ŒUVRES DE FRÉDÉRIC LE GRAND TOME XXIX.
<><>ŒUVRES DE FRÉDÉRIC LE GRAND TOME XXIX. BERLIN IMPRIMERIE ROYALE (R. DECKER) MDCCCLVI
<><>OEUVRES MILITAIRES DE FRÉDÉRIC II ROI DE PRUSSE TOME II. BERLIN IMPRIMERIE ROYALE (R. DECKER) MDCCCLVI
<><>OEUVRES MILITAIRES TOME II.
<><I>AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.
Frédéric parle avec satisfaction, dans ses Mémoires et dans ses lettres,I-a des travaux auxquels il se livra, dès la paix de Hubertsbourg, dans le but de perfectionner l'instruction de son armée. Il commença par réunir autour de lui l'élite de ses officiers, soit afin de les initier aux secrets du plus difficile des arts,I-b soit pour encourager et distinguer le mérite partout où il le trouvait.I-c Potsdam devint ainsi une véritable académie militaire. Mais le Roi ne se borna pas à donner des directions pratiques à ceux qui servaient sous ses ordres; il écrivit pour eux jusqu'à la fin de sa vie, en mettant à profit l'expérience qu'il avait acquise dans ses campagnes. Les principaux fruits de ces travaux sont d'abord l'article, Des principes fondamentaux de la guerre, inséré dans le Testament politique (inédit) du 7 novembre 1768, puis les huit ouvrages dont se compose ce volume, le second de la série militaire, et dont nous allons parler en détail.
<II>I. ÉLÉMENTS DE CASTRAMÉTRIE ET DE TACTIQUE.
Frédéric fit imprimer ce traité simultanément en français et en allemand; mais l'original est en français. Il est intitulé : Éléments de castramétrie et de tactique (sans lieu d'impression), MDCCLXXI. C'est un grand in-quarto, portant au frontispice une vignette gravée par Schleuen; il se compose d'un Avant-propos de six pages, d'une Table des matières de même étendue, que nous donnons telle que le Roi l'a faite,II-a et de quatre-vingt-six pages de texte, avec trente-sept plans qui tous présentent des notes explicatives, en partie très-détaillées. On lit à la fin de l'article XXXVIII et dernier : Sans-Souci, ce 12 novembre 1770, et plus bas la signature : Federic. La traduction est intitulée : Grundsätze der Lager-Kunst und Tactic (sans lieu d'impression), 1771, quatre-vingt-quatorze pages grand in-quarto, avec la vignette de Schleuen et trente-sept plans. L'ouvrage est daté : Sans-Souci, den 12. November 1770, et signé Friderich.
On s'est servi pour cette traduction des mêmes planches que pour l'original. Seulement on a enlevé les notes explicatives qui y étaient gravées en français, et, après les avoir traduites, en ayant soin que les caractères allemands tinssent précisément la même place que le texte français, on a artistement collé le nouveau texte de chaque planche à l'endroit d'où l'on avait enlevé l'ancien. Le tout a été exécuté avec une rare habileté.
L'édition française et l'édition allemande ont probablement été imprimées toutes deux au château, par G.-J. Decker, imprimeur du Roi.
En envoyant la première à son frère Ferdinand, l'Auteur lui écrivit, le 3 mars 1771 : « J'ai travaillé cet hiver à un Essai de tactique et de castramétrie pour mes généraux. Cet ouvrage vient d'être imprimé, et je vous prie, mon cher frère, d'en accepter un exemplaire. J'espère que vous prendrez toutes les précautions pour qu'on n'en tire point de copie, et qu'il ne tombe en aucune main étrangère, car cela est fait pour nos officiers, et non pas pour éclairer nos ennemis. »II-b Le <III>Roi recommande de même le secret le plus inviolable au lieutenant-général de Ramin, en lui adressant, le 3 mars 1771, l'édition allemande, pour les généraux et les officiers d'état-major de la garnison de Berlin.III-a
Le mot de castramétrie ne se trouve pas dans le Dictionnaire de l'Académie. Frédéric l'a employé dans le t. IX, p. 232 : « Ce qui restera éternellement stable dans l'art militaire, dit-il, c'est la castramétrie, ou l'art de tirer le plus grand parti possible d'un terrain pour son avantage. » Il l'explique ci-dessous, p. 58, par le terme de l'art des campements. Cependant il s'est servi ailleurs (t. IX. p. 201) de l'expression plus exacte de castramétation.
Les deux éditions des Éléments, distribuées à un petit nombre d'exemplaires, sont très-rares et très-peu connues. Notre texte reproduit l'original de 1771. Quant aux trente-sept plans que l'auguste auteur y a ajoutés, Sa Majesté le Roi a décidé, comme pour les Principes généraux de la guerre (t. XXVIII, p. IX), que nous tirerions parti des planches originales conservées aux archives de l'état-major général de l'armée, sans y faire aucun changement. Nous en formons la seconde section de l'atlas qui accompagne les Œuvres militaires.
Il a paru, en 1801, une contrefaçon très-imparfaite des Grundsätze der Lager-Kunst, sous le titre de : Geheime strategische Instructionen Friedrichs des Zweiten an seine General-Inspecteurs. Mit 31 illuminirten Plans. Leipzig, librairie Baumgärtner (sans millésime), quarante-quatre pages grand in-4. L'éditeur, omettant tout le traité proprement dit, n'a donné que les notes explicatives qui se trouvent sur les planches de l'original allemand. Une seconde édition de cette contrefaçon mutilée a paru en 1815, trente et un plans et huit pages de texte.
Dans son journal, Zeitschrift für Kunst, Wissenschaft und Geschichte des Krieges, t. 78, M. L. Blesson a publié en 1800, comme inédits, les Grundsätze der Lager-Kunst und Tactic, sous le titre de : Instruction König Friedrichs des Zweiten an Seine General-Inspecteurs. Les plans y manquent.
<IV>II. AVANT-PROPOS.
Nous devons cet Avant-propos inédit (du 5 octobre 1771) à feu madame la comtesse d'Itzenplitz-Friedland, qui en possédait l'autographe. Frédéric y parle de l'Extrait que cet écrit devait précéder, mais il n'en indique ni l'auteur, ni le titre exact, de manière que nous ne savons quel est cet ouvrage. L'Avant-propos renferme même un passage qui nous fait douter si l'original de l'Extrait est en français ou en allemand. Il est du reste possible que ce dernier n'ait pas été imprimé, car, malgré toutes nos recherches, il nous a été impossible de le découvrir.
III. RÈGLES DE CE QU'ON EXIGE D'UN BON COMMANDEUR DE BATAILLON EN TEMPS DE GUERRE.
Cette pièce inédite provient de la collection de feu madame la comtesse d'Itzenplitz-Friedland. Le texte que nous suivons, copié par un secrétaire, a été revu par le Roi lui-même, qui a mis de sa main, à la marge des pages 3, 8 et 20, trois nota benè pour attirer l'attention sur trois additions insérées par lui à la dernière page. La première de celles-ci (p. 64) commence par les mots « On sait, » et se termine par « ou tué auparavant; » la seconde (p. 67) va de « C'est une règle » à « dans votre troupe; » et la troisième (p. 72) de « Affaires de retraite » à « et l'arrêter. » Frédéric a écrit au revers de la dernière feuille les mots : « Ayez la bonté de faire recopier ceci avec les additions. FR. »
Pour la date des Règles, nous la trouvons dans l'ordre de Cabinet que voici : « Mein lieber General-Lieutenant von Ramin, Ich hahe Euch hierbeigehende »
« Regeln, nach welchen ein guter Commandeur eines Bataillons zur Zeit
des Krieges handeln soll, »
« in der Absicht zufertigen wollen, dass Ihr solche denen sämmtlichen Bataillons-Commandeurs Eurer Inspection communiciren und zugleich, diese « Regeln » sich<V>ganz eigentlich bekannt zu machen, dabei aber äusserst geheim zu halten, von Meinetwegen aufgeben, auch selbige Eurerseits gehörig secretiren sollet. Ich bin, etc. Potsdam, den 30. April 1773. Friderich. »V-a
Nous croyons devoir ajouter à ce qui précède l'ordre suivant du gouverneur de Berlin, date du 4 juillet 1780 : « Da Ihro Königliche Majestät dem Gouverneur die Bücher von denen « Grundsätzen der Lager-Kunst und Tactic, » die « General-Principia vom Kriege, » imgleichen die « Regeln, nach welchen ein guter Commandeur eines Bataillons zur Zeit des Krieges handeln soll, » wieder zugeschickt haben, so können die Herrn Generals und Stabs-Officiers solche gegen Quittung zum Durchlesen, aber nicht zum Abschreiben, abholen lassen. »V-b
M. le major Charles Zabeler, chef de bataillon au Service d'Anhalt-Dessau, a eu la bonté de nous donner une copie de la traduction allemande de l'ouvrage qui nous occupe, traduction citée dans les deux ordres de 1773 et de 1780. Ce texte allemand, transcrit sur une copie conservée parmi les papiers de feu M. le comte Victor-Amédée Henckel de Donnersmarck, est le seul que nous connaissions. L'article qui commence (p. 65) par les mots : « Comme dans les campagnes, » et finit par « répéter sa leçon, » a été omis dans la traduction, ainsi que le Résumé de ces régles, ajouté à la fin de l'original.
IV. RÉFLEXIONS SUR LES PROJETS DE CAMPAGNE.
Feu madame la comtesse d'Itzenplitz-Friedland possédait deux manuscrits originaux de cet ouvrage : 1o l'autographe de l'auteur, signé Federic, et portant plus bas, à gauche, les mots : « Scriptum in dolore, 1er décembre 1775; » 2o une copie faite par un secrétaire, et corrigée par le Roi. Notre texte reproduit l'autographe, mais nous tirons parti des corrections de la copie.
Il avait paru antérieurement une édition assez exacte de cet écrit, sous le titre de : Réflexions sur les projets de campagne par Frédéric II, roi de Prusse. On y a joint un Mémoire raisonné du duc de Brunswic touchant la campagne de <VI>1792. A Tubingue, chez J.-G. Cotta, 1808, soixante-onze pages in-8. On lit dans l'Avis au lecteur placé en tête de cette édition : « C'est la première fois que cet ouvrage de Frédéric II, roi de Prusse, parait dans le public. Il ne se trouve pas dans les Œuvres posthumes de cet illustre auteur. Il est vrai qu'il a été imprimé en 1770; mais le Roi ne l'a communiqué qu'à peu de personnes. »
Nous regrettons de n'avoir jamais vu cette édition de 1776.
Les Réflexions sur les projets de campagne sont une amplification détaillée du sujet traité dans le second article des Principes généraux de la guerre (t. XXVIII, p. 8-18), qui est intitulé : Des projets de campagne. Les Pensées et règles générales pour la guerre (l. c, p. 138-141) renferment aussi un article Projets de campagne.
V. DES MARCHES D'ARMÉE, ET DE CE QU'IL FAUT OBSERVER A CET ÉGARD.
Il existe deux manuscrits de cet ouvrage, qui appartenaient à feu madame la comtesse d'Itzenplitz-Friedland : 1o l'autographe de l'Auteur, de douze pages in-4, daté : Sans-Souci, 22 octobre 1777, et signé Federic; 2o une copie sans date, de trente-huit pages in-4, corrigée par le Roi lui-même, qui fit imprimer son ouvrage sous le titre : Des marches d'armée, et de ce qu'il faut observer à cet égard. A Berlin, chez G.-J. Decker, imprimeur du Roi, 1777, soixante-deux pages in-8. Nous ne connaissons que deux exemplaires de cette édition, l'un appartenant à M. Rodolphe Decker, l'autre, « Ex bibliotheca Augustissimi Regis Friderici Wilhelmi III, » conservé à la Bibliothèque royale de Berlin.
Le 12 novembre 1777, Frédéric donna un exemplaire de ce livre au prince Frédéric de Brunswic-Oels, et lui écrivit à cette occasion : « Mon cher neveu, je vous envoie un ouvrage sur les marches, que mes quartiers-maîtres m'ont demandé. »
Le texte imprimé dans les Œuvres de Frédéric II, roi de Prusse, publiées du vivant de l'auteur, A Berlin, 1789, t. III, p. 417-452, a subi de nombreuses corrections de la part des éditeurs. Le nôtre reproduit l'édition originale de 1777. <VII>L'article XVII des Principes généraux de la guerre (t. XXVIII, p. 57-63) est intitulé : De toutes les marches qu'une armée peut faire.
VI. PROJET DE CAMPAGNE.
Cette pièce, de la main de Frédéric, deux pages in-4, sans date ni signature, se trouve dans sa correspondance avec son frère le prince Henri (Archives de l'État, F. 108. B), parmi les lettres du mois d'avril 1778. L'Auteur en fait mention dans ses Mémoires de la guerre de 1778 (t. VI, p. 162), en ces termes : « Le projet de campagne que le Roi avait formé était bien différent de celui qu'il fallut exécuter, » etc.
Le Projet de campagne est imprimé aux pages 38 et 39 de la Correspondance de Frédéric avec le prince Henri faisant suite à l'ouvrage de M. de Schöning, Der Bayersche Erbfolgekrieg. Son texte offre quelques variantes. Le nôtre est l'exacte reproduction de l'autographe.
VII. INSTRUCTION POUR LE PRINCE HÉRÉDITAIRE DE BRUNSWIG.
Le prince Henri, frère du Roi, ne pouvant plus supporter les fatigues d'une campagne, exprima, le 3 décembre 1778, le désir de déposer son commandement (t. XXVI, p. 531). Le 13 décembre, Frédéric nomma à sa place le prince héréditaire de Brunswic général en chef de son armée de Saxe; plus tard il lui donna cette Instruction, écrite de sa main et datée de Breslau, 16 janvier 1779. Notre texte est copié sur l'autographe conservé aux Archives du duché de Brunswic.
Quant au Prince héréditaire, voyez t. XXVII. II, p. V, note a, et ci-dessous, p. 97.
<VIII>VIII. RÉFLEXIONS SUR LES MESURES A PRENDRE AU CAS D'UNE GUERRE NOUVELLE AVEC LES AUTRICHIENS, EN SUPPOSANT QU'ILS SUIVENT LA MÊME MÉTHODE D'UNE DÉFENSIVE RIGIDE COMME DANS LA DERNIÈRE CAMPAGNE DE 1778.
Frédéric ne croyait pas que la paix de Teschen fût durable; il avait même conçu cette opinion avant de la conclure (t. XXVI, p. 539). Cette idée l'engagea à former des projets pour l'avenir, et lui inspira entre autres ces Réflexions. L'autographe de cette pièce inédite, composé de huit pages in-4, et daté du 28 septembre 1779, est conservé aux Archives de l'État (t. VI, p. 1), de la direction desquelles nous tenons notre texte.
Berlin, 25 mars 1856.
J.-D.-E. Preuss,
Historiographe de Brandebourg.
I. ÉLÉMENTS DE CASTRAMÉTRIE ET DE TACTIQUE.[Titelblatt]
<2><3>ÉLÉMENTS DE CASTRAMÉTRIE ET DE TACTIQUE.
AVANT-PROPOS.
J'avais donné à mes officiers généraux, avant la dernière guerre,3-a une Instruction3-b qui alors me paraissait suffisante; mais l'ennemi, qui a senti le désavantage qu'il a eu envers nous les premières campagnes, a depuis perfectionné sa castramétrie, sa tactique et son artillerie. La guerre en est devenue plus raffinée, plus difficile et plus hasardeuse, parce que nous n'avons plus des hommes seuls à combattre, mais plutôt les précautions que la tactique enseigne, les postes forts et l'artillerie tout ensemble; cela seul nous doit obliger à étudier ces parties, pour conserver notre ancienne réputation et pour en acquérir une nouvelle. L'étude du terrain, en ce qu'il a d'avantageux et de défectueux pour s'en servir, est une des principales choses à laquelle un officier général doit s'appliquer, parce que toutes ses manœuvres à la guerre roulent sur des postes qu'il doit occuper avec avantage, sur des postes qu'il doit attaquer avec le moins de perle, sur des terrains où il doit se battre, soit faisant l'avant ou l'arrière-<4>garde, et sur cette science qui apprend à se servir des troupes à propos pour les situations et selon les règles que l'expérience nous a enseignées.
Ceux qui se persuadent que la seule valeur suffit à l'officier général se trompent beaucoup; c'est une qualité essentielle, sans doute, mais il faut y joindre bien d'autres connaissances. Un général qui maintient l'ordre et la discipline dans sa troupe est certainement louable, mais tout cela ne suffit pas à la guerre; il faut que le jugement agisse en tout, et comment agira-t-il, si les connaissances lui manquent? Qu'est-ce qu'un général qui ne connaît ni ce qu'un terrain a de favorable, ni de défectueux, et qui ne profite pas des aides que lui fournit le terrain? S'il n'a pas une bonne tactique en tête, ses dispositions d'avant-garde, d'arrière-garde, de marches, d'attaques et de défenses seront vicieuses, parce que son ignorance des choses sera cause qu'il y manquera des arrangements peut-être essentiels. Il y a des principes pour toutes ces choses; j'en indique les plus nécessaires, mais il faut se donner la peine d'y puiser soi-même, et il faut s'exercer, pour qu'elles deviennent habituelles et faciles.
Nous devons étudier la castramétrie, la tactique, l'artillerie, et la manière de s'en servir la plus avantageuse.
Les généraux d'infanterie doivent s'appliquer à la cavalerie, et ceux-ci à ce qui regarde l'infanterie, parce que, lorsqu'ils sont détachés, ils en ont sous leurs ordres.
Je tâche de mettre l'armée dans le meilleur ordre qu'il m'est possible; mais qu'on pense bien que ce ne sont que des instruments qu'on prépare, dont les généraux doivent se servir, et que ces instruments, quelque bons qu'ils soient, ne sont utiles qu'autant qu'on en sait faire un bon usage.
Autant un général habile est excusable quand il a sous soi de mauvaises troupes, incapables d'exécuter ses dispositions, autant, j'ose le dire hardiment, nos généraux doivent perdre toute considération,<5> si, avec des troupes si bien dressées, ils font des sottises par leur ignorance.
Il faut donc bien nous imprimer dans la mémoire que désormais nous n'aurons qu'une guerre d'artillerie à faire, et des postes à attaquer. Ceci exige une grande étude du terrain et l'art d'en tirer avec habileté tout l'avantage possible, tant pour l'attaque que pour la défense.
Les terrains avantageux pour l'infanterie et l'artillerie sont les hauteurs, et surtout ces pentes douces qui forment une espèce de glacis naturel; leur feu est le plus meurtrier. Souvent ces douces pentes se trouvent dans des plaines, et il ne faut pas les négliger. Les bois, fortifiés de bons abatis, sont encore très-utiles. En général, l'avantage du poste consiste à ce qu'il oblige l'ennemi de se rompre pour venir à vous; soit que vous soyez derrière un ruisseau, ou derrière un abatis, c'est la même chose.
Les hauteurs, quand elles commandent à l'entour d'elles, ont un plus grand avantage, parce qu'elles privent l'ennemi de son canon, qui du bas en haut tire sans effet, parce qu'elles le privent de ses petites armes, dont il ne peut pas se servir s'il vous attaque, et parce qu'elles le privent de sa cavalerie, dont il ne peut faire aucun usage, et enfin, parce qu'elles obligent l'ennemi de se rompre en gravissant la hauteur, et c'est ce moment même où votre feu doit l'abîmer et combler sa confusion et sa déroute.
Celui qui assaillit doit faire, en revanche, attention à toutes les buttes de terre qui peuvent couvrir ses troupes qui attaquent contre le feu du poste; il ne doit négliger aucune hauteur susceptible d'y placer du canon; il doit tâcher d'entourer de feux croisés le point de l'armée ennemie qu'il attaque, autant que le terrain et les dispositions du corps posté le lui permettent, pour se procurer, si cela est possible, la supériorité du feu, bien soutenir ses attaques par son armée, qui leur sert de base, et, s'il y a moyen de diriger une de ses<6> attaques à dos de l'ennemi, il ne doit pas négliger cet avantage, qui peut devenir décisif pour la victoire.
Comme cette matière demande un détail infini, on trouvera bon que, en exposant mon système, je le divise par articles, pour le traiter avec plus de méthode, quoique le plus brièvement que possible; et j'espère que mes généraux, s'étant bien imprimé ces principes, ne commettront désormais à la guerre aucune faute grossière. Ce serait la plus belle récompense de mon ouvrage.
ARTICLE Ier. DE LA CASTRAMÉTRIE.
Un camp est un champ de bataille que vous prenez, parce qu'il le devient sitôt que l'ennemi vous attaque. Il faut donc appliquer tous vos soins pour vous y bien poster, pour vous y bien accommoder, pour ne pas vous exposer à être battu par votre faute. Les vrais principes, les règles pour se camper, doivent se puiser dans l'art de la défense des places.
Examinons ces règles. On choisit un emplacement avantageux, qui n'est commandé d'aucun côté, pour le fortifier. On prend un terrain qui domine, et non pas un bas-fond. On appuie cette forteresse ou sur une rivière, ou bien à un escarpement, et, faute de cela, on la munit d'ouvrages tout à l'entour. Ces ouvrages doivent se défendre mutuellement par des feux flanqués; ils doivent, de plus, être soutenus par des ouvrages qu'ils ont derrière eux, comme le chemin couvert par les contre-gardes, celles-là par les ravelins, et ceux-ci par les bastions. Les ouvrages du chemin couvert doivent avoir des <7>feux qui balayent tous les chemins creux qui se trouvent à l'entour de la place et tous les bas-fonds, pour que l'ennemi ne se puisse glisser par aucun de ces endroits pour s'approcher à l'improviste des ouvrages sans être vu.
Un camp bien pris doit donc être occupé selon ces règles. Votre première ligne représente le chemin couvert, et votre seconde ligne les ouvrages qui le défendent. Votre ligne de défense doit avoir des angles saillants, et le terrain vous les marquera. Vous établirez toutes vos batteries de la première ligne à vous procurer des feux croisés ou en écharpe, ce qui double votre force. Vous appuierez bien vos flancs, et vous tâcherez de les rendre inattaquables, soit par des marais, des inondations, des bois où vous ferez des abatis de cinq cents pas de profondeur, des rivières, ou, manque de tout cela, de bonnes redoutes attachées à un bon retranchement.
En fortifiant les places, on tâche, autant qu'on le peut, de réduire l'ennemi à quelque point d'attaque; cela se fait par quelques angles saillants que vous poussez en avant, car jamais l'ennemi ne peut se fourrer dans des rentrants. Cette méthode est d'autant meilleure, que vous réduisez l'ennemi à venir, par nécessité, se fracasser la tête à l'endroit où vous avez préparé votre plus grande résistance et à l'endroit où vous pouvez concentrer toute votre attention.
Les meilleures places sont celles qui rétrécissent le plus le front de l'attaque, comme par des marais, des digues étroites par où il faut passer; l'avantage qu'elles ont consiste en la supériorité du feu que cette situation leur donne. Les meilleurs camps sont donc ceux où vous embrassez un large terrain, et où on ne peut vous assaillir qu'en passant, sur des ponts, des rivières non guéables, ou en traversant une chaussée, ou bien en passant une langue de terre qui ne donne à former que le front de peu de bataillons. Cela vous donne une supériorité de feu étonnante, et si l'ennemi est assez téméraire de venir à vous, il est à coup sûr abîmé et détruit avec tout ce qui<8> passe le défilé. La seconde ligne est en toute occasion un bon soutien pour la première; cependant dans les plaines elle n'a pas la force que lui donnent les hauteurs et les montagnes, lorsqu'on lui fait occuper un terrain où elle domine la première ligne et oblige ainsi l'assaillant à remporter deux victoires avant de devenir maître du terrain.
ARTICLE II. DES CAMPS DE COLLINES ET HAUTEURS.
Après avoir établi ces règles générales, venons-en à une application plus précise. Si vous voulez occuper des collines qui versent dans des plaines sans être dominées de hauteurs quelconques à la distance de trois mille pas, placez votre première ligne à mi-côte, sur le glacis de la montagne, et la seconde sur la crête de la hauteur. Si l'ennemi peut parvenir à culbuter cette première ligne, il trouve alors de la plus dure besogne devant soi, qui est de dé poster la seconde; il a emporté le chemin couvert, et il faut incontinent qu'il livre un assaut aux ouvrages. Vous appuierez soigneusement vos ailes à de grands ravins, en les recourbant par derrière et formant un grand flanc. Vous observerez de placer votre première ligne de façon que chaque coup de fusil puisse porter jusqu'au pied du glacis, et que nulle part l'ennemi, en attaquant, ne puisse se couvrir derrière quelque pente roide, que tout soit vu, que le moindre chemin creux soit enfilé par les petites armes ou par le canon. Vous rangerez, pour cet effet, vos troupes, en les postant selon les sinuosités du terrain, et vous effacerez de votre mémoire toute ligne droite. Vous placerez votre cavalerie à l'abri du canon, derrière les deux lignes, de façon à pouvoir en faire avancer quelques escadrons et les employer, au cas que l'attaque de l'ennemi, dérangée par le feu d'infan<9>terie et les cartouches, commence à plier. Lâchez alors, selon ma méthode, quelques escadrons, et ils détruiront et feront prisonnier tout ce corps qui vous attaquait. Le moment le plus avantageux pour votre défense est celui où l'ennemi monte pour vous assaillir; c'est le triomphe des petites armes et des canons chargés à mitraille, surtout si votre infanterie est rangée de manière que son feu plonge jusqu'au pied du glacis. Si votre poste a des angles, cela triple la défense, et si votre canon bat en écharpe, vous ne devez pas être embarrassé de repousser l'ennemi. Mais que votre infanterie ne poursuive point, qu'elle demeure ferme sur son terrain; s'il y a occasion de poursuivre, employez la cavalerie à cet usage. Votre avant-garde peut se placer sur la droite de l'armée pour couvrir ce flanc, l'arrière-garde à la gauche pour le même usage, et pour votre réserve, il faut la conserver soigneusement derrière le poste, comme une dernière ressource. Il faut toujours en avoir dans chaque poste à proportion de l'armée, et dans un petit corps, n'eût-on qu'un bataillon de réserve, il faut l'avoir, car des troupes fraîches qui surviennent dans une action ont un ascendant incroyable sur des troupes fatiguées qui vous attaquent. Voyez le plan no I.
ARTICLE III. DES POSTES SUR LES HAUTES MONTAGNES.
Les postes sur les hautes montagnes ont des règles différentes que ceux que l'on prend sur des collines. Les hautes montagnes ont des hauteurs voisines séparées d'elles par des vallées de quinze cents, de deux mille pas de large; celles-là, où l'ennemi peut placer du canon, ne vous permettent pas d'occuper la mi-côte, parce que le canon foudroierait les troupes qu'on y place. Il faut donc se borner à gar<10>nir la crête de la montagne, comme nous avons l'ait au camp de Bärsdorf et de Stein-Seiffersdorf.10-a Ces sortes de positions demandent qu'on redouble d'attention pour assurer ses flancs, et qu'on veille avec autant de vigilance sur ses derrières que sur son front. Il faut bien connaître tous les chemins qui sont à dos de votre hauteur, tant pour pouvoir sortir de poste sans embarras que pour s'assurer surtout que l'ennemi ne tente de vous attaquer par derrière. S'il y a quelque hauteur dangereuse derrière vous, qui commande voire position ou vous en dispute la sortie, il faut l'occuper de nécessité, ne fût-ce qu'avec un bataillon dont on couronne la cime. Il faut, de plus, avoir des partis de cavalerie ou d'infanterie, selon la nature du terrain, pour battre nuit et jour toutes les routes par lesquelles l'ennemi pourrait venir sur vous.
Quant au poste même, il faut suivre le principe général que j'ai donné, et placer constamment la première ligne d'infanterie de façon que son feu plonge dans le fond. Les batteries doivent être pioche du bord du précipice, et, autant qu'il est possible, placées de façon que leur feu se croise; mais comme dans ces montagnes il est souvent impossible que le canon plonge dans les fonds, je voudrais, sur le front, former de distance en distance des amas de grenades royales toutes chargées, qui, placées sur les glacis les plus accessibles du poste, pourraient être allumées et roulées en bas, sur l'assaillant assez téméraire pour hasarder une telle entreprise. Quelque âpre que soit votre montagne, vous devez placer des troupes légères au fond ou à mi-côte, pour vous garantir de toute surprise, ainsi que sur vos derrières.
Un poste tel que je le décris est inexpugnable à la force, et l'on n'a qu'à craindre les surprises, et surtout les entreprises nocturnes. Ces troupes légères empêchent toute surprise, parce que l'ennemi ne saurait vous approcher qu'après les avoir délogées; leur feu vous<11> avertit de l'attaque, et vous donne le temps d'abattre vos tentes et de vous mettre sous les armes. Faites alors jeter des Leuchtkugeln11-a pour vous éclairer, laites rouler vos grenades royales à l'endroit où se fait l'attaque, et faites tirer votre infanterie dans ces fonds, parce que votre feu et les grenades royales augmenteront chez l'ennemi la confusion et la terreur inséparable de toute entreprise nocturne.
Comme à la guerre on ne saurait jamais pousser la prévoyance assez loin, il serait bien bon de construire une caponnière pour chacune de vos gardes, ou bien une redoute palissadée, ce qui achève de rendre impraticables toutes les entreprises de l'ennemi. Voyez le plan no II.
ARTICLE IV. DES CAMPS DE PLAINE ET DE TERRAINS COUPÉS.
En choisissant un camp, votre première attention vous doit faire choisir un terrain qui domine, ou du moins qui n'est pas dominé; ensuite vous pensez aux appuis qu'il faut donner à vos flancs, bois, marais, ruisseaux ou rivières, précipices ou hauteurs. Si vous avez un bois sur votre flanc, faites-y faire un bon abatis, non pas d'arbres coupés et jetés au hasard, mais d'arbres rangés les uns auprès des autres, le tronc de votre côté et la couronne coupée du côté de l'ennemi. Devant ce véritable abatis, faites encore couper les arbres à cinq cents pas de profondeur, pour que tout soit clair sur votre flanc, et que l'ennemi n'ait pas la liberté de se cacher dans cette forêt pour vous fusiller à deux ou trois cents pas. S'il se trouve un marais sur votre autre flanc, faites-le bien sonder, pour vous assurer qu'il est impraticable; alors vous pouvez vous y appuyer; mais ne <12>vous fiez jamais aux apparences. Si votre appui est une hauteur, fortifiez-la de quelques redoutes jointes ensemble par un retranchement, mais bien fait, à fossé large et profond; placez-y de fortes batteries toujours dirigées en écharpe, et, si le terrain le permet, fortifiez ce poste d'une redoute que vous construirez derrière, et qui pourra le défendre, au cas que l'ennemi perce; c'est alors un ravelin qui défend le chemin couvert. Si vous avez un village devant votre front, et si votre position exige que vous l'occupiez de nécessité, faites-en retrancher le front à quelque distance des maisons; mais s'il n'y a pas une raison bien valable de l'occuper, contentez-vous d'y jeter des bataillons francs, pour vous assurer contre les surprises. L'ennemi sera obligé de les en chasser et de tirer, ce qui est un grand avantage pour vous, car toute infanterie qui a tiré ne vaut pas pour l'attaque celle qui est encore toute fraîche. Observez toujours les terrains qui vont en douce pente ou en glacis; ce sont les plus avantageux pour le feu de l'infanterie, et il faut qu'un général habile profite de tout. Observez toujours les règles de la fortification; que tous les chemins creux adjacents à votre poste soient découverts par votre feu.
Lorsque vous avez tout distribué et arrangé dans votre camp, faites-en le tour extérieurement, et proposez-vous de l'attaquer; alors vous découvrirez les endroits faibles, et vous changerez ce qui mérite correction, vous les munirez de défenses, et votre poste n'en deviendra que meilleur.
Dans tout ce qui est poste, la cavalerie doit être en troisième ligne, et, autant qu'il se peut, à l'abri du canon; cela ne vous empêche pas de vous en servir au besoin, en la faisant passer par les ouvertures d'infanterie vers l'endroit où vous la voulez faire agir. Voyez le plan no III.
<13>ARTICLE V. DES CAMPS EN EMBUSCADES.
Il y a une façon de se poster où vous tendez une vraie embuscade à votre ennemi. Je dois cependant ajouter que tous les terrains n'y sont pas propres. Il faut qu'il y ait des bois aux environs, et des terrains fourrés; cela se peut plus difficilement dans des terrains tout à fait ouverts. Les règles de ces sortes de camps consistent à placer les troupes selon tous les principes de la castramétrie, pour qu'elles soient aussi avantageusement postées pour se défendre qu'il est possible.
Vous devez réduire votre terrain à des points d'attaque le moins que vous pourrez, une ou deux fois tout au plus. Vous avez cependant vos troupes embusquées, et lorsque l'ennemi vient vous attaquer dans l'endroit que vous avez prévu, vous changez votre défensive en offensive, et vous l'attaquez à votre tour. Tout ce qui est inattendu produit un bon effet à la guerre, et cette surprise, si elle est bien exécutée, doit vous valoir une victoire complète. J'ajoute à ceci deux plans de même manœuvre, faits de façon différente, pour qu'on s'en fasse une idée nette; ensuite, comme le terrain varie à l'infini, c'est à chacun de voir comment et en quelle occasion il convient de s'en servir; mais l'idée est bonne, et mérite d'être retenue.
Mais, dans quelque espèce de terrain que l'on campe, il faut toujours observer comme une règle générale de se bien garder d'avoir proche de soi, à dos, des marais ou des rivières, parce que, si l'on est battu, la défaite en devient générale; les fuyards se pressent de passer le pont, ou ils se précipitent eux-mêmes dans la rivière, ou l'ennemi les fait tous prisonniers. Voyez les deux plans nos IV et V.
<14>ARTICLE VI. DES CAMPS DERRIÈRE DES RUISSEAUX OU RIVIÈRES.
Si l'on se poste derrière un ruisseau ou une rivière, il faut en avoir fait reconnaître tous les endroits guéables, pour s'y précautionner le plus.
Si c'est un ruisseau, il n'y a qu'à y faire une digue, et il formera une espèce d'inondation. Vous borderez cette rivière d'infanterie légère, distribuée par petites troupes. Votre corps, qui est en arrière à quelques centaines de pas, doit occuper un terrain dominant et plus haut que la rive opposée, par laquelle l'ennemi peut venir. Vos batteries défendront la rivière, et vous ferez avancer quelques bataillons sous cette protection, pour repousser l'ennemi qui veut passer. Vous aurez, de plus, de bonnes redoutes fermées et munies de canon, qui rendront vaines les tentatives de l'ennemi.
Ces sortes de positions sont rarement attaquées de front, et pour l'ordinaire l'ennemi tâche de passer ces ruisseaux ou rivières à votre droite ou bien à votre gauche; c'est donc de ces deux côtés où vous devez porter vos attentions, soit pour l'attaquer à son passage, soit pour avoir reconnu d'avance des camps que vous pouvez prendre sur vos flancs et sur celui de l'ennemi. Il faut donc sans cesse des patrouilles et des batteurs d'estrade en chemin, pour vous avertir de tout, et qu'un général soit toujours méfiant, et qu'il prévoie tout le mal qui peut lui arriver, pour le prévenir et n'être jamais surpris.
<15>ARTICLE VII. DES CAMPS RÉDUITS EN UN OU DEUX POINTS D'ATTAQUE.
Quelquefois le terrain favorable fournit des camps à point d'attaque, comme si l'art les avait construits exprès; celui de Schmottseiffen15-a est de cette espèce, où l'ennemi ne pouvait venir que par Döringsvorwerk.15-b Il y a des terrains qui s'y refusent totalement; il y en a d'autres qui se laissent plier à la forme qu'on veut leur donner. Pour vous en faciliter l'intelligence, consultez le plan no VI.
ARTICLE VIII. DES CAMPS OU LE POINT D'ATTAQUE EST ÉTROIT.
Les meilleurs camps sont ceux dont le point d'attaque est étroit. Supposez que vous ayez un marais devant vous, ou une vallée étroite qui n'a de terrain que pour contenir deux ou trois bataillons de front, que votre armée est placée sur une élévation en demi-cintre qui domine ce terrain. Vous comprenez que tout votre feu commande le corps avec lequel votre ennemi débouche sur vous, et cette supériorité de feu vous donnera certainement la victoire, parce que les assaillants doivent être ruinés et détruits avant de pouvoir vous <16>aborder. Nous eûmes un camp pareil à Neustädtel en Silésie, vis-à-vis des Russes, en 1759.16-a Voyez le plan no VII.
ARTICLE IX. DES RETRANCHEMENTS.
Lorsque l'on construit des redoutes, il faut qu'elles soient fermées par derrière, parce qu'on ne les prend que par la gorge.
Vos retranchements doivent avoir des fossés larges et profonds de dix pieds. On peut les entourer de chevaux de frise pilotés en terre, quand on ne peut pas se procurer des palissades. S'il y a du bois, les palissades sont préférables.
Les bons parapets ont seize pieds d'épaisseur; il faut qu'ils aient du talus, afin que le soldat, en tirant, couche simplement son fusil dessus, pour que le coup porte où l'on peut l'attaquer. On ajoute des fougasses aux retranchements, formées en T comme les mines, pour faire sauter le même point trois fois. Leur usage est admirable; rien ne fortifie si fort une position, et ne rebute davantage celui qui l'attaque. Voyez les plans VIII, IX et X.
Mais quand on se propose de telles choses, il faut y faire travailler avec diligence et y employer beaucoup de monde, pour être préparé à temps.
<17>ARTICLE X. DES CAMPS QUI COUVRENT LES PAYS.
La guerre défensive demande souvent que l'on choisisse des postes qui couvrent beaucoup de pays. J'en dois du moins dire quelques mots. Ces sortes de terrains, c'est la nature toute seule qui les fait, l'art n'y peut rien; mais il faut, les connaître, et ne les point négliger quand on en a besoin.
J'en connais quelques-uns17-a que je puis indiquer : pour la Basse-Silésie celui de Landeshut, en occupant le Riegel, les Sieben Nothhelfer et les hauteurs de Reichenau, avec le poste que le général Seydlitz tenait, tel que nous l'occupâmes l'année 1759.17-b Ce camp couvre toute la Basse-Silésie. Le camp de Schmottseiffen couvre la Silésie du côté de Marklissa et de la Bohême, et, tant qu'on le tient, l'ennemi ne hasardera jamais avec toute son armée de passer le Bober. Le camp de Neustadt, en Haute-Silésie, est de la même espèce, car l'ennemi ne se hasardera jamais hors des montagnes, tant qu'on le tiendra et qu'il y aura un corps à Oppersdorf.17-c Celui de Schlettau17-d et Meissen couvre toute la Saxe.
Les Autrichiens ont celui de Trautenau, celui de Königingrätz et celui d'Olmütz.
La Lusace ne fournit aucun terrain semblable, ni le duché de Magdebourg non plus; et dès que vous quittez les bords de l'Oder, vous ne trouvez aucun terrain d'où vous puissiez défendre la capitale.
Ces camps forts de la Silésie dont j'ai parlé ne sauraient être for<18>cés; ils ont, de plus, l'avantage de faire craindre à l'ennemi, s'il les dépasse, qu'on lui coupera ses vivres.
ARTICLE XI. DES TERRAINS TROP ÉTENDUS.
Rien n'induit plus facilement en tentation que les postes trop étendus; ils sont, en vérité, de leur nature excellents, mais ils demandent, pour les remplir et les défendre, quatre-vingt mille hommes, et vous n'en avez que quarante mille. Il faut, dans de pareils cas, se souvenir sans cesse et se rappeler qu'un terrain n'est rien de lui-même, et que ce sont les hommes qui le défendent. Le parti le plus sage à prendre est, quand on le peut, de chercher à droite, à gauche, en arrière ou en avant, quelques positions plus convenables pour vos forces, et que vous puissiez soutenir; car plus vous vous étendez, et plus vous vous affaiblissez réellement, et un seul effort de l'ennemi le rend victorieux. Si cependant ce grand terrain permet qu'on le coupe pour en défendre une partie où vos troupes sont bien resserrées, à la bonne heure; mais alors il faut des retranchements, des redoutes, et il faut se résoudre à remuer la terre, et même à palissader les endroits qui en ont besoin.
Les meilleurs camps sont ceux qui exigent, pour les remplir, moins de troupes que vous en avez; alors vous avez deux lignes avec de bonnes réserves, et vous pouvez vous défendre en désespérés.
De grands terrains peuvent cependant se défendre, principalement dans des montagnes; vous n'occupez que leur crête et quelques arêtes avec peu de bataillons, et vous vous étendez au loin, surtout si l'accès de ces montagnes est âpre. Le poste de Freyberg18-a peut se <19>défendre de même; la Mulde le couvre, son bord est de rocher, et on ne peut la passer que sur trois ponts de pierre qui la traversent. Comme vous avez les hauteurs, il n'y a qu'à retrancher trois bataillons derrière chaque pont, et porter le fort de l'armée au deçà de Freyberg, vers le Brand, s'y retrancher, et appuyer la droite derrière la potence, vers Freybergsdorf, et vous soutiendrez votre communication jusqu'à Schlettau.
L'année 1-59,19-a j'ai défendu deux milles de terrain en Silésie avec trente mille hommes, de Köben jusqu'à Herrnstadt; mais j'avais devant moi le ruisseau de la Bartsch, qui coule entre des marais, et j'avais garni les passages et défendu par des brigades, retranchées et postées avec un si grand avantage, que cent mille hommes ne pouvaient les forcer. L'année 1758, les Autrichiens défendirent de même les bords de l'Elbe, depuis Königingrätz jusqu'à Arnau. Ces exemples peuvent instruire les officiers de la nécessité de bien juger de tout ce qu'on veut faire, et de penser avant que d'agir.
Il ne faut donc jamais prendre une position sans en avoir bien connu le local, ce qu'elle a d'avantageux et de défectueux; il faut d'ailleurs, dans chaque camp que l'on prend, faire la disposition de sa défense et la communiquer aux officiers qui doivent l'exécuter, car ils ne peuvent pas deviner ce que leur général pense; mais quand ils en sont instruits, on peut les punir sévèrement, s'ils ne l'exécutent pas à la lettre. Voyez les plans XI et XII.
<20>ARTICLE XII. COMMENT ON RAISONNE SA POSITION.
EXEMPLE.
Pour faciliter l'intelligence des principes dont je parle, je joins ici le plan des hauteurs de Borne, sur lesquelles je vais faire mon raisonnement, examiner ce que j'y trouve de défectueux, leurs ajutages, et la façon dont j'y dois placer les troupes. Cet échantillon peut servir pour faire d'autres raisonnements sur le même sujet. Voyez le plan XIII, et vous trouverez sur ce terrain-là tout ce qu'on en peut dire. Mais comme les terrains sont variés à l'infini, il m'est impossible de raisonner sur toutes les différentes combinaisons qu'ils présentent, et c'est à chacun à raisonner ensuite sur celui que l'occasion lui fournit. Voyez les plans nos XIII et XIV.
ARTICLE XIII. QUE CE N'EST PAS TOUT QUE DE BIEN SAVOIR LES RÈGLES D'UN CAMP.
Les principes que je viens de donner sont sans doute bons; ce sont les seuls auxquels il faut s'attacher. Mais on se tromperait beaucoup, si l'on se persuadait que cette théorie seule suffit pour être parfait dans cet art; on n'aperçoit les difficultés que lorsqu'on met ces principes en pratique.
La nature seule ne vous fournit presque jamais des terrains comme vous le désirez; pour vous donner des postes parfaits, il faut sans cesse que l'art y supplée, et qu'il corrige et tâche d'aider à ce qu'il <21>y a de défectueux dans le terrain. On se sert, par exemple, d'un ruisseau pour former une inondation, on fait des redoutes et des retranchements aux endroits défectueux, des abatis, comme je l'ai dit, dans des forêts, et l'on joint l'art pour perfectionner la nature. On se poste à un quart de mille en arrière ou en avant; on retire une aile, on avance l'autre, ou l'on fait sortir le centre; enfin on se retourne de cent façons, pour obtenir d'un terrain donné tous les avantages qu'il peut procurer. Mais il faut de l'activité pour tout voir, et du génie pour profiter de tout; cela demande nécessairement qu'un officier soit intelligent et laborieux.
On trouve souvent des monticules proche d'un camp; ils tentent de les occuper. Mais c'est alors qu'il faut bien raisonner pour se déterminer si on les occupera ou non, comme je l'ai fait voir dans l'article précédent, en donnant un échantillon de la manière dont il faut juger d'un terrain.
ARTICLE XIV. DE CE QU'IL FAUT OBSERVER DE PLUS, EN PRENANT UN CAMP, POUR LES CHEMINS ET LES POSTES DÉTACHÉS.
Toutes ces règles que je viens de donner ne suffisent pas encore; il faut surtout bien faire reconnaître les chemins qui viennent au camp, parce que c'est par ces endroits que l'ennemi doit s'avancer vers vous; c'est sur cette connaissance qu'on règle les gardes du camp et les patrouilles que l'on emploie pour battre l'estrade.
Dans des camps de plaine, il faut nécessairement avoir un corps de troupes légères qu'on pousse en avant, que l'on met derrière quelque défilé, pour observer l'ennemi. Il est aussi de la prudence d'avoir des détachements moins nombreux sur ses flancs, pour ne <22>point être surpris. Une armée doit être comme une araignée, qui tend ses filets de tous côtés, et qui, par leur ébranlement, est incessamment avertie de ce qui se passe.
Mais, je le répète encore, ces connaissances théoriques ne servent de rien, si l'on n'y ajoute pas une certaine pratique. Il faut s'exercer à choisir des terrains, à faire des dispositions, il faut réfléchir sur cette matière, et alors la théorie, réduite en pratique, rend habile et facilite toutes ces sortes d'opérations, et vous apprend à juger, par l'inspection, du nombre de troupes qui peuvent tenir dans la place où vous voulez camper. Plan no XV.
ARTICLE XV. COMMENT ON APPUIE LES ATTAQUES ET L'ARMÉE.
Il faut tâcher, autant qu'il se peut, d'appuyer l'aile avec laquelle on attaque à un bois, à un marais, ou même à un simple fossé; quand c'est dans une plaine et rase campagne, cela devient quelquefois impossible. Si l'on trouve un bois sur sa droite, avec laquelle on se propose d'attaquer, et que ce bois aille à la gauche de l'ennemi, il faut préalablement envoyer un corps d'infanterie et le faire escorter dans la plaine par de la cavalerie, pour occuper ce bois et couvrir le flanc de l'armée qu'on veut y appuyer; il faut même ensuite que cette infanterie que vous avez dans ce bois protége votre attaque lorsqu'elle avance à l'ennemi, ou vous risquez, par votre faute, que votre attaque sera prise en flanc en pleine marche, et sera honteusement chassée. Si l'ennemi a sur ses ailes un long village, comme il y en a tant en Silésie, il faut avant tout le nettoyer et l'occuper, pour pouvoir ensuite avancer vers l'ennemi. Je joins ici un plan d'un bois, qui est suffisant pour l'intelligence de cette importante précaution.
<23>Si l'ennemi est sur une hauteur, le terrain est souvent tel, qu'une attaque ne saurait trouver d'appui en avançant, et c'est alors que l'on emploie la méthode que j'indique dans l'attaque des hauteurs, de la soutenir par le plus de batteries que l'on peut et par l'armée qui lui sert de base. Mais dès qu'on est maître de la hauteur, alors cette position même devient votre appui; du moins vous avez une aile appuyée, et l'armée qui vous suit peut facilement soutenir l'autre par son canon. Voyez les plans nos XVI et XVII.
ARTICLE XVI. DES DIFFÉRENTES ATTAQUES.
Nous devons puiser nos dispositions pour les batailles dans les règles d'assiéger les places. Comme de nos jours on ne brusque plus l'attaque des chemins couverts minés, parce qu'ils sont et trop hasardeux, et trop meurtriers, de même il faut renoncer aux engagements généraux, parce qu'on perdrait trop de monde par le feu de mitraille, que l'on serait perdu sans ressource, si l'on était battu. Puisqu'on peut avec un moindre hasard parvenir à la même chose, il faut le moins risquer qu'on le peut, et ne laisser à la fortune que ce que l'habileté ne peut lui dérober.
Les ingénieurs vous recommandent de bien embrasser les ouvrages qu'on attaque, afin d'avoir la supériorité du feu sur celui de la ville, d'établir vos ricochets de façon qu'ils enfilent les lignes de prolongation, de faire que votre première parallèle déborde de beaucoup les autres pour leur servir de base et d'appui, et de sortir de votre troisième parallèle par des boyaux, pour vous loger sur le chemin couvert. Vos deux lignes sont donc vos parallèles; du côté où vous voulez attaquer, vous établirez des batteries pour soutenir les <24>troupes qui doivent attaquer, et qui sont comparables à ces boyaux de sape que l'on pousse sur les saillants des glacis.
Dans le plan XVIII, je suppose une attaque dans la plaine. et nous verrez comme, selon mon système, ces attaques doivent se faire. J'ai mis la droite en mouvement, en refusant la gauche; vous pouvez faire également ce mouvement par la gauche vice versâ. La cavalerie de l'aile que j'avance doit attaquer, si d'ailleurs les dispositions de l'ennemi le permettent; faute de cela, elle peut attendre que son moment arrive.
Tous les plans qui suivent sont calculés de soixante bataillons et de cent escadrons, sans y comprendre les bataillons francs. Voyez le plan no XVIII.
ARTICLE XVII. AUTRE ATTAQUE DE PLAINE.
Il arrive qu'avec une armée inférieure on se trouve dans un pays de plaine, comme entre Berlin et Francfort, entre Magdebourg et Halberstadt, près de Leipzig, entre Ratibor et Troppau, etc. Comment appuyer ses ailes? Comment prendre une position lorsqu'il n'y en a point? J'y ai pensé souvent, parce qu'il se trouve des cas où, sans vouloir préjudicier au bien de la cause, il faut se soutenir dans de semblables terrains. Voici donc la seule idée qui m'est venue et qui peut s'exécuter.
Je choisis, pour me camper, un terrain un peu bas où je suis à couvert vis-à-vis de l'ennemi; je fais élever sur la hauteur, devant mon front, des redoutes, pour que l'ennemi prenne ce terrain pour celui que je veux défendre; et il faut qu'il y ait quelque village, qu'il faut fortifier. S'il se trouve du bois à une de vos ailes, c'est un avan<25>tage, parce que tout le projet roule à cacher à l'ennemi le mouvement qu'on veut faire. Dans cette position, les généraux qui viendront me reconnaître feront leur disposition sur mon village fortifié et mon front garni de redoutes. Voyez le plan de mon camp, XIX. Le plan XX est l'attaque de ma cavalerie et la marche de mon armée pour se porter sur le flanc de l'ennemi; et XXI est le plan de l'attaque de mon infanterie, après que la cavalerie ennemie est battue. Votre cavalerie ne doit se mettre en mouvement que lorsque l'ennemi veut se former, pour qu'il ne puisse pas changer sa disposition.
Vous devez garnir les ouvrages du village de canon et la redoute la plus proche de votre droite. Si l'ennemi veut changer son front, il aura nécessairement le feu de votre village en flanc, et s'il veut attaquer le village, toute votre armée l'attaque en flanc. Tout dépend donc du choc de la cavalerie; si celui-là réussit bien, l'armée ennemie est totalement battue, et voilà comme, avec des troupes faibles, on peut néanmoins se procurer la victoire. Voyez les plans nos XIX, XX et XXI.
ARTICLE XVIII. ATTAQUE DE VILLAGE.
Je ne quitte point des yeux les principes et les méthodes des siéges. Pour attaquer donc un village devant l'armée ennemie, mes deux lignes d'infanterie seront la base de mes attaques. J'établis mes batteries, et je forme trois ou quatre colonnes, selon le besoin, pour se porter sur ce village, mais distantes les unes des autres, pour donner du jeu aux batteries, et pour qu'elles ne se brouillent pas les unes les autres, parce qu'elles cheminent à un centre commun. Ces colonnes ont chacune trois lignes distantes de cent cinquante pas, et le corps <26>d'armée, qui se trouve derrière, doit rester à neuf cents pas du village, immobile, et n'avancer que lorsque le village est pris; la cavalerie est plus en arrière, et toujours, autant qu'il se peut, à l'abri du canon. Jetez un coup d'œil sur le plan no XXII.
ARTICLE XIX. DES ATTAQUES DES HAUTEURS.
Les attaques des hauteurs sont tout ce qu'il y a de plus difficile à la guerre, parce qu'un ennemi habile occupe son terrain de façon à ne pouvoir être tourné d'aucune manière, et qu'il vous oblige à des points d'attaque hérissés de difficultés presque insurmontables. Mais s'il y a une force majeure qui oblige à hasarder une telle entreprise, que faut-il faire? 1o Bien reconnaître la disposition de l'ennemi; 2o si cela se peut, l'attaquer à dos, tandis que de front on lui présente l'armée; si cela ne se peut, attaquez, 3o, le lieu le plus élevé de son camp; 4o placez vos batteries sur toutes les hauteurs qui peuvent produire un feu croisé, et formez vos attaques selon le plan XXIII. Observez surtout de tenir votre armée hors du feu de mitraille, et attaquez votre hauteur vigoureusement. Si votre armée est forte, faites une fausse attaque d'un autre côté, pour distraire l'ennemi et diviser son attention.
Ce n'est pas sans raison que j'insiste pour qu'on attaque par préférence la plus grande hauteur du poste. Voici pourquoi. Si vous l'emportez, et que vous vous y établissiez, tout est dit, votre feu supérieur doit déblayer sans peine et nettoyer le reste du poste; mais si, au lieu de cela, vous attaquez une butte moins considérable et que vous l'emportiez, vous n'auriez rien gagné, et les obstacles croî<27>traient alors à proportion que vos troupes fatiguées en seraient rebutées.
Que le lecteur se souvienne que tous mes plans sont forgés, et qu'il est impossible de dessiner tous les terrains où l'on pourrait se battre. Un homme intelligent appliquera lui-même mes règles, selon les conjonctures des postes différents qu'il lui faudra attaquer. Je prie qu'on se souvienne que, dans toute attaque de poste, il faut avoir soin de ne point exposer inutilement la cavalerie.
Le plan XXIV donne une idée dune attaque à dos, et d'un terrain qui peut favoriser une telle disposition. Voyez les plans nos XXIII et XXIV.
ARTICLE XX. DES DISPOSITIONS OU TOUTE L'ARMÉE N'ATTAQUE QU'UN POINT.
Souvent une position n'est abordable que d'un côté; elle ne fournit alors qu'un seul point d'attaque, toute l'armée s'y porte, et ne fait que nourrir et rafraîchir les troupes qu'on mène à la charge. Cependant, si les difficultés sont trop grandes, on peut faire cesser les attaques et replier ses corps sur l'armée. Voyez le plan XXV. Tout le mouvement des lignes n'est qu'un à droite pour soutenir les assaillants.
<28>ARTICLE XXI. DES ATTAQUES DE RETRANCHEMENTS.
Ces attaques se doivent régler sur les mêmes principes que les précédentes; j'entends qu'il faut établir de bonnes batteries qui tirent en écharpe, faire bien tirer le canon avant d'attaquer, et distribuer les corps qui doivent assaillir à peu près de même qu'aux attaques des postes, tenir l'armée à une distance de ces retranchements, pour qu'elle n'essuie pas le feu de mitraille, et avoir des soldats commandés, avec des fascines, pour combler le fossé. Dès que vous en serez maître, il faut s'établir dessus et ne point pousser en avant avec l'infanterie, mais faire faire par vos travailleurs des ouvertures, pour que la cavalerie y puisse entrer et achever la victoire; car, si vous poursuiviez chaudement, il peut vous arriver que votre infanterie, en confusion pour avoir franchi ces retranchements, soit défaite ou repoussée tout à fait par la cavalerie de l'ennemi, qui l'attend en bon ordre.
ARTICLE XXII. DE L'AVANTAGE DE MA MÉTHODE D'ATTAQUER SUR LES AUTRES.
Vous aurez sans doute remarqué que le principe constant que je suis dans toutes mes attaques est de refuser une aile ou de n'engager qu'un détachement de l'armée avec l'ennemi; mon armée sert de base à ce qui attaque, et ne doit s'engager que successivement, selon le succès et les apparences que j'ai de réussir dans mon entreprise. Cette <29>disposition me donne l'avantage de ne risquer qu'autant que je le trouve à propos, et que, si je remarque quelque empêchement physique ou moral à mon entreprise, je suis maître de l'abandonner, en repliant les colonnes de mon attaque sur mes lignes, et en retirant mon armée, la mettant toujours sous la protection de mon canon, jusque hors de la portée du feu de mon ennemi. L'aile qui a été le plus près de l'ennemi se replie ensuite derrière celle que j'ai refusée; ainsi celte aile refusée devient ma ressource, et me couvre lorsque je suis battu. Si donc je bats l'ennemi, ma victoire en devient plus brillante, et si je suis battu, ma perte en est bien moins considérable. Examinez le plan, il vous en donnera l'intelligence. Voyez le plan XXVI.
ARTICLE XXIII. DE LA MEILLEURE MÉTHODE DE DÉFENDRE A L'ENNEMI LE PASSAGE D'UNE RIVIÈRE.
Autant de fois qu'on se mettra derrière une rivière pour la défendre, on en sera la dupe, parce que l'ennemi, à force de finasser, trouve tôt ou tard un moment convenable pour vous dérober son passage. Vous dépendez alors souvent de l'activité ou de l'intelligence d'un officier qui fait la patrouille. Si vous séparez vos troupes pour en garnir les endroits les plus dangereux du fleuve, vous risquez d'être battu en détail. Si vous êtes ensemble, le moins qu'il puisse vous arriver est de vous retirer avec confusion pour vous choisir un autre poste, et vous avez perdu dans l'un et l'autre cas la gageure, car vous n'avez pas pu empêcher l'ennemi d'exécuter ce qu'il s'était proposé.
Je rejette donc cette ancienne méthode d'empêcher le passage <30>d'une rivière, que l'expérience condamne, et j'en propose une plus simple et plus sûre; quand elle est exécutée par un habile général, elle évite l'inconvénient d'être surpris par l'ennemi, d'être averti trop tard, et surtout celui de partager son attention, qui, selon moi, est le plus grand de tous. Un plan simple, que vous avez dans la tête, doit renverser tous les projets de l'ennemi.
Voici donc ce que je propose : c'est que la seule façon de défendre une rivière est de l'avoir derrière soi. Il faut avoir une bonne communication établie de l'autre côté; il faut pour le moins avoir deux ponts dont les têtes sont retranchées, et se poster en delà, un demi-mille, dans un camp qu'il faut bien faire accommoder, pour que l'ennemi soit certainement battu, s'il vient vous y attaquer. Je suppose même votre armée plus faible d'un tiers que la sienne.
Je dis donc que, par un tel camp, vous empêchez l'ennemi de passer la rivière, parce que, s'il marche à droite ou bien à gauche pour la passer, il est obligé de vous abandonner ses vivres et ses magasins qu'il a derrière lui, ce que certainement il ne fera pas. Que lui reste-t-il donc à faire? Il tâchera sans doute à faire passer la rivière à quelque détachement; mais ce détachement est obligé de décrire un demi-cercle pour passer, et vous, vous enverrez un détachement en ligne directe par votre pont, qui, se portant du côté où l'ennemi veut passer, pourra très-bien le battre en détail. Si cependant toute l'armée ennemie voulait passer à votre droite ou à votre gauche, par un mouvement simple, vous n'avez qu'à vous portera leur dos, et profiter de l'affreuse confusion où votre approche les mettra. Ce projet est simple, il vous délivre d'inquiétude, et concentre toutes vos idées sur le même point. Le plan ci-joint, no XXVII, jettera plus de lumière sur ce sujet que tout ce que je pourrais encore y ajouter.
<31>ARTICLE XXIV. DES PASSAGES DE RIVIÈRES.
Je ne toucherai que les points principaux de cet article. Si vous voulez passer une rivière, occupez des hauteurs qui commandent l'autre bord, établissez des batteries à cinq ou six cents pas à droite et à gauche de l'endroit où vous voulez construire votre pont. L'avant-garde, qui doit couvrir le pont, doit avoir des chevaux de frise avec elle, derrière lesquels elle se poste, parce qu'elle n'a pas le temps de faire un bon retranchement; que les troupes qui passent appuient toujours leurs deux ailes à la rivière, jusqu'à ce que toute l'armée aura passé. On observe les mêmes règles lorsqu'on veut repasser une rivière. Au côté que vous voulez abandonner, vous faites un grand retranchement, et dans celui-là, vous faites des têtes de pont pour vous couvrir; vous choisissez des hauteurs du côté où vous voulez passer, où vous établissez des batteries pour protéger votre passage; sous cette protection, vous abandonnez votre premier retranchement, vous vous retirez dans les têtes de pont, où vous avez pratiqué des fougasses pour les faire sauter, au cas que l'ennemi veuille inquiéter votre retraite. Le plan XXVIII contient la disposition du passage, et le plan XXIX, celui de la retraite.
ARTICLE XXV. DE LA TACTIQUE DES MARCHES ET DE LEURS DISPOSITIONS.
Il faut distinguer les marches qu'on fait à quelque distance de l'ennemi de celles que l'on fait proche de son armée. Les règles gé<32>nérales consistent à marcher sur le plus de colonnes que l'on peut; mais ce qui en doit déterminer le nombre, ce sont les chemins qui aboutissent au camp que vous voulez prendre, car il ne vous sert de rien de vous mettre en marche avec dix colonnes, si vous êtes obligé de les réduire à quatre pour rentrer dans votre camp; alors le moyen le plus simple et le meilleur est de régler d'abord sa marche sur quatre colonnes.
Dans les pays de plaine, la cavalerie doit composer la partie la plus nombreuse de votre avant-garde; dans les bois, vingt hussards, beaucoup d'infanterie légère, et de l'infanterie pesante pour la soutenir, suffisent; il en est de même dans les hautes montagnes. Si vous marchez par des plaines, il faut que vous ayez de la cavalerie des deux côtés de vos colonnes d'infanterie, pour fouiller le terrain, et pour que rien ne puisse fondre à l'improviste sur votre infanterie; si vous marchez par des terrains fourrés, vous couvrirez vos flancs d'infanterie détachée, et vous éviterez autant que vous le pourrez les villages, principalement pour la cavalerie, parce qu'elle n'y saurait agir. Quand l'armée est forte, on emploie le corps de réserve pour couvrir les flancs exposés du côté de l'ennemi.
Si votre armée marche près de celle de l'ennemi, supposez toujours qu'il va vous attaquer en marche, pour vous préparer à tout événement; prenez la précaution d'occuper par votre avant-garde et réserve les hauteurs, les collines et les bois derrière lesquels vous faites marcher vos troupes, afin d'être en tout cas le maître du terrain le plus avantageux, où, si l'ennemi tentait de vous attaquer, vous pourriez incessamment former votre armée, et vous opposer avec avantage et fièrement à ses entreprises. Si vous avez de grandes forêts à traverser, il faut y faire passer la cavalerie sous la protection de l'infanterie. Cela se fait ainsi : on place l'infanterie et des troupes légères dans un bois, pour couvrir le chemin du côté de l'ennemi, et l'on fait passer ce chemin aux escadrons entremêlés de bataillons<33> d'infanterie, de sorte qu'elle traverse le bois en sûreté sous cette protection. Il faut donc toujours étudier d'avance le terrain que l'on veut passer, faire ses dispositions sur le papier, et avoir l'œil qu'elles soient bien exécutées. Voyez le plan no XXX.
ARTICLE XXVI. DES DIFFÉRENTES AVANT-GARDES.
Dans tous les cas, il convient aux avant-gardes de marcher avec la plus grande précaution; les hussards doivent éclairer leur marche, et pousser à cet effet leurs premiers flanqueurs à un demi-mille en avant de leurs corps; il faut qu'ils fouillent tous bois, villages, fonds, passages, monticules, pour découvrir les piéges et les embuscades qui peuvent être tendus en chemin, pour découvrir l'ennemi, ses forces, sa position et ses mouvements, afin que le général, averti d'avance de ce qui se passe, puisse prendre ses précautions et changer de disposition selon l'occurrence. Quiconque néglige ces précautions peut donner en étourdi dans quelque embuscade, ou se trouver à l'improviste si proche d'un corps supérieur, qu'il en est écrasé avant de pouvoir se retirer.
Si l'armée ne marche que d'un campement à un autre, il faut que la cavalerie déblaye d'ennemis le camp qu'on veut prendre, et qu'elle couvre les fourriers qui doivent le marquer; et l'infanterie peut être postée derrière des haies, des ruisseaux, dans des villages, dans des bois, etc. Mais si vous êtes proche de l'ennemi, il faut que l'infanterie demeure assemblée, et si c'est sur des montagnes, cette infanterie doit en occuper les crêtes et les sommets dominants.
Si une avant-garde est envoyée pour se saisir d'un poste important, elle doit s'y poster au plus vite, s'y fortifier à la hâte, autant <34>que le temps le permet, avec des chevaux de frise ou de la terre remuée, et bien placer ses batteries. Si une avant-garde marche à un ennemi auquel on veut livrer bataille, elle ne doit devancer son armée que d'un petit quart de mille, chasser tout ce qu'elle trouve devant elle de cavalerie et de troupes légères, mais se bien garder d'engager l'affaire avant que son armée l'ait jointe. Voyez les plans nos XXXI et XXXII.
ARTICLE XXVII. COMMENT IL FAUT SE RETIRER D'UN CAMP LORSQU'IL EST PROCHE DE L'ENNEMI.
Nous avons souvent campé dans une grande proximité de l'ennemi, et nous avons été obligés d'abandonner notre poste pour courir d'un autre côté, selon que le plus pressant besoin le demandait. Je crois donc qu'il n'est pas hors de propos de prescrire les règles principales dont il ne faut point s'écarter dans de pareilles circonstances.
Êtes-vous campé dans les montagnes, et vos postes avancés se trouvent-ils sous les yeux de l'ennemi, il faut dès lors prendre les plus grandes précautions pour cacher votre dessein et même, s'il se peut, à votre armée, pour qu'un misérable déserteur ne vous trahisse pas. Si vous pouvez dérober vos mouvements, je veux dire, si l'ennemi ne peut observer le charriage qui se fait dans votre camp, faites partir à midi votre bagage sous des prétextes plausibles, comme si les chariots devaient aller chercher du fourrage, ou comme si, par une suite d'une bonne police de camp, on ne voulait garder avec soi que le moins de bagage possible. Si l'ennemi peut voir ce qui se passe dans votre camp, faites partir, la nuit qui précède votre décam<35>pement, tous ces chariots pour vous en débarrasser, et, le soir qui précède la nuit que vous voulez marcher, faites sur la brune partir tout votre gros canon, car, si vous le prenez avec vous, il peut s'en renverser dans les chemins creux, ce qui arrêterait vos colonnes, au lieu que, lui faisant prendre les devants, quand même il y aurait quelque canon renversé ou brisé, on a le temps de le tirer des ornières et de déblayer le chemin pour l'armée. Comme il s'agit d'accélérer votre marche, pour que l'ennemi ne profite pas du terrain avantageux que vous lui abandonnez pour vous attaquer, il faut descendre des hauteurs par autant de colonnes que vous trouvez de chemins, quitte à vous mettre ensuite dans la plaine, dans l'ordre de marche que vous vous êtes proposé de suivre. Toutes les gardes de camp de fa cavalerie doivent rester à leur poste jusqu'à ce que votre armée soit toute descendue dans la plaine; vous devez même commander des hussards pour entretenir les feux des gardes d'infanterie et crier le qui-vive, comme si les gardes y étaient encore; après quoi, à un signal dont on convient, les gardes de cavalerie se replient subitement au galop et suivent l'armée; l'ennemi, qui ne s'aperçoit qu'alors de votre mouvement, n'est pas en état dès lors de vous porter le moindre préjudice, et vous vous tirez habilement d'affaire.
Dans des terrains de plaine, il est bien rare que les armées campent aussi proche les unes des autres; cependant, si cela arrive, il faut prendre les mêmes précautions de se débarrasser du bagage. S'il y a un défilé derrière vous, il faut y envoyer un corps d'avance pour l'occuper; mais je voudrais que dans la plaine on conduisît son canon avec l'armée, que l'on marche de nuit ou non, parce que vous avez tout prévu, tout réglé d'avance, et l'ennemi est bien embarrassé comment vous attaquer, ne sachant pas votre disposition. Si vous voulez éviter toute affaire d'arrière-garde, déblayez vite votre camp, marchez par tant de colonnes que vous pouvez, sauf à vous mettre sur moins de colonnes, si les chemins ne permettent pas que vous en<36> ayez beaucoup. Il faut observer de même ce que j'ai dit dans ce qui regarde les retraites des montagnes : c'est de laisser des hussards dans le camp pour crier le qui-vive et entretenir les feux, et qui se replient promptement et rejoignent l'armée, sans que l'ennemi puisse les entamer. Si le roi Guillaume avait quitté de nuit son camp de Seneffe, son arrière-garde n'aurait pas été battue par le prince de Condé.
Une grande précaution à prendre est de faire bien reconnaître les chemins d'avance et même par les généraux qui doivent mener les colonnes, si cela se peut, pour prévenir, autant qu'il est possible, une espèce de confusion, compagne de la plupart des marches nocturnes.
ARTICLE XXVIII. DES DIFFÉRENTES ARRIÈRE-GARDES.
Il y a différentes sortes d'arrière-gardes : 1o pour couvrir la queue d'une armée d'un camp à un autre; 2o d'arrière-gardes qui couvrent le bagage; 3o d'arrière-gardes qui couvrent des armées battues, pour faciliter leur retraite.
2o Les premières sont attaquées quand l'ennemi a intention d'appesantir votre marche, et qu'il veut se procurer l'avantage de gagner un poste avant vous. Ces affaires souvent sont assez vives, et ressemblent à de petites batailles. Il faut éviter les engagements autant qu'on le peut, car il n'y a rien à gagner, et toujours à perdre, pour se retirer avec sûreté; poster des troupes sur le chemin que l'on suit, pour pouvoir, sous leur protection, replier celles qui sont pressées par l'ennemi; on poste ces troupes sur des hauteurs, on leur fait garnir des villages, on en borde des bois, on les met derrière des défilés, et, à la faveur de leur protection, celles qui sont les dernières se <37>peuvent replier sur ces postes; vos batteries arrêtent l'ennemi, et vous donnent le moyen de poursuivre votre marche, quoique lentement. Si l'arrière-garde est trop pressée, elle en avertit l'armée, qui s'arrête pour lui porter du secours. J'ai quelquefois tendu des embuscades à l'ennemi qui me poursuivait avec ardeur, et je m'en suis bien trouvé. J'ai embusqué quelques bataillons avec de la cavalerie derrière des bois; les hussards ennemis ont été bien battus, et depuis ils sont devenus si circonspects, qu'ils craignaient d'approcher de chaque bouquet de bois. C'était l'année 1758,37-a lorsque nous quittâmes Königingrätz pour marcher vers Wisoka.
2o Les arrière-gardes qui couvrent le bagage sont les plus difficiles de toutes, parce que les troupes ont une grande file de chariots à défendre. Si vous distribuez vos bataillons en troupe le long de celle file, vous êtes faible partout; si vous les gardez ensemble, vous ne couvrez rien. Que faut-il donc faire? Si l'on peut couvrir la marche des convois à un quart de mille du côté de l'ennemi, en ne laissant que de petites troupes pour l'avant-garde et l'arrière-garde et pour contenir les goujats, alors l'ennemi y pensera plus d'une fois, et s'il fait mine de vous attaquer, faites aussitôt parquer vos chariots. Si vous avez un terrain coupé à parcourir, éclairez bien vos marches par vos patrouilles, et occupez tous les défilés, après quoi vos chariots pourront les traverser en sûreté, et faites parquer les premiers jusqu'à ce que les derniers aient passé.
3o Si vous faites l'arrière-garde après une bataille perdue, il faut choisir les troupes les plus fraîches de cette armée, et les poster derrière le plus prochain défilé, hauteurs, bois, village, digue, pont, quoi que ce soit, et y faire de bonnes batteries, protéger l'infanterie en déroute, le plus qu'il se peut, par de la cavalerie, et recueillir et rassembler ces troupes débandées derrière ce corps qui les doit protéger. C'est là qu'il faut faire bonne contenance, et que les bonnes<38> dispositions de l'officier qui commande l'arrière-garde peuvent sauver une bonne partie de vos débris, et par conséquent diminuer votre perte. Voyez les plans nos XXXIII et XXXIV.
ARTICLE XXIX. DES ARRIÈRE-GARDES QU'ON ATTAQUE.
Règles générales. Observez bien le terrain; l'ennemi marche, et par conséquent en change. Choisissez donc, du chemin qu'il l'ait, l'endroit qui vous est le plus avantageux; c'est quand l'ennemi se trouve dans un fond, dans des chemins étroits, dans des espèces de gorges, ou quand il passe des défilés. Vous devez l'entourer le plus que vous pouvez, embrasser son corps de tous les côtés, ne négliger aucun terrain où vous pouvez placer des batteries, le harceler continuellement avec votre cavalerie, pour ralentir sa marche et donner à votre infanterie le temps d'approcher. Alors, quand il se trouve dans un terrain à son désavantage, il faut l'attaquer avec vivacité, se mettre dans son avantage pour le terrain, et lui tomber avec impétuosité sur le corps partout où l'on peut. Voyez le plan ci-joint, no XXXV.
Si l'on attaque des convois, le moyen le plus sûr d'en profiter, c'est de laisser engager la tête du convoi dans un défilé, d'attaquer la tête pour y causer de la confusion, et tomber avec force sur la queue. Il y aura sûrement beaucoup de chariots perdus; quand c'est de fourrage, on se contente de dételer les chevaux et de renverser les chariots; c'est autant de perdu pour l'ennemi, et les chevaux, on les emmène sûrement, au lieu que les chariots ne pourraient pas se conduire si vite.
<39>Si vous attaquez l'arrière-garde d'une armée battue, réglez-vous sur le terrain; si elle est bien postée, il faut la respecter; si elle est en marche, entourez-la de tous les côtés, et tombez dessus avec impétuosité et violence. Si celte arrière-garde est battue, vous ferez autant de prisonniers de cette armée battue que vous vous donnez la peine d'en vouloir recueillir.
ARTICLE XXX. DES FOURRAGES VERTS ET DES FOURRAGES SECS.
On ne peut pas, quand on s'éloigne tant soit peu de ses frontières, avoir à la suite de l'armée des fourrages emmagasinés; pour nourrir sa cavalerie, on fourrage le pays ennemi dans lequel on se trouve. Le fourrage vert se prend dans les plaines; le sec, après les récoltes, se tire des villages. Comme l'ennemi s'oppose souvent à ces sortes d'entreprises, et qu'il s'y donne quelquefois des combats assez vifs, il est bon de prescrire aux généraux les règles essentielles dont ils ne doivent jamais s'écarter lorsqu'ils sont chargés de pareils commandements.
L'année 44 et 45, souvent nous avons eu des escortes de dix mille hommes pour couvrir les fourrageurs. On va au fourrage, quand le terrain le permet et que l'escorte est forte, sur deux colonnes; une avant-garde de cavalerie et d'infanterie précède la marche, ensuite vient un corps de cavalerie et d'infanterie, ensuite les fourrageurs, qui doivent tous être armés, ensuite les chevaux d'artillerie, des vivres et de l'infanterie, ensuite l'arrière-garde de l'escorte, composée de cavalerie et d'infanterie. Sur les deux flancs de la marche, on distribue le long de la colonne des pelotons de cavalerie pour couvrir les flancs et faire les petites patrouilles de côté. Arrivé sur le <40>terrain que l'on veut fourrager, on fait sa disposition selon qu'il peut être le mieux défendu; on ménage les moissons le plus que l'on peut, pour qu'elles ne soient pas ruinées inutilement; on prend un seul chemin, pour ne point gâter les semailles; on l'ait une chaîne légère de cavalerie à la circonférence, soutenue par trois ou quatre grosses réserves, et le général s'en conserve encore la plus nombreuse, pour avoir de quoi accourir à l'endroit où l'ennemi voudrait faire son principal effort. On poste l'infanterie derrière des haies, des ruisseaux, autour des bois et des villages, et l'on se réserve une troupe d'infanterie pour une ressource contre tous les événements. Alors on distribue les champs aux différents corps qui doivent moissonner, et on lâche les fourrageurs. Quand tout est fait et chargé, les fourrageurs, avec une légère escorte, partent les premiers; on rassemble l'infanterie, ensuite la cavalerie, et tout ce corps joint fait l'arrière-garde des fourrageurs. Voyez le plan no XXXVI.
Les fourrages secs sont plus faciles à faire. La marche doit se faire dans le même ordre; ensuite on place des corps de cavalerie aux environs du village qu'on veut fourrager, ensuite l'infanterie dans les haies du village; alors vous partagez les granges aux différents corps, et chacun fait ses trousses. Si un seul village ne suffit pas, vous devez, après avoir vidé le premier, faire la même manœuvre au village le plus voisin; mais n'en fourragez jamais deux en même temps, parce que vous vous affaiblissez en partageant les troupes, au lieu que vous êtes toujours en force en prenant les uns après les autres. Il en est de même, pour le retour, de ce que j'ai dit des fourrages verts. Voyez le plan no XXXVII.
<41>ARTICLE XXXI. DES CAMPS DE RÉSERVE QULN GÉNÉRAL DOIT AVOIR FAIT RECONNAITRE D'AVANCE.
Des qu'on campe pioche de l'ennemi, ou que l'on est près de son poste, un général prudent aura pris la précaution d'avoir fait reconnaître, dans le voisinage, des positions pour avoir des camps en réserve, au cas que malheur lui arrive. S'il est battu, il sait d'abord où se retirer, et c'est un principe sûr que moins votre retraite est longue, plus vous y gagnez, en rassemblant plus vite les troupes débandées, et ne perdant pas autant de prisonniers que l'ennemi en ferait sûrement, si votre retraite était longue, outre que cela vous procurera la facilité de sauver un nombre de vos blessés. La bonne contenance que vous témoignez par une si courte retraite en impose au victorieux; il voit que vous n'êtes pas découragé, ni sans ressource, et ce parti, le plus honorable et le plus glorieux, est aussi le plus sûr. parce qu'un ennemi, tout victorieux qu'il est, n'aime pas à s'exposer si promptement après une bataille gagnée. J'ai souvent eu des avantages sur mes ennemis, et j'ai toujours trouvé beaucoup de difficultés alors de ramener les troupes au feu; elles en sont dégoûtées et rebutées, et il faut au moins un intervalle de quelques jours pour les exposer à un nouveau péril, et ce temps vous suffit pour vous bien fortifier dans le poste que vous avez pris.
<42>ARTICLE XXXII. QUAND IL FAUT POURSUIVRE L'ENNEMI, ET QUAND ON LUI FAIT UN PONT D'OR.
Si vous vous battez dans un pays de plaine, poursuivez l'ennemi avec toute l'ardeur possible, ne vous reposez point que votre cavalerie n'ait entièrement dispersé la sienne, harcelez-le toujours, ne lui donnez point de relâche, et au bout de quelques jours vous aurez détruit la plus grande partie de son infanterie, à laquelle se joindra la perte de tout son bagage. Si le théâtre de la guerre s'est établi dans un pays de montagnes, où votre cavalerie devient presque inutile, et si vous avez mis l'ennemi en fuite, vous ne pourrez pas le poursuivre bien loin, car il court en désordre et vite, et vous devez le suivre en ordre et par conséquent lentement, ce qui lui donne le temps d'occuper quelque défilé pour couvrir sa retraite. S'il se jette dans des gorges de montagnes, gardez-vous bien de le suivre à la piste, car il ne faut jamais enfourner les défilés sans être maître des hauteurs aux deux côtés, ou l'on risque d'être entièrement défait dans quelque vallon dont l'ennemi aura su s'emparer des cimes.
ARTICLE XXXIII. DU VÉRITABLE EMPLOI DES CUIRASSIERS ET DRAGONS.
J'ai eu quelquefois occasion de remarquer avec peine et déplaisir que nos généraux d'infanterie s'embarrassent si peu du service de la cavalerie, que, lorsqu'ils en ont sous leurs ordres, ils exigent quelquefois d'eux des choses impraticables, et souvent ne les emploient <43>pas à ce qui est de leur compétence. Ceci m'oblige à leur donner une idée nette de la cavalerie, pour qu'ils en connaissent les principes et le génie de cette troupe, et pour qu'ils sachent bien comment il faut la faire agir.
Les pays de plaine sont proprement faits pour la cavalerie; tous ses mouvements doivent être rapides, son exécution prompte, et ses chocs décidés en un clin d'œil. La cavalerie doit donc composer la principale masse des avant et arrière-gardes; dans des terrains unis, elle doit l'aire la chaîne des grand'gardes du camp, qui doit être couverte par une chaîne de hussards; on tâche de cacher la grand'garde dans des fonds, derrière des bouquets de bois, pour que l'ennemi ne puisse pas la compter et faire un projet pour l'enlever.
Vous ne devez jamais donc faire agir la cavalerie dans des terrains marécageux, où elle s'embourberait sans pouvoir avancer; vous ne devez pas l'employer dans de grosses forêts, où elle ne pourrait pas agir; vous ne devez pas43-a la faire attaquer dans un terrain dont le fond est traversé par de profonds chemins creux; et il ne faut point qu'elle approche des bois, d'où l'infanterie la fusillerait. Ne lui faites surtout jamais passer de défilés en présence de l'ennemi, où elle est sûrement battue, à moins qu'on ne seconde ce passage par l'infanterie et le feu du canon. La cavalerie ne peut point agir dans des rochers ou des hauteurs escarpées; ses attaques sont des carrières, il faut donc que le terrain soit uni.
Comme tout est devenu, dans ces guerres, affaires de poste et combats d'artillerie, il faut avoir grand soin de ne point exposer votre cavalerie mal à propos à ce feu terrible, qui la détruirait sans qu'elle eût seulement occasion de se défendre; il faut donc lui choisir<44> des fonds qui lui servent d'abris contre le feu du canon, et la réserver toute fraîche pour le moment où son tour viendra d'être employée. Ce moment est celui où le canon de l'ennemi commence à se ralentir, où son infanterie a déjà tiré; alors, si votre infanterie n'a pas décidé l'affaire, et si la montée à l'ennemi n'est pas trop âpre, faites charger votre cavalerie en colonne sur cette infanterie, comme nous l'avons fait à Zorndorf et à Torgau, et vous obtiendrez la victoire.
Si vous êtes dans une plaine, s'il se peut, ayez quelques bataillons à l'extrémité de votre cavalerie; si même l'ennemi la repousse, votre feu de canon et de cette infanterie lui donne le temps de se remettre et de charger de nouveau l'ennemi. Si vous êtes dans un poste, garantissez également la cavalerie contre le canon de l'assaillant, servez-vous-en pour rafler les attaques de l'ennemi déjà à moitié détruit par votre feu de mitraille, et pour poursuivre l'ennemi, après que vous l'avez repoussé. Enfin, si le terrain le permet, la cavalerie doit toujours, le plus qu'il est possible, être sous la protection de votre canon; l'infanterie et la cavalerie doivent toujours se soutenir mutuellement, et, par de telles dispositions, si elles sont bien faites, ces deux corps deviennent presque invincibles.
ARTICLE XXXIV. DES HUSSARDS.
Nous prétendons de nos hussards qu'ils rendent les mêmes services dans les batailles que les cuirassiers et les dragons. Ils peuvent être en seconde ligne, ou sur le flanc des lignes de cavalerie, soit pour le couvrir, ou pour déborder l'ennemi dans l'attaque et lui tomber à dos. Si l'ennemi est battu, ils le poursuivent, et la cavalerie <45>pesante les soutient. Dès qu'il s'agit d'attaquer l'infanterie, je préfère les cuirassiers aux autres, parce qu'ils se confient en leur cuirasse.
Lorsqu'on détache les hussards, et qu'ils ont une grande traite à faire, il faut faire garnir quelque défilé par où ils sont obligés de retourner; on y envoie des dragons avec quelques petits canons; c'est pour leur tenir le dos libre et pour ne pas les exposer à être détruits au retour. Ces dragons peuvent mettre pied à terre et protéger la retraite par leur feu.
On peut, avec des hussards, prendre des villes lorsqu'il n'y a pas de l'infanterie pesante qui les défend; c'est ainsi que nous prîmes Pégau.45-a Une chaussée va à la porte de la ville, où il y a une tour sur laquelle l'ennemi avait quelques gens pour la défendre. On fit mettre pied à terre à cinquante hussards, avec des poutres, pour enfoncer la porte. Le régiment était à cheval, hors de la portée du fusil; dès que la porte fut brisée, il se mit en carrière, traversa la ville, et prit tout ce qu'il y avait dedans. La même année 1757, nous primes de même Neumarkt,45-b gardé par deux bataillons de pandours; un régiment45-c qui avait tourné la ville les atteignit lorsqu'ils se sauvaient par une autre porte, et les fit tous prisonniers, tandis que d'autres forcèrent, de même qu'à Pégau, la porte de Parchwitz.
Un excellent usage des hussards est de les envoyer recueillir des nouvelles; il faut par eux être averti du moindre mouvement qui se fait dans l'armée ennemie. Il faut toujours avoir des partis en campagne; ils peuvent même tourner l'ennemi et vous rendre compte de ce qui se passe sur ses derrières. Par eux, dans un pays étranger, on acquiert en peu de temps la connaissance des chemins et du pays; ce sont vos oreilles et vos yeux.
<46>ARTICLE XXXV. DES BATAILLONS FRANCS.
On peut tirer un parti admirable des troupes légères d'infanterie, quoique celles que nous pourrons avoir ne seront pas excellentes, comme de nouvelles levées, faites à la hâte, ne sauraient l'être. Ces troupes, quelles qu'elles soient, deviennent utiles quand on les emploie bien. Dans les attaques, donnez-leur la première ligne, comme vous trouverez que je l'ai marqué dans mes plans; il faut qu'ils aillent à tête baissée sur l'ennemi, pour attirer son feu et mettre quelque confusion parmi les troupes, ce qui facilite le chemin de la seconde attaque, qui, venant serrée et en bon ordre, en aura meilleur marché de l'ennemi. Toutefois, et quand on veut faire attaquer des bataillons francs, il faut qu'ils aient de l'infanterie pesante et réglée derrière eux, et que la crainte de leurs baïonnettes les oblige d'attaquer vivement et avec ardeur.
Dans des affaires de plaine, il faut jeter les bataillons francs à l'extrémité des ailes qu'on refuse, où ils peuvent couvrir le bagage; mais ils deviennent vraiment utiles dans des pays coupés, lorsque l'on en fait une chaîne devant le front et les flancs de l'armée, soit dans des villages, derrière des ruisseaux, en garnissant des bois, et, tels qu'ils sont, ils vous garantissent de toute surprise, parce que l'ennemi ne saurait vous attaquer qu'après les avoir chassés, ce qui vous donne un temps suffisant pour vous ranger en bataille. Si vous campez dans des terrains fourrés ou montagnes difficiles, ils doivent faire des patrouilles, et, dans de pareils pays, vous pouvez vous en servir pour tout ce qui est surprise, comme les hussards l'exécutent dans les plaines. Cependant il ne faut jamais confier des postes importants, et qui doivent être stables, à cette espèce de troupes, parce qu'elle <47>manque de solidité, et l'on serait bien loin de son calcul, si l'on était assez peu avisé de les employer à ce qu'ils n'entendent pas.
ARTICLE XXXVI. DE L'ARTILLERIE DE CAMPAGNE.
Depuis que l'artillerie est devenue un point si essentiel à nos guerres, je ne saurais me dispenser d'en dire un mot, pour que tout général qui se trouve en avoir sous ses ordres, surtout dans des détachements, connaisse tout le parti qu'on en peut tirer. La règle est chez nous que chaque bataillon de la première ligne est muni de deux pièces de six livres et d'un obusier de sept; la seconde ligne n'a que deux canons de trois livres; les brigades ont chacune une batterie de dix pièces de douze livres, et les plus gros canons, les véritables pièces de batterie, sont sur les ailes des deux lignes. Outre cette artillerie, on a destiné pour chaque armée quarante obusiers de dix livres. Ce plan général est calculé de sorte qu'au besoin on trouve sous sa main des canons de tel calibre qu'on juge à propos de s'en servir, et qu'on place comme le besoin le demande. Vous aurez vu, dans les plans précédents, comme on dispose ces batteries pour soutenir des attaques, soit dans la plaine, soit de villages, soit de hauteurs. Les officiers d'artillerie doivent s'imprimer, à cette occasion, qu'il ne suffit pas de tirer beaucoup et vite, mais de bien viser et de bien diriger leur feu, pour le concentrer du côté de l'attaque, et pour détruire, autant qu'ils peuvent, les batteries qui tirent sur nos gens; car le fantassin ne peut pas tirer en marchant à l'ennemi, et il serait détruit par son feu, si le secours de nos batteries ne le secondait pas. Si l'ennemi occupe une hauteur, il faut chercher des hauteurs pour y faire des batteries; s'il ne s'en trouve point, servez-vous des obu<48>siers, qu'ils fassent un feu qui se croise sur l'endroit où est le point du poste ennemi que vous voulez attaquer; c'est l'unique moyen d'entreprendre une chose aussi difficile. Mais si vous ne pouvez employer ni canon, ni obusier, il faut renoncer à votre projet et raffiner sur un autre moyen pour débusquer votre ennemi de son poste.
L'artillerie rend donc des services essentiels aux attaques de poste; elle en rend de plus importants encore quand il faut en défendre. Un poste bien avantageux doit priver l'assaillant de sa cavalerie, de son canon et, pour ainsi dire, de son infanterie même, car la cavalerie ne saurait soutenir une aussi impétueuse canonnade qu'elle aurait à essuyer, si elle vous approchait de trop près. Vos hauteurs empêchent que l'ennemi se serve de son canon, qui ne peut tirer du bas en haut; et son infanterie, qui n'ose point tirer en attaquant, marche à vous comme ayant un bâton blanc à la main. Pour obtenir tous ces avantages, il faut que vous lardiez de canon les principaux points d'attaque de votre poste, que vos batteries tirent en écharpe, que les canonniers visent bien, qu'ils connaissent toutes les distances et se servent à propos de mitraille, qu'on fasse ricocher les canons de six livres, et qu'on avertisse à temps les canonniers quand on veut lâcher de la cavalerie sur l'ennemi.
S'il s'agit de se retirer, toutes les fois qu'on veut abandonner un poste, il faut que le gros canon parte le premier; si la descente de la hauteur est rapide, il faut également renvoyer les pièces de campagne, parce que, si elles versaient en descendant, elles risqueraient d'être perdues, ce qui est une honte pour la troupe. Si votre armée est battue, il faut d'abord songer à sauver le canon qui peut encore l'être; on doit en même temps s'empresser de conduire le plus vite que possible quelques batteries au corps qui couvre la retraite, et au premier poste où l'on rassemble les troupes. Une grande attention que les officiers de l'artillerie doivent avoir outre cela, c'est, dans tous les postes, d'avoir de la munition de réserve, outre la<49> munition ordinaire du canon; il faut qu'il y en ait auprès de chaque brigade, pour qu'on ne soit pas battu faute d'avoir de la poudre et des balles pour se défendre, ce qui peut arriver dans une occasion bien opiniâtre.
Je ne dis rien de l'artillerie légère, parce que les officiers de ce corps savent l'usage qu'on en attend, et qu'ils sont pleinement en état d'exécuter toutes les choses praticables que l'on peut désirer deux.
ARTICLE XXXVII. CE QU'UN OFFICIER DOIT OBSERVER LORSQU'IL EST DÉTACHÉ.
Un général qui conduit bien des détachements donne des marques évidentes de ses talents et de son habileté; c'est le chemin qui le conduit aux commandements des armées, parce qu'en petit il s'est rendu familiers les principes et les règles qui servent de fondement à la conduite des plus grandes armées. Il faut nécessairement qu'il soit entreprenant avec réflexion, c'est-à-dire, qu'il tâche de faire le plus de mal qu'il peut à l'ennemi, après avoir bien médité son projet et l'avoir soutenu d'une bonne disposition. Il doit connaître tous les avantages et désavantages des terrains, pour profiter des premiers et éviter les autres. Il doit d'ailleurs étudier le local du pays, les chemins, les postes dont il peut faire usage en cas de besoin, et connaître plus d'une route pour se retirer, si la supériorité de l'ennemi l'y oblige. Il doit avoir assez de routine pour bien savoir raisonner ses positions, comme celles de l'ennemi, pour savoir se défendre avec habileté, et attaquer en prenant ses plus grands avantages. Il doit sans cesse penser à de nouveaux projets, car l'unique façon de faire que l'ennemi soit tranquille, c'est de lui donner le plus d'occupation <50>que l'on peut. Il doit envisager chaque camp qu'il prend comme un champ de bataille, parce qu'il peut y être attaqué d'un jour à l'autre, faire une sage disposition de défense, et surtout la communiquer et en bien expliquer l'idée et le sens aux officiers qui servent sous lui dans le même corps. Il faut, de plus, qu'à droite et à gauche, et derrière lui, il ait des lieux qu'il ait fait reconnaître pour y camper, s'il croit se voir obligé, par de bonnes raisons, de quitter son poste. Il doit s'être rendu la tactique assez familière pour régler toutes ses marches sur ses principes; surtout il faut qu'il pense à ses arrière-gardes, qui, dans ses mouvements, risquent continuellement d'être entamées. Il doit être dans une continuelle méfiance, se défier de tout ce que l'ennemi peut entreprendre, toujours supposer ce qui pourrait lui arriver de plus nuisible, pour s'en garantir, tenir la main à la discipline la plus exacte, pour que ses ordres soient bien exécutés, et obliger les officiers à la plus grande exactitude dans le service et à une vigilance égale à la sienne. Il faut surtout qu'il se garde de surprise, et qu'il pourvoie, par ses bonnes dispositions, aux échauffourées qu'on pourrait lui donner à la faveur de la nuit et des ténèbres. C'est dans les détachements que les partis et les patrouilles sont le plus nécessaires; il les faut considérer comme les yeux et les oreilles du général qui les commande. Si ce détachement sort de l'armée pour prendre poste à quelque défilé que l'armée veut passer, il faut que le général s'y retranche et fasse ferme; si c'est pour observer l'ennemi, le lieu même n'est pas si important, pourvu qu'il puisse bien observer; s'il est détaché sur les flancs de l'ennemi pour lui donner des jalousies, il faut que le général soit alerte pour ne pas être accablé par le nombre; s'il est envoyé à dos de l'ennemi, à moins qu'il ne trouve un poste absolument inattaquable, il en doit changer souvent, ou, s'il séjourne, il court le risque d'être écrasé par de plus forts que lui et d'être pris à dos lui-même. Rien ne sert tant, dans ces commissions hasardeuses, que l'intelligence du chemin; un homme habile<51> sauve son corps et le soustrait à la poursuite de l'ennemi, en se jetant dans des pays fourrés, se couvrant de villages, de marais, de ruisseaux et de bois, et, quelque détour qu'il fasse, il se couvre de gloire par sa fermeté et l'art qu'il a mis dans sa retraite. Bien des corps de troupes ont été perdus par l'incertitude des commandants, qui ne savaient pas se résoudre et se déterminer eux-mêmes; tout est perdu quand le commandant perd lui-même la tête. Voilà ce qui arriva au général Finck, à Maxen;51-a son irrésolution et sa mauvaise disposition causèrent sa perte, car a-t-on jamais vu mettre des hussards sur une montagne pour la défendre? Mais, dira-t-on, que faut-il faire, si, étant détaché, on se trouve attaqué malgré toutes les mesures que l'on a prises pour ne point être surpris? Je réponds qu'il faut vendre sa vie le plus chèrement que l'on peut, faire perdre, par sa défense vigoureuse, à l'ennemi autant de monde que votre corps est fort; alors votre honneur est sauvé. Mais quiconque capitule à la tête d'un corps qu'il commande est un infâme; ou bien l'attachement à son misérable bagage l'a déterminé à cette lâcheté, ou bien une poltronnerie non moins exécrable.
Je conseille à tous ceux qui ne préfèrent pas leur réputation et leur honneur à l'intérêt et à leur propre vie de ne jamais embrasser le parti des armes, parce que tôt ou tard leurs vices perceront et les rendront un objet de mépris et d'indignation.
ARTICLE XXXVIII. DE LA GUERRE DE CONTENANCE.
Une grande qualité pour un officier, c'est d'être impénétrable à l'ennemi, et de lui savoir dérober tous les mouvements qu'on veut <52>faire. Cela dépend du secret et de la façon dont on masque ses projets. Cette qualité devient essentielle pour tous ceux qui commandent à des corps plus faibles que ceux qui leur sont opposés; on appelle cette espèce de défensive guerre de contenance. Elle consiste en effet à tenir bonne contenance, à en imposer à l'ennemi, et à savoir mettre en usage toutes sortes de ruses pour parvenir à ses fins, qui sont de s'opposer à lui sans être battu. Cela se fait dans les campements; avant un bon défilé devant vous, vous campez vos troupes en perspective, de sorte qu'elles paraissent du double plus fortes qu'elles ne sont, soit en faisant paraître quelques tentes le long des bois, soit en occupant la cime des monticules sans garnir les fonds, ce qui de loin vous donne l'apparence d'avoir bien plus de troupes que vous n'en avez effectivement. Dans des marches, surtout par des terrains fourrés, pour désorienter l'ennemi, vous faites paraître des têtes de colonnes, comme si vous vouliez marcher d'un côté, tandis que vous tournez d'un autre, ce qui le trompe, et, séduit par des apparences, il vous attend à l'endroit où vous n'avez pas dessein d'aller. Dans les retraites, en faisant fortifier votre camp la veille de la nuit que vous vous proposez de l'abandonner. Dans les arrière-gardes, en faisant semblant de tenir ferme derrière un défilé que vous abandonnez subitement, après en avoir occupé un autre derrière vous. Enfin je ne finirais pas, si je voulais vous marquer en détail toutes les différentes ruses que la guerre de contenance fournit; il suffit d'en avoir rapporté quelques échantillons. Ceux qui voudront l'étudier en trouveront assez dans ce précis pour donner carrière à leur imagination, et cette étude est d'autant plus indispensable, que tout officier qui commande un détachement doit du moins en avoir une bonne idée, ne fût-ce que pour ne se pas tromper aux ostentations de l'ennemi. Il vaut encore mieux savoir exécuter ces choses, car souvent on en a besoin. J'exhorte donc et je prie mes officiers de se rendre toutes ces idées familières; j'ai resserré la matière autant que je l'ai pu, pour<53> rendre les principes plus faciles à retenir; mais il faut s'exercer sur les terrains, acquérir l'habitude d'en juger bien et facilement, se rappeler les règles de la tactique, faire soi-même des dispositions, et les examiner' si elles sont bien solides, soit de marches, d'avant-gardes, d'arrière-gardes, de camps, d'attaques et de défenses, penser soi-même à la guerre de contenance, et ainsi se préparer, pendant la paix, à pouvoir se distinguer pendant la guerre. Ceux qui emploieront leur temps de cette façon en recueilleront des fruits excellents dès que les hostilités commenceront, et se feront estimer de tout le monde, sans compter l'honneur et la gloire qui leur en reviendra.53-a
Sans-Souci, 12 novembre 1770.
Federic.
<54><55>II. AVANT-PROPOS.[Titelblatt]
<56><57>AVANT-PROPOS.
Le nombre de la noblesse qui se voue au métier des armes est considérable en tout pays; mais les motifs qui la portent à choisir un métier aussi illustre ne sont pas les mêmes. Les uns, dépourvus des biens de la fortune, regardent le service comme un pis aller qui leur procure tellement quellement un entretien honnête; leur indolence se confie sur le temps, qui les fera avancer à tour de rôle; ils croient que d'avoir servi longtemps ou d'avoir bien servi, c'est la même chose, et pourvu qu'on ne puisse pas leur reprocher quelque faute grossière contre leur devoir, ils sont satisfaits d'eux-mêmes. D'autres s'adonnent aux frivolités dont notre siècle abonde; ils se livrent aux plaisirs, aux dissipations; ils sont tout, hormis soldats, ce qui cependant est leur métier. Enfin, il s'en trouve, mais toujours en plus petit nombre, qui, pleins d'une noble ambition, ont envie de se pousser dans le monde par leur courage, par leur capacité, par leur sagesse, qui, avides de s'instruire, ne désirent que d'avoir des occasions de s'éclairer et d'augmenter la sphère de leurs connaissances. C'est précisément pour ceux-là qu'on a fait un extrait de siéges de villes attaquées et défendues vers la fin du dernier siècle et au commencement de celui-ci. On a eu soin de faire un choix de ce qu'il y a eu de plus célèbre dans ces temps, pour présenter aux curieux les ressources que l'art et le génie<58> trouvent pour attaquer les places et pour les défendre. Quiconque veut passer pour un officier habile doit réunir une infinité de connaissances et de talents. Il faut qu'il sache dresser sa troupe pour rendre le soldat susceptible d'exécuter les évolutions qu'il doit faire; il faut qu'un officier, pour peu qu'il pense à s'élever aux grades supérieurs, ait une connaissance parfaite de la tactique ou de l'art des manœuvres, attaques, défenses, retraites, marches, passages de rivières, convois, fourrages, et de toutes les dispositions qu'exige la guerre de campagne. Il faut qu'il ait une connaissance nette du pays dans lequel il doit faire la guerre, qu'il possède la castramétrie, ou l'art des campements, l'usage et l'avantage qu'on peut tirer du terrain, la façon d'y distribuer les troupes et de les faire combattre avec supériorité. Mais, outre toutes ces connaissances, un officier d'infanterie ne saurait ignorer sans honte ce qui regarde l'attaque et la défense des places; ce service roule uniquement sur l'infanterie, et il se fait peu de campagnes où il n'y ait quelque ville assiégée ou défendue. Cela fournit des occasions pour se distinguer; un officier qui ignore l'art n'en saurait profiter, parce que son ignorance lui en interdit les moyens, au lieu qu'un officier qui a consacré quelques-unes de ses heures de loisir à bien étudier cette partie trouve cent occasions pour faire connaître son mérite, ce qui doit nécessairement l'acheminer à sa fortune. C'est pour faciliter ces connaissances, c'est pour en inspirer le goût que ce livre a été traduit et mis au jour dans l'arrangement qu'il paraît; on espère que les vrais amateurs du métier seront bien aises de trouver un nouveau moyen de s'instruire, et le traducteur sera très-satisfait de ses peines, si, par le moyen des connaissances répandues dans ce livre, il peut contribuer à la fortune et à l'illustration de ceux qui le liront et sauront en profiter. Tout art a ses règles et ses maximes; il faut les étudier, leur théorie facilite leur pratique. La vie d'un homme ne suffit pas pour acquérir une connaissance et une expérience consommée; la théorie y sert<59> de supplément, elle donne à la jeunesse une expérience prématurée, et la rend habile par les fautes mêmes de ceux qui en ont fait. Dans le métier de la guerre, on ne transgresse jamais les règles de l'art sans en être puni par l'ennemi, qui s'applaudit de nous trouver en défaut. Un officier peut s'épargner bien des faux pas en s'instruisant : nous osons dire qu'il le doit, car les fautes qu'il commet par ignorance le couvrent de honte, et, en louant même son courage, on ne peut s'empêcher de blâmer sa stupidité. Que de mot ils pour s'appliquer! que de raisons pour traverser ce chemin épineux qui mène à la gloire! et quelle récompense plus belle et plus noble que de parvenir par ses peines et par ses travaux à immortaliser son nom!59-a
Le 5 octobre 1771.
<60><61>III. RÈGLES DE CE QU'ON EXIGE D'UN BON COMMANDEUR DE BATAILLON EN TEMPS DE GUERRE.[Titelblatt]
<62><63>RÈGLES DE CE QU'ON EXIGE D'UN BON COMMANDEUR DE BATAILLON EN TEMPS DE GUERRE.
Un bon commandeur de bataillon doit toujours avoir son corps en ordre, pour pouvoir se reposer sur lui, si la guerre se fait. Il faut que la subordination commence par le major, et finisse par le moindre tambour du bataillon.
Lorsque l'armée marche, cela se fait par cantonnements jusqu'au lieu où on la rassemble. Dans ces cantonnements, il faut que dans chaque maison où l'on met des soldats, un bas officier ou du moins un appointé soit à la tête de la chambrée, et que le lendemain, quand le bataillon doit marcher, il amène en même temps toute la chambrée; cette précaution est bonne contre la désertion. En marche, le commandeur aura l'attention de n'aller ni trop vite ni trop lentement avec la tête, pour que le bataillon soit toujours ensemble et en bon ordre. S'il passe des défilés, il s'arrêtera toujours à ce passage jusqu'à ce que le bataillon en soit sorti, après quoi il regagnera la tête. Lorsque l'armée campe, il aura un soin continuel sur l'exactitude des gardes et des sentinelles. C'est par ignorance que l'officier ne craint pas les surprises; il faut l'en avertir sans cesse et d'ailleurs<64> avoir l'œil que, selon les ordres du général qui commande l'armée, on interroge sévèrement tout ce qui entre et sort du camp.
Le commandeur aura d'ailleurs soin de la propreté du camp, de la cuisine du soldat, pour que rien n'y manque. Si la désertion se met dans son bataillon, il aura dans chaque compagnie un bas officier qui fera la ronde pour observer ceux qui. sons prétexte de besoins, sortent la nuit des tentes.
Si l'armée marche, il ne doit jamais s'écarter de son corps. S'il fait des chaleurs excessives en chemin, on peut mêler un peu de vinaigre avec de l'eau et la donner au soldat, ce qui ne lui fera aucun mal tandis qu'il reste en marche; mais s'il boit lorsqu'il y a une halte, cela peut être mortel, et l'officier doit l'en empêcher rigoureusement.
On sait par expérience que la valeur des troupes consiste uniquement dans celle des officiers : un brave colonel, un brave bataillon; et l'on a vu dans toutes nos guerres que lorsque le commandeur a été bien valeureux, le bataillon n'a jamais été repoussé, à moins que le commandeur ne fût blessé ou tué auparavant.
Si l'armée se trouve dans un poste, et que l'ennemi l'attaque, le commandeur doit défendre son poste et le maintenir par le feu. C'est là que les charges les plus vives sont les meilleures; et comme le soldat peut avoir épuisé sa munition bien vite, il faut, avant qu'il ait tiré la dernière cartouche, envoyer des bas officiers de chaque peloton au tombereau de réserve y chercher des cartouches, et les faire distribuer à son monde le plus vite que possible, pour que son feu n'en soit pas trop ralenti.
Si on attaque l'ennemi dans la plaine, et que le commandeur se trouve de l'aile et du corps qui attaque, il doit marcher en bon ordre à l'ennemi, commencer la charge à trois cents pas, et, à la moindre confusion qu'il voit dans ceux qu'il attaque, marcher avec la baïonnette dessus, pour achever leur défaite.
Si l'on attaque l'ennemi dans un poste difficile, le commandeur<65> doit empêcher son monde de tirer tant qu'il peut, parce que tout feu qui se fait de bas en haut ne produit presque aucun effet, que, pour gagner une bataille, il faut gagner du terrain, que le plus tôt qu'on peut se trouver sur le champ de bataille où l'ennemi s'était rangé, plus on ménage son monde et moins l'affaire est-elle meurtrière. Mais aussi le commandeur ne doit point se laisser emporter à une poursuite trop vive, ou il faudrait qu'il ait perdu peu de monde à la première attaque, que tout le corps qui a été de l'attaque soit joint ensemble, et surtout que le général de brigade l'ordonne expressément.
Toutefois, si l'on a emporté une hauteur que l'ennemi avait occupée, il faut se contenter de l'en chasser et de faire grand feu sur lui quand il en descend pour s'enfuir; mais il faut garder ce poste et ne point en descendre pour poursuivre les fuyards. C'est à la cavalerie à se charger de cette besogne; l'infanterie doit se contenter de maintenir le poste où elle a remporté la victoire.
Comme dans les campagnes tous les jours ne sont pas des jours de bataille ni d'action, le commandeur profitera de ce temps de repos pour exercer son bataillon et surtout les recrues qui s'y peuvent trouver; car rien ne se perd plus vite que l'exactitude et l'adresse du soldat, si de temps en temps on ne lui fait répéter sa leçon.
Si l'on est proche de l'ennemi, et qu'il se fasse des fourrages verts, sans doute que l'escorte qu'on y enverra aura de l'infanterie avec elle. Si le commandeur se trouve de ce détachement, on le postera, pour couvrir ce fourrage, ou dans un village, ou derrière des haies, ou dans un bois. Il aura soin alors de se poster de façon à toujours bien garnir ses flancs, et il évitera de se mettre trop à découvert, parce qu'il n'est là que pour couvrir, et qu'il doit garantir son monde, autant que le local le permet, contre le feu de l'ennemi et les insultes des pandours.
Si le commandeur doit escorter des munitions à l'armée, il aura<66> des hussards avec, pour l'avertir. Si ceux-là lui rapportent que l'ennemi s'est embusqué sur son chemin, il fera d'abord parquer son convoi, où il laissera quelque monde pour le garder; avec le reste, il chassera l'ennemi de son embuscade, après quoi il lui sera libre de mener son convoi à l'armée. Il doit aussi diriger sa marche, longer des bois et des rivières pour avoir un flanc couvert, éviter les villages et tous les défilés, à moins qu'il ne faille y passer de nécessité, et en ce cas il faut pourtant les faire reconnaître avant d'y entrer, faire occuper par l'infanterie les hauteurs à droite et à gauche, après quoi le convoi peut passer en toute sûreté. S'il n'a que des plaines à traverser, il ne peut être attaqué que par de la cavalerie, et si l'ennemi est fort, il sera toujours obligé de faire parquer pour resserrer son monde et n'être pas trop faible partout; ensuite il se remet en marche, et la cavalerie, en partie, fera son arrière-garde.
Si l'armée marche, et que le commandeur se trouve à l'arrière-garde, il doit se proposer pour règle générale de ne se point laisser amuser par l'ennemi ou s'engager mal à propos, car il n'y a rien à gagner à une arrière-garde, on ne peut qu'y perdre. Au contraire, celui qui l'attaque n'a qu'en vue de l'engager, pour le séparer le plus qu'il peut de son corps, et pour donner à sa cavalerie le temps de l'entourer et de le couper tout à fait. Il faut donc qu'il s'imprime bien dans la tête qu'il ne doit s'engager que dans le cas qu'il lui est absolument impossible de faire autrement.
Si le régiment du commandeur se trouve en un corps qui attaque l'arrière-garde de l'ennemi, il doit s'engager avec lui le plus tôt qu'il peut, pour l'arrêter, ralentir sa marche, et donner à la cavalerie le temps de l'entourer et de le couper.
Les meilleures occasions pour l'attaquer sont celles où il descend dans un terrain bas, ou lorsqu'on peut lui tourner le flanc. Il faut toujours observer comme une règle sûre qu'il faut profiter du terrain, attaquer, pour peu qu'on ait de hauteur sur l'ennemi, ou, si<67> vous le trouvez sur une hauteur, y monter et donner dessus avec la baïonnette.
C'est une règle générale que. dans toutes les affaires de retraite ou d'arrière-garde, lorsqu'on se veut retirer d'un poste, d'une hauteur, d'un bois ou d'un village, il faut, si l'ennemi vous presse toujours, commencer par retirer votre canon, ou vous risquez de le perdre; et quand le bataillon se retire, il faut laisser quelques soldats en arrière, qui tirent à la débandade, pour arrêter l'ennemi et l'empêcher de vous suivre de si près, et surtout pour qu'il ne puisse pas mettre de la confusion dans votre troupe.
Lorsque l'armée entre en quartiers d'hiver, la première chose où le commandeur doit penser est, si la campagne a duré jusqu'à l'arrière-saison, de faire purger tout son corps successivement en rentrant dans les quartiers, et de le faire saigner ensuite, pas tout à la lois, mais par compagnies, et selon que le chirurgien général le trouve nécessaire pour la constitution de tout soldat.
Le commandeur aura soin, les premiers jours que les corps quittent les tentes et habitent sous les maisons, de faire ouvrir les fenêtres dans les quartiers, pour que la différence du grand air succède imperceptiblement à la chaleur des fourneaux, ce qui donne lieu, sans cette précaution, à des maladies inflammatoires, et l'on doit conserver le vieux fantassin le plus que l'on peut, parce que, dans l'infanterie, il faut trois ans aux soldats pour se former.
Ceux qui font la chaîne des quartiers d'hiver doivent surtout se précautionner contre les surprises, parce que c'est ce qu'ils ont le plus à craindre. Si leurs bataillons sont dans les villages, il faut d'abord travailler à empalissader l'enceinte, et faire quelques flèches devant les entrées des villages. Voilà pourquoi le Roi recommande tant aux officiers d'infanterie l'étude des fortifications, parce qu ils ne peuvent s'en passer dans le cours d'une campagne.
Sont-ce des montagnes qu'on occupe, on y construira de distance<68> en distance, selon le terrain dominant, des redoutes et intérieurement des Blockhäuser. Ces redoutes doivent être entourées de palissades, les unes d'échalas entremêlés de pieux dans cette forme , pour qu'il soit impossible à l'ennemi de les escalader; car un officier qui se trouve à la chaîne des quartiers d'hiver doit surtout prévoir toutes les espèces de surprises que l'ennemi peut imaginer contre lui. Est-on derrière une rivière, il faut, en hiver, ouvrir les glaces pour empêcher les ennemis de passer. Je ne parle pas des patrouilles de cavalerie, qu'il faut avoir jour et nuit au champ pour avertir du moindre mouvement des ennemis, ni des espions, dont on doit avoir nombre, pour que, si l'un manque, l'autre puisse donner des nouvelles. Si la chaîne n'est pas trop inquiétée, et que le service n'y soit pas trop dur, il faut que le commandeur exerce son corps autant que les circonstances le lui permettent, parce que sa gloire est attachée à la bonté de sa troupe, et plus il la conserve dans son intégrité, plus il peut s'assurer de sa réputation.
Pour les troupes qui entrent en quartiers d'hiver, on leur prescrit la même méthode pour veiller à la santé des soldats, et l'on regarde tout commandeur qui ne ramène pas sa troupe au camp avec la discipline introduite en temps de paix, comme un mauvais sujet et dont l'armée doit se défaire le plus tôt possible.
L'infanterie n'est pas seulement employée à la guerre de campagne, mais à la défense des places et aux siéges des forteresses d'un ennemi que l'on attaque. Un officier et principalement un commandeur de bataillon qui n'entend rien à l'attaque et à la défense des places n'est qu'un demi-officier. S'il défend une forteresse, il faut qu'il ait une idée de ce que c'est que le feu de chemin couvert, une espèce de Heckenfeuer, qu'on entretient surtout pendant la nuit; il faut qu'il sache pourquoi l'on fait une sortie, à savoir, pour ruiner les ouvrages de l'ennemi. La troupe qui sort doit agir avec vivacité pour faire ses opérations tout de suite, à savoir, nettoyer la parallèle,<69> ruiner les sapes et enclouer le canon. Ceux qui doivent agir sont armés, ils sont destinés à chasser les assiégeants, pour donner aux manœuvres le temps de ruiner des ouvrages de l'ennemi ce qu'un court espace de temps leur permet de faire; après quoi la sortie doit se replier sur l'endroit du chemin couvert, à droite ou à gauche de l'attaque, où le gouverneur leur a préparé par ses dispositions un feu supérieur qui leur assure leur retraite.
Il ne faut point qu'un commandeur de bataillon soit intimidé de se trouver dans une place; c'est, pour un homme qui n'est ni paresseux ni lâche, mais qui se sent de l'ambition, une occasion de se distinguer et par conséquent de faire fortune; car un officier acquiert autant de réputation par la défense opiniâtre d'une place où il a servi qu à une bataille gagnée. Repousser l'assaut d'un ouvrage lui fait autant d'honneur que de se défendre dans un retranchement ou que de chasser l'ennemi d'un poste, et les vrais officiers, les hommes pleins d'ambition, doivent saisir également toutes les occasions pour se distinguer. Mais la longue paix dont nous jouissons rendra tous les commandeurs inexcusables, si, faute de se bien défendre, ils allèguent leur ignorance de la fortification. Le service dans la garnison les occupe au plus deux heures par jour; le reste du temps, ils en sont maîtres, et s'ils le perdent en fainéantise, je ne pense pas que, s'ils allèguent cette excuse, elle soit trouvée valable nulle part.
Il en est de même pour l'attaque des places. L'ignorance peut donner lieu à bien des fautes qu'on peut éviter quand on s'est fait une idée du génie, et qu'on s'est donné la peine de lire les relations d'anciens siéges qui se sont faits pendant la guerre de succession. L'ignorance, en un mot, ne peut servir d'excuse qu'à des enfants, mais jamais à des hommes faits qui ont embrassé une profession, et qui sont parvenus à des commandements. Il est donc nécessaire de recommander à tous les commandeurs de bataillon d'apprendre ce<70> qu'ils ont négligé jusqu'ici. Le temps ni les moyens ne leur manquent pas de s'instruire, et l'on ne peut attribuer dorénavant leur ignorance qu'à leur paresse.
Dans les attaques des places, s'il s'agit de garder les tranchées, et qu'un régiment se trouve à la seconde ou troisième parallèle, dont le commandant n'a pas d'idée de siége, il sera négligent, l'ennemi fera une sortie, et le chassera honteusement de son poste; au lieu qu'un officier plein d'honneur sera toujours préparé à tout événement, et, que de nuit ou de jour l'ennemi l'attaque, il aura pris d'avance des mesures, et sera tout préparé pour repousser cette sortie.
Les commandeurs de bataillon, s'ils sentent une noble ambition, doivent aspirer plus haut. C'est de leur corps qu'on lait des généraux, et, à moins d'avoir démérité, ils doivent aspirer à parvenir à ce grade; mais cette même ambition doit les pousser à savoir d'avance remplir tous les devoirs d'un général. Il est honteux de faire l'école d'un poste auquel on est élevé; il est plus noble d'en être jugé digne avant de le remplir, et qu'on dise : Cet homme a les talents d'un bon général; c'est dommage qu'il ne l'est pas encore. Ceux qui se sentent doivent donc nécessairement profiter de leurs campagnes, s'informer : Pourquoi a-t-on fait cette marche? pourquoi s'est donnée cette bataille? quelle en était la disposition? pourquoi a-t-on refusé cette aile? pourquoi l'autre a-t-elle attaqué? examiner les camps, juger du terrain, et visiter les postes avancés pour se faire une idée nette du total de la disposition; s'exercer le jugement sur ces matières, et se rendre propre à commander des détachements, parce que c'est par ce chemin que l'on parvient à commander des armées. Des particuliers en ont eu chez nous sous leurs ordres, et l'armée n'oubliera jamais que le maréchal de Schwerin l'a commandée.
Quant aux défenses des places ou bien aux siéges, c'est la même chose. Un officier de l'état-major qui s'est garni la mémoire, pen<71>dant la paix, d'une bonne théorie servira plus utilement dans l'un et dans l'autre; un siége le formera plus avec sa théorie que dix siéges dont il serait obligé d'accumuler l'expérience. S'il devient invalide, il peut aspirer aux meilleurs gouvernements, et s'il demeure en santé, une vaste carrière s'ouvre devant lui pour pousser sa fortune. Mais il faut se rendre habile dans toutes les choses qui sont du ressort d'un officier; et comme on a dit qu'il faut souvent garnir des villages dans des intentions différentes, faire des convois, des arrière-gardes, etc., des officiers qui aiment véritablement leur métier doivent s'exercer à ton les ces dispositions en temps de paix. Ils le peuvent d'autant mieux, que, en se promenant, ils peuvent choisir des terrains pour des arrière-gardes, d'autres pour des convois ou des villages, faire leur disposition sur ce local, et la mettre par écrit. Un tel exercice leur servira infiniment, si la guerre se fait, et leur rendra la pratique des dispositions facile et familière. Ceux qui aiment leur métier s'en feront un plaisir; ceux qui ne l'aiment pas feraient mieux de le quitter et d'aller planter des choux chez eux.
RÉSUMÉ DE CES RÈGLES.
1o Rester au défilé jusqu'à ce que le bataillon ait passé.
2o Distribuer un cantonnement par Cameradschaften.71-a
3o Au camp : officier, bonne garde, exactitude, cuisine du soldat, propreté, veiller à la désertion.
<72>4o Ne point laisser boire aux haltes, mais bien en marche, avec un peu de vinaigre.
5o Dans un poste, tirer tant que le soldat peut charger.
6o En plaine, tirer à trois cents pas, et ensuite donner dessus avec la baïonnette.
7o Attaque de poste : ne point tirer qu'en y entrant, ne point poursuivre l'ennemi, ne point quitter la hauteur qu'on a prise, pour descendre dans la plaine.
8o Dans des camps paisibles, exercer beaucoup.
9o Des fourrages : savoir se bien poster, soit dans un village, une haie, un chemin creux, et garnir son flanc en toute occasion.
10o Les escortes : diriger sa marche, tâcher de couvrir un flanc par un bois, marais ou rivière; ne point entrer dans un défilé sans l'avoir fait reconnaître. Si l'ennemi vient sur votre passage, parquer le convoi, pour rassembler son monde; s'il s'est embusqué, parquer et le chasser avec une partie de sa troupe, après quoi l'on peut mener tranquillement le convoi à l'armée.
11o Arrière-gardes : éviter tout engagement tant que l'on peut, parce qu'il n'y a là rien à gagner, mais à perdre, et, s'il se faut engager, se retirer le plus promptement possible.
12o Affaires de retraite, hauteurs, bois ou villages : retirer le canon avant le bataillon, et laisser, quand le bataillon se retire, quelques soldats débandés pour tirer sur l'ennemi et l'arrêter.
13o Quand on attaque une arrière-garde, profiter du terrain et s'engager le plus promptement que l'on peut avec l'ennemi,
14o Quartiers de cantonnement ou d'hiver : ouvrir les premiers temps les fenêtres des maisons, faire purger successivement et saigner les soldats.
15o Chaîne de quartiers d'hiver : palissader les villages et y faire des redans; être toujours alerte pour n'être point surpris; patrouilles, espions, etc. Pour les redoutes sur les montagnes, les palissader <73>alternativement de pieux et d'échalas. Est-on derrière une rivière, ouvrir les glaces, faire semer des chausse-trapes aux gués, faire des patrouilles continuelles. S'il y a des montagnes et des bois, il faut faire faire des patrouilles par l'infanterie légère.
16o Nécessité d'un officier d'infanterie de connaître la fortification.
Potsdam, 30 avril 1773.
<74><75>IV. RÉFLEXIONS SUR LES PROJETS DE CAMPAGNE.[Titelblatt]
<76><77>RÉFLEXIONS SUR LES PROJETS DE CAMPAGNE.
Vous voulez que je vous indique les maximes qui doivent servir de base aux projets de campagne. Je dois me borner, pour vous satisfaire, à résumer quelques règles généralement applicables. Il en faut de différentes pour la guerre offensive, pour celle qui se fait entre puissances égales, et enfin pour la guerre défensive. On doit surtout faire attention à la nature du pays où l'on porte la guerre, s'il est arrosé de rivières ou s'il est chargé de bois, s'il est coupé ou s'il vous offre de grandes plaines, s'il est défendu par des forteresses ou dépourvu de places fortes, s'il est rempli de rochers et de montagnes, s'il est loin ou dans la proximité de la mer. Il faut donc, pour préalable, que celui qui veut former un projet de campagne ait une connaissance exacte des forces de son ennemi, des secours qu'il peut tirer de ses alliés; il doit comparer les forces ennemies avec les siennes et avec ce que ses amis lui peuvent fournir de troupes, pour juger par là de quel genre sera la guerre qu'il veut entreprendre. Il y a des pays ouverts où, avec des forces égales, on peut se promettre de grands succès; il y en a d'autres, pleins de défilés et de postes, qui demandent une grande supériorité de forces pour y faire une guerre offensive. Gardez-vous bien de vous contenter d'idées vagues sur ces objets, qui demandent surtout des idées nettes, claires et précises. Si<78> vous connaissez mal l'échiquier, les pions et les officiers, il y a bien de l'apparence que vous ne gagnerez pas de partie aux échecs. Or la guerre est d'une bien autre importance que ce jeu. Nous examinerons en général quelles règles doivent être suivies constamment dans les trois guerres, offensive, à puissances égales, et défensive.
Commençons par l'offensive. La première chose, comme je l'ai dit, est de comparer toutes les forces des ennemis, conjointement avec celles de leurs alliés, aux vôtres et aux secours que vos alliés vous fourniront. Il faut une connaissance parfaite des pays dans lesquels vous allez porter la guerre, pour en connaître les postes, les marches que vous pourrez y faire, et pour juger d'avance des camps que l'ennemi pourra prendre pour déranger vos projets. Il faut surtout penser à vos subsistances, car une armée est un corps dont le ventre est la base;78-a quelque beau dessein que vous ayez imaginé, vous ne pourrez pas le mettre en exécution, si vos soldats n'ont pas de quoi se nourrir. Vous devez donc y pourvoir d'avance, former vos magasins et arranger vos dépôts dans le pays où vous portez la guerre, afin que les magasins soient à portée des endroits où vous comptez d'agir. La première maxime pour une guerre offensive est de former de grands projets, pour que, s'ils réussissent, ils aient de grandes suites. Entamez l'ennemi dans le vif, et ne vous contentez pas de le harceler sur ses frontières; la guerre ne se fait que pour obliger le plus tôt possible l'ennemi à souscrire à une paix avantageuse; cette idée ne doit pas se perdre de vue. Quand votre projet est fait, et que vous avez des subsistances suffisantes pour l'exécuter, vous devez raffiner sur tous les moyens imaginables de le cacher à votre ennemi, pour que, à l'ouverture de la campagne, vos mouvements lui donnent le change et lui fassent soupçonner des desseins tout différents des vôtres; rien ne dérange davantage ses mesures, rien ne l'engagerait à commettre plus de faux pas, et c'est à vous<79> d'en profiter dans la suite. Avant d'entrer en action, il faut, sans se flatter et sans indulgence pour soi-même, examiner de sang-froid tout ce que l'ennemi pourrait entreprendre pour contrecarrer votre projet, et réfléchir dans tous les cas différents quels moyens vous restent pour remplir votre but malgré toutes ses oppositions. Plus vous vous représentez de difficultés d'avance, et moins vous serez surpris de les rencontrer en exécutant. De plus, vous avez déjà à tête reposée pensé à ces obstacles, et vous avez avisé de sang-froid aux moyens de les éluder, de sorte que rien ne pourra vous étonner. Telle à peu près était l'expédition de Louis XIV contre les Hollandais, l'année 1672. L'entreprise aurait été glorieusement terminée, si les Français s'étaient d'abord rendus les maîtres des écluses de Naarden et de Muiden, ce qui les aurait rendus les maîtres d'Amsterdam, et si l'armée française ne s'était point affaiblie par le nombre de garnisons qu'elle mit jusque dans les plus petites places.
Les projets de campagne par lesquels on se propose d'attaquer l'ennemi par deux, trois ou plus d'armées sont plus sujets à ne pas réussir que ceux où une armée seule agit; il est plus difficile de trouver trois bons généraux que d'en trouver un. De plus, si vous vous proposez de faire de grands efforts dans une province, l'ennemi, qui est libre, se propose d'en faire sur une autre de ses frontières; il arrive donc souvent qu'une de vos armées battues vous oblige de lui envoyer des secours; vous êtes obligé d'affaiblir votre armée principale, et dès lors tout votre projet d'offensive se réduit à rien; vous vous trouvez sur la défensive à l'endroit où vous vouliez frapper les plus grands coups, et vous êtes nécessité de renforcer un général battu dans une province où votre intérêt n'exigeait point que vous fissiez des efforts. Il n'y a qu'à relire les projets de la cour de Versailles qui se trouvent à la tête de chaque campagne dans l'Histoire militaire de Louis XIV, par Quincy,79-a pour se convaincre de cette vé<80>rité : aucune des campagnes ne répond aux projets que les ministres et les généraux avaient formés. Mais d'où cela venait-il? car les fautes des autres nous doivent servir d'avertissement pour n'y point tomber. C'est de s'être trop flatté du succès, c'est pour n'avoir pas assez pensé aux moyens de l'ennemi, aux démarches qu'exigeait son intérêt, enfin aux entreprises les plus dangereuses contre les intérêts de la France que ces ennemis pouvaient exécuter. Voilà pourquoi je recommande si fort de ne point être superficiel, mais d'examiner et d'imaginer tout ce qu'il est possible que l'ennemi entreprenne contre vous. Otez au hasard tout ce que vous pouvez par votre pénétration et par votre prudence; il ne conservera encore que Trop d'influence dans la guerre. Il arrive que des détachements sont battus, soit par la faute de l'officier qui les commande, soit par la supériorité de l'ennemi qui les attaque; des places peuvent être surprises, des batailles peuvent être perdues, ou parce que des têtes se détraquent, ou par la blessure ou la mort d'un officier général instruit des dispositions de la bataille, ce que les autres généraux de cette aile ayant ignoré, ne suivent point par conséquent l'intention du général. C'est pourquoi il ne faut jamais chanter victoire avant d'avoir chassé l'ennemi du champ de bataille. Si vous aimez mieux les exemples que les règles, je m'en vais esquisser un projet de campagne, en m'assujettissant aux maximes que je viens d'établir.
Supposons que la Prusse, l'Autriche, l'Empire, l'Angleterre et la Hollande eussent formé une alliance offensive contre la France; voici comment il faudrait procéder pour concerter un projet de campagne solide et bien raisonné. Je sais que la France peut mettre en campagne cent quatre-vingt mille hommes, que sa milice, consistant en soixante mille combattants, peut servir à garnir les trois rangées de forteresses qui bordent ses frontières; je sais que le roi d'Espagne, son allié, peut lui fournir quarante mille hommes, le roi de Naples dix mille, et celui de Sardaigne quarante mille : somme totale, deux<81> cent soixante-dix mille hommes, outre ce qui garde les forteresses; je ne compte que les combattants. A cela les alliés pourront opposer, la Prusse cent cinquante mille hommes, la maison d'Autriche cent soixante mille, les cercles de l'Empire quarante mille, l'Angleterre vingt mille, la Hollande autant, outre leurs flottes, qui doivent concourir à faciliter les opérations des armées. Les alliés assembleront donc trois cent quatre-vingt-dix mille combattants, d'où il résulte que les alliés auront sur les Français une supériorité de cent trente mille hommes. Je sais encore que les finances de la France sont entièrement dérangées, et qu'à peine pourra-t-elle fournir aux dépenses de trois campagnes. L'Espagne, qui s'est épuisée par ses armements contre les Marocains et les Algériens, ne pourra pas soutenir la guerre plus longtemps, et le roi de Sardaigne est perdu, si quelque puissance ne lui fournit des subsides considérables. Reste donc à délibérer comment on attaquera la France, et de quel côté on lui portera le coup le plus sensible. Je crois que ce sera par la Flandre, comme j'en exposerai dans peu les raisons. J'assigne donc cent mille hommes pour attaquer les États du roi de Sardaigne par le Milanais; cette armée trouvera quatre-vingt-dix mille tant Sardois qu'Espagnols et Napolitains à combattre. J'assigne une seconde armée de cent dix mille soldats pour attaquer les Français dans l'Alsace; ceux-là trouveront devant eux quatre-vingt mille Français. La plus grande armée, composée de cent quatre-vingt mille soldats, je la destine pour la Flandre, non pas pour livrer chaque année un combat et prendre une couple de places, ce qui emporterait sept ou huit campagnes, mais pour pénétrer dans le cœur du royaume, s'avancer sur la Somme, et menacer en même temps la capitale.
Voici le but de ce projet : les Français, attaqués dans leurs foyers, abandonneront bientôt la Flandre pour défendre Paris; les places ne seront garnies que de milices qu'il serait facile de subjuguer, et peut-être affaibliraient-ils considérablement l'armée d'Alsace pour mieux<82> secourir Paris, ce qui fournirait de ce côté-là aux alliés les moyens d'avoir de grands succès, tandis qu'on Flandre, avec un corps de quarante mille hommes, on pourrait prendre les principales forteresses qu'on a laissées sur ses derrières.
En vous faisant le détail de ce projet, je dois vous prévenir que, n'ayant jamais vu la Flandre, je me dirige par des caries qui peut-être ne sont pas exactes. Les magasins principaux de l'année doivent être formés à Bruxelles, Nieuport et Veurne; l'armée s'assemblera près de Bruxelles, et se portera sur Tournai, pour donner aux Français des jalousies sur Lille et sur Valenciennes. Il faut chercher à combattre l'ennemi, pour gagner sur lui une supériorité décidée, ensuite former le siége de Saint-Vinox,82-a et après, celui de Dunkerque, dans lequel on pourrait être assisté par la flotte anglaise. Ce sont à peu près les opérations qui rempliront toute la campagne, quoique, si cela était possible, il faudrait encore assiéger et prendre Gravelines.
A présent examinons ce que les Français pourraient opposer à ces projets. Il paraît indubitable que les Français, se voyant au moment d'être attaqués en Flandre, se proposeront de prévenir leurs ennemis; ils peuvent faire le siége de Tournai ou de Mons avant que les grandes forces des alliés soient rassemblées. Ils peuvent se poster à Oudenarde, pour vous obliger de ne pas trop vous éloigner de Bruxelles, de crainte de perdre vos convois; ils pourraient encore prendre un camp sur l'Escaut, entre Condé et Saint-Guislain; qui sait même s'ils n'essayeraient pas de s'emparer de Bruxelles avant l'arrivée des alliés? Dans toutes ces suppositions, les alliés doivent débuter par une bataille; il est peu de postes que l'on ne puisse tourner, et c'est de la décision de la bataille dont tout dépend. Si c'est une affaire décisive, Bruxelles même serait dans peu repris; pour Mons et pour Tournai, il faut les laisser aux Français et ne pas déranger son<83> objet principal pour des bagatelles. En opérant du côté de Vinox et de Dunkerque avec cent vingt mille hommes, il vous en reste encore soixante mille qui peuvent couvrir Bruxelles et vos derrières, et la flotte anglaise vous fournira vos vivres, tirés de vos magasins de Nieuport. La seconde campagne sera plus difficile que la première, parce que vous avez découvert vos desseins, et que l'ennemi, devinant vos vues, voudra s'y opposer. Sans doute qu'il choisira quelque camp fort pour vous arrêter en chemin; c'est alors à raffiner aux moyens de le déposter et de le combattre, pour assiéger Gravelines, ensuite Bourbourg, où la flotte anglaise, abordant dans le port de Gravelines, vous fournirait les vivres. De là vous devez vous porter sur Montreuil, où la flotte anglaise, entrant dans l'embouchure de la Canche, vous apporterait vos provisions. Si l'ennemi veut encore vous arrêter plus en avant, il faut le déposter, s'avancer sur Abbeville, et la flotte anglaise à l'embouchure de la Somme, pour que vous ne manquiez point de magasins. Vous objecterez peut-être que je laisse trop de places fortes derrière moi; mais il me reste encore soixante mille hommes, dont vingt mille occuperont mes derrières aux endroits convenables, et quarante mille assiégeront des places défendues par des milices, comme Cassel, Aire, Saint-Orner. Comptez que toute l'armée française, dès la seconde campagne, abandonnerait bien vite la Flandre pour couvrir Paris, et que, en agissant avec vigueur contre cette armée, le ministère français se hâterait à conclure la paix. Supposé que l'on prît Paris, il faudrait bien se garder d'y faire entrer des troupes, parce quelles s'amolliraient et perdraient la discipline; il faudrait se contenter d'en tirer de grosses contributions. Pour que ce projet de campagne devînt solide, on aurait la prévoyance d'envoyer de bons officiers ingénieurs et quartiers-maîtres qui, voyageant déguisés en marchands, parcourraient tous ces lieux pour rectifier ce qu'il pourrait y avoir de défectueux dans le projet, tant pour le terrain que pour les places que l'on se<84> propose de prendre, qu'également pour les ports, qui ne me sont point assez exactement connus.
Pour éviter les fautes où l'ignorance du pays m'a peut-être fait tomber, je vous esquisserai un projet de campagne pour un terrain qui m'est beaucoup mieux connu. Supposons qu'il s'élevât une guerre entre la Prusse et la maison d'Autriche. On sait que la maison d'Autriche peut mettre cent quatre-vingt mille hommes en campagne; supposons encore qu'elle se trouve dépourvue d'alliés et de secours étrangers. La Prusse peut former une armée de cent quatre-vingt mille hommes; la Russie y doit joindre trente mille hommes d'auxiliaires. Les régiments de garnison sont suffisants pour bien garnir les forteresses les plus exposées. Il est évident par cette esquisse que les Prussiens seront supérieurs de trente mille hommes à leurs ennemis. Alors s'élève la question : quel sera l'objet de cette guerre, et, comme il s'agit d'affaiblir la maison d'Autriche, quelle province sera-t-il plus avantageux de démembrer de sa monarchie? Il saute aux yeux que ce ne saurait être la Moravie, qui se trouve enclavée entre la principauté de Teschen, la Hongrie, l'Autriche et la Bohême, dont il serait impossible de soutenir la possession. Il n'en est pas de même de la Bohême, qui, une fois détachée de l'Autriche, pourrait, en y faisant quelques châteaux dans les montagnes qui vont verser en Autriche et sur les frontières de la Bavière, offrir une défense considérable à ceux qui voudraient y pénétrer. La connaissance que j'ai de ce royaume m'apprend qu'on ne le prendra jamais en y portant la guerre; en voici la raison. La Bohême est ceinte d'une chaîne de montagnes qu'il faut nécessairement passer, si l'on y veut pénétrer; il ne dépend donc que de l'ennemi de faire occuper par un gros détachement les gorges où vous avez passé, pour vous couper de vos vivres et de vos derrières. Mais, en supposant que l'ennemi ne s'avise point de prendre ce parti, vous vous engagez dans un pays hérissé de montagnes et de défilés, où l'ennemi peut vous arrêter d'un mille à un<85> autre, où il est presque impossible qu'il se donne des batailles décisives, vu les montagnes et les bois qui couvrent les vaincus. Supposé même que, favorisés par une suite de succès, vous vous rendissiez maîtres de Prague, alors vous êtes dans l'embarras de vous affaiblir considérablement par la forte garnison que vous y laissez pour couvrir vos vivres, ou, y laissant peu de monde, d'exposer vos magasins à la merci de la première entreprise que fera l'ennemi pour surprendre cette capitale. Il faut donc recourir à d'autres moyens pour faciliter la conquête de ce royaume. Le plus sûr, quoique de difficile exécution, est de porter la guerre sur le Danube, afin d'obliger par là la cour de Vienne de retirer ses principales forces de la Bohème, et par là de donner la possibilité à l'armée qui doit y pénétrer d'exécuter le plan dont elle est chargée. C'est sur toutes ces réflexions que j'établis à présent mon projet de campagne.
La distribution de l'armée se doit faire de telle sorte, que cent dix mille Prussiens et trente mille Russes s'assemblent en Haute-Silésie, dont dix mille seront destinés à défendre Silberberg, la principauté de Glatz, ou de se porter vers Landeshut, au cas que l'ennemi voulût tenter quelque entreprise de ce côté. Trente mille hommes seront destinés à pénétrer par des partis dans la principauté de Teschen, et surtout pour assurer les convois de l'armée, dont le magasin doit être à Cosel. La grande armée s'avancera sur Neustadt, pour que l'ennemi, trompé par cette démonstration, se prépare à défendre les routes des montagnes qui de Jägerndorf et de Troppau vont en Moravie, ou de border la Mora, dont la rive escarpée est bordée de rochers. L'armée de Saxe, forte de soixante mille Prussiens, désarmera les Saxons, si cela est nécessaire, et établira son camp entre Gieshübel, Péterswalde, etc., sur les montagnes; elle fera la guerre de partis en Bohême, et se contentera de donner de fréquentes jalousies à l'ennemi, comme si son dessein était de pénétrer dans ce royaume à la première occasion. Ses partis pourraient aller du côté de Dux, de<86> Teplitz, et s'étendre dans le cercle de Saalz, et peut-être pousser jusqu'à l'Éger. La grande armée de Silésie, après que ses mesures seront toutes prises, ira se camper entre Troppau et Jägerndorf, prenant sa position entre ces deux villes. Rien ne confirmera davantage l'ennemi dans l'opinion que les Prussiens passeront les montagnes pour s'avancer vers Olmütz; alors il faut qu'on se porte par Hultschin, Fulnek et Weisskirch; par ce détour, on évite et les défilés des montagnes, et les mauvais passages de la Mora, et on entre par la plaine en Moravie. Alors les dépôts de vivres doivent s'établir à Fulnek, soit à Weisskirch, dans laquelle de ces deux villes il conviendrait le mieux, y faire des fortifications de campagne, en y ajoutant des fougasses, pour que les subsistances ne courussent aucun risque. L'armée doit se porter de là sur Prérau ou sur Cremsier. Il est apparent que l'ennemi, se voyant tourné par les Prussiens, abandonnera en hâte les montagnes et la Mora. Il est difficile de deviner quel poste il choisira pour prendre une position; mais, selon toutes les apparences, il se déterminera à défendre la Morawa, qu'il mettra au-devant de son front. Cette rivière est difficile à passer, à cause de ses bords marécageux, et il est probable que ce sera la première chicane de l'ennemi que d'en disputer le passage; mais enfin il y a moyen à tout, et, selon les apparences, dès que les Prussiens auront passé cette rivière, les deux armées en viendront aux mains. Si les succès favorisent les armes de la Prusse, il faut tirer de cette victoire tout le parti possible en poursuivant chaudement l'ennemi jusqu'aux premiers défilés considérables que l'on rencontrera. Cela fait, il faut détacher un corps pour enlever toutes les moissons, bestiaux et vivres autour d'Olmütz, à trois milles de distance de la ville, et faire briser tous les fourneaux des maisons, tant pour ôter ces subsistances à la place que pour empêcher la garnison, l'hiver d'après, à faire des sorties sur les troupes qui seront chargées de la bloquer. L'armée autrichienne battue cherchera probablement un asile sous les canons de<87> Brünn; il ne faut point la laisser tranquille, mais tâcher de lui intervertir les vivres qu'elle tirera de l'Autriche par Znaim. On pourrait dès lors détacher de gros partis sur la Taya. qui pourraient même pénétrer jusqu'aux environs du Danube. Si la campagne commence au mois de juin, qu'on bloque bien étroitement la ville d'Olmütz; au mois de niais de l'année suivante, elle aura été dépourvue de tout secours pendant dix mois, et il se pourrait que la lamine obligeât le commandant à se rendre, ou qu'il capitulât après une légère défense. Celte bataille perdue obligerait nécessairement la cour de Vienne de renforcer son armée en Moravie; celle de Bohême lui enverrait de gros détachements, et ce moment servirait de signal pour l'armée de Saxe afin d'entrer en action. La campagne d'après, il faudrait tourner les ennemis dans leur poste, tâcher de leur enlever des corps ou de les battre, et pousser avec force la guerre vers la Taya et les bords du Danube. L'armée de Saxe pousserait devant elle l'ennemi avec force, prendrait Prague, où l'on jetterait les dix mille hommes que l'on tirerait de Silberberg, et l'armée de Bohême en son entier pourrait pousser, par Budweis et Wittgenau, vers Linz sur le Danube. Cette position priverait l'armée autrichienne de tous les vivres qu'elle tire du haut Danube, et, les trente mille hommes de la grande armée qui servait à couvrir ses derrières n'y étant pas tous nécessaires, on pourrait, en cas que l'on eût eu de grands avantages, les détacher par Skalitz sur Presbourg. L'embarras des Autrichiens deviendrait extrême, et je crois que dans une telle position, où ils risqueraient de perdre Vienne, ils donneraient les mains à telle paix qu'on voudrait leur proposer. Je conviens que ce projet est hérissé de grandes difficultés, qu'il faut du bonheur pour le mener à une fin heureuse; mais, soit politique, soit guerre, soit toutes les opérations humaines fondées sur des contingents futurs et sur le calcul des probabilités, aucun ne réussit dans ses entreprises, à moins qu'il ne soit secondé de la fortune.
<88>Peut-être que ces projets vous paraissent trop grands et trop vastes; ne croyez pas que je sois le seul qui en fait de pareils. Je n'ai qu'à vous rappeler quelques projets du prince Eugène, dont le grand génie ne se contentait pas de petits objets, mais qui tendait à frapper des coups décisifs et qui décidassent du destin des trônes et des nations. Vous pourrez lire dans l'histoire de ses campagnes ce que je me contente de vous indiquer ici en peu de mots. Ce héros voulut surprendre Crémone, qui était le quartier général des Français; il pénétra dans la ville, mais il ne put s'y soutenir, parce que des détatachements qui devaient contribuer à cette surprise arrivèrent trop tard. Le coup manqua; mais ce n'est pas de quoi il s'agit. Examinons quelle suite aurait eue la prise de Crémone, si le prince Eugène avait pu la conserver. Premièrement, il aurait fait toute la généralité française prisonnière; personne n'aurait été en état de donner des ordres aux troupes dispersées en cantonnements. Il serait fondu sur cette armée éparpillée, l'aurait détruite en détail, et le reste, fugitif, aurait été trop heureux de regagner les Alpes par bandes, pour se sauver en France. Ainsi un seul quartier de l'armée française enlevé purgeait toute la Lombardie de troupes françaises, et remettait le Mantouan, le Milanais et le Parmesan sous la domination autrichienne. Il n'est encore point né d'homme dont tous les projets aient réussi; si vous n'en concevez que de petits, vous ne serez jamais qu'un homme médiocre, et si de dix grandes entreprises où vous vous engagez il ne vous en réussit que deux, vous immortalisez votre nom. Mais si le prince Eugène manqua son coup sur Crémone, il s'en dédommagea bien dans la suite par cette belle et savante marche qu'il fit sur Turin, laissant derrière lui des détachements de l'armée française, pour forcer M. de La Feuillade dans ses retranchements de Turin et purger l'Italie par ce seul coup des Français, qui, au commencement de la guerre de 1701, en étaient les maîtres. Un projet à peu près semblable fut celui d'attaquer les Français et les Bavarois à Höch<89>stadt, où ils lurent battus. La perte de cette bataille les força d'abandonner la Bavière et la Souabe, et ils ne se crurent en sûreté qu'après avoir repassé le Rhin. Je vous cite toujours le prince Eugène comme le plus grand guerrier de ce siècle. Suivez-le en Hongrie, voyez-le entreprendre le siége de Belgrad, voir son armée assiégée par les Turcs, attendre patiemment qu'ils eussent en partie passé un petit ruisseau qui les séparait de son armée, marcher alors à eux, et remporter une victoire décisive qui obligea le Grand Seigneur à faire la paix en cédant de belles provinces à l'Empereur.
Quiconque lit les campagnes du prince Eugène ne doit pas se borner à charger sa mémoire de faits militaires; il doit s'appliquer surtout à bien approfondir ses grandes vues, et surtout à apprendre à penser de même. Il ne suffit pas d'avoir étudié dans la personne du prince Eugène le modèle des grands généraux; il ne sera pas moins utile d'examiner les fautes que ou les ministres des cours, ou les généraux ont faites, par défaut de jugement et de connaissances, en concertant mal leurs entreprises. Ces exemples ne sont qu'en trop grand nombre; je ne fouillerai point dans l'antiquité pour vous rappeler les bévues des temps passés, je ne vous citerai que des sottises modernes dont le fond des événements vous est plus familier et mieux connu.
Charles XII se présente d'abord à ma mémoire, le général le plus brave et le moins conséquent que peut-être il y ait jamais eu. Vous savez qu'il battit les Russes à Narwa. Les raisons politiques et militaires voulaient que dès l'arrivée du printemps il marchât dans l'Esthonie, qu'il en chassât le Czar, reprît Pétersbourg, forçât ce prince à faire la paix, en le resserrant dans ses anciennes limites. Vous voyez qu'il est évident que, après avoir vaincu son ennemi le plus dangereux, il était ensuite maître de disposer de la Pologne selon sa volonté, car personne ne voudrait lui résister. Mais que fait-il? Loin de suivie un dessein aussi raisonnable, il s'avise de guerroyer contre des palatins polonais et de chasser de côté et d'autre des poignées de Saxons,<90> et laisse au Czar le temps de dresser ses troupes, d'attirer d'habiles généraux à son service, d'amener et d'arranger toutes les causes qui devaient préparer sa défaite totale à Poltawa. Et que dirons-nous de cette marche de Charles XII en Ukraine pour pénétrer de là à Moscou? Si jamais projet a été conçu contre la raison et le bon sens, c'est certainement celui-là. Son dessein était de détrôner le Czar; ce dessein était au delà de ses forces, à peine avait-il trente mille hommes pour l'exécuter; il fallait donc y renoncer, car, à la guerre comme dans toutes les actions de la vie, l'homme sage peut entreprendre des choses difficiles, mais il ne doit jamais s'engager dans des projets impraticables. Ce n'est pas tout. C'est une règle à la guerre qu'il ne faut jamais pousser de pointes, et que les guerres entreprises proche des frontières réussissent toujours plus heureusement que celles où les armées s'aventurent trop loin. On appelle pousser des pointes lorsque l'armée, en s'éloignant de ses magasins, s'aventure trop en avant dans le pays ennemi sans assurer ses derrières et sans avoir pourvu à leur sûreté. Or, qui jamais abusa plus grossièrement de la manie des pointes que Charles XII? En Ukraine, il était totalement coupé de la Suède, privé des secours de sa patrie, sans magasins et sans moyens d'en pouvoir amasser. Il y a de Poltawa à Moscou environ cent milles d'Allemagne; il lui fallait quarante-cinq jours de marche. Supposé même que l'ennemi ne l'eût point arrêté en chemin, on savait que le Czar avait résolu de dévaster tout sur son passage; les Suédois devaient donc, pour entreprendre une telle expédition, au moins conduire avec eux pour trois mois de vivres, des bestiaux à proportion, et beaucoup de munitions de guerre. Il fallait au moins trois mille chariots qui, chacun attelé de quatre chevaux, font douze mille chevaux, pour transporter ces provisions. Comment aurait-on trouvé ce nombre dans l'Ukraine? Et supposé même qu'on eût pu le ramasser, n'en résulte-t-il point que la moitié de l'armée suédoise aurait été obligée de servir d'escorte à ses provisions, dont<91> la perte entraînait celle de toute l'armée? Si Charles XII avait voulu porter quelque coup sensible au Czar, c'était par l'Esthonie, où il pouvait être secouru par sa flotte de vivres et de munitions, et où même il pouvait recruter son armée par les milices finlandaises. Les malheurs qui lui sont arrivés, il se les est attirés lui-même pour s'être écarté de toutes les règles de la guerre, et pour n'avoir suivi que son caprice. 91-a
La guerre que les Autrichiens entreprirent l'année 1736 contre les Turcs ne prit une si mauvaise tournure pour eux que par les fausses combinaisons par lesquelles ils la dirigèrent. Le prince Eugène considérait le Danube comme la mère nourricière des armées qui agissaient en Hongrie, et il s'éloignait de ce fleuve le moins qu'il était possible. La cour de Vienne, qui ne connaissait pas même la Hongrie, fit des projets qui éloignaient tout à fait ses troupes de ce fleuve. Elle changea les projets de campagne au beau milieu des opérations. Le premier venu, pour ainsi dire, qui imaginait des chimères influait dans les ordres que l'empereur Charles VI donnait à ses armées, et cela ruina toutes ses affaires. Je ne dissimulerai pas cependant que la mauvaise conduite de ses généraux entra pour sa part dans les malheurs que cette guerre fit ressentir à la maison impériale.
Si nous examinons attentivement les causes qui ruinèrent les espérances que la France formait, l'année 1744 d'abaisser la maison d'Autriche, nous les trouverons la plupart dans les fausses mesures qu'elle prit pour exécuter un aussi grand dessein. Les Français voulaient démembrer la monarchie autrichienne, et en séparer la Basse-Autriche, la Bohême, la Moravie, et la Silésie, dont les Prussiens venaient de s'emparer. Ils comptaient sur le secours de douze mille Bavarois, de vingt-cinq mille Saxons, sans compter l'armée prussienne, qui en était aux mains avec les forces principales de la maison d'Autriche. Plus les projets sont grands, plus les moyens qui con<92>courent à les exécuter doivent y répondre. Il aurait convenu aux intérêts de la France qu'elle eût fait joindre l'électeur de Bavière par une armée de quatre-vingt mille hommes, tant pour terminer cette guerre en une campagne que pour avoir, par ces nombreuses troupes, une prépondérance sur ses alliés. Bien loin de prendre d'aussi sages mesures, elle n'envoya que trente mille hommes pour attaquer la reine de Hongrie dans ses États et pour écraser la puissante maison d'Autriche. Encore aurait-elle pu réussir, si, après la prise de Linz, les Français et les Bavarois étaient marchés droit à Vienne; cette capitale, presque sans défense, n'aurait pas résisté longtemps. Le roi de Prusse se serait certainement approché en hâte du Danube, et toutes les probabilités portent à croire que la France aurait dicté les lois de la paix. Ou les Français ne virent point ces avantages, ou ils raisonnèrent de travers, ce qui est très-possible, car, après la prise de Linz, ils tournèrent sans raison valable vers la Bohême. Cette faute irréparable ruina leurs grandes espérances, et fut la cause de tous les malheurs qu'ils essuyèrent dans la suite. Qu'on apprenne par là combien une fausse dialectique est pernicieuse dans ce métier, et qu'on apprenne à raisonner juste. Remarquons à cette occasion que les guerres qu'un prince entreprend loin de ses frontières réussissent rarement, parce que l'éloignement des lieux empêche les recrues, les remontes, les munitions et autres renouvellements de l'armée d'arriver assez à temps, et que les communications quelquefois interceptées empêchent de lui faire passer les secours nécessaires. Dans les guerres du genre offensif, il faut ou fournir tout ce qui est nécessaire pour de grandes entreprises, ou, si l'on en manque, il faut renoncer à ces vastes desseins.
La guerre qui se fait à forces égales est d'un genre tout différent de celle dont nous venons de parler. Il faut borner ses desseins à ses forces et ne point se hasarder d'entreprendre ce qu'on n'a pas les moyens d'exécuter. La cour peut bien ordonner au général de faire<93> ses efforts pour gagner une telle rivière ou prendre une telle ville; mais elle ne peut lui prescrire aucun détail de ses opérations, parce que, n'ayant pas des troupes assez nombreuses pour obliger l'ennemi à régler ses mouvements sur ceux qu'il fera, il doit se procurer tous les avantages sur cet ennemi par sa ruse et par son adresse. C'est dans cette guerre qu'on tire plus d'utilité de la peau de renard que de la peau de lion. Une méthode qu'on ne saurait assez recommander est d'entrer en campagne avant l'ennemi, parce qu'on gagne du terrain, et que souvent cela mène à des surprises, ou que cela donne lieu de battre quelque corps détaché de l'ennemi. Un général doit sans cesse avoir la ferme résolution de rendre de sa part la guerre offensive sitôt que l'occasion s'en présente. Il faut bien cacher, à l'ouverture de la campagne, ses desseins, donner le change à l'ennemi, connaître autant qu'on le peut le général qui vous est opposé, pour être au fait de sa méthode et de sa façon d'agir; plus on le pénètre, et mieux réussit-on à le tromper. On gagne la supériorité sur l'ennemi ou en tombant à l'improviste dans ses quartiers et en enlevant une partie, comme l'exécuta le maréchal de Turenne lorsque par Thann et Belfort il fondit en Alsace, enleva les quartiers de M. de Bournonville, et obligea le Grand Électeur, qui était à Colmar, à repasser le Rhin; soit en gagnant sur lui des batailles décisives, soit en lui enlevant ses magasins, enfin, soit en se mettant sur ses communications, en l'obligeant par là de reculer et de vous céder le terrain. On donne facilement des jalousies à son ennemi lorsqu'on est dans un pays rempli de forteresses, et que, par les mouvements bien calculés qu'on exécute, on en menace plus d'une à la fois; mais dans l'Empire, par exemple, cette sorte de guerre ne saurait avoir lieu, et les jalousies que l'on peut donner aux ennemis se bornent à menacer ses dépôts de vivres ou bien à se mettre sur ses communications. Mais en menaçant les magasins et les communications de l'ennemi, il ne faut pas oublier de mettre les siennes en sûreté.
<94>Pour ne vous point fatiguer par une suite de règles générales, je vais vous citer l'exemple d'un général habile qui changea la forme de la guerre qu'il faisait par sa sagacité et par son génie. Ce général, c'est M. de Luxembourg. Lisez sa campagne de l'année 1693; vous la trouverez dans l'Histoire militaire de Louis XIV. Le Roi avait résolu de faire la guerre offensive en Flandre; ensuite il changea de dessein, et détacha quarante mille hommes de ce corps qui, sous les ordres du grand Dauphin, devait marcher en Allemagne. Le prince d'Orange, qui commandait l'armée des alliés, était au camp de Parc, et paraissait fort embarrassé de soutenir à la fois Liége et Louvain, places que les Français menaçaient d'un siége. Incontinent après le départ de ces quarante mille hommes, M. de Luxembourg prit le camp de Melder, et, par cette position, il maintint le prince d'Orange dans ses inquiétudes. Ce prince envoya aussitôt douze mille hommes pour occuper le camp retranché sous Liége; bientôt M. de Luxembourg fit préparer vin train d'artillerie à Namur, qui était alors aux Français. Sur cette nouvelle, le prince d'Orange envoie un nouveau renfort de troupes au camp de Liége, et vient se camper auprès de la Gete, entre les villages de Landen et de Neerwinde. Ce n'en était pas assez pour M. de Luxembourg; il voulut que son ennemi s'affaiblît encore; il fit partir un gros détachement de son armée, sous prétexte de marcher vers les châtellenies de Courtrai; mais il avait donné des ordres secrets aux généraux de la façon dont ils devaient diriger leur marche. Dès que le prince d'Orange eut vent de ce détachement, il envoya le duc de Würtemberg avec un corps considérable pour s'opposer aux entreprises des Français; alors M. de Luxembourg se mit en marche; joint en chemin par son détachement, il battit le prince d'Orange à Neerwinde. Cette victoire, et la supériorité qu'elle lui donna sur les alliés, n'étaient dues qu'à son génie; affaibli par les troupes que le Roi envoyait en Allemagne, il était même inférieur en forces au prince d'Orange; son habileté<95> le rendit supérieur à son ennemi, et il finit la campagne par le siége de Charleroi, qu'il prit. Cet exemple doit sans cesse être présent à l'esprit d'un général qui agit contre une armée aussi forte que la sienne, non pas qu'il se serve de la même ruse, mais qu'il en emploie de semblables, ou qu'il se serve de quelques-uns des moyens que j'ai proposés au commencement de cet article. S'il fallait augmenter ces sortes d'exemples, je citerais la campagne de M. de Khevenhüller, en Bavière, contre les Français et les troupes impériales, qu'il surprit et battit à Vilshofen et à Deckendorf, obligea les Français de repasser le Lech, et les troupes bavaroises d'accepter une espèce de neutralité. Voilà des moyens pour se procurer une supériorité sur l'ennemi. Le lecteur concevra sans peine que quiconque n'a pas une imagination féconde en ressources et en expédients, et quiconque ne pense et n'étudie pas le métier de la guerre, ne réussira jamais à faire de pareilles choses.
J'en viens à présent à la guerre défensive, qui demande encore plus d'art pour être bien conduite que les deux genres que nous venons de traiter. La guerre défensive a lieu par trois causes : l'une, que vos troupes ne sont pas assez nombreuses pour agir vigoureusement contre l'ennemi; l'autre, que vos troupes ont été découragées et affaiblies par quelque mauvais succès; et la troisième, que vous attendez des secours. Une règle générale pour ces sortes de guerres est de ne jamais se borner à une défensive trop restreinte, et surtout de ne point perdre de l'esprit l'idée de changer, à la première occasion, la défensive en offensive. Les officiers ignorants croient qu'ils font bien la guerre défensive quand ils reculent toujours devant leurs ennemis pour éviter tout engagement, et il leur arrive comme au duc de Cumberland, qui, ayant perdu par sa faute, et parce qu'il le voulait bien, la bataille de Hastenbeck, s'enfuit jusqu'à Stade, sur le bord de la mer, où il signa avec le maréchal de Richelieu une capitulation honteuse. Ce prince, s'il avait été général, n'aurait pas aban<96>donné trente milles de pays aussi inconsidérément; il aurait au moins dû disputer le terrain pied à pied, et n'abandonner que ce qu'il ne pouvait maintenir. Il pouvait, par là, tirer la guerre en longueur, et par conséquent il aurait indubitablement trouvé des occasions de se remettre en égalité avec les Français.
Il faut qu'un projet de défensive soit profondément médité. Il se trouve des postes qui couvrent des provinces entières, et d'où même l'on peut donner jalousie aux provinces ennemies. Ces postes doivent se prendre, il faut les occuper selon toutes les règles de l'art; et comme on doit prévoir tout ce qu'un général habile pourrait méditer contre l'intérêt de l'État, on peut supposer que par ses mouvements l'ennemi vous oblige à quitter votre point de défense; il faut d'avance avoir quelque autre camp, soit à droite, à gauche, ou bien en arrière, par lequel vous puissiez les tenir également en échec. Pensez toujours aux desseins les plus dangereux qu'on peut former contre vous, et tâchez d'avoir des moyens tout prêts pour éluder de telles entreprises. Si l'ennemi les met en exécution, vous ne serez pas surpris, et vous lui opposerez de sang-froid ce que vous aviez médité d'avance. Quiconque ne se flatte point et prévoit tout est rarement surpris, et trouve des ressources pour anéantir les coups les plus dangereux qu'on voulait lui porter.
Ne fondez jamais votre défensive sur des rivières, à moins qu'elles ne coulent entre les rochers, et qu'elles n'aient les rives escarpées. On peut défendre une rivière qu'on laisse derrière soi; mais on n'a pas encore réussi à défendre celles qui sont devant le front des armées. Un général chargé d'une guerre défensive doit veiller sur les moindres fautes de l'ennemi et, s'il peut, lui en faire commettre, pour profiter de ses moindres négligences. Tant que l'ennemi observe les règles de l'art, qu'il est vigilant, qu'il profite bien du terrain, qu'il se campe avantageusement, qu'il ne hasarde pas légèrement ses détachements, qu'il couvre ses marches, qu'il les fait en<97> bon ordre, qu'il assure ses subsistances, qu'il fourrage avec précaution, il est presque impossible que le plus habile capitaine puisse l'entamer avec quelque espoir de succès. Mais s'il se néglige, s'il fait des fautes, ce sont les occasions dont il faut profiter, soit pour l'attaquer lui-même, si son camp est mal pris, soit pour lui enlever quelque corps détaché qu'il ne saurait soutenir, soit pour engager une affaire d'arrière-garde, si sa mauvaise conduite y donne lieu, soit pour lui faire une guerre de subsistance en lui enlevant des convois, en battant ses fourrageurs, ou bien en profitant de l'hiver pour tomber sur ses quartiers, s'il ne les a pas bien assurés. De petits succès multipliés font l'équivalent d'une bataille gagnée, et décident à la longue de la supériorité.
Je ne puis vous citer un plus bel exemple d'une guerre défensive bien conduite sur ces principes que celui de la guerre de l'année 1758, où le prince Ferdinand, à la tête des mêmes troupes avec lesquelles le duc de Cumberland avait si lâchement combattu, tomba dans les quartiers de l'armée française, les chassa du pays de Brunswic et de Hanovre, et les fit repasser le Wéser, la Lippe et le Rhin en moins de deux mois d'opérations. Notez que dans toute cette armée il n'y avait de vrais généraux que le prince Ferdinand et le Prince héréditaire. Les campagnes qu'il fit dans la suite, quoique moins brillantes, sont du même genre, parce que les Français n'avaient pas moins de cent mille hommes en Allemagne, et que le prince Ferdinand ne leur en pouvait opposer que soixante mille. Cette infériorité, qui aurait découragé tout autre, ne l'empêcha pas de couvrir toute la Basse-Saxe et une partie de la Westphalie contre les entreprises des Français, et de les battre quelquefois par deux reprises dans le cours d'une campagne. La façon dont le prince Ferdinand conduisit cette guerre a rendu son nom célèbre. C'est à de telles marques que l'on distingue les véritables généraux de ceux qui n'en portent que le nom. Comparez sa conduite avec celle de tous ces<98> maréchaux que la France lui a opposés, et vous verrez combien il leur était supérieur; lui seul valait quarante mille hommes à l'année des alliés. Un autre exemple, mais moins brillant et d'un genre fort inférieur, que je pourrais vous citer d'une bonne défensive est celui de Charles-Emmanuel, roi de Sardaigne. Il défendit bien le passage des Alpes l'année 1747 et, ayant occupé avec beaucoup d'art et de sagacité le col de l'Assiette, il anéantit, par cet obstacle qu'il leur présenta, les desseins des Espagnols et des Français. Le chevalier de Belle-Isle, qui commandait les alliés, attaqua trop à la légère ce poste important; ses troupes fuient partout repoussées, et il y perdit la vie. Les Français et les Espagnols repassèrent le Var, et le roi de Sardaigne eut la gloire d'avoir préservé, pour cette campagne, ses Etats des inondations des ennemis. Ces avantages n'étaient dus qu'au choix judicieux d'un poste inexpugnable et des bonnes mesures qu'il avait prises.
Si une armée est réduite à la défensive par quelque échec ou par une bataille perdue, la règle et l'expérience demandent qu'on se retire, après une défaite, le moins que possible. Il est bien rare qu'il ne se rencontre pas quelque poste à une demi-lieue d'un champ de bataille; c'est là qu'il faut s'arrêter; en voici les raisons. Plus vous fuyez, plus vous augmentez vos pertes; des blessés qui se traînent avec peine une demi-lieue ne peuvent vous suivre deux lieues, et sont par conséquent pris par l'ennemi. Plus vous abrégez le chemin de votre retraite, moins vos soldats se débanderont. Observez encore que, en cédant peu de terrain à l'ennemi, vous diminuez de beaucoup sa victoire, car on ne fait la guerre que pour gagner du pays. Ajoutez surtout à ces réflexions que jamais armée n'est moins disposée à se battre qu'immédiatement après des victoires; tout le monde rit aux anges, chacun exagère ses hauts faits d'armes, la multitude est charmée d'être heureusement sortie des grands dangers auxquels elle a été exposée, et personne n'a l'envie de les affronter sur-le-champ. Aucun général ne ramènera le lendemain ses troupes victo<99>rieuses au l'eu; vous pouvez demeurer en toute sécurité dans votre camp, donner à vos troupes le temps de se reconnaître; les soldats se raccoutumeront à la vue de l'ennemi, et dans peu les esprits se remettront dans leur assiette naturelle.
Si votre ennemi est fort de soixante mille hommes, et qu'il ne vous en reste que quarante-cinq mille, vous ne devez pas vous décourager du tout, parce que vous avez cent ressources pour vous revancher de l'affront que vous venez d'essuyer. Quarante-cinq mille hommes bien menés en valent plus que soixante mille sous un général médiocre. S'il ne vous reste que trente mille hommes contre soixante mille, dont nous supposons les forces de votre ennemi, votre cas devient plus embarrassant, et il vous faut sans doute beaucoup plus d'art pour éviter quelque fâcheuse malencontre. Il est impossible qu'avec trente mille hommes vous puissiez rétablir une espèce d'égalité entre les deux armées; si vous détruisiez même un détachement de dix mille hommes à l'ennemi, vous lui demeureriez toujours inférieur d'un nombre trop considérable de troupes pour parvenir à lui donner la loi, à moins que le général qui vous est opposé ne soit le plus inepte et le plus imbécile des hommes. Il ne vous reste donc qu'à prendre des postes inexpugnables partout où il y en a, à vous conserver surtout les issues et les derrières libres, à faire la guerre d'un partisan plutôt que d'un général d'armée, à changer de poste au besoin et à la première mine que l'ennemi fait de vous attaquer, à faire une guerre d'ostentation plutôt qu'une guerre réelle, à vous procurer tous les petits avantages que vous pourrez, pour vous faire respecter et pour modérer la fougue de l'ennemi, enfin à tirer parti de tout ce que votre industrie, votre imagination et les ressources de votre esprit vous fourniront de moyens et d'expédients pour vous soutenir. Les détachements que l'ennemi est en état de faire sont ce qu'il y a de plus fâcheux pour de petits corps; s'ils y opposent un détachement de leur petite armée, il ne pourra pas lui résister, et en même temps<100> ils s'affaiblissent encore davantage. S'ils n'y opposent rien, ils risquent de se voir couper de leurs vivres ou de leurs communications. Il vaudrait mieux, si le détachement de l'ennemi se trouvait à une bonne distance de sa grande armée, lui tomber sur le corps avec tout votre camp, afin de le battre et d'intimider par là votre adversaire. Toutefois il faut convenir que cette position est fâcheuse et désagréable pour un général qui s'y trouve, et qu'il doit redoubler d'activité, de vigilance, de présence d'esprit et, s'il peut, d'industrie, pour s'en tirer à son honneur. Mais dans le premier cas que j'ai proposé, où il vous reste quarante-cinq mille hommes contre soixante mille, les difficultés ne sont point à beaucoup près aussi considérables, parce que, si vous n'avez pas assez pour attaquer les autres, il vous reste du moins assez pour vous défendre. Souvent l'ennemi, après quelques avantages qu'il vient d'avoir, devient présomptueux; il se croit sûr de sa fortune, il méprise le vaincu, et il se néglige; il ne traite plus la guerre qu'en bagatelle, il ne se croit plus dans le cas de suivre rigidement les règles de l'art, il se détermine sans réflexion, il agit à la légère, et il vous fournit lui-même les occasions que vous ne devez pas laisser échapper pour regagner sur lui l'ascendant qu'une journée malheureuse vous a fait perdre. Si vous vous apercevez que la sécurité endort l'ennemi, c'est à vous de l'augmenter, car elle est le précurseur des désastres qui l'attendent. Enfin, tendez-lui des piéges de toutes les manières, pour que, s'il ne tombe pas dans les uns, il n'échappe pas aux autres; feignez de vouloir vous retirer devant lui, tâchez de lui faire faire quelque faux mouvement, et profitez sans perte de temps de ses moindres négligences. Si vous êtes plus faible que l'ennemi, et que vous attendiez des secours, vous commettriez une imprudence impardonnable, si vous hasardiez la moindre entreprise avant que les secours vous eussent joint; car vous risquez de perdre par votre impatience les avantages que ces secours vous procureraient sûrement, si vous leur donniez le temps de vous joindre. Ce n'est donc<101> que dans des cas pareils où le général doit se restreindre à la défensive selon la rigidité du terme.
Résumons donc à présent les maximes générales que nous venons d'établir pour les différents genres de guerres dont nous venons de parler, afin d'avoir en raccourci des règles pour les projets de campagne, selon les situations où l'on se trouve.
- 1o
- Quiconque veut entreprendre une guerre doit se procurer une connaissance exacte de la force de l'ennemi qu'il va combattre et des secours qu'il peut tirer de ses alliés, afin de comparer ses forces aux siennes et juger de quel côté se trouve la supériorité. 2o
- Il faut connaître exactement la nature du pays où l'on veut porter la guerre, pour régler conformément sur ces connaissances les détails de l'expédition que l'on veut entreprendre. 3o
- L'on aura la plus grande attention aux vivres dont on aura besoin pour cette campagne; on ne se bornera pas à les amasser, mais on pensera d'avance aux moyens de faciliter leur transport, parce que l'on n'exécute rien avec la plus florissante armée, si elle manque de nourriture.
Ces règles générales sont pour tous les genres de guerres possibles; en voici de particulières pour la guerre offensive.
- 1o
- Que vos desseins tendent à un grand but; n'entreprenez cependant que des choses possibles, et rejetez les chimériques. Si vous n'êtes pas assez heureux de mener un grand projet à sa perfection, vous irez cependant beaucoup plus loin que les généraux qui, agissant sans dessein, font la guerre du jour à la journée. Ne donnez des batailles qu'autant que vous pourrez espérer que leur succès sera décisif, et ne livrez pas bataille pour vaincre l'ennemi seulement, mais pour exécuter les suites de votre projet, qui se serait trouvé arrêté à moins de cette décision. 2o
- Ne vous flattez jamais, mais représentez-vous avec force toutes les oppositions que l'ennemi pourra mettre à vos desseins, afin<102> que jamais rien ne vous surprenne, et que, ayant tout prévu d'avance, vous ayez déjà des remèdes préparés pour tous les cas. 3o
- Connaissez le génie des généraux auxquels vous aurez affaire, pour mieux deviner leurs actions, pour savoir leur en imposer, et de quels piéges il vous convient de vous servir envers eux. 4o
- Que l'ouverture de votre campagne soit comme une énigme pour l'ennemi, qui l'empêche de deviner de quel côté fondront vos forces et quel dessein vous méditez. 5o
- Tâchez en toute occasion de faire des mouvements et des entreprises auxquelles l'ennemi ne s'attend pas; c'est le plus sûr moyen d'avoir des succès.
Guerre entre puissances égales.
- 1o
- Plus vous emploierez de stratagèmes et de ruses, plus vous aurez d'avantages sur l'ennemi; il faut le tromper et l'induire en erreur, pour profiter de ses fautes. 2o
- Ayez toujours pour maxime de changer, sitôt que l'occasion se présente, la guerre en offensive de votre part; c'est où doivent tendre toutes vos manœuvres. 3o
- Pensez à tout le mal que l'ennemi vous peut faire, et prévenez-le par votre sagesse. 4o
- N'attaquez point l'ennemi quand il est en règle, mais profitez sans perte de temps de ses moindres fautes; qui laisse échapper l'occasion n'était pas digne de la saisir. 5o
- Profitez des batailles gagnées, poursuivez l'ennemi à outrance, et poussez vos avantages aussi loin que vous pouvez les étendre, car ces événements heureux ne sont pas communs. 6o
- Dérobez tout ce que vous pouvez à la fortune par votre prévoyance, et elle ne conservera encore que trop d'influence dans les opérations militaires; il suffit que votre sagesse partage avec le hasard. 7o
- Pour gagner des avantages sur l'ennemi, vous pouvez vous les<103> procurer, tant par la guerre de parti qu'en lui battant ses escortes, en enlevant ses vivres, en surprenant ses magasins, en battant souvent ses partis, en détruisant quelques-uns de ses détachements, en battant son arrière-garde, en l'attaquant en marche, enfin, en engageant une affaire avec lui, s'il est mal posté, et encore en surprenant ses quartiers d'hiver et tombant sur ses postes, s'il n'a pas pourvu pour l'hiver à la sûreté de ses cantonnements.
Pour la guerre défensive, voici en gros ce qu'il faut observer.
- 1o
- Proposez-vous de mettre toutes vos ressources en œuvre pour changer la nature de cette guerre. 2o
- Prévoyez tout ce que l'ennemi peut projeter de plus nuisible contre vous, et étudiez-vous à trouver des expédients pour éluder ses desseins. 3o
- Choisissez des camps inexpugnables et qui puissent contenir l'ennemi par les jalousies qu'ils lui donnent sur ses derrières, au cas qu'il change de poste, et couvrez bien vos propres magasins. 4o
- Accumulez beaucoup de petits avantages, qui, tous résumés, équivalent aux grands; tâchez de vous faire respecter de l'ennemi, pour le contenir par la crainte de vos armes. 5o
- Que tous vos mouvements soient bien calculés, et observez à la rigueur les maximes et les règles de la tactique et de la castramétrie. 6o
- Si vous avez des avantages, tirez-en tout le profit possible, et punissez l'ennemi de ses moindres fautes, comme si vous étiez son pédagogue.
Si vous êtes sur la défensive après une bataille perdue :
- 1o
- Que votre retraite soit courte; il faut raccoutumer vos troupes à voir l'ennemi en face, les enhardir peu à peu, et attendre le moment de venger votre affront. 2o
- Usez de ruses, de stratagèmes, de fausses nouvelles que nous<104> donnez à l'ennemi, pour amener l'heureux moment de lui rendre avec usure le mal qu'il vous a fait.
Si vous êtes de moitié moins fort que l'ennemi :
- 1o
- Faites la guerre en partisan; changez de poste quand la nécessité l'exige. 2o
- Ne détachez aucun corps de vos troupes, car vous vous lieriez battre en détail; n'agissez qu'avec toute votre masse. 3o
- Si vous pouvez vous porter sur la communication de l'ennemi sans hasarder vos magasins, faites-le. 4o
- Que l'activité et la vigilance veillent jour et nuit à la porte de votre tente. 5o
- Pensez plus à vos derrières qu'à ce que vous avez en avant, pour ne point être enveloppé. 6o
- Raffinez sans cesse pour inventer de nouveaux moyens et des ressources pour vous soutenir; changez de méthode pour tromper l'ennemi; vous serez souvent obligé de faire la guerre d'ostentation. 7o
- Battez et ruinez l'ennemi en détail, pour peu que cela soit possible, mais ne vous commettez pas à une bataille rangée, parce que votre faiblesse vous ferait succomber; gagnez du temps, c'est tout ce qu'on peut prétendre du plus habile général. 8o
- Ne fuyez point vers des lieux où l'on peut vous enfermer, et souvenez-vous de Poltawa, sans oublier Stade.
D'une armée sur la défensive qui attend des secours.
Vous hasardez tout en vous engageant en quelque entreprise avant la jonction de vos forces, qui vous rendront sûr de ce que vous voudrez entreprendre quand elles vous auront joint; ainsi il faut vous resserrer, dans l'intervalle de leur marche, dans la sphère de la plus rigide défensive.
Vous voyez par cet exposé combien les connaissances d'un vrai général doivent être variées. Il faut qu'il ait des idées justes de la<105> politique, pour être au fait de l'intention des princes, des forces des États, de leurs liaisons, pour savoir le nombre des troupes qu'eux et leurs alliés peuvent mettre en campagne, et pour juger de l'état des finances. La connaissance du pays où il doit porter la guerre sert de base à tous les projets qu'il veut former; il doit avoir la force de se représenter tous les obstacles que l'ennemi peut lui opposer, pour les prévenir d'avance. Il faut surtout qu'il accoutume son esprit à lui fournir une foule d'expédients, de moyens et de ressources en cas de besoin. Tout cela demande de l'étude et de l'exercice. Pour quiconque se destine au métier de la guerre, la paix doit être un temps de méditation, et la guerre l'époque où il met ses études en exécution.105-a
Scriptum in dolore, 1er décembre 1775.
Federic.
<106><107>V. DES MARCHES D'ARMÉE, ET DE CE QU'IL FAUT OBSERVER A CET ÉGARD.[Titelblatt]
<108><109>DES MARCHES D'ARMÉE, ET DE CE QU'IL FAIT OBSERVER A CET ÉGARD.
DE CE QU'IL FAUT OBSERVER POUR LES MARCHES D'UNE ARMÉE.
Vous voulez savoir quels principes il faut suivre pour bien régler les marches des armées. Cette matière est très-étendue, et demande par conséquent une infinité de détails, à savoir : selon le but qu'on se propose en marchant, selon la nature du pays où l'on fait la guerre, selon l'éloignement ou la proximité de l'ennemi, selon la saison où l'on fait ses opérations; il y a marche en cantonnements, il y a marche en colonnes, marches de nuit, marches de jour, mouvements d'armée, ou mouvements de corps détachés. Chacun de ces genres demande des attentions différentes. La chose essentielle pour bien régler ces marches, c'est d'avoir une connaissance aussi étendue et aussi exacte que possible du pays où l'on veut agir, parce que l'homme habile, le guerrier entendu fait ses dispositions selon le terrain; il faut qu'il les assujettisse au local, car jamais le terrain ne se pliera à des dispositions qui ne lui sont pas convenables. Cette connaissance<110> est donc la base de tout ce que l'on peut entreprendre à la guerre; sans elle, le hasard décide de tout. Pour traiter cette matière avec quelque ordre, je suivrai, dans cet essai, le train ordinaire des marches qui se font en campagne.
Après la déclaration de guerre entre les puissances belligérantes, chacun rassemble ses troupes pour former des armées, et cette réunion se fait par marches de cantonnements.
DES MARCHES EN CANTONNEMENT.
Ire RÈGLE. On ruine les troupes qui sortent d'un long repos, si on leur fait faire du commencement des marches trop fortes. Elles ne doivent faire tout au plus, les premiers jours, que trois milles d'Allemagne.
II. On forme des colonnes des troupes de différentes provinces, qui marchent en large autant que possible, pour que chaque bataillon ou chaque régiment puisse avoir son village ou sa petite ville pour pernocter. Il faut connaître la force des villages pour faire, selon leurs habitations, la distribution des troupes. Si ces marches se font au printemps ou avant la récolte, on se sert des granges pour y mettre les soldats, et alors un village médiocre peut sans difficulté contenir un bataillon. Après trois jours de marche, il faut un jour de repos.
III. Dès que l'on entre en pays ennemi, il faut que d'abord le général forme une avant-garde qui campe, et qu'il pousse en avant pour qu'elle précède d'une marche l'armée, pour lui donner des nouvelles de tout, et que, au cas que l'ennemi soit rassemblé, il ait le temps de réunir ses troupes pour les former en corps d'armée.
IV. Si l'on est éloigné de l'ennemi, l'on peut continuer de cantonner, mais en resserrant les troupes de plus près, en les canton<111>nant par lignes et en ordre de bataille. A trois marches de l'ennemi, il faut camper dans les règles et marcher dans l'ordre accoutumé.
V. On risquerait trop en se séparant; l'ennemi profiterait de cette négligence, tomberait sur vos troupes, vous enlèverait des quartiers, et peut-être, s'il agissait avec vivacité, il pourrait vous battre en détail et, du commencement de la campagne, vous obliger à prendre honteusement la fuite, ce qui perdrait entièrement vos affaires.
DE CE QU'ON DOIT OBSERVER DANS LES MARCHES QU'ON FAIT EN AVANT.
Ire RÈGLE. Le général doit avoir un projet arrêté de ses opérations; il aura donc désigné un endroit avantageux où il veut s'avancer pour prendre son camp. Il faut alors qu'on fasse reconnaître tous les chemins pour régler les colonnes; mais on ne fera pas plus de colonnes que de chemins qui aboutissent dans le nouveau camp que l'on veut prendre, car ces chemins que l'on est obligé de quitter pour que cette colonne aille serrer la queue d'une autre ne font point gagner de temps, et donnent lieu à la confusion.
II. On évitera surtout de détourner les villages, pour qu'aucune colonne n'y passe, à moins que des marais n'empêchent absolument de prendre d'autres chemins, ou que des ponts se trouvassent dans ces villages qu'il faut nécessairement passer. Si c'est un pays de plaine, l'armée pourra marcher sur huit colonnes, deux de cavalerie aux ailes, et six d'infanterie au centre.
III. L'armée doit toujours être précédée d'une bonne avant-garde, plus forte en cavalerie, si c'est un terrain uni, plus forte en infanterie, si c'est un terrain coupé. Cette avant-garde doit précéder l'armée d'un quart de mille, pour l'avertir de tout, et pour fouiller et nettoyer le terrain par où elle doit passer.
<112>IV. Le bagage doit être à la suite de l'armée, distribué en parties égales derrière les six colonnes d'infanterie, et l'arrière-garde doit le couvrir en suivant les colonnes de cavalerie et en laissant un corps qui suit les équipages.
Ces règles sont les ordinaires, que l'on pratique généralement dans les grands mouvements des armées.
DES CAMPEMENTS VIS-A-VIS DE L'ENNEMI, OU L'ON MARCHE PAR SA DROITE OU PAR SA GAUCHE.
Les marches qui se font proche de l'ennemi sont les plus difficiles, et demandent le plus de précaution; car, en supposant qu'un ennemi actif voulût profiter du décampement, il faut tout prévoir, pour n'être pas battu en marche. Nous traiterons premièrement des marches qui se font par la droite ou par la gauche.
Ire RÈGLE. On doit, avant de les entreprendre, envoyer des officiers du quartier général reconnaître les lieux et les chemins avec de petites patrouilles, ainsi que le camp qu'on veut prendre, le nombre des colonnes dont on pourra faire usage, et surtout les postes qu'on pourra occuper en marche, supposé que l'ennemi vienne attaquer l'armée. C'est sur ces notions bien exactement détaillées que la disposition doit se faire.
II. On renverra en arrière le gros bagage d'avance, à deux milles derrière le camp qu'on voudra prendre. Ce bagage doit marcher sur autant de colonnes que le terrain en pourra fournir. Supposons donc qu'on veuille prendre une position vers la gauche de l'ennemi.
III. Dès lors on doit envoyer la veille de la marche, dès qu'il fait obscur, pour occuper les endroits les plus considérables, postes que l'on pourrait prendre en marche, en cas que l'on fût attaqué. Ces corps doivent s'y former selon les règles, et ne les abandonner que <113>lorsque 1 armée les a passés. Ils seront donc tous mis sur la droite, entre l'ennemi et les colonnes dont ils font l'arrière-garde, si tout se passe tranquillement.
IV. Quelque quantité de chemins qu'il y ait, l'armée ne marchera que sur deux lignes par la gauche; et tout ce qu'on pourra trouver de chemins, d'ailleurs, sur la gauche seront pour le menu bagage et les chevaux de bât. On met tous ces chevaux de côté en pareille occasion, pour se dégager de cet embarras, qui pourrait donner lieu à la confusion, au cas que l'armée fût obligée de combattre.
V. Si l'ennemi veut engager une affaire, la première ligne va d'abord occuper le poste où se tiennent les détachements qui la couvrent : la seconde ligne les suit; tout se forme. La cavalerie se trouve sur les ailes, où l'on peut la laisser ou, selon les occurrences, en former une troisième ligne. Les corps détachés forment des réserves, ou sont placés sur les flancs de l'armée ou derrière la seconde ligne, soit vers la droite, soit vers la gauche, à l'endroit où l'on juge qu'on en pourra avoir besoin. Dès lors on se trouve dans une situation à ne rien craindre de l'ennemi, et à pouvoir même remporter une victoire sur lui. Si rien n'interrompt la marche, ces corps détachés forment ensuite l'arrière-garde, les troupes entrent dans leur camp, et l'on y fait venir le gros bagage avec sûreté. La même chose doit s'observer si l'on marche par sa droite.
D'UNE MARCHE EN ARRIÈRE, EN PRÉSENCE DE L'ENNEMI.
Ire RÈGLE. Si l'on veut se retirer de devant l'ennemi, voici ce qu'il faut observer : se débarrasser d'avance de tout le gros bagage, que l'on envoie en arrière, dans le camp que l'on veut prendre. Il faut que tout cela parte de bonne heure, pour déblayer le chemin des co<114>lonnes, afin que les troupes ne trouvent aucun empêchement dans leur marche.
II. Si l'on craint que l'ennemi ne veuille engager une affaire d'arrière-garde, il faut faire autant de colonnes que possible, pour que l'armée sorte en masse de son camp, et que par sa vitesse elle empêche l'ennemi de l'atteindre. Quand même alors, dans la suite de la marche, deux colonnes seraient obligées de se rejoindre en certain lieu, il ne faudrait y faire aucune attention, parce que la chose principale est de s'éloigner vite pour éviter tout engagement.
III. L'armée formera une grosse arrière-garde, qui sera placée de façon qu'elle puisse couvrir la marche des colonnes. On peut même décamper avant jour, pour qu'à l'aube l'arrière-garde même soit déjà éloignée du camp. Il faut que quelques bataillons et quelques escadrons des queues des colonnes soient destinés à se former, soit derrière des défilés, soit sur des hauteurs, soit auprès des forêts, pour protéger l'arrière-garde et assurer sa retraite. Ces précautions ralentissent bien la marche, mais elles en procurent la sûreté. Si le prince d'Orange avait suivi cette méthode lorsqu'il se retira de Seneffe, il n'aurait pas été battu par le prince de Condé. Cela nous apprend à ne nous jamais écarter des règles et à les suivre à la rigueur dans toutes les occasions, pour être sûrs de n'être pas pris au dépourvu.
IV. Si l'ennemi attaque vivement l'arrière-garde, l'armée doit faire halte et, s'il est nécessaire même, prendre une position pour soutenir et retirer à soi cette arrière-garde, si elle se trouvait avoir besoin d'une telle assistance. Si rien ne l'inquiète, l'armée poursuit son chemin, et va se camper à l'endroit qui lui a été marqué.
<115>DES MARCHES POUR ATTAQUER UN ENNEMI.
La première chose à laquelle il faut faire réflexion, c'est la position de l'ennemi. La disposition de l'attaque doit avoir été faite après avoir reconnu la situation de son camp et de sa défense. L'ordre de la marche doit être réglé sur le projet qu'on a de former ses attaques, et sur l'aile avec laquelle on se propose d'agir, et sur celle qu'on veut refuser. Le gros bagage doit avoir été d'avance renvoyé en arrière pour se défaire de cet embarras, et le menu bagage doit suivre l'armée, couvert d'une légère escorte, si l'on ne peut le laisser dans le camp, ce qui vaudrait mieux. Si le camp de l'ennemi est situé de façon que pour l'attaquer il faille marcher par la droite ou par la gauche, votre armée ne doit former que trois colonnes, l'une de la première ligne, l'autre de la seconde ligne, et la troisième de la réserve; les chevaux de bât feront la quatrième et la cinquième. S'il faut s'avancer tout droit contre l'endroit que vous voulez attaquer, vous aurez une forte avant-garde, qui ne précédera l'armée que d'un petit quart de mille. Vous vous formerez sur autant de colonnes que vous avez de routes qui arrivent sur les lieux où vous voudrez vous former; les aides-majors, ayant marqué les distances, pourront se former selon la disposition que le général aura donnée pour l'attaque. Si vous battez l'ennemi, vous n'avez pas besoin de chemins préparés pour la poursuite; vous n'avez qu'à le suivre par les chemins que sa fuite vous indique. Si vous êtes repoussé, n'ayant attaqué qu'avec une aile, l'autre aile, qui est encore entière, doit couvrir la retraite et servir d'arrière-garde, et vous pouvez retourner à votre ancien camp par les mêmes routes qui vous ont mené à l'ennemi.
<116>DES MARCHES DE NUIT.
Si la situation et les conjonctures où vous vous trouvez exigent que vous fassiez une marche de nuit, voici les choses principales qu'il faut observer.
Ire RÈGLE. Faire bien reconnaître les chemins d'avance par ceux qui doivent mener les colonnes, pour les empêcher île s'égarer dans l'obscurité, et surtout pour qu'il n'arrive pas que les colonnes se croisent, ce qui pourrait donner lieu à la plus grande confusion.
II. Envoyer de temps en temps des aides de camp d'une colonne à l'autre, pour s'avertir réciproquement.
III. Ensuite se placer dans la nouvelle position le mieux que l'on peut, en observant, autant que la nuit le permet, le terrain et les avantages qu'on en peut tirer.
IV. Pour que l'ennemi ne s'aperçoive pas du décampement, on laisse dans le camp qu'on quitte les feux allumés, et quelques hussards qui crient, Qui vive? et qui se retirent tous à un signal convenu, qu'on leur donne lorsque l'armée est à l'abri d'être attaquée.
DES MARCHES DE NUIT POUR DES SURPRISES.
Il arrive quelquefois que, pour couvrir ses derrières, l'ennemi hasarde des détachements, soit sur sa droite, ou sur sa gauche, qu'il peut être important de détruire pour exécuter par ce début de plus grands projets. Si l'on veut surprendre ces corps, il faut sans doute y marcher de nuit, et voici ce qu'il faut observer :
De n'y pas marcher sur trop de colonnes, crainte de confusion. De n'avoir devant chaque colonne qu'une vingtaine de hussards, sim<117>plement pour avertir. D'observer le plus grand silence en chemin. Dès qu'on donne sur les troupes légères qui sont en avant, de tout brusquer, de hâter même le pas pour arriver promptement sur le corps principal qu'on s'est proposé de défaire. De ne connaître en ce moment que l'audace, parce que le succès dépend de la promptitude de l'exécution, et qu'il faut avoir achevé sa besogne avant que l'armée de l'ennemi puisse arriver pour secourir ce corps détaché. Si le coup manque, il faut se retirer tout de suite ou vers un bois, ou par quelque terrain difficile, à l'abri duquel vous puissiez regagner le gros de votre armée. Dans une pareille échauffourée, il faut tout détruire sur la place, mais se bien garder de la poursuite, parce que ce corps battu doit s'attendre à des secours de l'armée principale, et que l'on pourrait perdre, en poursuivant trop chaudement, ce qu'on a gagné par la surprise de ce corps.
DES MARCHES DANS LES PAYS MONTUEUX.
On trouve peu de chemins dans les pays chargés de montagnes. On est heureux si pour chaque marche on en trouve trois, dont deux sont pour les colonnes, le troisième pour le bagage. S'il n'y en a que deux, le bagage partagé suit ces deux colonnes, couvert d'une bonne arrière-garde. En supposant donc qu'il n'y a que deux chemins, chaque colonne doit être précédée de son avant-garde, qui doit être composée en grande partie d'infanterie, et de quelques centaines de hussards pour battre l'estrade. Si l'on n'est qu'à deux marches de l'ennemi, il faut que la marche se fasse sans la moindre négligence, et toujours en règle, s'entend, l'avant-garde, si elle trouve des défilés, doit garnir les hauteurs des deux côtés jusqu'à l'arrivée de l'armée, et alors reprendre les devants pour couvrir par sa position les nouveaux défilés qui se trouvent sur les chemins, ou garnir les hau<118>teurs d'où l'ennemi, s'il s'en emparait le premier, pourrait incommoder la marche. L'infanterie doit avoir des patrouilles d'infanterie qui la convoient, et dont les petits détachements tiennent toujours la crête des hauteurs. Ces précautions assurent la marche, et si l'on ne se relâche pas là-dessus, elles mettent l'ennemi dans l'impossibilité de rien entreprendre. Si l'on peut, l'avant-garde et l'arrière-garde doivent se changer tous les jours, pour ne pas trop fatiguer les troupes. Il faut de même, s'il y a des bois près des chemins où les colonnes passent, d'avance y poster de l'infanterie, pour prévenir l'ennemi et occuper avant lui tous les lieux avantageux d'où il pourrait inquiéter la marche des troupes. Si l'ennemi est plus éloigné, l'on marche, s'entend avec les avant-gardes et les arrière-gardes; mais l'on ne fatigue pas les troupes à occuper des postes où l'on est sûr que personne ne peut venir.
DES RETRAITES DANS LES MONTAGNES.
Les montagnes fournissent de grands secours à ceux qui sont obligés de se retirer, parce que partout on y trouve des postes; cela fait même que l'arrière-garde peut toujours se replier sur des troupes bien postées pour la soutenir. Dans ces occasions, il faut profiter du moindre monticule, afin que l'arrière-garde se retire toujours sur des corps qui la protègent, jusqu'autant que l'on gagne un bon défilé, qu'on occupe selon la méthode que j'en ai donnée, et qui, barrant l'ennemi, l'empêche de poursuivre plus loin. C'est la cavalerie qui dans ces cas embarrasse le plus; on doit tâcher, dans de pareils terrains, à lui faire toujours passer les défilés avant l'infanterie, pour lui procurer de la sûreté dans un genre de pays où elle ne peut agir. Je ne répète point ce que j'ai déjà dit, que dans toutes les retraites le bagage doit avoir pris les devants. C'en est bien assez que l'armée se <119>soutienne contre l'ennemi dans ces sortes de manœuvres, sans qu'elle ait encore l'embarras des chariots dans des chemins creux et dans des défilés, où elle doit pouvoir agir lestement et sans contrainte.
DES MARCHES SUR DES DIGUES PAR DES PAYS MARÉCAGEUX.
La Hollande et la Flandre qui avoisine plus à l'Océan sont les pays qui fournissent le plus de ces sortes de digues. Nous en avons quelques-unes le long de l'Oder et de la Warthe; il y en a beaucoup en Lombardie, et qui sont bordées ou coupées par des navilles. Dans les pays de cette espèce, une armée ne peut marcher que sur le nombre de digues qui aboutissent à l'endroit où elle veut se rendre. Le maréchal de Saxe,119-a lorsqu'il quitta les environs de Malines et d'Anvers pour diriger sa marche par Tongres sur Mastricht, fut obligé de se servir de la grande chaussée, où toute son armée marcha sur une colonne pour aller se battre avec les alliés à Laeffelt; mais le corps de M. d'Estrées était à Tongres, qui couvrait sa marche et tenait le débouché de la chaussée. Dans des cas semblables, il faut se contenter des chaussées que l'on trouve sous sa main. Le général doit avoir une petite avant-garde d'infanterie devant chaque colonne, pour être averti des mouvements de l'ennemi et de son approche. Il faut qu'à la tête de chaque colonne il ait quelques ponts de colonne, pour pouvoir, en cas que l'ennemi approche, les jeter sur les navilles qui bordent la digue, et lui présenter un front capable de pouvoir repousser son attaque. Dans ces sortes de terrains, où la cavalerie est entièrement inutile, elle doit suivre les colonnes d'infanterie, parce qu'on ne peut l'employer que lorsque, sorti de ces chaussées, on arrive dans un pays moins coupé. Si l'on peut prévoir que l'on aura de pareilles marches à faire, il faut de nécessité pousser un corps <120>au delà de ces chaussées, en avant, pour couvrir l'armée et l'empêcher d'être attaquée dans un terrain où difficilement elle pourrait combattre. S'il est possible d'éviter de pareilles digues, fût-ce même en faisant un détour de quelques milles, je conseillerais de prendre ce dernier parti; car, si l'ennemi est leste et entendu, et qu'il gagne la tête de ces chaussées, en y plaçant du canon, il peut enfiler vos colonnes et vous causer des pertes considérables, sans que dans ce terrain coupé vous puissiez vous revancher et rendre à cet ennemi le mal qu'il vous fait.
DES MARCHES DANS LES SAISONS DU PRINTEMPS ET DE L'AUTOMNE, OU LES CHEMINS SONT LE PLUS GATÉS.
Deux raisons obligent d'abréger les marches dans ces saisons : les mauvais chemins rompus et remplis de boue, et la courte durée des jours. Une armée ne peut faire que trois milles par jour. La peine de faire passer l'artillerie et le bagage par la fange absorbe un temps considérable, et l'on fatiguerait trop d'hommes et de chevaux, si l'on voulait faire de plus fortes traites. Si l'on trouve de meilleurs chemins, mais un peu plus détournés que ceux qui sont directs, il faut les choisir par préférence, et partager l'artillerie derrière la colonne qui passe sur le terrain le plus ferme. Si ce sont des détachements que l'on envoie, pour quelque dessein, à quelque distance de l'armée, on aura la prévoyance de ne leur point donner des pièces de douze livres; celles de six leur seront suffisantes; encore auront-ils bien de la peine à les traîner avec leur munition et tout l'attirail nécessaire.
<121>DES MARCHES QUI CACHENT UN DESSEIN QUI NE SE MANIFESTE QUE PAR LA JONCTION DE L'ARMÉE. A L'OUVERTURE DE LA CAMPAGNE.
Étudiez la marche que le maréchal de Saxe fit faire à son armée pour former, l'année 1746, l'investissement de Mastricht; repassez les manœuvres que le maréchal de Saxe fit faire à un corps de ses troupes pour assiéger Bruxelles; relisez les dispositions du maréchal de Turenne pour rassembler en Lorraine son armée, avec laquelle il fondit ensuite par Thann et Belfort sur l'Alsace, et chassa les alliés de Colmar;121-a suivez le prince Eugène dans sa marche vers Turin, où il attaqua et força les retranchements des Français. Quelque chose de moins parfait, mais dans ce genre, ce fut la marche de nos troupes, l'année 1757, de la Saxe, de la Lusace et de la Silésie, pour se joindre à Prague.121-b Ces sortes de projets veulent être étudiés et si bien combinés, que tout joue comme les ressorts d'une montre, et que, par les différents mouvements des troupes, l'ennemi ne puisse pas deviner quel est le véritable dessein du général qui agit. Pour former et pour exécuter de semblables desseins, il faut bien connaître le pays où l'on se propose d'opérer, combiner les marches des différents corps pour qu'aucun d'eux n'arrive ni trop tôt, ni trop tard, afin que ces mouvements si subits et si décisifs rendent l'ennemi confus et surpris, et lui fassent commettre des fautes. Il faut avouer qu'il peut arriver, avec quelque soin que l'on ait calculé ces marches, qu'une de ces colonnes rencontre un corps de l'ennemi, et soit obligée de s'engager avec lui, ce qui doit naturellement la retarder; mais ces sortes de cas fortuits sont imprévoyables, et ne renverseront pourtant jamais le <122>projet que l'on avait formé. Il est superflu de dire que ces sortes de marches, si c'est en été, doivent se faire en campant, et non en cantonnant.
DES MARCHES DE CORPS QUI VONT D'UNE ARMÉE A L'AUTRE POUR Y PORTER DES SECOURS.
Ces sortes de marches peuvent se faire en cantonnement, parce que l'armée que vous quittez vous couvre, parce que vous irez beaucoup plus vite en cantonnant qu'en marchant en colonne, parce que vous ménagerez vos subsistances. Des troupes qui marchent en colonne ne feront tout au plus que quatre milles par jour; celles qui vont par cantonnement en pourront faire cinq, et être moins fatiguées que les autres. Quand vous approchez de l'armée que vous voulez joindre, marchez en colonne, et campez, pour plus de sûreté, les deux dernières marches; et, s'il se peut, dérobez votre jonction à l'ennemi, afin qu'il soit plus surpris en l'apprenant, et que cela vous facilite le moyen de lui porter quelque coup décisif. Voilà comme nous avons fait toutes ces marches de jonction durant la dernière guerre.
DES MARCHES POUR ENTRER DANS LES QUARTIERS D'HIVER.
Lorsque la saison assez avancée ne permet plus de tenir la campagne, il faut penser à donner du repos aux troupes dans des quartiers d'hiver. On commence par régler le cordon qui doit couvrir ces quartiers, où l'on place le nombre de troupes destinées à cet emploi. Le reste de l'armée entre en cantonnement resserré par lignes; et à mesure que l'ennemi se retire en arrière, on en fait autant de <123>son côté, en élargissant les troupes à mesure qu'elles se retirent, et leur faisant, pour leur commodité, occuper plusieurs villages, jusqu'à ce qu'elles arrivent dans les quartiers qui leur sont destinés, où elles doivent être au large. Il y a une autre façon de prendre des quartiers avec les troupes, qui est de leur donner pour lieu de ralliement le point central de leurs quartiers, où ceux qui ont occupé les extrémités arrivent tous en même temps au lieu où l'on s'est proposé de former l'armée. Dans de telles dispositions, il faut que, en entrant dans les quartiers, chaque régiment ait la route qu'il doit tenir pour se joindre à sa brigade, et que chaque brigade, de même, ait sa route prescrite pour joindre l'armée par le plus court.
DES MARCHES ET DES CAMPAGNES D'HIVER.
Ces sortes d'expéditions demandent d'être exécutées avec beaucoup de prudence, ou l'on risque de voir abîmer son armée presque sans combattre. On fait ces campagnes d'hiver, soit pour prendre possession d'un pays où l'ennemi n'a pas beaucoup de troupes, soit pour tomber sur ses quartiers. De la première espèce furent nos campagnes de l'année 1740 et 1741, en Silésie et en Moravie. Nous marchâmes en Silésie en deux colonnes, l'une qui côtoyait les montagnes, l'autre qui longeait l'Oder pour nettoyer le pays, pour prendre ou, si on ne le pouvait, bloquer les forteresses; ce qui fut exécuté après qu'on eut réglé la marche de ces deux colonnes, qui, se trouvant toujours à même hauteur, pouvaient se donner des secours réciproquement. Les forteresses demeurèrent bloquées jusqu'au printemps; Glogau fut surpris; bientôt Breslau essuya le même sort; Brieg fut pris après la bataille de Mollwitz, et Neisse tomba à la fin de la campagne. Nous entrâmes, l'année 1741, sur une colonne en Moravie, qui s'empara d'Olmütz; on se contenta de bloquer Brünn, <124>que les Saxons devaient assiéger le printemps de 1742. Mais cette campagne fut dérangée par la retraite des Saxons et par l'inaction des Français. Nous quittâmes la Moravie, après avoir poussé en Autriche jusqu'à Stockerau,124-a et après avoir enlevé en Hongrie un corps d'insurgents que la cour voulait employer sur nos derrières. Ces sortes d'expéditions veulent qu'on emploie toute la vigilance possible pour ne point être surpris; par cette raison, nous eûmes constamment un corps devant le front des troupes, un autre sur la droite, un autre sur la gauche, dont les patrouilles nous avertissaient de tous les mouvements de l'ennemi. Avec cela, les cantonnements étaient resserrés; deux ou trois bataillons étaient dans la nécessité de se contenter d'un seul village, et leur bagage était parqué en dehors, défendu par une redoute; aussi ne nous arriva-t-il aucun accident. A la fin de l'année 1745, le prince de Lorraine entreprit une pareille expédition; c'était au mois de décembre qu'il voulut pénétrer de la Bohême dans le Brandebourg, en traversant la Lusace. Voici les fautes qu'il fit. 1o Il marcha sans avant-garde et sans cavalerie qui côtoyât la Silésie pour lui donner des nouvelles des Prussiens. 2o Il se chargea de trop de bagage. 3o Ses cantonnements occupaient un front de trois milles de largeur et de trois milles de profondeur, parce que les troupes n'étaient pas assez resserrées, comme elles devaient l'être; il fallait plus penser à leur sûreté qu'à leur commodité. 4o Étant près de nos frontières, il ne formait ni colonnes, ni ordre de marche. Nous en profitâmes comme de raison, et, en passant le Queis,124-b nous tombâmes sur ses quartiers à Catholisch-Hennersdorf, et lui enlevâmes quatre mille hommes. Notre armée campa sur les lieux, et le prince Charles, qui risquait d'être pris à dos, fut obligé de se retirer en Bohême d'un pas qui ressemblait plutôt à une fuite qu'à une retraite; il y perdit son bagage et une vingtaine de canons.
<125>L'expédition du maréchal de Saxe sur Bruxelles se fit au mois de mars. Il tomba sur les quartiers des alliés, les dispersa, et entreprit le siége de Bruxelles, qu'il prit. Il fit camper la plupart de ses troupes, et il ne négligea pas d'avoir de gros détachements entre lui et l'ennemi, pour être averti à temps du moindre de ses mouvements. Tant il est vrai que tout général qui ne s'écarte pas des maximes de la prudence et de la prévoyance doit réussir presque toujours, et que des entreprises étourdies ne peuvent avoir de succès que par le plus grand des hasards, parce que d'ordinaire l'imprudent périt où le sage prospère.125-a
A la fin de l'année 1744,125-b lorsque le prince d'Anhalt chassa les Autrichiens de la Haute-Silésie, le froid était excessif; mais cela ne l'empêcha pas qu'il ne rassemblât tous les matins l'armée en ordre de bataille, ne marchât en colonne pour combattre, et que par sa prudence et ses bonnes précautions il obligeât non seulement l'ennemi de vider la province, mais encore il ruinât une partie de leurs troupes, et établît ses quartiers d'hiver dans les lieux mêmes qu'ils avaient occupés.
COMMENT CES DIFFÉRENTES MARCHES DOIVENT SE RÉGLER.
Le plan de ce que le général veut entreprendre est la base sur laquelle les dispositions doivent être réglées. Quand on est dans son propre pays, on a tous les secours possibles, tant des cartes détaillées que des habitants, qui peuvent vous donner toutes les notions nécessaires; alors l'ouvrage devient facile. Vous avez votre ordre de bataille. Si l'on marche en cantonnements, vous suivez cet ordre, et vous placez chaque brigade le plus près qu'il se peut ensemble, chaque <126>ligne dans les règles. Si l'on est loin de l'ennemi, chaque régiment doit avoir la route qu'il doit faire, et le général de brigade non seulement la route de ses régiments, mais encore la liste des villages où ils doivent cantonner. Dans le pays ennemi, cela devient plus difficile. On n'a pas toujours des cartes assez détaillées du pays; on ne connaît qu'imparfaitement la force des villages. Ainsi, pour rectifier ce qu'il y a de défectueux, il faut que l'avant-garde rassemble des gens des villes, des bourgs et des hameaux, pour les envoyer au quartier-maître général, afin qu'il rectifie par leur moyen le brouillon de disposition de marche qu'il a dressé sur la simple inspection de la carte. Si l'armée campe, il faut, aussitôt qu'on est entré dans le camp, faire reconnaître tous les chemins qui y aboutissent. Si l'on séjourne, il faut, à l'aide des patrouilles, envoyer des quartiers-maîtres et des dessinateurs pour croquer les chemins et les situations, afin qu'on n'agisse pas en aveugle, et qu'on se procure d'avance toutes les notions dont on a besoin. C'est ainsi qu'on peut de même faire reconnaître d'avance les camps où l'on pourrait avoir occasion de placer l'armée. On peut même, à l'aide de ces croquis, dessiner d'avance la position que l'on veut prendre, quitte à la rectifier par l'inspection oculaire, comme je l'ai enseigné dans mon Traité de la guerre et de la tactique.126-a Il est vrai que lorsque les armées sont placées proche les unes des autres, ces reconnaissances deviennent plus difficiles, parce que l'ennemi a également des détachements et des troupes légères en campagne, qui empêchent de se porter sur les lieux qu'on veut reconnaître. Souvent l'on veut cacher son dessein, ce qui rend ces petites expéditions encore plus difficiles. Alors il ne reste de parti à prendre que de pousser l'ennemi à différents endroits à la fois, et de faire même dessiner des lieux où l'on n'a aucune envie d'aller, pour lui cacher son dessein; et comme on le chasse de différents postes, les meilleurs quartiers-maîtres doivent être employés<127> vers le lieu où l'on a sérieusement intention d'agir; car l'homme sage ne donnera jamais au hasard ce qu'il peut lui ravir avec la prudence. Surtout un général ne doit jamais mouvoir son armée sans être bien instruit du lieu où il la conduit, et comment il la fera arriver en sûreté sur le terrain où il veut exécuter son projet.
DES PRÉCAUTIONS QU'IL FAUT PRENDRE EN PAYS ENNEMI POUR SE PROCURER ET S'ASSURER DES GUIDES.
L'année 1760, en traversant la Lusace pour marcher en Silésie, nous eûmes besoin de guides. On en chercha dans des villages vandales,127-a et lorsqu'on les amena, ils faisaient semblant de ne pas savoir l'allemand, ce qui nous embarrassait fort; on s'avisa de les frapper, et ils parlèrent allemand comme des perroquets. Il faut donc toujours être sur ses gardes à l'égard de ces guides qu'on prend en pays ennemi; bien loin de se fier à eux, il faut lier ceux qui conduisent les troupes, leur promettre une récompense s'ils vous mènent par le meilleur chemin et le plus court à l'endroit où l'on veut se rendre, mais aussi leur assurer qu'on les pendra sans pardon, s'il leur arrive de vous égarer. Ce n'est qu'avec sévérité et avec force qu'on peut obliger les Moraves et les Bohémiens à s'acquitter de ces sortes d'offices. On trouve, dans ces provinces, des habitants dans les villes; mais les villages sont déserts, parce que les paysans se sauvent, avec leur bétail et leurs meilleurs effets, dans les forêts ou dans le fond des montagnes, et laissent leurs habitations vides. Leur désertion cause un très-grand embarras. D'où prendre les guides, si ce n'est d'un village à un autre? Il faut alors recourir aux villes, tâcher de trouver quelques postillons ou, à leur défaut, des bouchers qui rôdent les <128>campagnes, et auxquels les chemins sont connus; il faut de plus obliger les bourgmestres de vous fournir des guides, sous peine de brûler les villes, s'ils ne s'en acquittent pas bien. On peut encore recourir aux chasseurs qui sont au service de la noblesse, et auxquels les environs sont connus. Mais, de quelque espèce que soit le genre des guides, il faut les contenir par la peur, et leur annoncer les traitements les plus rigoureux, s'ils s'acquittent mal de leur commission. Il est encore un moyen plus sûr de se procurer la connaissance du pays : c'est d'engager, en temps de paix, quelques-uns de ses habitants qui en aient une intelligence entière; ceux-là sont sûrs, et par leur moyen l'on peut gagner, en entrant dans cette province, d'autres gens qui facilitent et vous allégent la besogne par le détail du local dont ils vous procurent les connaissances. Les cartes, pour l'ordinaire, sont assez exactes pour les terrains de plaines, quoiqu'on y remarque souvent l'omission de quelque village ou de quelque hameau; mais la connaissance qui importe le plus est celle des bois, des défilés, des montagnes, des ruisseaux guéables ou marécageux, des rivières guéables; et c'est cependant ce dont il faut nécessairement être le mieux au fait, ainsi que des terrains qui ne sont que prairies, et de ceux qui sont marécageux. Il faut encore distinguer en cela les saisons de l'année, qui changent par leur sécheresse ou par leur humidité la nature de ces terrains; car il est souvent capital de ne pas se tromper sur ces connaissances. Les quartiers-maîtres doivent encore se prémunir contre la déposition des gens du commun; quelquefois même, étant de bonne foi, ils vous trompent par ignorance, parce qu'ils ne jugent des chemins et des lieux que par l'usage qu'ils en font, et que, manquant entièrement de connaissances militaires, ils ignorent l'emploi qu'un guerrier peut faire du terrain. En 1745, lorsque après la bataille de Soor l'armée prussienne voulut se retirer en Silésie, je fis venir des gens de Trautenau et de Schatzlar, pour les interroger sur les chemins où je voulais faire passer les colonnes.<129> Ils me dirent bonnement que ces chemins étaient admirables, et qu'ils y passaient à merveille avec leurs voitures, et que beaucoup de rouliers les passaient de même. Peu de jours après, l'armée fit cette marche. Je fus obligé de faire mes dispositions pour la retraite sur ces lieux. Noire arrière-garde fut vivement attaquée; mais, par les précautions que je pris, nous ne perdîmes rien. Ces chemins, militairement parlant, étaient très-mauvais; mais ceux auxquels je m'en informai n'y entendaient rien, et ce qu'ils me dirent était de bonne foi et sans intention de me tromper. Il ne faut donc pas se fier au rapport des ignorants, mais, ayant la carte à la main, les consulter sur chaque forme de terrain, s'en faire des notes, et voir sur cela s'il y a moyen de croquer quelque chose, sur le papier, qui donne une idée plus exacte du chemin que celle que présente la carte.
DES TALENTS QUE DOIT AVOIR UN QUARTIER-MAITRE.
Le défaut par lequel les hommes pèchent le plus, c'est de se contenter d'idées vagues, et de ne point s'appliquer assez pour se former des idées nettes des choses auxquelles ils sont employés. Par exemple, plus on a une connaissance spéciale du terrain où l'on doit agir, mieux on choisit les lieux propres au campement, et l'on arrange la marche des colonnes avec beaucoup plus d'exactitude que si l'on n'a que des idées confuses du terrain sur lequel on doit agir. Pour obvier à cet inconvénient, il faut se procurer les meilleures cartes que l'on puisse avoir des pays où l'on croit que se pourra faire la guerre. Si l'on peut faire des voyages sous d'autres prétextes, pour examiner les montagnes, les bois, les défilés et les passages difficiles, pour les bien observer et s'en imprimer la situation, il faut les entreprendre. Il est nécessaire qu'un gentilhomme qui se dévoue à ce métier ait beaucoup d'activité naturelle, pour que le travail ne lui coûte pas. <130>Dans chaque camp, il doit s'offrir lui-même à reconnaître les environs, par le moyen de petites patrouilles, aussi loin que l'ennemi voudra le permettre, afin que si le général qui commande l'armée a résolu de faire un mouvement, les chemins et les contrées lui soient connus autant que possible, qu'il ait observé les endroits propres à camper les troupes, et que, par son application à son métier, il facilite an général les grandes opérations qu'il a projetées, tant pour les marches que pour les campements. Il doit s'appliquer à faire rassembler des gens du pays, pour en tirer les notions qui lui sont nécessaires; mais il doit remarquer, comme je l'ai dit dans l'article précédent, qu'un paysan ou un boucher n'est pas soldat, et qu'autre est la description que fait d'un pays un économe, un voiturier, un chasseur, ou un soldat. Il faut donc que, en interrogeant ces espèces de gens, il se souvienne sans cesse qu'ils ne sont pas militaires, et qu'il faut rectifier leurs dépositions en entrant avec eux dans une discussion détaillée des lieux pris sur la carte, et selon les chemins où l'armée doit marcher. Je dois observer encore qu'il faut bien prendre garde, en arrangeant la marche des troupes, de ne donner jamais plus d'un quart de mille d'Allemagne de distance entre chaque colonne, principalement quand c'est dans le voisinage de l'ennemi, afin que les troupes soient à portée de se prêter mutuellement des secours. Il faut surtout que, dans cette proximité des ennemis, les quartiers-maîtres redoublent de soins et d'exactitude, pour que, par leur travail, le général ait du moins un brouillon du terrain où il veut manœuvrer, soit pour faire ses dispositions d'avance pour la sûreté des marches, soit pour les camps qu'il veut prendre, soit pour attaquer l'ennemi. Des officiers qui se distinguent dans cette partie ne peuvent pas manquer de faire fortune, car ils acquièrent par la pratique toutes les connaissances qu'un général doit avoir des différentes façons de faire de bonnes dispositions dans tous les cas qui peuvent se présenter. J'en excepte les plans de campagne, dont cependant ils<131> voient l'exécution, et auxquels ils réussiront également, s'ils ont l'esprit intelligent, sage et juste, et qu'ils s'appliquent sans cesse' à bien connaître par où l'on peut faire le mal le plus sensible et le plus décisif à la puissance contre laquelle on fait la guerre.
Voilà à peu près tout ce que j'ai pu vous prescrire par rapport aux marches. Mais je dois ajouter cependant que l'art de la guerre est si immensément vaste, qu'on ne l'épuisera jamais, et que l'expérience des temps à venir ajoutera encore sans cesse des connaissances nouvelles à celles qui nous ont été transmises et à celles que nous axons recueillies de nos jours.
<132><133>VI. PROJET DE CAMPAGNE.[Titelblatt]
<134><135>PROJET DE CAMPAGNE.
Nous aurons deux aimées qui doivent agir contre les Autrichiens. Nous savons que leurs dispositions sont telles, qu'ils assemblent un corps de soixante-seize mille hommes entre Olmütz et Königingrätz. qu'ils ont quinze mille Croates à Gabel, et un corps de trente-deux mille hommes qui se forme du côté de Teschen. Une de nos armées doit descendre en Bohême par la Saxe; il est d'une nécessité indispensable quelle oppose, du côté de Zittau, un corps de quinze mille hommes, tant Prussiens que Saxons, pour garantir la Lusace d'incursions qui pourraient même être poussées jusqu'à Berlin, si l'on n'y pourvoit d'avance. Il est de même nécessaire qu'il reste quelques troupes mêlées de Saxons et de Prussiens vers Péterswalde et vers Dux, pour garantir les derrières et couvrir les magasins. Ces deux armées qui doivent agir ont à observer que celle qui trouve contre elle la grosse année autrichienne doit se tenir en quelque manière sur la défensive, pour que l'autre profite de cet intervalle pour pousser ses progrès aussi loin que les circonstances le permettent. L'armée de Saxe ne peut opérer avec succès qu'après avoir dépassé Leitmeritz, pour obliger les Croates d'abandonner Gabel; alors son opérai ion la plus importante est de se porter sur Prague et d'en faire le siége, si la grosse armée autrichienne ne s'y oppose pas. L'armée de<136> Haute-Silésie doit opérer par Hultschin sur Weisskirch et Prérau. Si elle y trouve toutes les forces autrichiennes, elle se contentera de les observer et de les amuser, pour donner au corps de Saxe la facilité de conquérir la Bohème. Si la grande aimée autrichienne fait un gros détachement pour la Bohême, c'est le moment d'en profiter pour tâcher d'engager une bataille, parce que ces troupes, vaincues si proche de Vienne, obligeront l'ennemi de rappeler incessamment le corps de la Bohême pour couvrir Vienne. Reste à savoir si l'on aura des secours des Russes. Ce cas changerait tout, et débarrasserait bien vite de l'armée de Teschen, qui serait obligée de se replier soit en Hongrie, soit en Lodomérie. Le plus grand embarras pour l'armée de la Bohême sera, lorsqu'elle aura pris Prague, de trouver assez de charrois pour s'approcher du Danube, soit par Budweis, ou mieux encore par Neuhaus et Wittgenau. Pour ce qui regarde les troupes de Moravie, si elles remportent une victoire sur l'ennemi, elles assiégeront Brünn, et, l'endroit pris, elles pourront, si elles ont les Russes, faire un détachement d'une trentaine de mille hommes par Hradisch, qui se porteront sur Presbourg, et le reste de l'armée doit alors, autant qu'elle le peut, s'avancer vers le Danube. Ces opérations sont toutes sujettes à de grandes difficultés; cependant, avec un peu de fortune, il est possible de les mener à une fin heureuse.
<137>VII. INSTRUCTION POUR LE PRINCE HÉRÉDITAIRE DE BRUNSWIC.[Titelblatt]
<138><139>INSTRUCTION POUR LE PRINCE HÉRÉDITAIRE DE BRUNSWIC.
AU PRINCE HÉRÉDITAIRE.
(Breslau) 13 décembre 1778.
Mon cher neveu,
Mon frère Henri m'édit139-a que sa santé ne lui permet plus de soutenir les fatigues d'une campagne, et qu'il veut se retirer. Cela étant, je n'ai pu jeter la vue que sur vous, mon cher neveu, pour le remplacer. Toutefois il faut que je diffère votre translation jusqu'au mois de mars, parce que je ne saurais laisser la Haute-Silésie sans quelque surveillant attentif et qui combine toute notre position dans cette province. En attendant, je vous prie de m'envoyer votre projet pour faciliter la jonction avec les Russes, au cas que les Autrichiens voulussent s'y opposer, et de me donner un mémoire raisonné pour tourner, par des chemins qui vous sont plus connus qu'à moi,139-b la position de Heydepiltsch139-c ....
<140>INSTRUCTION.
La campagne prochaine va décider probablement du destin de l'Allemagne. On ne peut donc employer trop de prudence à la bien combiner. Le Roi se propose d'agir offensivement avec le secours des Russes en Moravie, et de pousser la guerre, le plus qu'il sera praticable, vers le Danube. D'autre part, il doit laisser vingt bataillons, tant à Landeshut que dans la principauté de Glatz, pour couvrir ces frontières contre les incursions ou même contre les projets d'invasion que l'ennemi peut méditer. Peut-être faudra-t-il encore, outre ces détachements, laisser un corps dans le Teschen ou la principauté de Pless, pour couvrir ses derrières contre les entreprises des Autrichiens, qui, de la Gallicie, pourraient ravager tout jusqu'à Ratibor et venir sur les derrières de l'armée qui opère en Moravie. L'armée de Saxe ne peut point seconder les opérations de ces troupes vers ces lieux éloignés; mais elle peut empêcher les diversions que l'armée autrichienne de l'Elbe pourrait faire en Silésie. Il s'ensuit de là que cette armée doit entrer en Bohême, la majeure partie par la Lusace, et l'autre par la Saxe. Le but de cette opération doit être de nettoyer le cours de l'Elbe jusqu'à Leitmeritz, pour s'assurer le passage de ses vivres, si l'ennemi a quelque gros corps vers Königingrätz ou Jaromirez, de lui venir à dos, de lui ôter ses magasins et l'empêcher de porter l'offensive en Silésie, pour tourner ensuite toutes ses forces sur Prague. Si l'on peut se procurer quelque avantage, il faut, si cela est praticable, attaquer l'ennemi. Après une victoire, Prague et Éger tombent sûrement, après quoi il est temps de penser à Königingrätz. Si l'armée du Roi a remporté un succès bien marqué en Moravie, Hadik sera obligé de détacher incessamment pour l'Autriche, et l'armée prussienne pourra faire en Bohême telle entreprise qu'elle<141> voudra, sans rien appréhender de l'ennemi, et dès lors, poussant de son côté ses opérations vers le Danube, nous mettons aux Autrichiens la corde au cou. Comme les troupes saxonnes ne sont pas faites pour les grands coups de collier, il faut plutôt s'en servir comme d'une montre, comme d'un remplissage, que de les employer dans des actions sérieuses; en les employant sur les communications, on en lire service sans rien risquer.
De tout ce projet-ci, la grande difficulté consiste dans le transport des vivres, et je crois que l'armée ne trouvera des chevaux à sa disposition qu'au delà de l'Éger et de l'Iser. Si l'on trouve le moyen damasser suffisamment de chevaux, le reste de cette opération deviendra facile. Cet article méritera le plus de calcul et de prévoyance. Quant au temps qu'on pourra ouvrir la campagne, c'est de quoi il est encore impossible de décider maintenant; mais, à vue de pays, cela ne pourra avoir lieu qu'à la mi-mai, temps avant lequel on ne trouve point de fourrage.
Breslau, 16 janvier 1779.
Federic.
<142><143>VIII. RÉFLEXIONS SUR LES MESURES A PRENDRE AU CAS D'UNE GUERRE NOUVELLE AVEC LES AUTRICHIENS. EN SUPPOSANT QU'ILS SUIVENT LA MÊME MÉTHODE D'UNE DÉFENSIVE RIGIDE COMME DANS LA DERNIÈRE CAMPAGNE DE 1778.[Titelblatt]
<144><145>RÉFLEXIONS SUR LES MESURES A PRENDRE AU CAS D'UNE GUERRE NOUVELLE AVEC LES AUTRICHIENS, EN SUPPOSANT QU'ILS SUIVENT LA MÊME MÉTHODE D'UNE DÉFENSIVE RIGIDE COMME DANS LA DERNIÈRE CAMPAGNE DE 1778.
Il est bien difficile de faire des projets sur l'avenir, parce que la moindre circonstance qui change oblige de changer de même les dispositions. Cependant les limites et les frontières des États conservent leur situation propre; elles ont des parties avantageuses, d'autres contraires, de sorte qu'un général se doit garantir des unes et profiter des autres. La Silésie, la Bohême, la Haute-Silésie et la Moravie sont des terrains dont nous avons une connaissance détaillée; ce qui nous donne une avance sur les guerres qui peuvent établir le théâtre des opérations dans ces provinces. La politique doit devancer tous les projets de campagne, car c'est à elle à les imaginer, en les adaptant toujours sur la nature du pays et sur les moyens de procurer des subsistances aux troupes. Si la Prusse se trouvait engagée dans une guerre nouvelle avec l'Autriche, la première chose est de savoir quels seront les alliés des parties belligérantes; car, sans cette connaissance, tout projet de campagne serait fautif et mal calculé.<146> L'ambition outrée que l'Empereur a voulu afficher dans la dernière guerre avec tant d'imprudence lui a l'ait du tort dans toute l'Europe. On le considère comme un prince dangereux, contre lequel il faut être sur ses gardes. Il est mal à la cour de Russie; il est sur le point de se brouiller avec la France. Il ne peut avoir d'allié que l'Angleterre, dont le fort épuisement de la guerre présente empêchera la nation pour longtemps de fournir des subsides à quelque puissance que ce soit. D'autre part, les Turcs ont proposé de faire une alliance avec la Prusse et la Russie, et si la France s'y joint, la prépondérance des forces est toute de ce côté-ci. Mais comme l'affaire n'est point terminée, il y aurait de la légèreté de compter sur une chose à faire comme sur une chose faite. Bornons-nous donc à examiner ce qu'il convient de faire dans le cas le plus difficile, parce que moins d'obstacles on rencontre, plus faciles en deviennent les opérations.
La première assemblée de l'armée autrichienne sera probablement dans les mêmes emplacements qu'elle a tenus l'année 1778. Mais comme cette armée est augmentée de quatre-vingt mille hommes, et que l'Empereur se propose d'agir, dès la rupture, avec toutes ses forces, nous verrons préalablement la distribution qu'il en fera.
Il aura en Gallicie un corps de quarante mille combattants, à Bilitz quinze mille, sans doute vingt mille auprès de Heydepiltsch; en voilà soixante-quinze mille. Il n'aura pas moins de cent mille hommes dans son camp depuis Königingrätz vers Arnau, quarante mille vers Neuschloss et sur les frontières de la Lusace, et vingt-cinq mille à Éger; total, deux cent quarante mille hommes, au nombre desquels on compte son armée. Les Prussiens peuvent mettre en campagne cent soixante-six mille hommes, les Saxons vingt mille, et les Russes en ajouteront bien autant, de sorte qu'on pourrait leur opposer deux cent six mille combattants. Ils auraient donc la supériorité de trente-quatre mille combattants. Cela n'est pas une affaire qui doive intimider, parce que, ces corps étant séparés, on peut en défaire les uns,<147> sans qu'on ait à les combattre tous à la l'ois. Reste à présent à considérer quels ménagements il faut garder à l'égard de la position des Autrichiens, et quelles précautions elle nous oblige à prendre; car ce serait une étourderie de faire de belles choses d'un côté, tandis qu'on perd le double d'un autre.
Cent mille Autrichiens placés derrière l'Elbe obligent, mal gré bon gré qu'on en ait, de leur opposer des forces en front pour les contenir en respect, ou il arriverait que, trouvant les frontières de la Silésie et de la principauté de Glatz dégarnies, tant du côté de Landeshut que de Friedland et du pays de Glatz, incessamment cette armée s'établirait dans ces montagnes, où elle peut occuper des postes inexpugnables, à quoi un général sage ne doit pas s'exposer, parce qu'il perdrait la Silésie par inconsidération, pouvant la couvrir, s'il avait bien réfléchi à l'état des choses. D'ailleurs, il est encore nécessaire d'observer que si, dès le commencement de la guerre, un corps considérable de Prussiens ne s'oppose pas aux postes de l'Empereur derrière l'Elbe, au commencement de la campagne, il peut se rendre maître de Dresde, et par conséquent attirer le fort de la guerre en Saxe, pour soulager la Bohême. Il résulterait de là que nous serions obligés de ruiner le pays de nos alliés pour les seconder, ce qui est un triste service à leur rendre, et il est plus sage de prévenir de pareils inconvénients que d'être obligé d'y remédier.
Les troupes de Silésie peuvent être en deux marches en Bohême, du côté de Nachod; les troupes de l'Électoral ne peuvent être qu'en huit jours, en faisant de fortes marches, du côté de Dresde. Il faut donc prendre ses mesures si à propos, que tous ces mouvements soient si exactement calculés, que l'armée de la Marche puisse arriver à peu près le même temps à Dresde qu'on entre en Bohême. Selon que j'en puis juger, l'armée destinée pour la Saxe doit être de la même force dont elle a été la dernière guerre. Elle faisait, avec les Saxons, quatre-vingt mille hommes. On verra bientôt la raison que j'en<148> donnerai dans la suite de ces Réflexions. Pourvu que l'armée de Silésie soit de soixante mille hommes, cela est suffisant. Il en faut destiner nécessairement vingt mille hommes pour la Haute-Silésie, premièrement pour favoriser la jonction des Russes, qui, ayant à passer auprès de Cracovie, trouveraient des obstacles insurmontables, s'ils n'étaient secondés de ce côté-ci; et supposons, vu la lenteur étonnante des Russes, qu'on ne parvînt pas à les mettre si vite en action, on ne pourrait pas avoir moins de vingt mille hommes dans la Haute-Silésie, ne fût-ce que pour agir sur la défensive envers le corps de Heydepiltsch et le corps de Bilitz. La position de ce corps, pour le commencement, pourrait être près du côté de Léobschütz, et il pourrait tirer sa subsistance de Cosel.
Quant à l'armée de Silésie destinée pour agir en Bohême, il faudrait donc, comme je l'ai dit, la faire agir à peu près de la façon dont on l'a employée l'année 1778. Peut-être, si l'on avait trop à craindre la supériorité de l'ennemi, pourrait-on prendre un camp à Chwalkowitz, les défilés devant soi, en faisant un flanc vers Nimmersatt; car il ne faut jamais se flatter de pouvoir attaquer le camp de l'Empereur derrière l'Elbe. Cela est démontré impossible, parce qu'il faut défiler devant un front infiniment supérieur qui vous domine et déborde de tous les côtés, où l'on serait battu selon toutes les règles de la guerre. Mais, me dira-t-on, que pourra-t-on donc entreprendre? Voulez-vous qu'on reste toute une campagne les bras croisés, et qu'on aille en Bohême plutôt à la pâture qu'à la guerre? Voici le moment où j'entre en explication des moyens dont on peut faire usage pour gagner une supériorité sur l'ennemi.
L'armée qui entre en Saxe doit marcher sans doute vers Dresde comme à l'objet principal; mais cela n'empêche pas qu'elle ne fasse d'abord un détachement de dix mille hommes par la Lusace et vers la Silésie, du côté de Greiffenberg. Toutes ces marches doivent être compassées et calculées au juste, pour que l'armée, arrivant à Dresde<149> et y laissant un détachement de vingt mille hommes, doit passer l'Elbe pour pénétrer par la Lusace. C'est à cette armée à décider de la campagne. Les chemins de Schluckenau, de Rumbourg et de Gabel seront sans doute retranchés et garnis de troupes ennemies. On ne saurait brusquer ces postes de front; il faut donc les tourner, et cela, par la Silésie. Voilà pourquoi ce détachement dont j'ai parlé doit se porter à Greiffenberg en même temps que l'armée arrive dans les environs de Zittau. Il y a un chemin, de ce côté-là, qui traverse les montagnes; c'est une chose qu'il faut réparer, mais par laquelle on gagne les derrières de Gabel, ce qui fraye la roule de la Bohème pour l'armée qui pénètre du côté de Zittau. Voilà donc l'armée prussienne en Bohême; il faut qu'elle joigne ce corps, et qu'alors tout de suite elle prenne à revers la tête de pont de Leitmeritz, pour y transporter de Dresde ses farines. Voilà donc une boulangerie établie. Les vingt mille hommes demeurés à Dresde prennent alors le camp près de Leitmeritz. L'on n'a guère besoin de laisser beaucoup de troupes à Zittau; car il faut, s'il se peut, entamer le corps autrichien qui a défendu cette frontière, pour le mettre en combustion, et l'armée doit s'avancer, avec quelques magasins transportés par l'Elbe, du côté de Melnik. Dès qu'on a du pain en avance, commencent les véritables opérations de guerre, qui doivent être dirigées du côté de Gitschin. Ce mouvement suffit pour contraindre l'armée impériale à quitter son camp de l'Elbe; mais c'est aussi le moment où l'armée de Silésie doit être la plus alerte pour suivre incessamment l'ennemi, passer l'Elbe promptement à sa suite et le talonner, de façon que, au lieu de marcher contre l'armée de Saxe, où il se trouverait entre deux grandes armées, cela l'oblige de prendre sa retraite vers Pardubitz, derrière les étangs de Bohdanetz. Dès lors, si on le juge à propos, Prague peut être pris par un coup de main, à moins que l'armée d'Éger ne se hâte pour nous prévenir. Mais dès lors, en laissant trente mille hommes en Bohême, le reste de l'armée<150> peut tourner vers la Haute-Silésie. Il y a deux marches à faire; il est impossible, quand on ne sait pas l'état actuel des choses, de choisir la plus convenable; l'une est par Patschkau et Neustadt, l'autre par Habelschwerdt, Leutomischl, Schönhengst, vers Neustadt. Reste à savoir si, en prenant cette dernière route, le pain pourrait être fourni assez abondamment de Glatz; de plus, en prenant cette marche, il faudrait de toute nécessité que le corps de Léobschütz coopérât à faire réussir cette entreprise, et la grande difficulté serait de faciliter la jonction de ces corps. Il est probable que les Autrichiens de Heydepiltsch, se voyant pris à revers, se retireraient à Olmütz; alors on aurait gain de jeu; mais au cas que cela n'arrivât point, il resterait toujours le passage d'Altstadt pour se joindre au corps de Léobschütz. Reste à savoir alors où sont les Russes, s'ils sont en marche, s'ils sont vers Cracovie, ou s'ils n'ont pas encore quitté leurs frontières; car ce sont des préalables qui doivent décider des opérations ultérieures.
Supposons maintenant tous les cas différents. Si les Russes sont encore sur leurs frontières, il serait bon de voir par une tentative si l'on ne pourrait pas chasser les Autrichiens de Bilitz. Il paraît qu'on pourrait les obliger, en y détachant un corps, de céder le terrain; car ils ont deux retraites, l'une vers la Jablunka, dans les hautes montagnes de la Hongrie, et l'autre dans la Pologne, vers les monts Krapacks. Ainsi, à peine les aurait-on chassés, qu'on les y verrait revenir. Le seul avantage qu'on pourrait tirer de cette opération consisterait de parvenir à ruiner leur magasin de Bilitz, qu'ils ne pourraient pas reformer si promptement. Il serait nécessaire que, pendant cette expédition, le gros de l'armée de Moravie se tînt entre Jägerndorf et Troppau, dans un bon camp, pour contenir les Autrichiens dans leur camp de Heydepiltsch. En second lieu, si nous supposons que le corps auxiliaire des Russes s'est déjà mis en marche, ce serait le même plan auquel il faudrait se tenir; mais si leurs troupes s'approchaient de Cracovie, cela donnerait lieu à d'autres combinaisons. De<151> quelque force que soit ce secours, l'usage des Russes n'est point de se hasarder. Ils poussent les précautions à toute outrance, et l'on ne parviendra pas à leur faire passer la Vistule, à moins qu'une vingtaine de mille hommes ne leur en facilitent le passage. Il sera nécessaire de les envoyer au-devant d'eux, à moins de vouloir renoncer à leur jonction. Or ce projet ne saurait indiquer quel chemin il faudra prendre à leur rencontre, parce qu'il faudrait savoir préalablement quelle position prendra l'armée autrichienne en Lodomérie; 2o quelle sera sa force; 3o si elle agira sur la défensive, ou si elle voudra attaquer les Russes sur les frontières polonaises. Ce sont des détails dont on doit être instruit en temps et lieu, et sur lesquels se doivent régler les opérations conjointement avec les Russes. Autant que je connais celte nation, ses secours n'arriveront que sur la fin de la première campagne, car ils préfèrent les quartiers d'hiver aux travaux de la guerre. Cela étant ainsi, il paraît apparent que ce que nous venons d'indiquer sera le résultat d'une première campagne, supposé encore que tout y réussisse à souhait. Voici alors les questions qui s'ensuivent, et qui sont difficiles à résoudre. 1o Prendra-t-on des quartiers d'hiver en Bohême? 2o Comment les réglera-t-on? Voici ma réponse.
Si l'on a pu se rendre maître de Prague, l'on peut sans difficulté prendre des quartiers d'hiver en Bohême, parce que, à Prague, on peut y mettre, en cas de nécessité, trente bataillons, ce qui fait une bonne tête, et que, dans les environs, on peut tenir commodément sous sa main quarante à soixante escadrons. Le reste des troupes pourrait être distribué depuis Melnik jusqu'à Leitmeritz, pour demeurer maître de l'Elbe et de la Moldau. Mais si l'on n'est pas maître de Prague, la difficulté sera énorme, à cause que l'armée autrichienne qui se trouve auprès de Bohdanetz occupera l'Elbe, qu'elle a de l'autre côté quantité de villes où elle peut se resserrer, comme Chrudim, Czaslau, Kuttenberg, etc., au lieu que de ce côté-ci il<152> n'y a que de mauvais villages où les troupes éparpillées ne peuvent présenter aucune tète, et où les quartiers seraient inquiétés durant tout l'hiver, sans compter qu'il serait impossible d'éviter qu'il n'y eût des postes enlevés. Supposons même qu'on se lût emparé de Königingrätz, cela n'empêcherait pas l'impossibilité de tenir de ce côté-ci de l'Elbe, dans un pays fourragé et où il faudrait transporter de Silésie jusqu'à la moindre botte de paille. Où trouver tous les chevaux en Silésie pour ce transport? Et quelles sommes énormes cela ne coûterait-il pas, sans compter que les troupes inquiétées pendant tout l'hiver seraient ruinées au printemps suivant, à l'ouverture de la campagne!
Mais, dira-t-on, est-il honorable de se retirer après avoir soumis un terrain aussi étendu? J'avoue qu'il serait à désirer qu'il y eût moyen de s'y maintenir, et cela ne peut avoir lieu, à moins que, par une bataille bien décisive, l'armée ennemie n'ait souffert des pertes si considérables, qu'elle n'ose plus se remontrer en campagne. Alors on a les bras libres, et l'on peut s'établir comme on le juge à propos, en faisant livrer le pays conquis et en profitant de tous ses avantages.
Venons à la seconde campagne. A-t-on pu se maintenir en Bohême? Ne l'a-t-on pas pu? Voilà sur quoi les opérations doivent se régler. Si l'on est demeuré maître de la Bohême, la grande armée doit s'assembler auprès de Prague. Si elle peut, avant d'entrer en opérations, s'emparer d'Éger, ce serait un bon coup, non pour conserver cette forteresse, mais pour en ruiner les ouvrages. L'autre armée de Silésie rassemblera quarante mille hommes vers Königingrätz, sur la hauteur de Pless.
Nous voici aux grandes opérations, qui ne peuvent avoir lieu qu'en Moravie. L'armée prussienne qui s'y trouve est forte de quarante à cinquante mille hommes; ou les Russes l'ont jointe, ou la jonction doit se faire. De quelque façon que cela soit, les mêmes embarras en résultent; car, supposé que les Russes soient du côté de<153> Cracovie avec quinze mille Prussiens, ils tiennent en échec les troupes de la Lodomérie, et dès lors le corps d'armée de la Haute-Silésie n'a point à craindre d'être pris à dos par ces Autrichiens, qui, venant de Wieliczka, ne trouveraient personne qui les empêchât de pénétrer droit par Tarnowitz en Haute-Silésie et de se porter sur Cosel, seul lieu, dans la Haute-Silésie, où l'on puisse établir des magasins pour l'armée; et, supposant seulement que la ville fût bloquée, l'on manquerait incessamment de vivres et de toute ressource. Le corps d'Autrichiens de Heydepiltsch se porterait en avant, et, sans le gain d'une bataille, on ne parviendrait pas à conserver la Haute-Silésie. Si l'on fait, de plus, réflexion que le corps d'Autrichiens de Bilitz ne manquerait pas de se mettre en action de son côté, et pénétrerait du côté de Pless et de Ratibor, ce qui arriverait à coup sûr, si l'on ne prend les seules mesures convenables en pareil cas (elles consistent à profiter du seul avantage que l'ennemi nous donne, à savoir, de ce qu'il agit en corps séparé), alors l'unique parti raisonnable est d'attaquer avec toute cette armée, forte de soixante-dix mille hommes, l'un des trois corps des ennemis, et de le battre totalement, à savoir, si le corps de Lodomérie suit les Russes, il faut que toute l'armée prussienne et russe lui tombe sur le corps, soit sur les frontières, soit sur le territoire polonais ou silésien, ou bien, si ce corps demeure à Wieliczka, il faut, tous réunis, marcher sur ceux qui occupent le poste de Heydepiltsch, d'où l'on peut sûrement les déloger en marchant de Troppau vers Bautsch, et en faisant mine de les tourner. Ayant passé la Mora vers Hoff, les ennemis quitteront ce poste à coup sûr, et c'est de l'habileté du général de les charger vivement sur leur retraite et de les ruiner, pour peu que cela soit possible. Mais alors il faut être alerte d'un autre côté, et ne pas perdre entièrement de vue le corps de Wieliczka; car à quoi servirait de faire des conquêtes en Moravie, si l'on perdait Cosel pendant ce temps, et que l'ennemi se rendît maître des derrières de l'armée? Pour obvier à d'aussi fâcheux incon<154>vénients, il faudrait, après avoir chassé les ennemis de Heydepiltsch, détacher incessamment au moins une vingtaine de mille hommes pour les opposer par une sage défensive aux Autrichiens, qui. soit par Wieliczka, soit par Bilitz, voudraient entamer les possessions prussiennes.
Nous voici parvenus à un moment décisif, dont pourrait parler avec fondement celui-là seul qui connaît les contingents futurs. Pour donner des règles certaines de ce que l'on pourrait entreprendre, il faudrait savoir au juste les événements qui arriveraient dans cette guerre que nous supposons devoir se faire. Je suis un ignorant qui n'ai pas le don de prophétiser, et qui sais encore moins si ces armées que je suppose agir auront du bonheur, ou s'il leur arrivera d'essuyer quelque échec. Mais, pour plus de sûreté, supposons l'un et l'autre. Si les deux armées prussiennes en Bohême, celle de Prague et celle de Königingrätz au camp de Pless, essuyaient quelque échec, celle de Prague trouve de bons camps auprès de cette capitale, où elle peut se soutenir longtemps, et celle de Königingrätz trouve une retraite assurée au Ratschenberg, et encore même auprès de Wünschelbourg et de la Heuscheune, surtout si l'on fait sauter les chemins qui de Politz et de la Bohême mènent à la Heuscheune. Si tout réussit en Bohème, et que se tiennent,154-a soit du côté de Chrudim, ou de Czaslau, le corps de Pless et Königingrätz doit faire un détachement de vingt mille hommes pour renforcer l'armée de la Haute-Silésie, afin que, en laissant vingt-cinq mille hommes pour couvrir la province et Cosel, on puisse agir avec une supériorité marquée sur cette armée qu'on a battue en se retirant de Heydepiltsch; car voici les difficultés toujours renaissantes qui se présentent.
On sait que les Autrichiens ont un camp préparé près d'Olmütz,<155> où ils veulent appuyer leur droite, leur gauche vers Littau, et la Morawa coulant devant leur front. Si les vivres permettent aux Prussiens d'avancer, ils doivent se porter au couvent de Hradisch, de ce côté-ci de la Morawa, où ils ont un poste très-fort et l'armée ennemie sous l'inspection de leurs yeux. Quant à ce camp des Autrichiens, voici l'intention pour laquelle ils l'ont pris. Il est inattaquable de ce côté-ci de la Morawa, et ils comprennent bien que les Prussiens ne passeraient la Morawa que pour les y forcer. On ne peut passer celte rivière que du côté de Neustadt, où elle est faible, ou à gauche, du côté de Cremsier. Or, quelque part qu'on la passe, ils la repassent de l'autre côté, et vont alors se camper près du couvent de Hradisch, et coupent ainsi l'armée prussienne de ses dépôts et de ses vivres. Il ne faut donc pas franchir celte rivière, à moins que d'avoir totalement défait l'armée autrichienne entre Heydepiltsch et Olmütz, ou bien l'on s'exposerait aux plus grands malheurs par sa propre faute. Que reste-t-il donc à faire? me dira-t-on. Je réponds : Beaucoup d'entreprises, mais qui toutes sont combinées avec de grandes difficultés; car il faut convenir que le genre de guerre des Autrichiens, le nombre de leurs troupes et la force de leurs postes présentent de tous côtés des obstacles difficiles à surmonter. Mais rien ne doit décourager un brave homme, et, pourvu qu'il agisse avec sagesse, il trouvera des expédients qui lui donneront de la supériorité sur ses ennemis.
Pour bien détailler la suite de mes idées, il faut commencer par vous exposer en général le plan que l'on doit se proposer de remplir. Dans toutes les guerres que l'on entreprend contre la maison d'Autriche, on doit avoir pour objet principal de transporter, autant que cela est possible, le théâtre des opérations sur les bords du Danube, par deux raisons, l'une, de priver l'armée de subsistances et de recrues, l'autre, d'alarmer la capitale, où tous les grands seigneurs se sont réfugiés, eux et leurs trésors. Quand Vienne crie, il faut que<156> tout le monde accoure pour la secourir, et alors on a les bras libres, tant en Bohême qu'en Moravie; les places tombent, et, maître du pays, on peut se procurer vivres, fourrages et tous les besoins de l'armée aux dépens de l'ennemi, seule méthode pour soutenir la guerre et la pouvoir continuer avec avantage.
Mais il ne suffît pas d'étaler cette idée générale; il faut indiquer les moyens de faire réussir un tel projet. La première notion que l'armée prussienne de Moravie doit se procurer est d'apprendre ce que font les troupes de Wieliczka et de Bilitz; celles-là ne doivent jamais être perdues de vue, parce que leur position gênante peut empêcher toutes les entreprises que les circonstances d'ailleurs favorables pourraient permettre de hasarder. A en juger, il n'est pas probable que ces troupes, n'ayant pas été battues, se tiennent tranquilles dans leur position, surtout s'ils ne trouvent pas de corps devant eux, qui s'opposent à leurs mouvements. Ces vingt mille hommes qu'on a destinés pour couvrir les frontières contre eux ne sont guère suffisants pour les arrêter, surtout s'ils avaient des ordres de la cour d'agir, comme on doit supposer qu'on les leur donnerait. Il faudrait donc détacher au moins vingt mille hommes pour les renforcer, afin qu'il y eût quelque proportion entre le corps et les forces de l'ennemi. Resteraient donc à peu près cinquante-cinq mille hommes pour les opérations de la Moravie. Le préalable serait, en pareil cas, de faire avancer ses magasins à Weisskirch, à Leipnik ou à Prérau, selon qu'on trouverait ces villes le mieux en état de se défendre. Cela fait, et la boulangerie bien établie pour l'armée, il faudrait composer un détachement de Cosaques, de hussards et d'une dizaine de bataillons, avec quelques dragons, suivis de vivres pour un mois, et de leur boulangerie qui longerait le long de la Morawa par Hradisch, Ungarisch-Brod, en suivant le chemin de Presbourg, lieu de leur destination, où ils arriveraient sans trouver d'ennemis, où ils travailleraient à s'assurer incontinent du passage du Danube, première<157>ment pour intervertir les transports des magasins de la Hongrie à Vienne, en second lieu pour faire des incursions avec les Cosaques et les hussards jusqu'aux consignes de Vienne; et il est bien certain que, pour peu que le général qui commande un tel corps ait de l'intelligence, il se procurera des vivres à foison, qu'il tirera de la partie la plus cultivée et la plus abondante de toute la Hongrie.
Mais réfléchissons maintenant à quoi cette expédition engage les Autrichiens. Premièrement, il est plus que palpable que l'armée de la Lodomérie et le corps de Bilitz se mettront en marche pour suivre ces Prussiens qui se sont emparés de Presbourg. Voilà le moment où les trente-cinq mille Prussiens qui couvraient la Haute-Silésie doivent se mettre également en marche. Ils trouvent les magasins de Weisskirch tout préparés; ils s'y pourvoient abondamment et suivent les Autrichiens, qui, n'ayant pas fait d'arrangements d'avance, ne pourront marcher aussi vile qu'eux. Il résultera de là qu'il y aura certainement une bataille en Hongrie; mais ce sera une affaire de plaine, où il y a cent à parier contre un que l'avantage sera pour les Prussiens, si le général qui les commande est habile et bien déterminé. Mais cela ne suffira pas. Les clameurs de la capitale attireront, comme je l'ai dit, des détachements de tous les côtés; on oubliera Olmütz et la Bohême pour sauver Vienne, et c'est l'heure du berger, dont il faut profiter pour pousser sa pointe plus en avant, passer alors la Morawa, ruiner les environs d'Olmütz, se porter sur Brünn, en faire le siége, ce qui est une opération de huit jours.
Voici quelles en seront les suites. Dès lors les armées de la Bohême pourront agir en s'approchant de l'Autriche, et si le destin leur procure une bataille heureuse, rien ne les empêchera de s'avancer vers le Danube. Alors, toutes les ressources manquant à la cour impériale, il est à présumer que, pour éviter d'être accablée tout à fait, elle pliera et subira son sort, en se prêtant à une paix raisonnable. C est là 1 idée générale que j'ai voulu donner de ce qu'il y avait à entreprendre.
<158>Il est sûr qu'il se rencontre bien des difficultés dans l'exécution. Mais, supposé même que seulement la moitié de ce plan ait été exécutée, les effets en seront néanmoins très-avantageux pour les Prussiens. On demandera sans doute comment on fera avancer l'armée de Prague. Je réponds que, dès qu'on est maître d'une province, on peut faire usage de tous les chevaux qui s'y trouvent, et qu'il y a dix fois plus de chevaux qu'il n'en faut, en Bohème, pour charrier la farine nécessaire à la consommation d'une armée. Quant aux fourrages, on en trouve partout, ou bien à fourrager, ou bien recélés dans les granges, et de plus, en avançant vers le Danube, la Bavière serait en état de fournir tout ce qui manquerait à l'armée. Du côté de la Silésie, après la prise de Brünn, je serais d'avis d'y établir des magasins et de n'avancer, cette campagne, que jusque sur les bords de la Taya, à Znaim, Nikolsbourg et autres endroits, où l'on pourrait opposer à l'ennemi une tête de quartiers d'hiver. En ruinant les environs d'Olmütz à quatre milles à la ronde, et en y laissant quelques troupes pour la bloquer de loin, on l'affamerait pendant l'hiver, et la réduirait, le printemps suivant, à se rendre sans grande résistance. Je dois ajouter à ceci, pour rendre hommage à la vérité, qu'il n'est pas apparent que toutes les expéditions que je propose ici réussissent aussi parfaitement que je le suppose; mais il reste toujours certain que, en adoptant de vastes projets, on va plus loin que si l'on se borne à des vues resserrées et peu étendues.
J'ai fait l'esquisse de ce projet en supposant que nous n'avons d'alliés que les Russes et les Saxons, parce que je n'ai rien voulu supposer de plus que ce qui existe en réalité à présent. Mais joignons pour un moment les Turcs aux opérations que nous proposons; voilà au moins quarante mille Autrichiens employés contre eux, qui ne pourront pas combattre contre la Prusse. Joignons-y encore les Français en Flandre; il faudra au moins trente mille Autrichiens, joints avec les Hollandais et les Anglais, pour s'opposer aux efforts des Français.<159> Ajoutons à ceci une diversion dans le Milanais, opérée par les troupes françaises et sardoises, où les Autrichiens seront obligés d'opposer au moins trente mille hommes. Résumons ces corps ensemble : contre les Turcs quarante mille, en Flandre trente mille, clans le Milanais trente mille, font cent mille hommes. Déduisez ce nombre de deux cent quarante mille dans lequel consiste leur armée, il n'en reste que cent quarante mille à opposer aux Prussiens, et ces derniers, avec leurs alliés, mettent cent quatre-vingt mille hommes en campagne. Il résulte donc de ce calcul que, en opposant aux troupes de l'Empereur des forces égales de tous les côtés, les Prussiens ont quarante mille hommes en sus, qu'ils peuvent employer comme bon leur semble, fût-ce même pour en former une armée qui agirait séparément, sans rencontrer d'ennemi qui pût s'opposer à ses entreprises. Voilà la plus grande supériorité qu'on peut se procurer contre un ennemi. Alors, avec un vaste plan comme celui que je viens de proposer, il faut réussir, à moins qu'une indolence et une coupable négligence n'empêchent que les généraux ne remplissent leur devoir dans toute sa rigueur, et que, peu soucieux de leur propre gloire, de l'honneur de la nation et du bien de la patrie, ils agissent plutôt en traîtres qu'en citoyens.
Les Prussiens sont dans la nécessité de penser à la guerre, parce qu'ils ont un voisin inquiet et remuant, qui déploiera toute son ambition aussitôt que la mort de l'Impératrice sa mère le mettra en liberté de suivre son penchant. Il faut se préparer d'avance à un tel événement, qui est plus que probable, pour ne pas dire certain. Quiconque ne réfléchit pas maintenant à ce qu'il y a de mieux à faire n'aura pas le temps d'y penser mûrement lorsqu'il faut entrer en action. D'ailleurs, quand on a la tête tranquille, on médite avec suite, on envisage toutes les difficultés, on trouve des expédients pour lever les obstacles que l'on prévoit devoir s'opposer à ses opérations; au lieu que, en remettant à faire des projets le moment qu'il faut agir, il<160> est impossible que les matières soient mûrement digérées, et que, faute de temps, on ne néglige à mettre en compte des objets considérables qui, n'ayant pas été prévus, peuvent être la cause que les projets de campagne réussissent mal, et tournent dune manière désavantageuse à celui qui les exécute. C'est uniquement par amour pour la patrie que j'ai jeté ces idées sur le papier. Si elles peuvent se rectifier et se perfectionner par la connaissance des terrains dans lesquels on doit agir, on fera très-bien d'y changer ce qui est nécessaire pour le bien des choses. Le 28 septembre 1779.
NB. J'ai oublié de parler du poste que, pour les premiers quartiers d'hiver, les Autrichiens établiront sûrement auprès de Zuckmantel. Il est nécessaire de savoir qu'on peut le tourner par Altstadt.
10-a Du 18 septembre au 7 octobre 1760. Voyez t. V, p. 84-89.
105-a Voyez t. VI, p. 105; t. XXVIII, p. 3 et 169.
11-a Balles à feu.
119-a Voyez t. IV, p. 13 et 14.
121-a Voyez, t. I, p. 84; t. XXVIII, p. 104; et ci-dessus, p. 93.
121-b Voyez t. IV, p. 127 et suivantes.
124-a Voyez t. II, p. 125.
124-b Voyez t. III, p. 171 et 172.
125-a Voyez t. X, p. 41 et 77; t. XII, p. 65.
125-b En janvier 1745. Voyez t. III, p. 87 et 88.
126-a Voyez t. XXVIII, p. 61.
127-a Vénèdes. Voyez t. I, p. 4 et 225.
139-a De Dresde, 3 décembre 1778. La lettre du prince Henri et la réponse du Roi, datée de Breslau, 11 décembre, se trouvent dans notre t. XXVI, p. 530-533.
139-b Le Prince héréditaire taisait alors dans la Haute-Silésie une guerre de postes qui accrut considérablement sa réputation. Voyez t. VI, p. 177 et suivantes; t. XXVI, p. 020.
139-c Voyez t. VI, p. 162 et 163.
15-a Voyez t. IV, p. x et 160; t. V, p. 13 et suivantes. Nous avons toujours imprimé Schmuckseiffen, d'après Büsching et quelques cartes géographiques; mais la véritable orthographe du nom de ce village est Schmottseiffen. parce qu'il dérive, selon les renseignements fournis par M. J. Bürgel, pasteur du lieu, de St. Matthaei-Seiffen; et non de St. Nepomucks-Seiffen, comme d'autres l'ont cru.
15-b Voyez t. V, p. 13 et suivantes; t. XXIII, p. 62.
154-a Les mots que se tiennent (ce dernier presque illisible) sont remplacés par : qu'on n'aît rien à craindre, dans la copie des Réflexions conservée parmi la correspondance manuscrite de Frédéric avec son frère le prince Henri (Archives de l'État, F. 108. H, fol. 70). Nous imprimons exactement, d'après l'autographe, ce passage inintelligible.
16-a Voyez t. V, p. 27.
17-a Voyez t. IV, p. VII-X.
17-b Voyez t. V, p. 11 et suivantes.
17-c L. c., p. 12 et 129.
17-d L. c., p. 51.
18-a Voyez t. V, p. 34.
19-a Voyez t. V, p. 28.
3-a Voyez t. IV, p. III, t. XXVI, p. XII et XIII.
3-b Voyez, t. XXVIII, p. 1-107.
37-a Voyez t. IV, p. x, 227 et 228.
43-a On lit dans l'édition de 1771, p. 70 : « Vous ne devez que la faire attaquer; » ce qui forme un contre-sens évident. Nous substituons le mot pas au mot que avec d'autant plus de raison, que la traduction officielle de 1771 porte, p. 78 : Ihr sollt sie eben so wenig in einem Terrain agiren lassen, etc.
45-a Voyez t. IV, p. 162.
45-b L. c., p. 184.
45-c Le régiment de Zieten. Voyez Lebensbeschreibung Hans Joachims von Zieten, troisième édition, Berlin, 1805, t. II, p. 84 et 85, et notre t. IV, p. 184. Cette affaire eut lieu le 4 décembre 1757.
51-a Voyez t. V, p. 31 et suivantes.
53-a Voyez t. XXVIII, p. 107 et 113.
59-a Voyez ci-dessus, p. 53.
71-a Chambrées.
78-a Voyez t. XXVIII, p. 18.
79-a Voyez, t. XXVIII, p. 112 et 113.
82-a Bergues. Voyez, t. XXII, p. 48.
91-a Voyez t. XXVIII, p. 9, 42 et 50.
I-a Voyez t. VI, p. 106-108; t. XX, p. 148.
I-b Voyez t. VI, p. 110.
I-c Voyez t. XXIV, p. 399 et 400, et La Motte Fouqué, Ernst Friedrich Wilhelm Philipp von Rüchel, Berlin, 1828, t. I, p. 27 et suivantes.
II-a L'indication des plans, dans la table, ne reproduit pas toujours exactement les titres qui se trouvent sur les planches. Il y a entre autres une méprise complète dans le titre du no XXIV.
II-b Voyez t. XXVI, p. 644.
III-a Voyez J.-D.-E. Preuss, Friedrich des Grosse, eine Lebensgeschichte, t. II, p. 464 et 465.
V-a Voyez J.-D.-E. Preuss, Friedrich der Grosse als Schriftsteller, p. 243 et 244, no 20.
V-b Voyez Aus alten Parolebüchern der Berliner Garnison zur Zeit Friedrichs des Grossen, von A. von Witzleben, Berlin, 1851, p. 84.