<96>donné trente milles de pays aussi inconsidérément; il aurait au moins dû disputer le terrain pied à pied, et n'abandonner que ce qu'il ne pouvait maintenir. Il pouvait, par là, tirer la guerre en longueur, et par conséquent il aurait indubitablement trouvé des occasions de se remettre en égalité avec les Français.
Il faut qu'un projet de défensive soit profondément médité. Il se trouve des postes qui couvrent des provinces entières, et d'où même l'on peut donner jalousie aux provinces ennemies. Ces postes doivent se prendre, il faut les occuper selon toutes les règles de l'art; et comme on doit prévoir tout ce qu'un général habile pourrait méditer contre l'intérêt de l'État, on peut supposer que par ses mouvements l'ennemi vous oblige à quitter votre point de défense; il faut d'avance avoir quelque autre camp, soit à droite, à gauche, ou bien en arrière, par lequel vous puissiez les tenir également en échec. Pensez toujours aux desseins les plus dangereux qu'on peut former contre vous, et tâchez d'avoir des moyens tout prêts pour éluder de telles entreprises. Si l'ennemi les met en exécution, vous ne serez pas surpris, et vous lui opposerez de sang-froid ce que vous aviez médité d'avance. Quiconque ne se flatte point et prévoit tout est rarement surpris, et trouve des ressources pour anéantir les coups les plus dangereux qu'on voulait lui porter.
Ne fondez jamais votre défensive sur des rivières, à moins qu'elles ne coulent entre les rochers, et qu'elles n'aient les rives escarpées. On peut défendre une rivière qu'on laisse derrière soi; mais on n'a pas encore réussi à défendre celles qui sont devant le front des armées. Un général chargé d'une guerre défensive doit veiller sur les moindres fautes de l'ennemi et, s'il peut, lui en faire commettre, pour profiter de ses moindres négligences. Tant que l'ennemi observe les règles de l'art, qu'il est vigilant, qu'il profite bien du terrain, qu'il se campe avantageusement, qu'il ne hasarde pas légèrement ses détachements, qu'il couvre ses marches, qu'il les fait en