<168> perdre; homme d'ailleurs incorruptible, sa faiblesse seule éloignait de son esprit toute idée de rupture avec la Saxe comme un objet désagréable à ses yeux, et il croyait que tout le monde était aussi timide que lui; pour quoi il jugeait Brühl incapable d'un projet aussi hardi. Enfin, dans ce beau conseil, on discutait sur la fausseté ou la vérité du fait, et personne ne pensait à prévenir le mal qui était sur le point d'éclater. Le Roi fut obligé d'employer son autorité pour que le prince d'Anhalt fît les dispositions nécessaires à la subsistance de l'armée de Halle, et pour que le comte Podewils dressât les dépêches aux cours étrangères, pour les avertir des complots qui se tramaient en Saxe contre lui, et de la résolution où il était de les prévenir.
Et comme si ce n'en était pas assez de tant d'embarras, il en survint encore de nouveaux. L'envoyé de Russie vint déclarer au Roi, au nom de l'Impératrice, qu'elle espérait que le Roi s'abstiendrait d'attaquer l'électorat de Saxe, parce qu'une telle démarche l'obligerait à envoyer son contingent au roi de Pologne, comme elle y était tenue par son alliance avec ce prince. Le Roi lui fit répondre que Sa Majesté était intentionnée de vivre en paix avec tous ses voisins; mais que si quelqu'un d'eux couvait quelque dessein pernicieux contre ses États, aucune puissance de l'Europe ne l'empêcherait de se défendre et de confondre ses ennemis.
Cependant toutes les lettres de la Saxe et de la Silésie confirmaient les avis de M. de Rudenskjöld. Pour être encore mieux informé des mouvements du prince de Lorraine, le Roi forma un corps de troupes mêlées, cavalerie, infanterie et hussards, avec lequel M. de Winterfeldt s'avança vers Friedland sur les frontières de la Bohême et de la Lusace, avec ordre que si le prince de Lorraine entrait en Lusace, il devait le côtoyer, et longer le Queis, qui coule sur la frontière de la Silésie. Le dessein du Roi était de tomber sur les Saxons de deux côtés à la fois, savoir : le prince d'Anhalt, sur Leipzig, Wurzen et Torgau;