<171> faut toujours tromper les premiers, crurent bonnement qu'on n'avait aucun autre projet. M. de Winterfeldt venait d'occuper Naumbourg-sur-le-Queis, et publiait qu'il n'était là que pour côtoyer l'ennemi en longeant cette rivière, et pour prévenir les ennemis à Crossen.
Le prince de Lorraine, qui croyait bonnement que les Prussiens se reposaient tranquillement dans leurs quartiers d'hiver, que leurs troupes étaient découragées, et qu'il n'avait à redouter qu'un corps de trois mille hommes qui l'observait, charmé de ces idées flatteuses, s'endormit dans une dangereuse sécurité, et ce même stratagème réussit pour la seconde fois. Tant il est vrai que la défiance est la mère de la sûreté,a et qu'un général sage ne doit jamais mépriser l'ennemi, mais veiller sur ses démarches, qui lui doivent servir de boussole dans toutes ses opérations. Pour empêcher autant qu'il était possible que les Autrichiens ne fussent instruits des mouvements de l'armée, le Roi avait fait border trois rivières qu'il avait devant lui : M. de Winterfeldt tenait le Queis, des troupes légères bordaient la Wüthende Neisse,b et d'autres détachements, le Bober. Tout ce qui venait de la Lusace avait le passage libre, mais il était interdit à tous ceux qui voulaient passer ces rivières pour aller en Saxe; de sorte qu'on se procurait des nouvelles, et qu'on empêchait l'ennemi d'en avoir.
Bientôt, sur ces nouvelles qu'on eut de l'ennemi, l'armée s'avança en cantonnant sur la Wüthende Neisse.c Le Roi prit son quartier à Hohlstein; c'était le 22 de novembre, et il n'était qu'à un mille de Naumbourg. On fit construire quatre ponts sur la rivière, pour pouvoir la passer rapidement sur quatre colonnes. Le dessein du Roi était de se laisser dépasser par les Impériaux, puis de leur venir à dos, pour
a La Fontaine (livre III, fable 18) a dit :
Il était expérimenté,
Et savait que la méfiance
Est mère de la sûreté.
b La Neisse de la Lusace.
c Le Queis.