<127> vers le lieu où l'on a sérieusement intention d'agir; car l'homme sage ne donnera jamais au hasard ce qu'il peut lui ravir avec la prudence. Surtout un général ne doit jamais mouvoir son armée sans être bien instruit du lieu où il la conduit, et comment il la fera arriver en sûreté sur le terrain où il veut exécuter son projet.
DES PRÉCAUTIONS QU'IL FAUT PRENDRE EN PAYS ENNEMI POUR SE PROCURER ET S'ASSURER DES GUIDES.
L'année 1760, en traversant la Lusace pour marcher en Silésie, nous eûmes besoin de guides. On en chercha dans des villages vandales,a et lorsqu'on les amena, ils faisaient semblant de ne pas savoir l'allemand, ce qui nous embarrassait fort; on s'avisa de les frapper, et ils parlèrent allemand comme des perroquets. Il faut donc toujours être sur ses gardes à l'égard de ces guides qu'on prend en pays ennemi; bien loin de se fier à eux, il faut lier ceux qui conduisent les troupes, leur promettre une récompense s'ils vous mènent par le meilleur chemin et le plus court à l'endroit où l'on veut se rendre, mais aussi leur assurer qu'on les pendra sans pardon, s'il leur arrive de vous égarer. Ce n'est qu'avec sévérité et avec force qu'on peut obliger les Moraves et les Bohémiens à s'acquitter de ces sortes d'offices. On trouve, dans ces provinces, des habitants dans les villes; mais les villages sont déserts, parce que les paysans se sauvent, avec leur bétail et leurs meilleurs effets, dans les forêts ou dans le fond des montagnes, et laissent leurs habitations vides. Leur désertion cause un très-grand embarras. D'où prendre les guides, si ce n'est d'un village à un autre? Il faut alors recourir aux villes, tâcher de trouver quelques postillons ou, à leur défaut, des bouchers qui rôdent les
a Vénèdes. Voyez t. I, p. 4 et 225.