ARTICLE XXXVIII. DE LA GUERRE DE CONTENANCE.
Une grande qualité pour un officier, c'est d'être impénétrable à l'ennemi, et de lui savoir dérober tous les mouvements qu'on veut <52>faire. Cela dépend du secret et de la façon dont on masque ses projets. Cette qualité devient essentielle pour tous ceux qui commandent à des corps plus faibles que ceux qui leur sont opposés; on appelle cette espèce de défensive guerre de contenance. Elle consiste en effet à tenir bonne contenance, à en imposer à l'ennemi, et à savoir mettre en usage toutes sortes de ruses pour parvenir à ses fins, qui sont de s'opposer à lui sans être battu. Cela se fait dans les campements; avant un bon défilé devant vous, vous campez vos troupes en perspective, de sorte qu'elles paraissent du double plus fortes qu'elles ne sont, soit en faisant paraître quelques tentes le long des bois, soit en occupant la cime des monticules sans garnir les fonds, ce qui de loin vous donne l'apparence d'avoir bien plus de troupes que vous n'en avez effectivement. Dans des marches, surtout par des terrains fourrés, pour désorienter l'ennemi, vous faites paraître des têtes de colonnes, comme si vous vouliez marcher d'un côté, tandis que vous tournez d'un autre, ce qui le trompe, et, séduit par des apparences, il vous attend à l'endroit où vous n'avez pas dessein d'aller. Dans les retraites, en faisant fortifier votre camp la veille de la nuit que vous vous proposez de l'abandonner. Dans les arrière-gardes, en faisant semblant de tenir ferme derrière un défilé que vous abandonnez subitement, après en avoir occupé un autre derrière vous. Enfin je ne finirais pas, si je voulais vous marquer en détail toutes les différentes ruses que la guerre de contenance fournit; il suffit d'en avoir rapporté quelques échantillons. Ceux qui voudront l'étudier en trouveront assez dans ce précis pour donner carrière à leur imagination, et cette étude est d'autant plus indispensable, que tout officier qui commande un détachement doit du moins en avoir une bonne idée, ne fût-ce que pour ne se pas tromper aux ostentations de l'ennemi. Il vaut encore mieux savoir exécuter ces choses, car souvent on en a besoin. J'exhorte donc et je prie mes officiers de se rendre toutes ces idées familières; j'ai resserré la matière autant que je l'ai pu, pour<53> rendre les principes plus faciles à retenir; mais il faut s'exercer sur les terrains, acquérir l'habitude d'en juger bien et facilement, se rappeler les règles de la tactique, faire soi-même des dispositions, et les examiner' si elles sont bien solides, soit de marches, d'avant-gardes, d'arrière-gardes, de camps, d'attaques et de défenses, penser soi-même à la guerre de contenance, et ainsi se préparer, pendant la paix, à pouvoir se distinguer pendant la guerre. Ceux qui emploieront leur temps de cette façon en recueilleront des fruits excellents dès que les hostilités commenceront, et se feront estimer de tout le monde, sans compter l'honneur et la gloire qui leur en reviendra.53-a
Sans-Souci, 12 novembre 1770.
Federic.
53-a Voyez t. XXVIII, p. 107 et 113.