<103> se retira vers Torgau à neuf heures et demie du soir, que cette bataille finit.
Les Impériaux et les Prussiens étaient si près dans les vignes de Süptitz, que bien des officiers et des soldats de part et d'autre furent faits prisonniers en s'égarant dans l'obscurité, après que tout fut bien fini, en ordre et tranquille. Le Roi même, en voulant se rendre au village de Neiden, tant pour expédier des ordres relatifs au gain de cette bataille, que pour en publier le succès dans le Brandebourg et en Silésie, entendit proche de l'armée le bruit d'une voiture. On demanda le mot, et l'homme répondit : Autrichien. L'escorte du Roi donna dessus, et prit tout un bataillon de pandours, avec deux canons, qui s'était égaré dans l'obscurité de la nuit. A cent pas de là, il rencontra une troupe à cheval, qui répondit sur le qui-vive : Carabiniers autrichiens. L'escorte du Roi les attaqua et les dispersa dans la forêt. Ceux que l'on prit, déposèrent qu'ils s'étaient égarés avec M. de Ried dans ce bois, et qu'ils avaient cru que les Impériaux étaient maîtres du champ de bataille. Toute la forêt que l'armée prussienne avait traversée avant la bataille, et que le Roi côtoyait alors, était pleine de grands feux. On était embarrassé de deviner ce que ce pouvait être. On envoya quelques hussards pour s'en éclaircir. Ils rapportèrent qu'il y avait autour des feux des soldats habillés de bleu, et d'autres de blanc; mais comme il fallait s'informer exactement de ce que c'était, on y envoya des officiers, et l'on apprit un fait singulier, dont je doute qu'on trouve des exemples dans l'histoire. C'étaient des soldats des deux armées, qui avaient cherché un asile dans ce bois; ils avaient passé entre eux un accord : qu'ils attendraient avec neutralité ce que le sort déciderait des Prussiens et des Impériaux, résignés des deux parts à suivre le parti de la fortune et à se rendre aux victorieux.
Cette bataille coûta treize mille hommes aux Prussiens, dont trois mille furent tués, et trois mille tombèrent entre les mains des ennemis