L'ENNEMI, POUR RECONNAITRE SES FAUSSES DÉMONSTRATIONS DES VÉRITABLES, POUR SE GARANTIR DE SES TROUPES LÉGÈRES. etc.

PROJETS DE CAMPAGNE.

Les projets de campagne se règlent sur les forces que l'on a, sur celles de l'ennemi, sur la situation des pays où l'on veut porter la guerre, et sur l'état actuel de la politique de l'Europe. Si l'on veut faire la guerre, il faut savoir si l'on est supérieur à son ennemi, soit en nombre, ou en valeur intrinsèque des troupes; si le pays que l'on veut attaquer est ouvert, ou couvert d'une rivière, ou montueux, ou rempli de places fortifiées; si vous avez des rivières pour faciliter le transport de vos vivres, ou s'il les faut faire conduire par chariots; si vous avez des places fortes vers cette frontière, ou en quoi consiste votre ligne de défense. Il faut savoir, de plus, quels sont les alliés de ce prince, sur quoi roulent les traités qu'il a faits avec eux, à quel point montent leurs forces, s'ils donneront des auxiliaires, ou s'ils agiront par diversions. Toutes ces connaissances sont nécessaires pour pouvoir établir avec fondement l'état de la guerre; mais ces points importants sont traités à la légère par les ministres, qui n'agissent pour la plupart qu'avec passion, qui entreprennent une guerre par un mouvement de vanité ou par un désir de cupidité aveugle, ou même par haine et par animosité. Quiconque lit l'histoire, je ne dis pas des siècles reculés, seulement du dernier siècle, se convaincra de la vérité de ce que j'avance. Je crois qu'un homme raisonnable, dans le calme des passions, ne commence jamais une guerre où il est obligé dès le commencement d'agir défensivement; on a beau étaler de grands sentiments, toute guerre qui ne mène pas à des conquêtes <139>affaiblit le victorieux et énerve l'État. Il ne faut donc jamais en venir à des hostilités, à moins que d'avoir les plus belles apparences à faire des conquêtes, ce qui d'abord détermine l'état de la guerre et la rend offensive. Mais comme dans toutes nos guerres l'Europe se divise en deux grandes factions, il en résulte un certain équilibre de forces qui fait que, après bien des succès, on n'est guère avancé lorsque la paix générale se fait; de plus, lorsqu'on est obligé de diviser ses forces pour faire front de tous les côtés où l'on a des ennemis, il n'y a guère de puissance en état de subvenir aux frais énormes qu'exigent trois ou plus d'armées qui doivent toutes agir offensivement, ce qui fait que dans peu les efforts ne se font que d'un côté, tandis que les autres armées coulent des campagnes infructueuses et oisives.

Si l'on veut se promettre de grands avantages, il ne faut s'attacher qu'à un ennemi, et faire tous ses efforts contre lui; alors on doit se promettre les plus grands succès. Mais les conjonctures ne permettent pas de faire tout ce que l'on voudrait, et souvent on se voit obligé à prendre des mesures que la nécessité vous impose. Les plus grands défauts des projets de campagne sont ceux qui vous obligent à faire des pointes;139-a j'appelle pointes des corps d'armée qu'on aventure trop loin de ses frontières, et qui ne sont soutenus par rien. Cette méthode est si mauvaise, que tous ceux qui l'ont suivie s'en sont mal trouvés. Il faut donc commencer par agir dans le grand comme on le fait dans le petit. Dans un siége, personne ne s'avise de commencer par la troisième parallèle, mais par la première; on marque le dépôt des vivres, et tous les travaux que l'on pousse en avant doivent être soutenus par ceux de derrière; de même, dans les batailles, les seules dispositions bonnes sont celles qui se soutiennent mutuellement, où aucun corps n'est hasardé tout seul, mais sans cesse soutenu par d'autres. Il faut de même traiter la guerre en grand; si vous trouvez un pays où il y a des montagnes, faites de ces<140> montagnes votre ligne de défense, occupez-en les principales gorges par des détachements, et mettez-vous du côté de l'ennemi pour soutenir cette ligne; car on ne défend rien en se mettant derrière rivière ni montagne, mais en restant de l'autre côté. Si vous trouvez un pays où il y a nombre de places fortes, n'en laissez aucune derrière vous, mais prenez-les toutes; alors vous cheminez méthodiquement, et vous n'avez rien à craindre de vos derrières. Si vous prenez beaucoup de places, faites-en démolir la plus grande quantité pour épargner des garnisons, et ne conservez que celles dont vous avez besoin pour vos vivres et pour votre sûreté en cas de retraite. Après avoir supposé ce que vous voulez faire, raisonnez comme l'ennemi, supposez ce qu'il peut vous opposer, et rédigez votre projet sur les difficultés qu'il vous fera. Il faut que tout soit calculé d'avance, et que l'on ait compté sur tout ce que l'ennemi peut faire; car c'est la marque d'un homme superficiel ou ignorant dans le métier de la guerre, lorsqu'il est obligé de dire : Je ne l'aurais pas cru.140-a Prévoyez donc tout, et en ce cas-là vous aurez d'avance trouvé remède à tous les inconvénients, car ce que l'on pense à tête reposée vaut mieux cent fois que des résolutions prises sur-le-champ, qui ne sont ni digérées ni pesées; les impromptu peuvent réussir, mais ils valent toujours mieux lorsqu'on les a faits d'avance. Il faut aussi bien distinguer les projets de campagne qui se font au commencement d'une guerre, ou après quelques campagnes. Ceux de la première espèce, s'ils sont bien faits, peuvent décider de toute la guerre, si l'on sait bien prendre tous les avantages sur l'ennemi que vous donnent ou vos forces, ou le temps, ou un poste dont vous vous rendez maître le premier. Ceux de la seconde espèce se règlent sur tant de circonstances, qu'il est impossible de prescrire des règles générales, sinon de garder sa ligne de défense et de ne point pousser de pointes. Surtout, dans tous ces projets, de quelque nature qu'ils soient, il faut<141> que la première attention soit pour les vivres, non pour savoir si l'on en aura pour quinze jours, mais pour toute la campagne. Pour faire de bons projets dans le courant de la guerre, il faut avoir des espions dans le cabinet des princes ou dans les bureaux de guerre; dès que vous êtes informé des intentions de l'ennemi, il vous est facile de rompre ses mesures, et vous pouvez toujours entreprendre hardiment ce qu'il appréhende le plus, car c'est une règle certaine qu'il faut faire le contraire de ce qu'il désire. Le beau d'un projet de guerre est que, en risquant peu, vous mettez l'ennemi en danger de perdre tout; exemples : surprise de Crémone, batailles de Luzara, de Cassano, passage de Thann et Belfort, Turenne, etc. Lorsque la ruse se joint à la force, alors le général est complet; c'est le grand art de tromper l'ennemi, et il faut que cela se fasse d'une manière plausible; exemples : Starhemberg au passage de l'Adda pour secourir le roi de Sardaigne; prince Eugène avant la bataille de Turin; Luxembourg à Landau, nota benè, chef-d'œuvre. Ce sont là les grands modèles qu'il faut étudier; mais la guerre de troupes légères que font les Autrichiens donne des entraves à un général; il est réduit lui-même à la défensive, et a bien de la peine à en imposer à ses ennemis.

DE LA GUERRE DÉFENSIVE.

Les projets de guerre défensive roulent sur les camps forts où l'on se campe avec l'armée dans des situations avantageuses, et sur des détachements que l'on fait à droite et à gauche de l'ennemi pour lui enlever ses vivres, pour battre ses fourrageurs, pour l'énerver et le ruiner petit à petit, mettre la misère dans ses troupes, faute de vivres, provoquer la désertion et, selon la raison de guerre, en profiter dans la suite. On ne doit jamais se restreindre si absolument dans une guerre défensive et se priver des moyens de profiter des fautes de <142>l'ennemi, comme on réduisit l'armée de Catinat lorsqu'il devait couvrir la Provence, le Dauphiné et la Savoie, et qu'on lui laissa manquer de caissons et de mulets dans son armée, de sorte que, pour subsister, il était obligé de demeurer cloué dans son poste. Une défensive bien conduite doit avoir toutes les apparences d'une guerre offensive; elle ne doit en différer que par les camps forts et le ménagement que l'on a de ne point hasarder de bataille, à moins que d'aller à jeu sûr. C'est principalement dans cette sorte de guerre qu'il faut surtout mettre en œuvre tout ce qui est chicane, finesse et ruse de guerre; un général bien habile dans cette partie changera bientôt la défensive en offensive audacieuse; il ne faut que donner lieu à l'ennemi de ne faire que deux fautes dont il faut profiter d'abord et changer ainsi l'état de la guerre. Il nous est très-difficile, à nous autres Prussiens, de faire une guerre défensive dans ce genre contre les Autrichiens, à cause de leur grande supériorité de troupes légères, tant cavalerie qu'infanterie. Notre infanterie ne peut se regarder que comme les légionnaires romains; ils sont faits et dressés pour les batailles; leur ensemble et leur solidité en fait la force. La manière de combattre des troupes légères est toute différente; nous n'en avons point d'infanterie, et nos hussards ne sont pas assez nombreux pour pouvoir se soutenir en partis contre ceux de la reine de Hongrie. Il est donc certain que, pour mettre quelque égalité entre nos deux armées, il me faut au moins encore deux mille hussards et un corps de quatre mille hommes de troupes légères d'infanterie, divisés en compagnies franches; mais c'est l'œuvre du temps et des finances de produire ces excellents arrangements, auxquels il en faudra venir pourtant tôt ou tard en cas de guerre.

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DES FAUSSES ET DES VÉRITABLES DÉMONSTRATIONS DE L'ENNEMI.

Il est très-difficile de distinguer à coup sûr les fausses des vraies démonstrations de l'ennemi; voici tout ce que l'on peut dire de plus plausible sur cette matière. La meilleure méthode, dont le prince Eugène s'est toujours bien trouvé, c'est d'avoir un bon espion à la cour du prince avec lequel l'on est en guerre, ou du moins d'avoir un espion d'importance dans l'armée ennemie, qui vous avertisse des desseins de son général. Si ces deux moyens vous manquent, il faut étudier la méthode du général qui commande l'armée que vous avez devant vous. La plupart des généraux suivent à peu près le même train; lorsqu'on le connaît, on peut juger, tant par leurs mouvements que par la manœuvre des troupes légères, quel peut être leur dessein, et, quant aux différents desseins qu'ils pourraient former, le plus sûr est de supposer qu'ils feront ce qui vous est le plus désavantageux; si vous tâchez de les prévenir de ce côté-là, du moins, s'ils ont un autre dessein, le succès ne vous en sera-t-il pas aussi préjudiciable. Une bonne méthode, c'est de se camper proche de l'ennemi; alors vous voyez ce qu'il fait, et vous êtes en état de vous opposer à ses desseins; mais s'il est143-a à quelques marches de votre armée, on vous fera à tout moment de faux rapports, et il pourra vous arriver de faire un mouvement à contre-temps, ce qui gâtera toutes vos affaires. Mais, si vous avez l'ennemi en vue, vous n'avez qu'à ouvrir les yeux pour savoir ce qu'il fait, De plus, les camps les plus voisins de l'ennemi sont les plus paisibles, toutes fois et quantes on y est en règle. Les principales choses qu'il faut couvrir dans nos guerres, ce sont les magasins, et c'est sur eux que doivent rouler la plupart des projets de l'ennemi. S'il s'agit de gagner des défilés ou des passages dont le <144>succès d'une campagne dépend, c'est un autre sujet de marche; et enfin, lorsque l'on a des corps détachés, on doit être très-attentif à pouvoir y porter du secours, au cas que l'ennemi, avec toute son armée, tente de détruire un de ces détachements. On peut soupçonner l'ennemi d'un pareil dessein dès le moment qu'un grand corps de troupes légères intercepte la communication de votre armée à ce corps, et sans balancer il faut faire pousser ces troupes légères pour porter du secours au corps détaché, qui, s'il n'est pas déjà engagé avec l'ennemi, le sera incessamment. Il résulte de toutes ces attentions et soins différents qu'un général d'armée doit être d'une vigilance infatigable, songer à tout, prévoir tout, et observer jusqu'aux moindres démarches des ennemis. S'il néglige le moins du monde de ces attentions pendant tout le cours de la campagne, il peut compter que l'ennemi ne tardera pas à l'en faire repentir.

DES RUSES DE GUERRE.

Il est tant de différentes espèces de ruses, qu'il serait bien difficile de les rapporter toutes; il en est pour les guerres de siéges, pour les guerres de campagne, pour les surprises, et encore pour les dispositions de combats. Les ruses de guerre s'emploient pour tromper l'ennemi et pour lui cacher vos desseins. Dans les guerres de siéges, ces ruses ont deux fins, l'une de détourner l'ennemi d'une place que l'on veut assiéger, l'autre d'affaiblir la garnison de cette place. Pour cet effet, on forme des magasins à deux différents endroits. (NB. Cette ruse est trop coûteuse pour être pratiquée souvent et par tout le monde.) On assemble l'armée dans un endroit éloigné de la place que l'on veut véritablement assiéger; on fait mine d'en vouloir faire investir une autre, ce qui produit pour l'ordinaire que l'ennemi tire des troupes des places éloignées, pour renforcer la garnison de celle qui est menacée; alors, par des détachements et des contre-marches, <145>on tourne brusquement vers la place qu'on avait résolu d'assiéger, dont la garnison se trouve affaiblie par le détachement qu'elle a fait. Les ruses que l'on emploie pour la guerre de campagne sont infinies; les unes sont en discours que l'on public de desseins auxquels on ne pense pas, pour cacher ceux que l'on médite; les autres consistent dans des mouvements d'armée concertés, où l'on fait marcher un corps d'un côté et où l'on fait toutes les dispositions pour le suivre, sur quoi on marche de l'autre, et cette fausse avant-garde devient ensuite votre arrière-garde. Dans une guerre absolument offensive, on fait mine de vouloir pénétrer par trois endroits différents dans le pays ennemi, pour cacher l'endroit par lequel on a dessein d'y entrer, afin d'y trouver moins de résistance. Les passages de rivières exigent beaucoup de ces sortes de ruses, et le plus fin l'emporte; il s'agit alors de même de cacher à l'ennemi l'endroit où l'on a intention de passer cette rivière, pour trouver moins de résistance à ce passage et avoir le temps de le faire avec l'armée avant que l'ennemi en soit averti. Laisser une ligne dans son camp et marcher la nuit avec la seconde, c'est une ruse de guerre; faire des feux dans un camp que l'on abandonne, et y laisser du monde qui y fait du bruit, est une ruse de guerre dont on se sert pour cacher son décampement à l'ennemi. Toutes les fausses attaques sont des ruses de guerre; par exemple, que l'on envoie un corps qui fait quelque démonstration comme s'il voulait attaquer l'armée ennemie, mais qui cependant ne s'engage pas, tandis que l'on attaque et défait un détachement de cette armée mal posté. Si l'ennemi vous respecte, et que vous trouviez à propos de vous battre, inspirez-lui de la sécurité, faites semblant de le craindre, préparez des chemins en arrière, et son amour-propre vous servira mieux que votre force. S'il est trop audacieux, affectez de vouloir en venir aux mains, tâchez de battre quelque petit détachement, tâchez de le harceler, et il deviendra plus traitable. S'il est plus fort et plus nombreux que vous, employez toutes<146> vos ruses à lui faire faire des détachements, et, dès qu'il les a faits, profitez du moment pour le battre. Il y a des ruses pour surprendre des places, exemple : prince Eugène, lorsqu'il surprit Crémone; des ruses pour que l'ennemi ne devine pas votre but; pendant l'hiver, par exemple, celui qui rassemble le premier ses troupes et tombe sur le quartier des ennemis a toujours gain de cause; alors la ruse va à cacher l'assemblée de vos troupes ou à y donner d'autres motifs, comme de relever la Postirung,146-a ou de changer quelques régiments de quartiers. L'exacte disposition de la marche des troupes pour le moment de leur réunion décidera de votre entreprise. Les retranchements peuvent aussi être comptés parmi les ruses de guerre quand on en tourne l'usage à cette fin; cela ne doit servir que pour rendre un ennemi plus hardi et l'induire à hasarder des manœuvres indiscrètes vis-à-vis de votre armée, comme de lui prêter le flanc, de faire des marches sans précaution, de passer une rivière dans votre voisinage. Alors il est temps de quitter ce retranchement pour punir l'ennemi de sa sottise. Afin donc de diriger toutes vos démarches vers le but où vous tendez, il faut faire nombre d'ouvertures à ce retranchement, pour que vous en puissiez sortir sans embarras. On fait de faux détachements, que l'on rappelle peu de temps après; on commande des fourrages pour induire l'ennemi d'y envoyer sa cavalerie, on les contremande, et ensuite on tombe sur cette armée affaiblie par l'absence de ses fourrageurs. Dans ses marches, quand on est près de l'ennemi, on fait paraître de fausses têtes de colonnes pour lui donner le change. Enfin je ne finirais jamais, si je voulais faire l'énumération de toutes les inventions que l'occasion fournit, et dont on se sert à la guerre pour tromper son ennemi.

J'en viens aux ruses pour les dispositions. Notre marche par co<147>lonnes serrées qui font front à l'ennemi, et qui tout d'un coup se changent en ligne oblique, peuvent être comptées de ce nombre; nos colonnes que nous cachons derrière une aile de cavalerie jusqu'au moment que nous voulons nous en servir sont également de ce nombre; les colonnes d'infanterie masquées par la cavalerie, et qui paraissent à six cents pas, se déploient et font feu sur l'ennemi, sont également du même genre; la disposition des Autrichiens avec leurs carrés d'infanterie derrière la cavalerie peut s'y ranger tout de même; une cavalerie cachée par le terrain, et dont on se sert inopinément, soit pour gagner, derrière un terrain couvert, le flanc ou le dos de l'ennemi, est encore ruse de guerre; c'en est encore une que de cacher un corps dans des broussailles ou dans des fonds un jour de bataille, et qui paraît tout à coup comme un secours, et qui décourage l'ennemi et donne une confiance nouvelle à vos troupes. Toutes les fausses attaques que l'on fait à une armée postée sont des ruses de guerre, car elles servent à diviser son attention et à l'éloigner du projet que vous avez formé et de l'endroit par lequel vous avez résolu de percer. Dans les attaques de retranchements, on se sert des fonds qui en sont proches pour y former les corps par l'effort desquels on veut y pénétrer; c'est de même, comme je l'ai dit, pour tromper l'ennemi. Souvent même il faut tromper et votre adversaire, et vos propres troupes, et cela arrive lorsque l'on est sur la défensive; cela s'appelle faire la guerre de contenance. L'année 1673, lorsque M. de Turenne défendait l'Alsace contre l'armée supérieure du double que commandaient le Grand Électeur et M. de Bournonville, il recula jusqu'à Saverne, Bitche, et la Petite-Pierre. Dans ce dernier camp, qu'il avait intention de quitter pour se retirer en Lorraine, la veille de son départ, il fit travailler à un retranchement; cela trompa son armée et les ennemis également; le lendemain, il décampa, et se retira en Lorraine sans perte. Une armée doit donc toujours faire bonne contenance, et, lorsqu'elle est sur le point de se<148> retirer, se présenter de si bonne grâce, que l'ennemi puisse croire plutôt que son intention est de combattre. Mais après avoir bien occupé les lieux difficiles de son passage, son décampement doit se faire avec toute la promptitude possible, sans cependant nuire à l'ordre. La disposition de l'échiquier sur plusieurs lignes me semble la meilleure. Les dernières troupes se rompent par les extrémités ou les ailes, de sorte que ce qui reste de l'armée se trouve toujours appuyé par les troupes que l'on a postées d'avance au défilé. Cachez donc toujours vos desseins à l'ennemi, tâchez de pénétrer les siens, réfléchissez longtemps, agissez avec vivacité et promptitude, ne manquez jamais de vivres, et à la longue vous serez le maître de votre ennemi. Mais ne vous endormez jamais, surtout réveillez-vous après vos succès; la bonne fortune est dangereuse, en ce qu'elle inspire la sécurité et le mépris de l'ennemi. Cela fut cause qu'un aussi grand homme que le prince Eugène se vit enlever ses magasins de Marchienne après l'affaire de Denain.

DE CE QUE L'ON PEUT OPPOSER AUX TROUPES LÉGÈRES DE LA REINE DE HONGRIE.

Les troupes légères de la reine de Hongrie obligent d'abord à faire deux détachements, l'un sur la droite, l'autre sur la gauche de votre armée, pour les empêcher de vous tourner. On peut opposer hussards à hussards, infanterie à infanterie; mais comme nous n'avons pas d'infanterie légère, il faudra penser sérieusement, avec le temps, de s'en former d'artificielle. On pourrait facilement former un ou deux régiments de déserteurs français, et trouver de vieux officiers qui ont été enveloppés dans la dernière réduction, pour les commander. Ces gens ne doivent faire que des partis, soit pour inquiéter des grand' gardes, des détachements, soit pour enlever de <149>petits corps mal postés, en un mot, le service de compagnies franches. Mais voici le grand obstacle, et qui, dans les États de la Reine, donnera toujours la supériorité à ses troupes légères sur les nôtres : c'est la faveur du pays, volontaire ou contrainte, ce qui fait que notre armée ne se trouve avertie de rien, et que les ennemis ont d'abord vent du moindre petit détachement qui sort de notre camp. Nous ne pouvons pas nous garantir contre les espions dans leur pays, à cause que l'armée est obligée de vivre, et que, parmi le nombre de ceux qui nous vendent des denrées, il y a sûrement de ces sortes de gens; que les grand'gardes aient toute la vigilance possible, comment connaîtront-ils un espion, et comment le distinguer d'un autre paysan? Cela donc étant impossible, on se voit obligé de faire une guerre serrée, de n'envoyer que des détachements forts hors de l'armée, et de n'eut reprendre qu'à coup sûr. Dans le cours d'une campagne, on n'a guère à appréhender de l'effort des troupes légères; le butin est leur objet, et, quoi que fassent leurs généraux, on ne leur fera jamais perdre l'inclination du pillage. Deux mois de campagne en rétabliront la routine sur le pied que cela était la dernière guerre. Il ne résulte donc d'avantage de ces troupes légères, pour la reine de Hongrie, que de fatiguer nos troupes par les escortes et les fourrages, où nous sommes obligés d'employer le triple de troupes qu'eux; mais il en résulte un bien très-grand pour notre armée : c'est que ces escarmouches continuelles l'aguerrissent et lui font mépriser les dangers, que nos officiers se forment, tandis que nos ennemis, dans un camp tranquille, sont comme dans leur garnison, et sentent une impression bien plus vive à l'approche d'une bataille que nos troupes, que des escarmouches continuelles familiarisent avec le danger. Ces troupes légères peuvent donc être nuisibles seulement dans un cas, qui est celui des retraites, et encore faut-il que la marche conduise l'armée par un pays montueux, fourré et difficile; dans ces terrains, il est impossible de se retirer sans perte, quelque disposition et quelque<150> précaution que l'on prenne, et c'est dans ces cas où il faut cacher ses décampements pour dérober sa marche à l'ennemi. Ainsi la ruse est bonne à tout, et il n'y a que certains cas où l'on peut employer la force.

Voilà quelques courtes réflexions sur la guerre, que mon loisir m'a permis de faire, où j'ai eu plutôt dessein de rectifier mes propres idées et de répéter pour mon usage les principes de la guerre que de l'enseigner à d'autres.

<151>

IV. INSTRUCTION POUR LE PRINCE HENRI. CHARGÉ DU COMMANDEMENT DE L'ARMÉE EN SAXE.[Titelblatt]

<152><153>

INSTRUCTION POUR LE PRINCE HENRI, CHARGÉ DU COMMANDEMENT DE L'ARMÉE EN SAXE. AU PRINCE HENRI.

(Breslau) ce 11 (mars 1758).



Mon cher frère,

Je vous envoie une grande Instruction pour l'armée que vous aurez à commander en Saxe.153-a Si tout ce qui est Français prend le chemin du Rhin, c'est-à-dire Soubisien et Clermontais,153-b vous pourriez peut-être, en retournant en Saxe, donner le réveil aux cercles et peut-être vous débarrasser d'eux avant le commencement de la campagne, ce qui serait un grand avantage. Je ne vous dis ceci que comme un concetti; vous n'avez qu'à examiner l'affaire, et vous la ferez, si vous la croyez faisable; sinon, vous ne l'entreprendrez pas. Je vous fais lever une compagnie de canonniers dont vous aurez besoin, et je joins à votre corps vingt gros canons de douze livres; cela fait un prodigieux effet. Si vous avez quelques affaires avec l'ennemi, il faut mettre ces canons en batterie et les faire agir tous vers l'aile que vous voulez attaquer, et vous en éprouverez sûrement l'avantage. Cela est un peu difficile à traîner, mais en revanche cela tire à cinq mille quatre cents pas, et la mitraillé à mille pas. Comme, par l'heureuse fuite des Français, Magdebourg est hors d'insulte, vous pouvez tirer de là tout ce que vous croirez nécessaire pour vos opérations. Je pars dans quelques jours pour couvrir le siége<154> de Schweidnitz, que l'on pourra difficilement commencer avant le 20. Mais il faut le couvrir primo, secundo pousser un corps dans le comté de Glatz. Adieu, mon cher frère; je vous embrasse, étant avec une parfaite considération,



Mon cher frère,

Votre fidèle frère et serviteur,
Federic.

INSTRUCTION.

Cette Instruction embrasse deux objets : 1o le maintien de l'ordre, de la discipline, du complet et bon état des troupes; 2o et les opérations militaires. Quant à ce qui regarde le premier article, ma volonté expresse est que vous mainteniez la discipline, surtout la subordination, avec toute la rigueur imaginable, et que, en cas que quelqu'un y contrevînt grièvement, après avoir fait tenir conseil de guerre, vous pouvez le faire périr de mort, s'il le mérite; ainsi des déserteurs, lorsqu'il y en a trop, vous devez faire des exemples, pour contenir ceux qui pourraient vouloir les imiter. Vous aurez soin que le soldat ne manque ni de pain ni de viande, et, dans de grandes fatigues, vous lui ferez fournir des vivres gratis. Vous tâcherez, par toutes sortes d'industries, de recruter votre corps; s'il fait des pertes, vous tâcherez, autant que l'occasion et les moyens le permettent, de le tenir complet. Vous empêcherez le pillage autant que possible, et punirez sévèrement les officiers qui ne l'ont pas empêché, surtout ceux qui s'oublient au point de faire eux-mêmes de pareilles bassesses. Voilà en gros pour la règle à observer.

Je passe à présent au second article, qui emporte un plus grand détail, et m'oblige par conséquent de vous exposer les projets des<155> ennemis, ensuite les miens, et d'entrer alors dans la discussion de ce qui regarde proprement les manœuvres de l'armée que je vous donne à commander.

Le projet des Autrichiens est d'agir avec leurs plus grandes forces contre la Silésie, tandis que l'armée de Clermont, moyennant un nouveau traité que ces gens voulaient faire avec le roi d'Angleterre, devait pénétrer dans le Magdebourg, ou marcher par Brème dans le Mecklenbourg et se joindre par ce pays aux Suédois. L'armée de Soubise devait faire à peu près la même manœuvre que vous lui avez vu faire l'année précédente, c'est-à-dire, pénétrer en Saxe du côté de la Thuringe pour gagner l'Elbe, pendant que les troupes des cercles et quelques mille Autrichiens devaient entrer en Saxe par Freyberg; et un détachement de Hongrois était destiné d'ailleurs pour infester la Lusace et faire de là des courses dans le Brandebourg. Or, de ce projet, tout ce qui regarde l'armée de Clermont est entièrement rompu; si, comme on peut l'espérer, l'armée de Soubise fuit en même temps, et que tout cela aille vers le Rhin, la Saxe ni le pays de Brandebourg n'auront rien à craindre de sitôt de la part des Français. L'armée que vous commandez ne trouvera donc probablement contre elle que les cercles, joints au corps de Marschall.

De ce côté-ci, les Autrichiens espèrent de persuader les Russes qu'ils envoient le corps de Schuwaloff à leur secours; ce corps a fait des magasins du côté de Grodno, et il ne peut arriver ici que vers la fin de juin. Cela m'oblige de frapper un grand coup sur les Autrichiens tandis que j'ai toutes mes forces ensemble, et avant que ce secours, s'il arrive, m'oblige de détacher. Voici donc mon projet de campagne : prendre Schweidnitz tranquillement, laisser un corps de quinze mille hommes pour couvrir les montagnes, ou, au cas que quelque corps voulût passer par la Lusace, mon détachement peut s'y opposer; ensuite porter la guerre en Moravie. Si je marche droit à Olmütz, l'ennemi viendra pour le défendre; alors nous aurons une<156> bataille dans un terrain dont il n'a pas le choix. Si je le bats, comme il le faut espérer, j'assiége Olmütz; alors l'ennemi, obligé de couvrir Vienne, attirera toutes ses forces de ce côté-là, et, Olmütz pris, votre armée sera destinée à prendre Prague et à tenir la Bohême en respect; après quoi, que les Russes ou qui que ce soit vienne, je serai en état de détacher tant qu'il le faudra.

Quant à ce qui regarde votre armée, le commencement de la campagne doit être une défensive; vous pourrez rassembler votre armée du côté de Dresde, où vous le voulez. Vous connaissez tous les camps que j'ai fait reconnaître là-bas, dont vous pourrez choisir celui qui vous conviendra le mieux. Comme il est nécessaire d'avoir de bonnes nouvelles, et qu'il ne faut rien épargner en espions, Borcke156-a a ordre de vous fournir tout l'argent dont vous aurez besoin.

Je défends expressément tout conseil de guerre pour vos opérations; je vous donne plein pouvoir d'agir comme vous le trouverez bon, de vous battre, de ne vous point battre, en un mot, de prendre en toutes les occasions le parti que vous croirez le plus avantageux et le plus conforme à l'honneur. La manière dont les Français viennent d'être chassés doit naturellement faire changer de mesure aux Autrichiens pour leur plan d'opérations. Comme il m'est impossible de le deviner à présent, je ne saurais vous rien dire, sinon que votre armée doit défendre la Saxe, empêcher l'ennemi d'y pénétrer avant, et se borner à cet objet jusqu'à ce que nous ayons pris Olmütz, où vous trouverez toutes les facilités pour agir. Vous ne négligerez aucune occasion pour nuire à l'ennemi; surtout il faut être attentif à rompre ses mesures d'avance, et ne lui point laisser tranquillement exécuter ses projets. Si cette armée est obligée de se retirer pour se joindre<157> aux Autrichiens, vous aurez de belles occasions pour engager des affaires d'arrière-garde, peut-être aussi des batailles où vous ne risquez rien, si l'ennemi est obligé de gagner la Moravie. Vous aurez les généraux Itzenplitz et Hülsen dans l'infanterie, dont vous pouvez bien vous servir; dans la cavalerie, vous aurez Driesen, et j'en enverrai encore quelque bon, ensuite Kleist, de Szekely, et Belling, qui a reçu vos hussards. Accoutumez les cavaliers à la guerre, et commandez toujours d'eux quelques détachements pour soutenir les hussards, mais sous leurs ordres, et non sous celui des officiers de cavalerie. Quant à vos magasins, je les ai placés à Torgau et Dresde, ce qui vous donne la commodité de l'Elbe, et vous met en état de vous tourner également vers Bautzen ou Freyberg, selon l'exigence du cas. Je vous recommande surtout, quoique vous ne deviez que défendre la Saxe, d'agir toujours offensivement; et, si vous croyez que l'ennemi peut vous forcer à vous battre, attaquez-le, mais ne vous laissez jamais attaquer par lui. S'il manque quelque chose d'ailleurs à cette armée, soit médecins, ou autres officiers de brigade, vous n'avez qu'à le mander promptement, pour qu'on y remédie à temps. Je vous recommande sur toute chose le soin des pauvres blessés et malades, pour qu'on ait pour eux toute l'attention que méritent des gens qui se sacrifient pour leur patrie.

Voilà à peu près tout ce que je puis vous dire; je ne saurais entrer dans le détail d'événements futurs. Vous savez en gros de quoi vous êtes chargé; pour le détail et l'exécution, je m'en remets entièrement à votre vigilance, sagesse, exactitude et attachement, étant,



Mon cher frère,

Votre fidèle frère et serviteur,
Federic.

<158>NB. Vous pouvez tirer le général Finck158-a de Dresde, si vous le jugez à propos, et y nommer ad interim un autre commandant. Vous pourrez aussi, en cas de besoin, nommer un officier pour Torgau ou pour quelque autre ville que ce soit que vous trouverez à propos de garnir de troupes.

DESIGNATION DER GENERALITÄT, WELCHE BEI DEM SÄCHSISCHEN CORPS D'ARMÉE STEHEN SOLL.

General-Lieutenantvon der InfanteriePrinz Heinrich von Preussen,158-b
von Itzenplitz,
von Hülsen,
von der Cavallerievon Driesen,
General-Majorvon der Infanterievon Asseburg,
von Grabow,
von Finck,
von Bredow,
von Wietersheim,
von Jungkenn,
von Salmuth,
von der CavallerieBaron von Schönaich,
von Meinike,
von Zieten.
<159>

V. DISPOSITION PRÉALABLE POUR LE MARÉCHAL KEITH, EN CAS QUE LES ENNEMIS VIENNENT ATTAQUER LE CAMP DU ROI.[Titelblatt]

<160><161>

DISPOSITION PRÉALABLE POUR LE MARÉCHAL KEITH, EN CAS QUE LES ENNEMIS VIENNENT ATTAQUER LE CAMP DU ROI.

(Camp de Prossnitz, près d'Olmütz,
30 juin 1758.)

Le maréchal enverra, dès qu'il recevra du Roi la nouvelle de la marche des Autrichiens, le lieutenant-général Retzow avec sept bataillons, le régiment de Würtemberg dragons, les colonels Müller161-a et Dieskau avec les artilleurs et, s'il se peut, six pièces de douze livres, par Holitschau,161-b à l'armée, et, pour que les artilleurs arrivent plus vite, on leur fournira des chevaux.

Les deux colonels de l'artillerie recevront la Disposition ci-jointe,161-c que le maréchal leur donnera d'avance, pour qu'ils y soient préparés.

Le Roi enverra tous ses gros bagages à l'armée du maréchal, qui seront placés à l'endroit qu'il trouvera le plus convenable.

<162>Le jour de la bataille, dès la pointe du jour, le maréchal fera prendre les armes à toutes les troupes de son armée, pour qu'elles soient prêtes ou à repousser les sorties de la ville, ou pour défendre leurs retranchements.

Le Roi ne pouvant pas, faute de troupes, couvrir le siége pendant la bataille, et paraissant probable que Loudon, Janus ou Buccow pourraient peut-être tenter quelque chose, soit de ce côté-ci ou de l'autre de la Morawa, le maréchal, pour plus de sûreté, fera détendre les tentes de ses troupes, qu'il peut mettre en masse avec le bagage de l'armée.

Dès que la bataille sera gagnée, le Roi en fera non seulement avertir le maréchal, mais il renverra des troupes et artilleurs au siége, et le maréchal renverra le bagage de l'armée au lieu qu'on lui dira, avec tout ce qu'il pourra ramasser de chariots vides et de chirurgiens pour panser et transporter les blessés à Horka, ainsi que nos chariots de pain, pour que rien n'empêche la poursuite de l'ennemi.

Federic.

<163>

VI. DISPOSITION POUR LES COLONELS D'ARTILLERIE DIESKAU ET MOLLER.[Titelblatt]

<164><165>

DISPOSITION POUR LES COLONELS D'ARTILLERIE DIESKAU ET MOLLER.

Les colonels de Dieskau et Moller sont instruits par ceci de ce qu'ils auront à faire en cas de bataille. L'armée n'attaquera qu'avec une aile, comme près de Leuthen; dix bataillons auront l'attaque devant l'armée. Si c'est l'aile droite qui attaque, les deux principales batteries seront formées de cette façon :
Abbildung

Si c'est l'aile gauche qui attaque, on n'a qu'à placer à la gauche ce qu'il y a ici sur la droite, et la grande batterie sera toujours placée devant l'armée; sur l'aile qui n'attaque pas, on transportera les autres canons.

NB. Les sept obusiers seront répartis dans les dix bataillons qui forment l'attaque.

Il faut que les canons tirent toujours pour démonter les canons de l'ennemi, et, lorsqu'ils auront éteint leur feu, il faut qu'ils tirent en écharpe, tant sur l'infanterie que sur la cavalerie qui sera attaquée.

Les batteries seront toujours avancées comme à Leuthen, et pourra surtout celle de quarante pièces faire un grand effet, si les canonniers tirent bien, et qu'ils commencent à tirer à cartouche à huit cents pas.

<166>Les vingt canons qui sont sur l'aile qui n'attaque pas y pourront à la fin aussi être ajoutés, et faire un bon effet pour mettre l'ennemi en confusion et pour faciliter le choc à nos gens.

Il faudra faire cet arrangement que cette quantité de canons soit tenue ensemble, afin que MM. les colonels en puissent d'abord disposer.

Ils prendront six pièces de douze livres avec eux, et viendront ici166-a avec les artilleurs, pour arriver plus vite et pour pouvoir faire toutes les dispositions à temps; et ils donneront leurs ordres aux officiers et aux soldats d'avance, en conséquence de ceci.

Ces messieurs ne partiront avec leurs gens que lorsque M. le maréchal le leur ordonnera.

Camp près de Prossnitz, 30 juin 1758.

Federic.

<167>

VII. RÉFLEXIONS SUR LA TACTIQUE ET SUR QUELQUES PARTIES DE LA GUERRE, OU RÉFLEXIONS SUR QUELQUES CHANGEMENTS DANS LA FAÇON DE FAIRE LA GUERRE.[Titelblatt]

<168><169>

RÉFLEXIONS SUR LA TACTIQUE ET SUR QUELQUES PARTIES DE LA GUERRE. OU RÉFLEXIONS SUR QUELQUES CHANGEMENTS DANS LA FAÇON DE FAIRE LA GUERRE.

Qu'importe de vivre, si l'on ne fait que végéter?169-a Qu'importe de voir, si ce n'est que pour entasser des faits dans sa mémoire? Qu'importe, en un mot, l'expérience, si elle n'est digérée par la réflexion?

Végèce dit que la guerre doit être une étude et la paix un exercice,169-b et il a raison.

L'expérience mérite d'être approfondie; ce n'est qu'après l'examen réitéré qu'on en fait que les artistes parviennent aux connaissances des principes, et c'est aux moments de loisir, au temps de repos de préparer de nouvelles matières à l'expérience. Ces recherches sont les productions d'un esprit appliqué; mais que cette application est rare, et qu'il est, au contraire, commun de voir des hommes qui ont usé de tous leurs membres, sans avoir jamais de leur vie fait usage de l'esprit! La pensée, la faculté de combiner des idées est ce qui distingue l'homme d'une bête de somme. Un mulet, après avoir porté<170> dix campagnes le bât sous le prince Eugène, n'en sera pas meilleur tacticien; et il faut confesser, à la honte de l'humanité, que beaucoup d'hommes vieillissent dans un métier respectable d'ailleurs, sans y faire d'autres progrès que ce mulet.

Suivre la routine du service, s'occuper du soin de sa pâture et de son couvert, marcher quand on marche, se camper quand on campe, se battre quand tout le monde se bat, voilà, pour le grand nombre d'officiers, ce qui s'appelle avoir servi, avoir fait campagne, être blanchi sous le harnois.

De là vient qu'on voit ce nombre de militaires attachés à de petits objets, rouilles dans une ignorance grossière, qui, au lieu de s'élever par un vol audacieux jusqu'aux nues, ne savent que ramper méthodiquement sur la fange de la terre, qui ne s'embarrassent et ne connaîtront jamais les causes de leurs triomphes ou de leurs défaites. Ces causes sont cependant très-réelles.

Ce sévère critique, le judicieux Feuquières,170-a nous a détaillé toutes les fautes que les généraux ont faites de son temps; il a, pour ainsi dire, fait l'anatomie des campagnes où il a assisté, en montrant quelles étaient les causes des succès et quelles étaient les raisons des infortunes. Il a indiqué la route qu'il faut suivre lorsqu'on veut s'éclairer, et par quelles recherches on découvre ces vérités primitives qui sont la base des arts.

Depuis son siècle, la guerre s'est raffinée; des usages nouveaux et meurtriers l'ont rendue plus difficile. Il est juste de les détailler, afin que, ayant bien examiné le système de nos ennemis et les difficultés qu'ils nous présentent, nous choisissions des moyens propres pour les surmonter.

Je ne vous entretiens point des projets de nos ennemis, fondés sur le nombre et le pouvoir de leurs alliés, dont la multitude et la puissance réunie était plus que superflue pour écraser, non la Prusse,<171> mais les forces d'un des plus grands rois de l'Europe qui aurait voulu résister à l'impétuosité de ce torrent. Il n'est pas besoin de vous faire remarquer la maxime qu'ils ont adoptée généralement, d'attirer par diversion nos forces d'un côté, pour frapper un grand coup à l'endroit où ils sont sûrs de ne pas trouver de résistance; de se tenir sur la défensive vis-à-vis d'un corps assez fort pour leur tenir tête, et d'employer la vigueur contre celui que sa faiblesse oblige de céder.

Je ne vous rappelle pas non plus la méthode dont je me suis servi pour me soutenir contre ce colosse, qui menaçait de m'accabler. Cette méthode, qui ne s'est trouvée bonne que par les fautes de mes ennemis, par leur lenteur qui a secondé mon activité, par leur indolence à ne jamais profiter de l'occasion, ne doit point se proposer pour modèle.

La loi impérieuse de la nécessité m'a obligé à donner beaucoup au hasard. La conduite d'un pilote qui se livre aux caprices du vent plus qu'à la direction de sa boussole ne peut jamais servir de règle.

Il est question de se faire une juste idée du système que les Autrichiens suivent dans cette guerre. Je m'attache à eux comme à ceux de nos ennemis qui ont mis le plus d'art et de perfection dans ce métier. Je passe sous silence les Français, quoiqu'ils soient avisés et entendus, parce que leur inconséquence et leur esprit de légèreté renverse d'un jour à l'autre ce que leur habileté leur pouvait procurer d'avantages. Pour les Russes, aussi féroces qu'ineptes, ils ne méritent pas qu'on les nomme.

Les changements principaux que je remarque dans la conduite des généraux autrichiens pendant cette guerre consistent dans leurs campements, dans leurs marches, et dans cette prodigieuse artillerie qui, exécutée seule, sans être soutenue de troupes, serait presque suffisante pour repousser, détruire et abîmer un corps qui se présenterait pour l'attaquer. Ne pensez pas que j'ignore les bons camps<172> que les habiles généraux ont choisis et occupés autrefois. Ceux de Fribourg et de Nordlingue appartiennent à M. de Mercy. Le prince Eugène en prit un, non loin de Mantoue, qui lui servit à arrêter les progrès des Français durant toute cette campagne. Le prince de Bade rendit le camp de Heilbronn fameux. En Flandre, on connaît celui de Sierck et tant d'autres qu'il serait superflu de citer.

En quoi les Autrichiens modernes se distinguent particulièrement, c'est de choisir constamment des terrains avantageux pour l'assiette de leur position, et de profiter mieux que l'on ne faisait autrefois des difficultés des lieux, auxquelles ils assujettissent l'arrangement qu'ils donnent à leurs troupes. Que l'on examine si jamais généraux ont eu l'art de former des ordonnances aussi formidables que celles que nous avons vues dans les armées autrichiennes. Quand a-t-on vu quatre cents canons rangés sur des hauteurs en amphithéâtre et distribués en différentes batteries, de sorte que, ayant la faculté d'atteindre de loin, ils ne perdent pas l'avantage principal et plus meurtrier du feu rasant?

Si un camp autrichien vous présente un front redoutable, ce n'est cependant pas où se borne sa défense; sa profondeur et ses lignes multipliées contiennent dans leur enfoncement de vraies embuscades, c'est-à-dire de nouvelles chicanes, des lieux propres à surprendre des troupes dérangées par les charges qu'elles ont été obligées de faire avant d'y parvenir. Ces lieux sont préparés d'avance, et occupés par les corps destinés à cet usage. Il faut avouer que la grande supériorité de leurs armées permet aux généraux qui les commandent de se mettre sur plusieurs lignes sans craindre d'être débordés, et que, ayant un monde superflu, cette multitude de troupes leur procure la faculté de remplir tous les terrains qu'ils jugent convenables pour rendre leur position plus formidable.

Si nous descendons ensuite dans un plus grand détail, vous trouverez que les principes sur lesquels les généraux autrichiens font la<173> guerre sont une suite d'une longue méditation, beaucoup d'art dans leur tactique, une circonspection extrême dans le choix de leurs camps, une grande connaissance du terrain, des dispositions soutenues, et une sagesse à ne rien entreprendre qu'avec une certitude aussi grande de réussir que la guerre permet de l'avoir. Ne jamais se laisser forcer à se battre malgré soi, voilà la première maxime de tout général, et dont leur système est une suite; de là la recherche des camps forts, des hauteurs, des montagnes. Les Autrichiens n'ont rien qui leur soit particulier dans le choix des postes, sinon qu'on ne les trouve presque jamais dans une mauvaise situation, et qu'ils ont une attention essentielle à se placer sans cesse dans des terrains inattaquables. Leurs flancs sont constamment appuyés à des ravins, des précipices, des marais, des rivières ou des villes. Mais où ils se distinguent le plus des anciens, c'est dans l'ordonnance qu'ils donnent à leurs troupes, comme je viens de le dire, pour tirer parti de tous les avantages du terrain. Ils ont un soin extrême de placer chaque arme dans le lieu qui lui est propre; ils ajoutent la ruse à tant d'art, et vous présentent souvent des corps de cavalerie, pour séduire le général qui leur est opposé à faire de fausses dispositions. Je me suis cependant aperçu dans plus d'une occasion que, toutes les fois qu'ils rangent leur cavalerie en ligne contiguë, ce n'est pas leur intention de la faire combattre, et qu'ils ne s'en veulent servir effectivement que lorsqu'ils la forment en échiquier. Remarquez encore, s'il vous plaît, que si vous faites charger cette cavalerie au commencement de l'action, la vôtre, qui la battra sûrement, donnera, pour peu qu'elle la poursuive, dans une embuscade d'infanterie où elle sera détruite; et il s'ensuit que, en attaquant cet ennemi dans un poste, il faut refuser sa cavalerie du commencement, ne se point laisser séduire par de fausses apparences, ne point exposer les hommes de cheval, soit au feu des petites armes, soit à celui du canon, qui leur fait perdre leur première ardeur, et ménager cette troupe pour réparer le com<174>bat ou pour l'employer à la poursuite de l'ennemi, où l'on en lire le plus grand service.

Nous avons vu pendant toute cette guerre l'armée autrichienne rangée sur trois lignes, entourée et soutenue de celle immense artillerie. Sa première ligne est formée au pied des collines, dans un terrain presque uni, mais qui conserve assez de hauteur pour descendre de là en douce pente, en forme de glacis, du côté d'où l'ennemi peut venir. Cette méthode est sage; c'est le fruit de l'expérience, qui montre qu'un feu rasant est plus formidable qu'un feu plongeant. De plus, le soldat, sur la crête du glacis, a tout l'avantage de la hauteur, sans en éprouver les inconvénients. L'assaillant, qui est à découvert, et qui avance de bas en haut, ne lui peut nuire par son feu, au lieu que celui qui est posté a l'avantage d'un feu rasant et préparé. S'il sait faire usage de ses armes, il détruira l'ennemi qui avance, avant qu'il puisse l'approcher; s'il repousse l'attaque, il peut poursuivre l'ennemi, secondé par le terrain, qui se prête à ses divers mouvements; au lieu qu'une première ligne postée sur une éminence ou sur une colline trop escarpée n'ose en descendre, de crainte de se rompre, que celui qui l'attaque se trouve, avec une marche vive, bientôt au-dessous de son feu, à couvert du canon même.

Les Autrichiens ont bien examiné les avantages et les désavantages de ces différentes positions, de sorte qu'ils réservent et destinent dans leurs camps ces hauteurs qui s'élèvent en amphithéâtre à leur seconde ligne, qu'ils munissent et fortifient de canons comme la première. Cette seconde ligne, qui renferme quelque corps de cavalerie, est destinée à soutenir la première. Si l'ennemi qui attaque plie, la cavalerie est à portée de le charger. Si sa première ligne plie, l'ennemi qui avance trouve, après un rude combat d'infanterie, un poste terrible qu'il faut attaquer de nouveau. Il est rompu par les charges précédentes, et obligé de marcher à des gens frais, bien en ordre, et secondés par la force du terrain.

<175>La troisième ligne, qui leur sert en même temps de réserve, est destinée à renforcer l'endroit de leur poste où l'assaillant se propose de percer; leurs flancs sont garnis de canons comme une citadelle. Ils profitent de tous les petits saillants du terrain pour y mettre des pièces qui tirent en écharpe, afin d'avoir d'autant plus de feux croisés, de sorte que de donner l'assaut à une place dont les défenses ne sont pas minées, ou d'attaquer une armée qui s'est ainsi préparée dans son terrain, c'est la même chose.

Non contents de tant de précautions, les Autrichiens tâchent encore de couvrir leur front par des marais, des chemins creux, profonds et impraticables, des ruisseaux, en un mot, des défilés; et, ne se fiant pas aux appuis qu'ils ont donnés à leurs flancs, ils ont de gros détachements sur leur droite et sur leur gauche, qu'ils font camper à deux mille pas de leurs ailes ou environ, dans des lieux inabordables. Ces détachements sont destinés à observer l'ennemi, afin que, s'il venait inconsidérément attaquer la grande armée, ces corps soient à portée de lui tomber à dos. Il est facile de se représenter l'effet que cette diversion opérerait sur des troupes qui sont occupées à charger l'ennemi, et qui se trouveraient inopinément prises en flanc et par leurs derrières. Le commencement du combat en serait la fin, et ce ne serait qu'une confusion, un désordre et une déroute.

Comment engager une affaire, dira-t-on, avec des gens si bien préparés? Serait-ce donc que ces troupes si souvent battues seraient devenues invincibles? Assurément non; c'est de quoi je ne conviendrai jamais. Mais je ne conseille à personne de prendre une résolution précipitée et d'aller insulter une armée qui s'est procuré de si grands avantages.

Cependant il est impossible à la longue, pendant la durée d'une campagne, que tous les terrains se trouvent également avantageux, que ceux qui ont l'intendance de poster les troupes ne commettent quelques fautes. J'approuve fort que l'on profite de ces occasions<176> sans avoir égard au nombre, pourvu qu'on ait un peu au delà de la moitié du monde de ce qu'a l'ennemi.

Les fautes de l'ennemi dont on peut profiter sont lorsqu'il laisse quelques hauteurs devant ou à côté de son camp; s'il place la cavalerie dans sa première ligne; si son flanc ne se trouve pas bien appuyé, ou s'il détache un de ces corps qui veillent sur ses ailes, loin de son armée; si les hauteurs qu'il occupe ne sont guère considérables, surtout si aucun défilé ne vous empêche de l'aborder. Ce sont là des cas dont je crois qu'un général entendu doit profiter. La première chose qu'il doit faire est de s'assurer des buttes de terre ou des hauteurs qui peuvent faire dominer son canon sur celui de l'ennemi, d'y placer autant de canons qu'elles peuvent contenir, et de foudroyer de là cette armée qu'il se propose d'attaquer, tandis qu'il forme ses lignes et ses attaques. J'ai vu dans plusieurs occasions le peu de fermeté que les troupes autrichiennes témoignent dans le feu du canon. Leur infanterie ni leur cavalerie n'y résistent point. Pour leur faire éprouver tout ce que l'artillerie a de terrible, il vous faut ou quelques hauteurs, ou un terrain qui soit tout plaine. Les bouches à feu et les petites armes ne font aucun effet, comme je vous l'ai dit, du bas en haut. Attaquer l'ennemi sans s'être procuré l'avantage d'un feu supérieur ou du moins égal, c'est se vouloir battre contre une troupe armée avec des hommes qui n'ont que des bâtons blancs, et cela est impossible.

J'en reviens à l'attaque dont nous parlions. Tout dépend du choix judicieux que vous ferez de l'endroit où l'ennemi est le plus faible, et où vous ne devez pas vous attendre à une aussi grande résistance qu'aux lieux où il s'est plus précautionné. Je crois que la sagesse exige que l'on prenne un point fixe de l'armée de l'ennemi, savoir, la droite, la gauche, le flanc, etc., et qu'on se le propose pour faire faire un plus puissant effort de ce côté-là; que l'on forme plusieurs lignes pour se soutenir, étant probable que vos premières troupes seront<177> repoussées. Je déconseille les attaques générales, parce qu'elles sont trop risqueuses, et que, en n'engageant qu'une aile ou une section de l'armée, en cas de malheur, vous gardez le gros pour couvrir votre retraite, et vous ne pouvez jamais être totalement battu.

Considérez encore que, en ne vous attachant qu'à une partie de l'armée de l'ennemi, vous ne pouvez jamais perdre autant de monde qu'en rendant l'affaire générale, et que si vous réussissez, vous pouvez détruire également votre ennemi, s'il ne se trouve pas avoir un défilé trop près du champ de bataille, où quelque corps de son armée puisse protéger sa retraite.

Il me paraît encore que vous pouvez employer la partie de vos troupes que vous refusez à l'ennemi à en faire ostentation, en la montrant sans cesse vis-à-vis de lui, dans un terrain qu'il n'osera quitter pour fortifier celui où vous faites votre effort; ce qui est lui rendre inutile pendant le combat cette partie de l'armée que vous contenez en respect.

Si vous avez des troupes suffisantes, il arrivera peut-être que l'ennemi s'affaiblira d'un côté pour accourir au secours d'un autre; voilà de quoi vous pourrez profiter encore, si vous vous apercevez à temps de ses mouvements.

D'ailleurs, il faut imiter sans doute ce qu'on trouve de bon dans la méthode des ennemis. Les Romains, en s'appropriant les armes avantageuses des nations contre lesquelles ils avaient combattu, rendirent leurs troupes invincibles. On doit certainement adopter la façon de se camper des Autrichiens, se contenter en tout cas d'un front plus étroit pour gagner sur la profondeur, et prendre un grand soin de bien placer et d'assurer ses ailes.

Il faut se conformer au système des nombreuses artilleries, quelque embarrassant qu'il soit. J'ai fait augmenter considérablement la nôtre, qui pourra subvenir au défaut de notre infanterie, dont l'étoffe ne<178> peut qu'empirer, à mesure que la guerre tirera en longueur. Ainsi prendre des mesures avec plus de justesse et d'attention qu'on ne l'a fait autrefois, c'est se conformer à cet ancien principe de l'art, de ne jamais être obligé de combattre malgré soi.

Tant de difficultés pour assaillir l'ennemi dans ses postes font naître l'idée de l'attaquer en marche, de profiter de ses décampements, et d'engager des affaires d'arrière-garde, à l'exemple de celle de Leuze ou de celle de Seneffe. Mais c'est à quoi les Autrichiens ont également pourvu en ne faisant la guerre que dans des pays coupés ou fourrés, et en se préparant d'avance des chemins, soit à travers des forêts, ou des terrains marécageux, en suivant derrière les montagnes les routes des vallées, ayant eu l'attention de faire garnir d'avance ces montagnes ou défilés par des détachements. Un nombre de troupes légères va se poster dans les bois, sur les cimes des monts, couvre leur marche, marque leurs mouvements et leur procure une entière sûreté, jusqu'à ce qu'ils aient atteint un autre camp fort où l'on ne peut les entamer sans être inconsidéré.

Je dois vous faire remarquer à cette occasion les moyens dont les ennemis se servent pour choisir de bonnes positions. Ils ont des ingénieurs de campagne qu'ils envoient à la découverte du pays, qui reconnaissent les terrains et en lèvent des plans exacts; et ce n'est qu'après un examen réfléchi et une mûre délibération que le camp est choisi, et qu'en même temps on en règle la défense.

Les détachements des armées autrichiennes sont forts, et ils en font beaucoup. Les plus faibles ne sont pas au-dessous de trois mille hommes. Je leur en ai compté quelquefois cinq ou six qui se trouvaient en même temps en campagne. Le nombre de leurs troupes hongroises est assez considérable, qui, si elles se trouvaient rassemblées, pourraient former un gros corps d'armée, de sorte que vous avez deux armées à combattre, la pesante et la légère. Les officiers qu'ils emploient pour leur confier ces détachements sont habiles,<179> surtout dans la connaissance du terrain. Ils se campent souvent près de nos armées, cependant avec l'utile circonspection de se mettre sur la cime des montagnes, dans des forêts épaisses, ou derrière de doubles ou triples défilés. De cette espèce de repaire, ils envoient des partis qui agissent selon l'occasion, et le corps ne se montre pas, à moins que de pouvoir tenter quelque coup important. La force de ces corps leur permet d'approcher de près nos armées, de les entourer même, et il est très-fâcheux de manquer du nombre égal de cette espèce de troupes. Nos bataillons francs, formés de déserteurs, mal composés et faibles, n'osent souvent se montrer devant eux. Nos généraux n'osent pas les aventurer en avant sans risquer de les perdre, ce qui donne le moyen aux ennemis d'approcher de nos camps, de nous inquiéter et de nous alarmer de nuit et de jour. Nos officiers s'accoutument à la fin à ces échauffourées; elles leur donnent lieu de les mépriser, et malheureusement ils en contractent l'habitude d'une sécurité qui nous est devenue funeste à Hochkirch, où beaucoup prirent pour l'escarmouche de troupes irrégulières l'attaque qu'à notre droite les Autrichiens firent avec toute leur armée. Je crois cependant, pour ne vous rien cacher, que M. de Daun pourrait se servir mieux qu'il ne le fait de son armée hongroise. Elle ne nous cause pas le mal qu'elle pourrait. Pourquoi ces généraux détachés n'ont-ils rien tenté contre nos fourrages? Pourquoi n'ont-ils point essayé d'emporter de mauvaises villes où nous avions nos dépôts de vivres? Pourquoi n'ont-ils pas dans toutes les occasions entrepris d'intercepter nos convois? Pourquoi, au lieu d'alarmer nos camps de nuit et par de faibles détachements, n'ont-ils pas essayé de les attaquer en force, et de prendre à dos notre seconde ligne, ce qui les aurait menés à des objets bien autrement importants et décisifs pour le succès de la guerre? Sans doute qu'ils manquent, comme nous, d'officiers entreprenants, gens si rares et si recherchés dans tous les pays, les seuls cependant qui, du nombre d'officiers dont beaucoup<180> se dévouent aux armes sans vocation et sans talents, méritent le grade de généraux.

Voilà en peu de mots l'idée des principes sur lesquels les Autrichiens font la guerre présente. Ils l'ont beaucoup perfectionnée. Cela même n'empêche pas qu'on ne puisse reprendre sur eux une entière supériorité. L'art dont ils se servent avec habileté pour se défendre nous fournit des moyens pour les attaquer.

J'ai hasardé quelques idées sur la manière d'engager avec eux des combats. Je dois y ajouter deux choses que je crois avoir omises, dont l'une est d'avoir un grand soin de bien appuyer le corps que vous menez attaquer l'ennemi, de crainte qu'il ne lui arrive, en chargeant, d'être pris lui-même en flanc au lieu d'y prendre celui qu'il assaillit; et l'autre consiste d'imprimer dans l'esprit des chefs des bataillons que, lorsqu'ils les mènent au combat, ils aient une attention particulière à ne leur point permettre de se débander, surtout lorsque, dans l'ardeur du succès, ils poussent devant eux des corps ennemis, et cela, par la raison que l'infanterie n'a de force que tant qu'elle est tassée et en ordre, et que, lorsqu'elle est séparée et presque éparpillée, un faible corps de cavalerie qui tombe sur elle dans ce moment de dérangement suffirait pour la détruire. Quelques précautions que prenne un général, il reste toujours beaucoup de hasards à courir dans l'attaque des postes difficiles et dans toutes les batailles.

La meilleure infanterie de l'univers peut être repoussée et mise en désordre dans les lieux où elle a à combattre le terrain, l'ennemi et le canon. La nôtre, énervée et même abâtardie, tant par ses pertes que par ses succès mêmes, demande d'être conduite avec ménagement aux entreprises difficiles; il faut se régler sur sa valeur intrinsèque, proportionner ses efforts à ses facultés, et ne point l'exposer inconsidérément à des épreuves de valeur qui demandent dans les périls éminents une patience et une fermeté inébranlables.

Le sort des États dépend des actions décisives; un emplacement<181> bien pris, une colline bien défendue peut soutenir ou renverser un royaume; un seul faux mouvement peut tout perdre. Un général qui entend un ordre de travers, ou qui l'exécute mal, met votre entreprise dans un risque éminent. Il faut surtout bien instruire ceux qui commandent les ailes de l'infanterie, peser mûrement ce qu'il y a de mieux à faire; et autant qu'on est louable d'engager une affaire, si l'on y trouve ses avantages, autant faut-il l'éviter, si le risque que, l'on y court surpasse le bien que l'on en espère. Il y a plus d'un chemin à suivre, qui mènent tous au même but. On doit s'appliquer, ce semble, à détruire l'ennemi en détail; qu'importe de quels moyens on se sert, pourvu que l'on gagne la supériorité?

L'ennemi fait nombre de détachements. Les généraux qui les mènent ne sont ni également prudents, ni ne sont circonspects tous les jours. Il faut se proposer de ruiner ces détachements l'un après l'autre. Il ne faut point traiter ces expéditions en bagatelles, mais y marcher en force, y donner de bons coups de collier, et soutenir ces petits combats aussi sérieusement que s'il s'y agissait d'affaires décisives. L'avantage que vous en retirez, si vous réussissez deux fois à écraser de ces corps séparés, sera de réduire l'ennemi sur la défensive; à force de circonspection, il se tiendra rassemblé, et vous fournira peut-être l'occasion de lui enlever des convois, ou même d'entreprendre avec succès sur sa grande armée.

Il s'offre encore à l'esprit d'autres idées que celles-ci. J'ose à peine les proposer dans les conjonctures présentes, où, accablés par le poids de toute l'Europe, contraints de courir la poste avec des armées, soit pour défendre une frontière, soit pour voler au secours d'une autre province, nous nous trouvons contraints à recevoir la loi de nos ennemis au lieu de la leur donner, et à régler nos opérations sur les leurs.

Comme cependant les situations violentes ne sont pas de durée, et qu'un seul événement peut apporter un changement considérable<182> dans les affaires, je crois vous devoir découvrir ma pensée sur la façon d'établir le théâtre de la guerre.

Tant que nous n'attirerons pas l'ennemi dans des plaines, nous ne devons pas nous flatter d'emporter sur lui de grands avantages; mais dès que nous pourrons le priver de ses montagnes, de ses forêts et des terrains coupés dont il tire une si grande utilité, ses troupes ne pourront plus résister aux nôtres.

Mais où trouver ces plaines? me direz-vous. Sera-ce en Moravie, en Bohême, à Görlitz, à Zittau, à Freyberg? Je vous réponds que non, mais que ces terrains se trouvent dans la Basse-Silésie, et que l'insatiable ardeur avec laquelle la cour de Vienne désire de reconquérir ce duché l'engagera tôt ou tard d'y envoyer ses troupes. C'est alors que, obligés de quitter les postes, la force de leur ordonnance et l'attirail imposant de leur canon se réduira à peu de chose. Si leur armée entre dans la plaine au commencement d'une campagne, leur témérité peut entraîner leur ruine totale, et dès lors toutes les opérations des armées prussiennes, soit en Bohême, soit en Moravie, réussiront sans peine.

C'est un expédient fâcheux, me direz-vous, que celui d'attirer un ennemi dans son pays. J'en conviens; cependant c'est l'unique, parce qu'il n'a pas plu à la nature de faire des plaines en Bohême et en Moravie, mais de les charger de bois et de montagnes. Il ne nous reste qu'à choisir ce terrain avantageux où il est, sans nous embarrasser d'autre chose.

Si les Autrichiens méritent des éloges de l'art qu'ils ont mis dans leur tactique, je ne puis que les blâmer sur la conduite qu'ils ont tenue dans les grandes parties de la guerre. Ces forces si supérieures, ces peuples qui se précipitaient sur nous des quatre coins de la terre, qu'ont-ils opéré? Est-il permis, avec tant de moyens, tant de forces, tant de bras, de faire si peu de chose? N'est-il pas clair que si, au moyen d'un concert bien arrangé, toutes ces armées avaient agi en<183> même temps, elles auraient écrasé nos corps les uns après les autres, et qu'en poussant et pressant par les extrémités vers le centre, ils auraient pu forcer nos troupes à se réduire à la seule défense de la capitale? Mais leur puissance même leur a été nuisible; ils ont mis leur confiance les uns dans les autres, le général de l'Empire dans l'Autrichien, celui-là dans le Russe, celui-là dans le Suédois, et enfin celui-là dans le Français. De là cette indolence dans leurs mouvements et cette lenteur dans l'exécution de leurs projets. S'endormant aux flatteuses idées de leurs espérances et dans la sécurité de leurs succès futurs, ils ont regardé le temps comme à eux. Combien de moments favorables ont-ils laissés échapper! que de bonnes occasions n'ont-ils pas manquées! en un mot, que de fautes énormes n'ont-ils pas faites, auxquelles nous devons notre salut!183-a

Voilà les spéculations que m'a fournies la campagne passée, seul fruit que j'en aie retiré. L'empreinte encore vive et récente de ces images m'est devenue une matière à réflexions. Tout n'est pas épuisé; il reste beaucoup de choses à dire, dont chacune mérite un examen particulier. Mais malheureux celui qui ne sait pas s'arrêter en écrivant! J'aime mieux ouvrir la carrière des méditations que de la remplir seul, et donner à ceux qui liront ceci lieu à penser des choses qui, s'ils y appliquent les facultés de leur esprit, vaudront mieux que ces idées tracées légèrement et à la hâte.

Breslau, 27 décembre 1758.

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VIII. INSTRUCTION POUR LES GÉNÉRAUX-MAJORS DE CAVALERIE.[Titelblatt]

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INSTRUCTION POUR LES GÉNÉRAUX-MAJORS DE CAVALERIE.

AU BARON DE LA MOTTE FOUQUE.

Rohnstock, 24 mars 1759.



Mon cher général d'infanterie de Fouqué.

Ayant déjà répondu à vos deux lettres du 22 de ce mois, j'ajoute seulement que, selon les nouvelles que j'ai de la grande armée autrichienne, elle tournera ses opérations vers la Silésie, et que pour cela toute l'armée s'assemblera auprès de Königingrätz. Je vous envoie ci-joint un exemplaire de l'Instruction pour les généraux-majors de cavalerie, que vous devez remettre au général-major de Meier,187-a et la lui bien inculquer. Je suis votre bien affectionné Roi.

INSTRUCTION.

Quoique les généraux-majors de cavalerie soient déjà munis d'une Instruction,187-b je trouve pourtant à propos d'y ajouter quelque chose,<188> afin qu'ils se souviennent mieux de tout ce que je veux qu'ils fassent dans la campagne prochaine. Le devoir des généraux-majors de cavalerie, lorsqu'ils sont de jour, est de prendre soin de faire relever les grand' gardes à la pointe du jour, et de faire en sorte que les patrouilles passent en règle d'une garde avancée à l'autre, qu'on patrouille régulièrement le matin, et que les postes de jour empêchent les goujats d'aller paître les chevaux hors de la chaîne. Ils visiteront de temps en temps leurs postes, et feront en sorte que tout soit bien alerte; mais surtout ils doivent observer dans le camp que. pendant la nuit, tous les ordres donnés aux brigades soient bien exécutés; qu'on ne permette pas aux cavaliers d'aller abreuver les chevaux sans quelque officier; qu'aucun officier n'aille à l'hôpital des malades, à moins qu'il ne sente en effet quelque mal; qu'aucun régiment ne dresse des tentes entre les rues des compagnies, comme fit celui de Kyau auprès de Görlitz; quand j'en trouverai, je ne m'en prendrai point aux officiers commandants des régiments, mais aux généraux-majors des brigades, qui m'en répondront. En fourrageant à portée de l'ennemi, ils auront grande attention à empêcher le pillage; les cavaliers doivent prendre du fourrage, et non pas des oies ou des canards pour les cacher dans leurs trousses; c'est pourquoi chaque officier doit toujours les faire délier en sa présence, et ceux qui auront pillé seront punis rigoureusement. En marchant, ils doivent faire aller les chevaux à grands pas, et non pas lentement, comme188-a c'est la coutume des régiments; il faut serrer escadron contre escadron, régiment contre régiment, brigade contre brigade. S'il y a des défilés à passer, les généraux doivent faire en sorte que les brigades les passent bien vite, que les cavaliers ne se querellent pas, et que tout se fasse le plus tôt possible. Ils ne doivent point souffrir les traîneurs, et aucun soldat ne doit sortir de son rang, ni se laisser attraper dans les villages. Quand ils sont dans les avant-gardes, ils doivent<189> soutenir les hussards. Dans ces occasions, il faut, ainsi que je l'ai souvent dit, prendre de grands intervalles et les soutenir, couvrir leurs flancs, se tenir, en cas de besoin, à trois cents pas derrière eux, et s'avancer avec un, deux ou plusieurs escadrons, en cas qu'une troupe de hussards soit repoussée, pour donner la chasse à l'ennemi; il faut surtout avoir grande attention aux ailes, et les couvrir. Dans une arrière-garde, il faut faire les mêmes manœuvres, sans en venir trop souvent aux mains avec l'ennemi; mais il faut tout faire en se repliant. Dans des occasions semblables, il est nécessaire que, en passant des défilés, cela se fasse avec la plus grande vitesse qu'il est possible, quand même ce serait en trottant; mais il faut d'abord former les rangs de l'autre côté, et tout cela en marchant; cela peut se faire également dans toutes les plaines. Il faut repousser l'ennemi trop entreprenant; cependant les généraux ne doivent pas engager toute la masse; ils doivent toujours tenir quelques escadrons en réserve, quand même ce n'en serait qu'un. Ils ne doivent pas trop s'approcher des bois, parce qu'ils peuvent être occupés par des pandours ou d'autres troupes ennemies; mais s'ils rencontrent de la cavalerie ennemie qui n'est pas soutenue par de l'infanterie, ils en viendront aisément à bout. Chacun doit faire marcher serrés les cavaliers, et empêcher qu'ils courent çà et là; dans la poursuite même, il faut toujours avoir quelque troupe qui les soutienne, et sur laquelle les autres puissent se replier. Quant aux batailles, il y a deux sortes d'affaires à observer, des affaires d'infanterie et des affaires de cavalerie. Les affaires d'infanterie sont les attaques des villages, des montagnes, des postes difficiles; dans ces sortes de batailles, on ne saurait faire agir la cavalerie par aile, mais bien par intervalles. C'est pourquoi la cavalerie est d'ordinaire rangée dans la troisième ligne, et ne peut agir que quand l'infanterie a déjà fait un trou dans telle ou telle partie; alors on peut employer un ou deux régiments de cavalerie. Dans ce cas, le général de brigade doit vite se rendre au lieu où il faut en<190>foncer, et pénétrer en colonne par escadron, pour profiter de la confusion de l'ennemi, ainsi que les régiments gardes du corps, gendarmes et Seydlitz firent auprès de Rossbach, ainsi que fit l'aile du général Seydlitz auprès de Zorndorf, de même que les gendarmes auprès de Hochkirch; et quand même ils laisseraient marcher les cavaliers en désordre dans cette occasion, il n'importe. Ils ont à observer ici qu'en cas que l'ennemi ait. posté de la cavalerie serrée derrière l'infanterie, ils ne doivent pas trop s'éloigner de leur infanterie; car, à mesure que notre infanterie pousse celle de l'ennemi, la poursuit et achève de la mettre en déroute, ils s'exposent, s'ils la poursuivent trop loin. Il y a mille choses à observer, savoir : s'ils trouvent à côté de l'infanterie qui est en déroute une infanterie formée, ils la peuvent attaquer sans hésiter, s'ils peuvent la prendre à dos; ce sont toujours les attaques les plus sûres pour la cavalerie, et elle n'y court aucun risque. Il faut donc que ces choses se fassent avec la plus grande vitesse, afin que l'ennemi n'ait pas le temps de parer ces mouvements. Quand la bataille se livre dans la plaine, et que la cavalerie est postée, chaque général-major doit se tenir à la tête de sa brigade, excepté les lieutenants-généraux, à qui j'ai fait défense de se tenir en avant, parce qu'ils doivent redresser le désordre, et donner ordre que la seconde ligne soutienne les attaques partout où il sera nécessaire. Dans ces attaques, il faut principalement que les ailes soient bien appuyées, que la seconde ligne observe bien la première, que les régiments soient toujours bien serrés, que plus on approche de l'ennemi, plus la carrière soit rapide; de cette manière il n'y aura pas de confusion. Quand l'ennemi sera repoussé, ils doivent prendre garde à couvrir leurs flancs; il faut surtout que la seconde ligne y soit attentive. Au reste, il faut que les généraux prennent soin de conserver les chevaux de leurs brigades, et d'observer un bon ordre parmi les officiers et en toute autre chose. Si quelqu'un fait une faute, il le faut faire arrêter et punir rigoureusement. On<191> ne doit point souffrir d'officier capable d'une lâcheté; et comme les régiments sont cette année en fort bon état, il faut qu'ils fassent tous leurs efforts pour acquérir dans cette campagne une aussi bonne réputation que dans celle de l'année passée.

Breslau, 16 mars 1759.

<192><193>

APPENDICE.[Titelblatt]

<194><195>

I. DER GENERAL VON WINTERFELDT AN DEN KÖNIG.195-a

Potsdam, den 11. November 1755.

Das von Ewr. Königlichen Majestät allergnädigst zum Durchlesen mir Communicirte liefere ich hierbei, mit der lebhaftesten devoten Erkenntlichkeit für diese mir dadurch erzeigte Gnade, in aller Unterthänigkeit wieder zurück. Und gleichwie alles dieses in meinem Herzen vergraben bleiben wird, desto mehr habe ich dagegen die daraus gelernten incomparablen Regeln, in den vier und zwanzig Stunden, da es gehabt, meinem Gedächtniss zu imprimiren gesucht, damit Ewr. Majestät gnädige Bemühungen, um mich zu instruiren und zu Dero Dienst geschickt zu machen, nicht vergebens angewendet, sondern ich solcher durch eine stricte Folge und Ausübung würdig sein möge.

Wer diesen Instructiones nur folgt, als welche auf der einen Seite anweisen, wie man von den Avantagen, so man sich dadurch verschaffen kann, mehr als jemals in einem Kriege geschehen, profitiren, auf den difficilen Fall aber auch zeigen, wie man sich in denen schwersten Vorfällen helfen soll, der kann in allen möglichen Gelegenheiten seiner guten probablen Sache gewiss, als auch zugleich in critischen Begebenheiten nicht embarrassirt sein.

Es ist diese Beilage ein Präservativ um sich glücklich zu erhalten, und eine Universal-Medicin um alle Verlegenheiten zu curiren. Und dünke ich mich bei dieser unschätzbaren Feldapotheke, als welche ich allezeit sinnlich bei mir führen werde, so sicher, dass mir auch der stärkste feindliche Gift nicht schaden kann.

H. C. von Winterfeldt.

<196>

II. FRIEDRICH AN DEN PRINZEN HEINRICH.196-a

Breslau, den 17. März 1759.



Durchlauchtiger Fürst,
Freundlich lieber Bruder,

Da Ich Ew. Liebden vorhin schon eine Instruction für die General-Majors von der Infanterie zugesandt habe, damit Dieselben solche einem jeden dererselben abschriftlich communiciren sollen; so schicke Ich Ew. Liebden nunmehro hierbei auch eine Instruction für die General-Majors von der Cavallerie und will, dass Dieselben gleichfalls jedem General von der Cavallerie bei Dero unterhabendem Corps eine Abschrift davon zustellen sollen. Ich hoffe übrigens, dass ein jeder von denen Generals, so dergleichen Abschrift von Deroselben empfänget, von der pflichtmässigen Discretion sein werde, davon keinen andern, als seinen alleinigen Gebrauch zu machen. Ich bin, u. s. w.


100-a Végèce, De re militari, liv. I, chap. 1. Voyez aussi notre t. I, p. 223, et ci-dessus, p. 3.

101-a La traduction ajoute, p. 198 et 199 : Ueberdem müssen von Distances zu Distances hinter der Chaine von der Infanterie noch Brigaden von Cavallerie und von Infanterie bereit sein, um gleich zum Succurs zu rücken, wenn und wo solcher nöthig sein dürfte.

102-a Comme les mots pays ennemi font allusion à l'Autriche, il est probable que les sommes indiquées ici doivent être énoncées en florins. Le mot florins, qui manque soit dans notre autographe, soit dans la traduction, se trouve dans le texte des Œuvres de Frédéric II, roi de Prusse, publiées du vivant de l'auteur. A Berlin, 1789, t. III, p. 373. Le premier texte autographe de l'ouvrage de Frédéric, intitulé Instruction pour les généraux, ne renferme pas encore le passage relatif aux gratifications.

104-a La traduction ajoute, p. 207 : Ich recommandire deshalb, dass man sich jederzeit dessen erinnere, was dem Churfürsten Friedrich Wilhelm dem Grossen widerfuhr, als der Maréchal de Turenne, über Thann und Belfort, in dessen Winterquartiere im Elsass einfiel. Voyez t. I, p. 84.

105-a Voyez t. II, p. 56 et suivantes.

105-b L. c., p. 116 et suivantes.

105-c Voyez t. III, p. 87 et suivantes.

105-d L. c., p. 164 et suivantes.

106-a Voyez ci-dessus, p. 3.

11-a Voyez t. III, p. 145.

112-a Le vicomte de Turenne, né à Sedan le 11 septembre 1611, se rendit en Hollande, vers le commencement de l'année 1625, pour se vouer au service militaire. Maurice de Nassau, son oncle, le reçut avec bonté et consentit à lui servir de guide; mais ce prince mourut à la Haye, le 23 avril de la même année. Le prince Frédéric-Henri, son frère, donna, en 1626, une compagnie d'infanterie au jeune Turenne.

112-b Barbier, Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes, attribue à M. Deschamps les Mémoires des deux dernières campagnes de Monsieur de Turenne en Allemagne et de ce qui s'est passé depuis sa mort, sous le commandement du comte de Large. Paris, 1678, deux volumes in-12. Voyez t. XVII, p. 323, et ci-dessus, p. 50.

112-c Mémoires de M. le marquis de Feuquières, contenant ses maximes sur la guerre, et l'application des exemples aux maximes, Amsterdam, 1731. Voyez Die militairische Richtung in Friedrichs Jugendleben, eine Festrede von J. D. E. Preuss (Berlin, 1856), p. 27 et 37; voyez aussi notre t. XVI, p. 172.

112-d Réflexions militaires et politiques, traduites de l'espagnol de M. le marquis de Santa Cruz de Marzenado, par M. de Vergy, Paris, 1738, onze volumes in-8.

113-a Par Charles Sevin, marquis de Quincy, Paris, 1726, six volumes in-4. Voyez t. XXII. p. 330.

113-b Voyez ci-dessus, p. 107.

12-a Ce mot, créé par Frédéric, signifie arrêter. La traduction officielle et inédite de ce chapitre porte : hemmen.

12-b Voyez t. II, p. 102, 121 et suivantes.

120-a Voyez ci-dessus, p. 10 et 18.

127-a C'est-à-dire la gauche de Frédéric lui-même.

136-a Voyez t. XII, p. 233 et 234; t. XIX, p. 311.

139-a Voyez t. III, p. 65 et 98; t. VII, p. 91; t. XVII, p. 342; t. XIX, p. 82; ci-dessus, p. 9.

14-a La traduction porte Littau.

14-b Welcher vermuthlich bei Austerlitz sich gelagert, etc. (Traduction.)

140-a Voyez t. XXVI, p. 588.

143-a Le mot est manque dans l'original.

146-a Au lieu du mot Postirung (Winter-Postirung), Frédéric a mis dans ses Règles de ce qu'on exige d'un bon commandeur de bataillon en temps de guerre : « la chaîne des quartiers d'hiver, » et dans son écrit, Des marches d'armée : « le cordon qui doit couvrir les quartiers d'hiver. »

15-a Iglau. (Traduction.)

15-b Kremsier und Ungarisch-Hradisch. (Ibidem.)

153-a Voyez t. XXVI, p. 196, no 32.

153-b Voyez t. IV, p. 209 et 210.

156-a Frédéric-Guillaume de Borcke, ministre d'État et, pendant la guerre de sept ans, chef du directoire général de la guerre (General-Feld-Krieges-Directorium), à Torgau. Voyez t. XXVI, p. 204.

158-a Voyez t. IV, p. 154; t. XXVII. m, p. XIII, XIV, et 225-228.

158-b Voyez t. XXVI, p. XIV.

161-a Cet officier s'appelait Moller ou Möller, et non Müller. Il était colonel depuis le 11 mars 1757, et moins ancien que Dieskau, inspecteur général de l'artillerie.

161-b Olschan ou Ollschann.

161-c Il s'agit de la pièce suivante.

166-a Le Roi semble avoir omis ici les mots à cheval. La traduction porte, dans de Malinowsky et de Bonin, Geschichte der brandenburgisch-preussischen Artillerie, t. III, p. 53 : Sechs zwölf-pfündige Batteriestücke nehmen sie mit, und werden mit den Artilleristen herüber reiten, um desto geschwinder zu kommen, etc.

169-a Voyez f X, p. 78; t. XIV, p. 98; et t. XVII, p. 270.

169-b Voyez ci-dessus, p. 3.

17-a Voyez t. I, p. 76; t. V, p. 18; et t. XXVII. III, p. 41.

17-b Voyez t. III, p. 165 et suivantes.

170-a Voyez ci-dessus, p. 112.

18-a Voici comment Frédéric s'exprime dans l'Histoire de mon temps (t. III, p. 85) : « On sait que qui veut bâtir l'édifice d'une armée, doit prendre le ventre pour fondement. » Dans le Palladion (t. XI, p. 196), il dit, d'après Homère : « Le pain fait le soldat. » Voyez aussi t. VII, p. 18 et 89; t. X, p. 301; et ci-dessus, p. 10.

183-a Le jugement que le Roi porte ici sur l'armée autrichienne est reconnu tout à fait juste par le colonel de Cogniazo dans son ouvrage (anonyme), Geständnisse eines Oestreichischen Veterans, Breslau, 1790, t. III, p. 65 et suivantes.

187-a Voyez t. IV, p. 221.

187-b Frédéric parle de son Instruction für die General-Majors von der Cavallerie, Potsdam, den 14. August 1748, que l'on trouve t. XXX, parmi les ouvrages militaires écrits en allemand.

188-a Le mot comme manque dans l'original.

195-a Il est parlé de cette lettre dans l'Avertissement, article III. Nous la tenons de feu madame la comtesse Henriette d'Itzenplitz-Friedland.

196-a Nous avons mentionné cette lettre dans l'Avertissement, article VIII, et nous la donnons d'après l'original conservé aux Archives de l'État (F. 105. Ee).

20-a La traduction porte, p. 18 : auf acht Tage.

21-a Lorsque le Roi assiégeait Olmütz, il fit venir de Neisse des moulins à bras, par un ordre daté du 14 juin 1758. Voyez Léopold von Orlich, Fürst Moritz von Anhalt-Dessau, Berlin, 1842, p. 125.

22-a Voyez Reglement vor die Königl. Preussische Infanterie, p. 340-344 : Wie es bei den Escortes und bei Bedeckung der Armee soll gehalten werden.

22-b La traduction ajoute, p. 23 et 24 : Eine gute Art deren man sich bedienen kann um die Convois zu decken, ist, dass man zum voraus die Défilés occupiret, wo der Convoi passiren muss, und dass man die Truppen, so solchen decken sollen, bis an eine halbe Meile vorwärts nach der Seite gegen den Feind zu postiret; welches die Convois verdecket hält und auf gewisse Art deren Marsch masquiret.

25-a La traduction ajoute, p. 31 : Man fouragiret nicht mehr als ein Dorf auf einmal, hernach ein anderes, damit diejenigen, so die Fouragirung decken, sich nicht aus einander eparpilliren.

25-b De même, p. 31 et 33 : Wenn man grosse Fouragirungen von grüner Fourage thut, so bin ich der Meinung, dass man nicht ein gar zu weitläuftiges Terrain auf einmal fouragiren, sondern vielmehr solches auf zweimal und gleich nach einander thun müsse; auf diese Art wird eure Kette desto stärker und setzet eure Fourageurs ausser Gefahr insultiret zu werden, wohergegen, wenn das Terrain, so ihr nehmet, gar zu weitläuftig vor die Escorte ist, so wird eure Kette überall schwach, und ist mithin exponiret, von dem Feinde forciret zu werden.

26-a .... Und nimmt zugleich einige alte Leute aus den benachbarten Dorfschaften, oder auch Jäger, Hirten und auch Schlächter mit sich. (Variante de la traduction, p. 35 et 36.)

28-a La traduction ajoute à la fin de cet alinéa, p. 41 et 41 : Ich füge inzwischen noch hinzu, wie es vor einen General important sein wird, dass, wenn er seine General-Position genommen hat, er sein Terrain von einem Ende bis zum andern selbst abschreite und messe, dafern er sonsten die Zeit dazu hat.

3-a Végèce, De re militari, liv. I, chap. I. Voyez aussi notre t. VIII, p. 6 et 7.

3-b Voyez t. VI, p. 105.

3-c Après avoir travaillé plusieurs mois à polir son ouvrage, Frédéric l'envoya à son frère le Prince de Prusse, le 19 juin 1748. Voyez, t. XXVI, p. 117-119, ses lettres du 4 mars, du 19 et du 24 juin.

30-a La traduction ajoute, p. 45 et 46 : Die grosse Kunst in Distribuirung der Truppen auf einem Terrain ist, solche dergestalt zu placiren, dass sie frei agiren und dass sie durchgehends nützlich sein konnen. Villeroi, dem vielleicht diese Regel unbekannt war, beraubete sich selbst, als er sich in den Plainen von Ramillies formirte, seines ganzen linken Flügels, welchen er hinter einen Morast placirte, wo er nicht agiren, noch einmal von dar den rechten Flügel secundiren konnte.

30-b Cet alinéa est précédé du suivant dans la traduction, p. 46 : Um zu wissen, ob ihr euren Ort gut choisiret habt, wo ihr campiren wollet, so sehet zu, ob ihr, wann ihr ein kleines Mouvement machet, den Feind zwingen könnet, ein grosses Mouvement zu machen, oder aber, ob, wenn der Feind einen Marsch thun müssen, er dadurch obligiret sei noch mehrere und andere Märsche zu thun. Derjenige, welcher die wenigsten Märsche zu thun hat, ist am besten campiret.

31-a Voyez Reglement vor die Königl. Preussische Infanterie, p. 248-255 : Wie das Lager aufgeschlagen werden soll.

31-b Ce terme est rendu dans la traduction, p. 48, par ordre de bataille, expression qui se trouve aussi dans notre texte original, un peu plus bas.

31-c Le Roi veut dire du Main. Voyez t. III, p. 12 et suivantes.

31-d La traduction ajoute, p. 49 : Dieses scheinet lächerlich zu sein, ist aber dem ohnerachtet wahr.

33-a La traduction ajoute, p. 53 : Inzwischen muss man nicht darauf trauen, denn der Feind kann remarquiren, dass ihr eure Fouragirung zu gleicher Zeit mit ihm machet, da er dann eine Fouragirung commandiren, solche aber gleich wieder zurück kommen lassen, und euch alsdenn auf den Halsfallen kann.

33-b Voyez t. III, p. 133 et suivantes, et les Œuvres de Frédéric II, publiées du vivant de l'auteur, Berlin, 1789, t. III, p. 271, note.

33-c Voyez t. III, p. 136 et suivantes.

35-a La traduction ajoute, p. 56 : Inzwischen würde ich allemal lieber eine Observations-Armee haben, um die Belagerung zu decken, als ein retranchirtes Lager, und dieses darum, weil die Erfahrung gezeiget hat, dass die alte Methode derer Retranchements gar nicht zuverlässig ist. Der Prinz Condé sahe sein Retranchement vor Arras durch Turenne forciret; Condé forcirte hergegen dasjenige, welches Turenne, wo ich mich nicht irre, um Valenciennes gemachet hatte; und von solcher Zeit an haben diese beiden grossen Meister in der Kriegskunst keine Retranchements weiter gemachet, sondern hatten ihre Observations-Armeen, um die Belagerungen zu decken.

35-b Voyez t. III, p. 72.

35-c L. c., p. 71 et 72.

37-a Voyez t. I, p. 49.

38-a La traduction ajoute, p. 63 et 64 : Vor allen Dingen muss ich diesem noch hinzufügen, dass so oft kleine Flüsse oder Moraste bei dem Lager sind, man solche sofort sondiren lassen muss, damit es sonsten nicht geschehe, dass man einen unrechten Point d'appui nehme, auf den Fall, dass man den Fluss durchwaten kann oder der Morast practicable ist. Villars ward zum Theil deshalb bei Malplaquet geschlagen, weil er einen Morast, der zu seiner Linken war, vor inpracticable hielt, welchen man aber eine trockene Wiese zu sein fand, über welche unsere Truppen ihm auf die Flanquen fielen. Man muss alles mit seinen Augen sehen, und nicht glauben, dass dergleichen Attentiones Kleinigkeiten sind.

38-b Reglement vor die Königl. Preussische Infanterie, p. 256 et suivantes.

38-c Reglement vor die Königl. Preussische Cavallerie-Regimenter, p. 149 et suivantes.

4-a Le Roi veut parler des quatre règlements militaires qu'il publia en allemand, en 1743, savoir : Reglement vor die Königl. Preussische Infanterie; Reglement vor die Königl. Preussischen Cavallerie-Regimenter; Reglement vor die Königlich Preussischen Dragoner-Regimenter; et Règlement vor die Königl. Preussischen Husaren-Regimenter. Voyez t. XXVI, p. 119.

40-a Voyez t. I, p. 140.

40-b Le 10 décembre 1710.

40-c Le 14 août 1737. Voyez t. I, p. 196.

40-d C'est le maréchal comte de Khevenhüller qui fut battu aux bords du Timoc, le 28 septembre 1737. Voyez t. I, p. 196.

40-e Voyez les Œuvres de Frédéric, publiées du vivant de l'auteur, t. III, p. 282, seconde note.

42-a Voyez ci-dessus, p. 18.

42-b Voyez t. III, p. 113 et suivantes.

42-c Le 5 janvier 1675. Voyez t. I, p. 84.

42-d Ces quatre dernières lignes sont remplacées dans la traduction, p. 74 et 75, par celles-ci : Oder auch wie es der Maréchal de Luxembourg in der Bataille von Fleurus machte, wo er unter Faveur des Getreides, welches sehr hoch stand, ein Corps Infanterie passiren und auf die Flanquen des Fürsten von Waldeck fallen liess, durch welches Manœuvre er die Bataille gewann. Dieses geschahe in der Campagne von 1690.

43-a Cet article est omis dans la traduction.

44-a Voyez t. VIII, p. 133.

48-a La traduction inédite de ce chapitre ajoute ici : Dieserwegen muss derjenige, so eine Armee commandiret, sich niemals à la tête von seiner Cavallerie setzen, um den Feind zu attaquiren. Voyez t. II, p. 76, 83 et 84; t. XVII, p. 98 et 99.

49-a Voyez t. III, p. 116, 117 et 123.

5-a Voyez t. VI, p. 103, et t. IX, p. 215.

50-a Mazeppa. Voyez t. VII, p. 89 et suivantes; ci-dessus, p. 9.

51-a Démétrius Cantemir. Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XXV, p. 220 et suivantes.

51-b Voyez Reglement vor die Königl. Preussische Cavallerie-Regimenter, p. 258-262 : Was die Officiers, wann sie auf Parteien ausgeschicket werden, zu observiren haben.

51-c La traduction ajoute, p. 83 : Was die Kunst anbetrifft den Feind zu obligiren um Detachements zu machen, so kann man nur, um sich eine ganz neuerliche Idee davon zu machen, die schöne Campagne lesen, welche der Maréchal von Luxembourg gegen den König von England in Flandern gethan, und welche sich mit der Bataille von Landen oder von Neerwinde, 1693, endigte. Frédéric parle probablement de l'Histoire militaire de Flandre, ou Campagnes du maréchal de Luxembourg, depuis 1690 jusqu'en 1694, par M. de Beaurain (ou plutôt par le comte de Boisgelin).

52-a Le 3 août 1692.

53-a Voyez ci-dessus, p. 33.

54-a La traduction ajoute, p. 93, l'alinéa suivant : Wenn man wohl reflectiret über das Land so zum Theatro des Krieges dienet, über die Position der Armee, welche man commandiret. über die Sicherheit seiner Depots von Vivres, über die Stärke derer Kriegesplätze und über die Mittel, welche der Feind hat oder nicht hat um letztere zu attaquiren, über den Schaden, welchen seine leichten Truppen euch thun können, wenn der Feind solche auf eure Flanquen oder auf euren Rücken. oder sonsten placiret, oder wenn er sich deren bedienet, um eine Diversion zu machen, wenn, sage ich, man alle diese Puncte consideriret und erwäget, ohne sich zu flattiren; so kann man darauf rechnen, dass ein habiler Feind precisement dasjenige thun wird, so euch am meisten schaden kann, dass dieses seine Absicht ist, und dass man sich solcher sofort, wie man kann, entgegensetzen muss.

55-a Voyez t. III, p. 132 et 133.

56-a La traduction ajoute, p. 98 et 99 : Seit der Zeit, dass diese Mémoires gefertiget worden sind, hat die Kaiserin-Königin von Ungarn die Last derer Imposten denen mährischen und böhmischen Unterthanen viel schwerer gemachet. Man könnte vielleicht von diesem Umstände profitiren, um sich diese Unterthanen affectionirt zu machen, zumalen wenn man sie flattirete, dass man sie gelinder tractiren würde, wann man diese Länder gewonnen haben werde.

57-a Nous ajoutons ce titre, d'après la traduction, pour mettre cette subdivision de l'article en harmonie avec les six autres.

60-a Du 28 mai au 4 juin 1745. Voyez t. III, p. 123 et suivantes.

60-b La traduction ajoute, p. 106 : Man muss nur bei solcher Art von Marsch darauf Attention haben, dass man dem Feinde nicht die Flanque biete.

61-a Und öffnet sich den Weg dazu durch die leichten Truppen, welche man vor die Avantgarde vorausgehen lässet. (Traduction, p. 108.)

62-a La traduction ajoute à ce titre, p. 109 : Plan A.

62-b Wie der Plan A anzeiget. (Traduction, p. 110.)

63-a La traduction ajoute à ce titre, p. 111 : Plan B.

63-b Voyez t. III, p. 76 et 77.

63-c La traduction porte de plus, p. 113 : Man kann auch Flatterminen an den Angles des Retranchements machen, welche die letzteren Grenadiers, indem sie den Fluss passiren, auffliegen lassen.

65-a Voyez t. III, p. 148 et suivantes.

67-a Voyez t. III, p. 133 et 134.

68-a Ou plutôt 1701.

68-b Il faut lire : le maréchal de Catinat. La méprise qui se trouve dans notre texte est répétée dans la traduction, p. 125.

68-c Voyez t. III, p. 51 et suivantes.

69-a Frédéric veut dire : le passage du Rhin. Voyez Jules César, De bello gallico, liv. IV, chap. 16, 17 et 18. La traduction porte également, p. 126 : über die Rhone.

72-a Cosel fut pris le 27 mai 1745 (voyez t. III, p. 134); Crémone le 1er février 1702. C'est dans cette dernière ville que le maréchal de Villeroi fut fait prisonnier par le prince Eugène.

73-a Cet article est omis dans la traduction.

74-a L'ouvrage du prince Léopold d'Anhalt-Dessau auquel le Roi fait allusion est intitulé : Deutliche und ausführliche Beschreibung, wie eine Stadt soll belagert und nachher die Belagerung mit gutem Success bis zur Uebergabe geführet werden, 1788. Voyez t. XVI, p. 159 et 160. Voyez aussi J.-D.-E. Preuss, Die militärische Richtung in Friedrichs Jugendleben. Berlin, 1856, p. 23 et 24.

76-a La traduction manuscrite ajoute : Man machet in dem verdeckten Weg, in den Angles rentrants, Caponnières, wo man zwölf Mann placiret, welches vor Surprisen decket und die Garnison nicht fatiguiret.

78-a Ici la traduction porte en marge, p. 141 : Plan C.

79-a La traduction ajoute, p. 143 et 144 : Die grosse Regel vom Kriege in allem was man Treffen, Bataillen oder Action nennet, ist, dass man seine Flanquen und seinen Rücken versichere und dass man dem Feind die Flanque abgewinne : dieses geschiehet durch verschiedentliche Mittel; inzwischen läuft alles auf eins hinaus.

8-a Tout cet article est omis dans la traduction de 1753.

81-a Ce passage rappelle ce que le Roi dit du camp de Bunzelwitz, t. V, p. 135 et suivantes.

83-a Voyez t. XXVII. III, p. 298.

87-a Le sens exigerait ici que, au lieu de à moins.

9-a Voyez t. I, p. 135, et t. VII, p. 93-98.

9-b Voyez t. I, p. 121 et suivantes, 139 et suivantes.

9-c Voyez t. II, p. 104 et suivantes.

91-a In der ersten Consternation. (Traduction, p. 173.)

91-b Voyez t. X, p. 288, et t. XVIII, p. 117 et 118.

94-a La traduction ajoute, p. 181 : Oder aber auch, um ihn wegen eines Fehlers zu strafen, welchen er begangen hat.

95-a Ce qui précède, à partir des mots : « Le prince de Lorraine, » est omis dans la traduction, p. 182.

95-b Bei einem Kriege in Flandern. (Traduction, p. 183.)

95-c Évangile selon saint Jean, chap. XI, v. 50.

95-d La traduction ajoute, p. 184 : Was endlich noch die Art betrifft, einen Feind wegen seiner begangenen Fauten zu strafen, da muss man die Relationes von der Bataille von Seneffe lesen, wo der Prinz von Condé eine Affaire von der Arrieregarde mit dem Prinzen von Oranien oder Fürst Waldeck engagirte, weil dieser negligiret hatte, an der Tête eines Défilé Truppen zu postiren, welches er passiren musste, um seine Arrieregarde an sich zu ziehen. Man lese noch die Relation von der Bataille bei Leuze, so durch den Maréchal Luxembourg gewonnen ward; desgleichen die Relation von der Bataille bei Rocoux, etc.

96-a Dans la traduction, p. 185, cet article commence par le passage suivant : Dieser Articul würde sehr lang sein, wenn ich darin das Capitul aller Accidents so einem General im Kriege arriviren können, abhandeln wollte; ich will mich aber nur kurz einschränken, um zu zeigen, dass sowohl Geschicklichkeit, als auch Glück bei dem Kriege erfordert wird.

97-a Voyez t. III, p. 85.

98-a La nuit du 18 au 19 novembre 1744. Voyez t. III, p. 77 et 78.

98-b Voyez ci-dessus, p. 72.

I-a Voyez t. XXVI, p. 119, et ci-dessous, p. 4, 22, 31, 38 et 51.

II-a Voyez ci-dessous, p. 4.

II-b L. c., p. 150.

IX-a Voyez J.-D.-E. Preuss, Friedrich der Grosse als Schriftsteller, p. 348 et 349.

V-a Voyez t. XXVI, p. 117-119; et ci-dessous, p. 3 et 106.

VI-a Voyez t. IV, p. 18 et suivantes; t. XXVII. III, p. 304 et suivantes.

VII-a Voyez J.-D.-E. Preuss, Friedrich der Grosse als Schriftsteller, p. 230.

VII-b Voyez J.-D.-E. Preuss, Urkundenbuch zu der Lebensgeschichte Friedrichs des Grossen, t. I, p. 238, 239 et 242, nos 608, 609 et 615.

VII-c Voyez t. V, p. 48. Nous y disions dans une note, d'après les Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, 1760, nos 26, que le général de Czettritz avait été fait prisonnier le 21 février. Mais c'était une erreur, car il dit lui-même, dans son rapport au Roi, daté de Grossenhayn, 20 février, que cet événement eut lieu le matin de ce dernier jour, entre six et sept heures.

VII-d Des Königs von Preussen Majestät Unterricht von der Kriegskunst an seine Generals. Francfort et Leipzig, 1761, cent cinquante-deux pages petit in-8, avec treize planches gravées en taille-douce.

VII-e Instruction militaire du roi de Prusse pour ses généraux. Traduite de l'allemand par M. Faesch, lieutenant-colonel dans les troupes saxonnes. Avec XIII planches gravées en taille-douce. Francfort et Leipzig, 1761, cent soixante pages petit in-8.

VIII-a L. c., p. 239, note : « Cette Instruction militaire a été dictée en allemand par le Roi, et traduite en français par M. Faesch, lieutenant-colonel dans les troupes saxonnes. C'est cette traduction que, l'on donne ici. »

VIII-b Gerhard-Jean-David de Scharnhorst, alors capitaine d'artillerie et professeur à l'école militaire de Hanovre, dit au commencement de sa préface, p. III : « Cette édition des Principes de la guerre est la réimpression de celle qui a été publiée en 1761 ...... On n'y a fait de changements que la où le sens était altéré par des fautes de transcription ou d'impression. »
M. de Scharnhorst était né, à ce que l'on croit, le 10 ou le 12 novembre 1756, dans les États de Hanovre, à Hämelsee, à Hämelhausen ou à Bordenau, selon d'autres à Beverungen, petite ville du duché de Brunswic. Mais les pasteurs de ces diverses localités n'ont pas pu retrouver son nom dans les registres de leurs églises. Ce qui est certain, c'est que Scharnhorst a rendu de grands services à notre pays. Il est mort à Prague, le 28 juin 1813, d'une blessure qu'il avait reçue à la bataille de Gross-Görschen, et ses restes ont été déposés, en 1826, dans le cimetière des Invalides, à Berlin.

VIII-c M. Charles-Henri de Schütz, alors colonel et chef d'état-major du quatrième corps de l'armée prussienne, mort à Marseille, en 1833, avec le grade de général-major; et M. Schulz, capitaine et adjudant en 1819, maintenant colonel en retraite.

X-a Voyez Varnhagen d'Ense, Leben des Feldmarschalls Keith, p. 101 et 102, et la Biographie universelle, Paris, 1816, t. XV, p. 144. Voyez aussi t. I, p. 184, et t. XIII, p. 114 de notre édition.

X-b Voyez t. IV, p. 164 et 191; t. XXII, p. 331; t. XXIV, p. 11. Jean de Balbi, natif de Clèves, devint lieutenant au corps du génie le 3 mai 1727, capitaine le 26 décembre 1732, lieutenant-colonel le 28 février 1748, et colonel le 22 décembre 1757.

X-c Voyez t. XIV, p. 196, et t. XIX, p. 48.

XI-a Voyez l'Appendice, à la fin de ce volume.

XII-a Voyez t. XXVI, p. 196, no 32.

XIII-a Voyez, quant à M. de Moller, t. IV, p. 104, et t. XXV, p. 629; quant à M. de Dieskau, t. XXVI, p. 642.

XIV-a Le prince héréditaire de Brunswic.