CHAPITRE X.

Campagne de 1759.

Les premières ouvertures de cette campagne se firent par les armées du prince Ferdinand de Brunswic et par celle de S. A. R. le prince Henri. L'armée du Roi, retenue par le voisinage des Russes en Pologne sur les frontières de la Marche et de la Silésie, ne pouvait pas entreprendre d'expéditions qui l'auraient écartée d'une ligne de défense de laquelle elle ne pouvait s'éloigner sans risque; et l'armée autrichienne différait de commencer ses opérations, pour donner aux Russes le temps de se mettre en campagne; ce qui retardait ordinairement le mouvement des troupes jusqu'à la fin de juillet.

Les Français agissaient sans alliés, l'armée du prince Ferdinand n'avait qu'un ennemi à combattre; de sorte qu'ils se mettaient en action aussitôt que leurs arrangements étaient pris, et qu'ils le jugeaient<2> à propos. Cette année, M. de Contades reçut le commandement de l'armée française, et M. de Broglie, qui commandait sous lui, se tenait à Francfort, d'où il avait l'œil sur les troupes jusqu'à l'arrivée du maréchal. Un corps mêlé d'Autrichiens et de troupes des cercles, aux ordres de M. d'Arberg, s'avança en Thuringe, où il donna des jalousies au prince Henri et au prince Ferdinand. S. A. R. et le prince de Brunswic concertèrent ensemble une entreprise pour déloger ces troupes d'un voisinage où elles les importunaient. M. de Knobloch2-a fut commandé de la part des Prussiens, et M. d'Urff de la part des alliés, pour exécuter ce projet. M. de Knobloch prit Erfurt, et fit quelques centaines de prisonniers dans ces environs. M. d'Urff chassa l'ennemi au delà de Vach, et reprit Hersfeld. A peine les Prussiens et les alliés se furent-ils retirés, que les Autrichiens et les troupes des cercles, revenant sur leurs pas, reprirent leur première position. Ce mouvement déplut au prince Ferdinand : pour éloigner ces troupes du voisinage de la Hesse, il porta toute la gauche de son armée sur Cassel, et s'avança de là par Melsungen à Hersfeld. Le Prince héréditaire entra dans la principauté de Fulde, d'où il pénétra en Franconie; il prit Meiningen, Wasungen, et défit trois régiments autrichiens qui se trouvaient dans ces environs. M. d'Arberg s'approcha de lui, et l'attaqua dans son camp de Wasungen. Après un combat de six heures, les Autrichiens et les cercles furent repoussés, et obligés de poursuivre leur fuite jusqu'en Thuringe. Alors le prince Ferdinand rassembla tous ses détachements à Fulde; son dessein était de détruire les magasins que les Français avaient à Fritzlar, à Hanau et dans ces environs, pour retarder et peut-être même empêcher les opérations qu'ils méditaient de faire en Hesse; il prit le chemin de Francfort, et surprit en marche plusieurs détachements français, qui, ne pouvant se sauver, se rendirent prisonniers de guerre. En approchant de Bergen,<3> il crut n'y trouver que quelques bataillons, qui, trop faibles pour lui résister, seraient obligés de se retirer, ou de mettre les armes bas s'ils étaient assez téméraires pour l'attendre. Dans le temps qu'il les faisait charger, M. de Broglie parut sur la hauteur derrière ce village avec les brigades qu'il avait rassemblées des quartiers les plus voisins. L'attaque des alliés fut repoussée. Le prince d'Ysenbourg, qui la commandait, y perdit la vie. Le prince Ferdinand se trouva dans la nécessité de soutenir une affaire qui était une fois engagée; il emporta à la vérité le bas du village de Bergen, mais la partie supérieure, bien fortifiée, lui opposa des obstacles insurmontables. Les troupes françaises chargèrent en même temps les alliés à propos, et les contraignirent de lâcher prise. Les Saxons qui se trouvaient dans cette armée de M. de Broglie, voulurent poursuivre les troupes qui se retiraient; le prince Ferdinand s'en aperçut : il les fit attaquer par sa cavalerie, qui en détruisit une partie, et leur fit quelques centaines de prisonniers; et le reste de la journée se passa à se canonner réciproquement. Le prince Ferdinand, voyant que son coup était manqué, se retira la même nuit vers la Hesse, sans que M. de Broglie l'inquiétât. M. Du Blaisel le suivit, et entama dans cette retraite l'arrière-garde d'une des colonnes de l'armée; il s'y comporta si bien, qu'il prit deux cents Prussiens prisonniers des dragons de Finckenstein.

Durant ce bout de campagne des alliés, S. A. R. le prince Henri avait exécuté avec plus de succès un dessein pareil qu'il avait formé sur la Bohême. Il entra dans ce royaume par Péterswalde,3-a sans y rencontrer une grande résistance. M. de Hülsen, qui pénétrait avec la seconde colonne par le Basberg, y trouva l'ennemi retranché. Sa cavalerie prit le chemin de Pressnitz, qui la mena à dos des Autrichiens. Elle les attaqua à revers, tandis que l'infanterie prussienne entamait le front du retranchement. Tout ce corps de M. Renard, consistant dans les régiments d'Andlau, de Königsegg et mille Croates,<4> faisant deux mille cinq cents têtes, fut pris sans qu'il en échappât personne. Après cette belle action, M. de Hülsen s'avança sur Saatz, où il ruina un des plus considérables magasins de l'ennemi. S. A. R. se porta en même temps sur Budin, elle fit détruire toutes les provisions et tous les amas que les Autrichiens avaient rassemblés dans ces contrées, et après avoir ainsi rempli le but de ses opérations, elle ramena ses troupes en Saxe.

Ce prince résolut, peu après, de porter un coup semblable aux troupes de l'Empire, pour éloigner l'assemblée et l'approche de ces troupes des frontières de la Saxe. Cette entreprise fut concertée avec les alliés. Il assembla son corps à Zwickau, d'où M. de Finck4-a fut détaché sur Adorf, afin de donner aux ennemis des appréhensions pour la ville d'Éger. S. A. R. marcha à Hof, d'où elle détacha M. de Knobloch par Saalbourg vers Cronach. Les cercles, déconcertés par ce mouvement, quittèrent leur camp avantageux de Münchberg; les Prussiens l'occupèrent, et firent nombre de prisonniers en différentes rencontres. M. de Finck alors se porta sur Weissenstadt, pour couper à M. de Maguire la communication avec les cercles, ce qui rejeta ce général autrichien dans le Haut-Palatinat, d'où il joignit ensuite auprès de Nuremberg l'armée de l'Empire. M. de Finck le suivit, et lui prit quatre cents prisonniers en différentes occasions. L'armée prussienne se campa proche de Baireuth; M. de Meinike4-b força le général Riedesel, proche de Cronach,4-c à se rendre prisonnier avec neuf cents hommes qu'il commandait. Ce désastre précipita la retraite des cercles, que le prince de Deux-Ponts ramena à Nuremberg. S. A. R., n'ayant alors aucun ennemi en tête, envoya M. de Knobloch dans l'évêché de Bamberg, où il détruisit tous les magasins qu'on y avait dressés pour l'armée de l'Empire.

<5>Après avoir ainsi rempli le projet que S. A. R. s'était proposé, elle ramena ses troupes en Saxe vers le commencement de juin. Les Autrichiens avaient profité de l'absence des Prussiens pour y faire une incursion. Un général Gemmingen, qui s'était établi près de Wolkenstein,5-a y fut attaqué et battu par M. de Schenckendorff. M. de Brentano vint au secours de l'Autrichien; mais ayant été aussi mal reçu que M. de Gemmingen, il se retira en Bohême avec précipitation. Cette expédition de S. A. R. fit perdre dans un mois aux troupes de l'Empire tous leurs magasins, soixante officiers et trois mille hommes. De la part des alliés, le Prince héréditaire s'était avancé dans l'évêché de Würzbourg à la tête de douze mille hommes; il fit trois cents prisonniers sur les Autrichiens dans cette incursion, après laquelle il vint rejoindre le prince son oncle en Hesse.

Les Français ne commencèrent leurs opérations que sur la fin de mai. M. de Contades passa le Rhin à Cologne; il se joignit le 2 de juin à M. de Broglie proche de Giessen, et laissa M. d'Armentières aux environs de Wésel avec un détachement de vingt mille hommes. Le prince Ferdinand s'était retiré à l'approche de ces troupes, d'abord à Lippstadt, ensuite à Hamm, où il rassembla tous les régiments qui avaient hiverné dans l'évêché de Münster, à l'exception de la garnison de cette ville. M. d'Imhof était demeuré jusqu'alors à Fritzlar; sur ce qu'il eut vent que M. de Contades d'un côté, M. de Broglie d'un autre, et les Saxons d'un troisième, s'avançaient sur lui, il se replia sur Lippstadt. Les Français, trouvant la Hesse vide de troupes, s'emparèrent de Cassel, de Münden, de Beverungen, où ils prirent la plus grande partie des magasins des alliés. M. de Contades ayant poussé de là sur Paderborn, le prince Ferdinand s'avança vers lui, et vint se campera<6> Rittberg. La perte de tous ses magasins l'obligea d'en assembler de nouveaux, et il choisit Osnabrück pour le lieu de son dépôt principal. Cependant le dessein des Français était de couper les Allemands du Wéser. M. de Contades alla se camper aux sources de l'Ems, d'où il se rendit à Bielefeld et Herford, et plaça le corps de M. de Broglie à Oerlinghausen, d'où ce dernier s'approcha de Minden. Il surprit la ville en plein jour, et y fit quinze cents prisonniers. Ce contre-temps obligea le prince Ferdinand, qui était à Ravensberg, de se replier sur Osnabrück; il y fut joint le 86-a par le corps de M. de Wangenheim, qui jusqu'alors avait tenu tête à M. d'Armentières. Ce général français, ne trouvant personne en son chemin, tenta d'emporter Munster l'épée à la main; ayant manqué son coup, il y procéda en règle, la tranchée fut ouverte, et la ville se rendit le 25.

De son côté, M. de Contades vint camper avec toute son armée près de Minden; il occupa la rive gauche du Wéser, et plaça M. de Broglie sur la droite. Le prince Ferdinand, après avoir gagné les bords de cette rivière, la remonta aussitôt, pour s'opposer aux ennemis. Il déboucha le 29 dans les plaines de Minden, et étendit son armée entre Hille et Friedewalde, où il fut joint par le général Dreves, qui venait de reprendre Brême sur les Français. Il fit fortifier le village de Todtenhausen, à un quart de mille de la gauche de son armée, espèce de piége qu'il tendait à M. de Contades, trop bien posté pour qu'on pût brusquer une attaque sur son camp, et dont le prince ne pouvait tirer raison qu'en l'engageant dans une mauvaise affaire. D'un autre côté, pour causer des inquiétudes aux Français, il leur envoya à dos le Prince héréditaire, qui, Rapprochant de Gohfeld, y trouva le duc de Brissac à la tête d'un détachement de six mille hommes. M. de Contades s'empressa à remplir les désirs du prince<7> Ferdinand : il se conduisit comme s'il avait reçu les instructions de ce prince. M. de Broglie avec son détachement passa le Wéser et joignit l'armée. On prépara des débouchés sur le marais qui couvrait l'armée française, et enfin on l'attaqua le 1er d'août. Ce village de Todtenhausen, que le prince avait fait retrancher, était garni de douze bataillons, défendus par deux grosses batteries, et soutenus par vingt escadrons qui campaient à peu de distance derrière l'infanterie. Le gros de l'armée alliée campait à un petit demi-mille de là, comme nous l'avons dit, derrière les bois de Hille. Par une sage précaution, le prince avait préparé ses chemins et ses communications de sorte qu'au premier mouvement des Français, il pouvait marcher à eux sans rencontrer d'empêchement, et, tandis qu'ils attaqueraient le village, les charger à son tour. M. de Contades déboucha dans la plaine à la pointe du jour. M. de Broglie commandait l'avant-garde destinée à l'attaque du village. L'armée française prit une position trop éloignée de son avant-garde pour être à portée de la soutenir : elle appuya son aile droite au Wéser, et prenant la forme d'une potence, sa gauche se repliait, en formant un coude à ce marais qu'elle venait de passer. M. de Broglie, en approchant de Todtenhausen, vit les douze bataillons que M. de Wangenheim y mettait en bataille; il prit ce général et ces troupes pour l'armée entière du prince Ferdinand; il hésita, il demeura un temps indécis; enfin, il fit demander de nouveaux ordres à M. de Contades : l'occasion s'échappa, le temps se perdit, le prince Ferdinand arriva avec l'armée; au lieu d'aller au secours de M. de Wangenheim, il forma ses troupes vis-à-vis de cet angle que faisait l'armée française. M. de Contades lui opposa un corps de cavalerie; mais l'ardeur et la fougue de l'infanterie anglaise l'emporta. Elle attaqua la cavalerie française et la mit en déroute; de là elle se porta tout de suite sur l'infanterie française; le prince Ferdinand n'eut que le temps de la soutenir par d'autres brigades; enfin, les Français prirent la fuite, et les alliés se formèrent sur le terrain<8> qu'ils venaient d'abandonner. Tandis que la fortune se déclarait pour le prince Ferdinand, M. de Broglie faisait une attaque molle sur le village de Todtenhausen; il y eut en même temps deux charges de cavalerie dans cette partie, qui tournèrent toutes deux à l'avantage des alliés. La déroute de la gauche des Français, la fuite de cette cavalerie, jointes au peu de succès qu'avaient eu les attaques du village, déterminèrent l'ennemi à quitter le champ de bataille, ce qui se fit avec beaucoup de confusion et de désordre.

Le Prince héréditaire battit le même jour M. de Brissac à Gohfeld, et occupa, en le poursuivant, un passage proche du Wéser, qui interdisait aux Français les chemins des pays de Waldeck et de Paderborn. Ce coup fut aussi décisif que la bataille, parce que l'armée française, environnée par les alliés près de Minden, à la rive gauche du Wéser, fut obligée de repasser cette rivière et de prendre le chemin de Cassel, le seul qui lui restât. M. d'Armentières, qui avait jusque-là serré de près Lippstadt, en leva le blocus; il détacha dix bataillons pour Wésel; avec les douze autres il accourut à Cassel, où il se joignit à l'armée qui venait d'être battue. Le lendemain de la bataille, Minden se rendit au vainqueur; les Français perdirent au delà de six mille hommes dans cette affaire, dont trois mille furent pris par les Allemands. Pour profiter de cet heureux événement, le prince Ferdinand s'avança vers Münden, tandis que le Prince héréditaire passa le Wéser à Rinteln, à la tête de vingt mille hommes; il y eut une affaire d'arrière-garde sérieuse à Münden, où M. de Saint-Germain, par sa bonne conduite, sauva le bagage de l'armée française. Le prince Ferdinand se tourna ensuite du côté de Paderborn, et M. d'Urff prit à Detmold l'hôpital ambulant des Français, avec huit cents hommes qui l'escortaient. A l'approche des alliés de Stadtberg, le duc de Chevreuse et M. d'Armentières se replièrent sur Cassel, et les alliés ayant tourné de là vers la principauté de Waldeck, M. de Contades s'imagina que ce mouvement indiquait une intention du prince Ferdinand de couper les<9> Français du Main. Sur cette supposition, il quitta brusquement Cassel, où il laissa une faible garnison, et se campa à Marbourg. Un partisan des alliés, nommé Freytag, s'approcha de cette capitale, et la reprit par capitulation. Le prince Ferdinand était alors à Corbach; il fit avancer le Prince héréditaire à Wolfshagen, et détacha le prince de Holstein à Fritzlar. Ces mouvements achevèrent de dérouter M. de Contades : il se crut perdu, et il évacua la Hesse. Le prince Ferdinand le suivit à Ernsthausen; un de ses détachements prit, le même jour, trois cents Français dans la forteresse de Ziegenhayn. Les ennemis s'étaient postés à Amonebourg-sur-l'Ohm; ils avaient le corps de Fischer derrière la Lahn; le Prince héréditaire le battit. En même temps, son oncle s'avança à Wetter avec l'armée, sur quoi ce jeune héros se porta à Nieder-Weymar à dos des ennemis. Cela fit perdre la tramontane à M. de Broglie; il se retira à Giessen, et abandonna Marbourg. Cette ville fut prise par le prince de Bevern,9-a avec la garnison de neuf cents hommes qui l'avait défendue. Cette suite d'heureux succès mit le prince Ferdinand à portée d'avancer à Krofdorf. Il n'y avait que la Lahn qui séparât les alliés et les Français. Ces derniers retranchèrent leur camp, et portèrent M. de Broglie à Wetzlar. Le prince Ferdinand lui opposa M. de Wangenheim pour l'observer. Les malheurs qu'avait essuyés M. de Contades, en dégoûtèrent la cour; elle le rappela; son choix se décida en faveur de M. de Broglie, qui fut déclaré maréchal de France, et prit le commandement de l'armée. Tandis que les Allemands et les Français campaient opiniâtrément sur les bords de la Lahn, les uns vis-à-vis des autres, le prince Ferdinand travaillait sur ses derrières pour expulser les ennemis de l'évêché de Münster. Il avait envoyé M. d'Imhof en Westphalie pour assiéger cette place. Comme ce général ouvrait la tranchée devant Münster,<10> il fut obligé d'en lever le siége. M. d'Armentières avait quitté en hâte l'armée française, il avait passé le Rhin à Wésel, et était accouru au secours de cette ville. Des renforts des alliés joignirent M. d'Imhof : se trouvant par là en état d'entreprendre, il recommença le siége. M. d'Armentières s'en approcha de nouveau, dans le dessein d'attaquer les Allemands; mais soit qu'il crût l'entreprise trop difficile, soit qu'un échec que souffrit un de ses détachements, le décourageât, il se retira derrière la Lippe, et la ville se rendit à M. d'Imhof par capitulation.

L'amour-propre de la nation française lui avait persuadé d'attribuer les désavantages de la guerre d'Allemagne au peu de supériorité que son armée avait en nombre sur celle des alliés. La cour, qui pensait à peu près de même, pour obvier à cet inconvénient, venait d'engager le duc de Würtemberg à lui fournir douze mille hommes, moyennant un subside que la France lui payerait en sel. Le Duc se mit lui-même à la tête de ses troupes : il s'en était réservé le commandement, et pour ne point être confondu dans la foule des généraux d'une grande armée, pour ne point servir sous un maréchal de France, ce qu'il jugeait contraire à sa dignité ainsi qu'à sa grandeur, il avait stipulé que sa personne et ses troupes ne seraient employées qu'en détachements. Ce prince arriva en Franconie avec son corps au mois d'octobre. M. de Broglie, qui ne pouvait pas l'employer comme il aurait voulu, l'envoya dans le pays de Fulde, d'où les alliés tiraient une partie de leur subsistance; l'approche des Würtembergeois dérangea les livraisons du pays, et ils servirent au moins à quelque chose. Ces troupes isolées présentaient aux alliés une trop belle occasion pour qu'ils n'en profitassent pas. Le Prince héréditaire partit à tire-d'aile de l'armée; il se présenta devant les portes de Fulde, que personne ne s'y attendait. Le Duc avait préparé pour ce jour un bal, qui fut dérangé. Étonné et surpris de la présence d'un ennemi aussi vigilant, qui ne lui donnait pas le temps de rassembler<11> ses troupes, il se sauva avec sa cavalerie vers le Main. L'arrière-garde d'infanterie, qui se préparait à la retraite, fut chargée et poussée vivement par le Prince héréditaire, qui en fit douze cents hommes prisonniers. Ce ne fut pas le dernier exploit de ce jeune héros : nous aurons encore lieu de parler de lui dans le récit de la campagne de Saxe.

Les Français avaient tenu, cette année, la campagne plus longtemps qu'à l'ordinaire. La saison, trop opposée aux entreprises militaires, les obligea de quitter leur camp le 8 de décembre; après quoi ils se retirèrent à Francfort. Le prince Ferdinand, après avoir mis le blocus devant Giessen, fit entrer ses troupes en quartiers, ayant réparé par sa valeur et par son habileté toutes les injustices que la fortune lui avait faites au commencement de la campagne; et les alliés se trouvèrent à la fin de cette année en possession de toutes les places et de toutes les provinces qu'ils avaient occupées avant que la guerre fût déclarée.

Il s'en fallut beaucoup que la campagne du Roi prît un tour aussi heureux; ce fut peut-être la plus funeste de toutes. C'en aurait même été fait des Prussiens, si leurs ennemis, qui savaient vaincre, avaient su de même profiter de leurs victoires. Nous avons rapporté les raisons qui restreignaient le Roi à la guerre défensive. Contenu par l'armée du maréchal Daun, qui se tenait en Bohême sur les frontières de la Silésie, il médita une entreprise sur les magasins que les Russes formaient aux environs de Posen. Si ce projet avait réussi, il aurait retardé les opérations des ennemis; et gagner du temps c'était tout gagner. L'armée du Roi s'approcha vers le milieu de mars des montagnes de Schweidnitz; elle fut mise en cantonnements dans ces longs villages qui vont de Landeshut à Friedland. M. de Fouqué demeura avec son corps à Neustadt en Haute-Silésie. M. de Wobersnow,11-a qui avait été envoyé avec un détachement dans le palatinat de Posnanie,<12> y ruina quelques magasins que les Russes commençaient à former. L'expédition, s'étant faite de trop bonne heure, dérangea peu ou point les ennemis dans les mesures qu'ils voulaient prendre.

Il ne se passa rien d'important sur les frontières de la Bohême. M. de Loudon, qui se tenait à Trautenau, sans cesse en mouvement, donna des alertes aux postes avancés, mais sans succès; une seule entreprise réussit aux Autrichiens. M. de Beck attaqua le bataillon de Diringshofen à Greifenberg; il lui coupa la retraite avec sa cavalerie, et après une vigoureuse défense, ce bataillon fut contraint de mettre les armes bas. Sur la fin du mois, M. de Ville, qui commandait en Moravie, entra en force dans la Haute-Silésie; M. de Fouqué, dont le corps était trop faible, lui abandonna Neustadt, et prit une position avantageuse à Oppersdorf. Le Roi se flatta que ce mouvement de M. de Ville lui fournirait l'occasion de battre l'ennemi en détail et d'abîmer entièrement ce corps. Il fit filer secrètement des troupes à Neisse dans cette intention, et s'y rendit lui-même. Quelques précautions que l'on prît pour cacher cette manœuvre à l'ennemi, cela fut inutile. Le clergé catholique et les moines, ennemis secrets des Prussiens, parce qu'ils les croyaient hérétiques, trouvèrent le moyen d'avertir M. de Ville de la marche des troupes, et le jour même que le Roi vint à Oppersdorf, ce général autrichien se retira à Ziegenhals. Tout ce qu'on put faire se réduisit à engager une affaire d'arrière-garde avec les pandours, qui étaient encore en marche; la cavalerie les entoura dans des rochers escarpés, peu propres aux manœuvres des gens de cheval; cependant cette troupe, forte de huit cents hommes, fut ou prise ou passée au fil de l'épée. Les Autrichiens, loin de s'arrêter à Ziegenhals, continuèrent leur retraite jusqu'en Moravie, et le Roi, ne trouvant plus dans ces environs d'objet qui exigeât sa présence, retourna joindre son armée à Landeshut.

Le maréchal Daun venait d'arriver en Bohême; il établit son quartier à Münchengrätz. Les deux armées demeurèrent tranquilles dans<13> leur position jusqu'au 28 de juin, que les Autrichiens prirent le camp de Jaromircz, d'où ensuite ils passèrent en Lusace, et vinrent s'établir à Marklissa. Le Roi, qui était dans le camp de Landeshut, détacha quelques bataillons, qui, par Schatzlar, pénétrèrent en Bohême; ils s'approchèrent de Trautenau, et le major Quintus13-a défit un corps de pandours aux environs de Prausnitz. M. de Seydlitz fut envoyé à Lähn pour observer les mouvements du maréchal Daun. M. de Fouqué reçut ordre de quitter la Haute-Silésie pour relever l'armée du Roi du poste de Landeshut, qu'il aurait été dangereux de laisser vide. Dès qu'il arriva, le Roi en deux marches gagna le camp de Schmuckseiffen, un des plus forts de la Silésie. M. de Seydlitz avait été attaqué la veille par Loudon; ce partisan fut battu; il perdit cent cinquante hommes, et pensa être fait prisonnier. Cependant la cour lui confia un corps de vingt mille hommes, destiné à se joindre aux Russes dès que l'occasion s'en présenterait. Le maréchal Daun le posta sur les hauteurs de Lauban, précisément à l'endroit où il avait été si mal reçu l'année précédente par l'arrière-garde du Roi. Cette position fut choisie pour lui donner quelque avance sur les Prussiens lorsqu'il recevrait l'ordre de se joindre aux Russes. Ces vues des Autrichiens n'étant pas difficiles à pénétrer, le Roi fit observer ce partisan par deux corps de cavalerie, dont l'un, sous M. de Lentulus, fut placé à Löwenberg, et l'autre, sous le prince de Würtemberg, à Bunzlau.

Pendant que ces mesures se prenaient vis-à-vis des Autrichiens, on n'avait pas négligé de prendre précaution contre les Russes. Du<14>rant l'hiver, MM. de Schlabrendorff14-a et de Hordt14-b les observèrent de Stolp, par des détachements qu'ils avaient répandus le long de la frontière de Pologne. Vers le printemps, le comte Dohna quitta le Mecklenbourg et la Poméranie, où il laissa M. de Manteuffel avec un petit corps, pour tenir tète aux Suédois. Le comte marcha avec ses troupes à Stargard, d'où il se rendit à Landsberg; il y fut joint par un renfort que S. A. R. le prince Henri lui envoyait de Saxe aux ordres de MM. d'Itzenplitz et de Hülsen. On avait observé que les Russes traversaient la Pologne par détachements; ce qui fit naître l'idée d'aller à leur rencontre pour les battre en détail, ce qui aurait été très-possible, si l'on était tombé, dans leur marche, sur une de leurs divisions, avant qu'elle pût être jointe par les autres. Pour exécuter ce dessein, il fallait agir avec activité et avec résolution; mais tout le contraire arriva. Les troupes furent mal menées, les généraux manquèrent de vigilance, tout se fit trop tard, on accumula fautes sur fautes, et cette malheureuse expédition devint comme la source des infortunes dont les Prussiens furent accablés cette campagne. Le comte Dohna partit le 23 de juin de Landsberg; il passa la Warthe le 5 de juillet à Obernick. Sa lenteur donna aux Russes le temps de s'assembler à Posen, et les deux armées s'amusèrent à faire des reconnaissances qui ne menèrent à rien. Les Russes firent un mouvement en avant le 14; ils défilèrent proche de l'armée prussienne, mais dans un tel désordre, qu'il n'aurait tenu qu'au comte Dohna d'en profiter, s'il en avait eu la résolution. Ses mesures étaient généralement si mal prises, qu'il perdit une partie de sa boulangerie et de son parc de vivres par sa<15> négligence; ce qui l'obligea de se replier sur Züllichau. Le Roi, étant informé de la confusion qui régnait dans cette armée, et de la désunion qu'il y avait parmi les généraux, y envoya M. de Wedell, qui en prit le commandement comme dictateur, quoiqu'il ne fût pas le plus ancien par le grade.

Le même soir que M. de Wedell arriva à Züllichau, M. de Soltykoff campait à Babimost, d'où il avait si bien tourné la position des Prussiens durant la nuit, qu'une partie des Russes occupait déjà le défilé de Kay, derrière les Prussiens, précisément entre leur camp et le chemin de Crossen, sans que personne s'en aperçût, tant le service se faisait négligemment dans l'armée dont M. de Wedell venait de prendre le commandement. M. de Wedell apprit cette marche par ses propres yeux; il alla reconnaître le camp de Babimost, et n'y vit que la queue des colonnes et l'arrière-garde, qui suivaient le chemin de Crossen. Il fit d'abord abattre ses tentes, se mit en marche, attaqua les troupes ennemies qui s'étaient établies à Kay, espérant de les battre avant que leur armée pût les joindre; mais les affaires tournèrent autrement. Les Russes étaient bien postés : on ne pouvait aller à eux que par un front de sept bataillons de largeur, resserré des deux côtés par des marais. Les Russes étaient comme en demi-lune, sur trois lignes, occupant des tertres chargés de sapins. M. de Wedell enfonça leur première ligne; lorsqu'il voulut attaquer la seconde, son infanterie se trouva exposée à un si grand feu de mitraille, partant de différentes batteries établies en croisière, qu'elle n'y put résister. On fit à trois reprises de nouveaux efforts, mais en vain. Le grand mal venait de ce que M. de Wedell ne pouvait pas opposer assez de canon à celui de l'ennemi. Il avait perdu du monde, et voyant peu d'apparence de réussir, il ne voulut pas sacrifier le reste inutilement. Il prit la résolution de se retirer; les troupes passèrent le lendemain l'Oder à Tschicherzig, pour se camper à Sawade. Pour les Russes, M. de Soltykoff les mena à Crossen. M. de Wedell perdit dans cette<16> journée entre quatre et cinq mille hommes;16-a il n'est pas apparent que la perte des ennemis ait été considérable, parce que le terrain était à leur avantage.

Cet événement acheva de déranger les mesures que le Roi avait prises jusqu'alors. Après l'échec que M. de Wedell venait de recevoir, il ne pouvait plus s'opposer sans de considérables renforts aux progrès de M. de Soltykoff. Francfort et Cüstrin étaient en danger par la position qu'il avait prise à Crossen, et si, dans peu, une armée prussienne ne s'approchait de Francfort pour défendre l'Oder, la ville de Berlin se trouvait exposée aux plus grands hasards. L'armée de Silésie n'était pas assez nombreuse pour qu'on pût l'affaiblir encore par de nouveaux détachements. M. de Fouqué défendait les gorges de Landeshut contre M. de Ville, avec dix mille hommes; l'Autrichien en avait vingt mille. L'armée du Roi, qui campait à Schmuckseiffen, était de quarante mille combattants; celle du maréchal Daun, de soixante-dix mille hommes. Quelles que fussent ces circonstances, le cas était pressant : il fallait assembler une armée pour couvrir la Marche de Brandebourg. Il y avait tout lieu de supposer que les coups se porteraient de ce côté, ou bien en Silésie. D'autre part, les Autrichiens gardaient des ménagements pour la ville de Dresde, à cause du séjour qu'y faisait la famille royale. Il était donc à présumer qu'un homme ferme, dans cette place, la soutiendrait assez de temps, pendant l'absence de l'armée, pour qu'elle pût y revenir pour le dégager, s'il était attaqué.

Après avoir mûrement réfléchi sur cet article, il fut résolu que le prince Henri viendrait à Sagan avec seize bataillons et vingt-cinq escadrons, auxquels on joindrait le détachement du prince de Würtem<17>berg, formé de quinze escadrons et de six bataillons; que S. A. R. prendrait le commandement de l'armée du Roi, comme étant le seul à qui on pût la confier; et que le Roi se mettrait à la tête du corps qu'on assemblerait à Sagan, pour le mener incessamment à la défense de ses États. Il comptait de s'y faire joindre par M. de Wedell. S. A. R. arriva pour sa personne le 28 à Schmuckseiffen, et le Roi se rendit le 29 à Sagan. Le sieur Loudon avait déjà longé dans cette partie les frontières de la Silésie, et quoique le Roi le fît observer, les officiers prussiens y furent trompés de la manière suivante. M. de Hadik avait suivi le prince Henri, et s'était joint à Sorau avec Loudon. Loudon continua son chemin; un régiment de hussards qui avait toujours été affecté à son corps, demeura avec Hadik. Cela fit croire aux officiers qui allaient à la découverte, que le corps de Loudon s'y trouvait en entier; sur quoi le Roi, marchant à Christianstadt, y apprit qu'on lui avait donné le change, car Loudon venait d'arriver le même jour à Guben. Cela l'obligea de continuer sa marche, et il gagna encore le même jour Sommerfeld. La cavalerie prussienne donna sur celle de Hadik, qui suivait Loudon, et elle fut poussée jusqu'à Guben. M. de Loudon partit le même soir pour gagner Francfort; le Roi se campa à Niemitzsch sur les bords de la Neisse. Vers la pointe du jour, on aperçut deux colonnes qui venaient de Guben, et qui filaient sur le chemin de Cottbus. La cavalerie passa d'abord la rivière; on engagea à la hâte une affaire d'arrière-garde, où le régiment de Würzbourg impérial, fort de treize cents hommes, fut entièrement fait prisonnier. Les hussards poursuivirent l'ennemi, et lui enlevèrent six cents caissons de vivres, dont toute l'escorte fut dispersée. Dans d'autres occasions, ces avantages auraient pu avoir des suites; dans celle-ci, c'était de la peine perdue, parce que le but de l'expédition était manqué, et qu'il n'était plus possible d'empêcher la jonction des Autrichiens et des Russes à Francfort.<18> Le Roi se mit le lendemain en marche. M. de Wedell eut ordre de joindre l'armée à Mullrose, ce qui lui était facile depuis que les Russes avaient quitté Crossen, et qu'il n'avait plus personne en tête. Les troupes du Roi prirent le chemin de Beeskow, d'où l'infanterie se rendit en droiture à Mullrose. Ce prince et sa cavalerie prirent par Neubrück, sur le canal qui communique de l'Oder à la Sprée. Il y trouva les ponts rompus, et, à l'autre bord, les dragons de Löwenstein, qui se préparaient à en disputer le passage. Ces obstacles n'étaient pas aussi considérables qu'ils le paraissaient. Ce canal est rempli de gués; la cavalerie prussienne les passa; elle fondit en même temps sur les dragons autrichiens postés dans ces bois, qui furent défaits et poussés jusqu'aux faubourgs de Francfort. De là le Roi rejoignit son infanterie à Mullrose, amenant trois cents prisonniers que l'on avait faits du régiment de Löwenstein. M. de Wedell y arriva le 4. M. de Finck, qui était demeuré aux environs de Torgau après le départ du prince Henri, inutile dans cette partie, et ne pouvant pas couvrir seul la Saxe avec les dix mille hommes qu'il commandait, reçut également ordre de joindre l'armée. Le Roi rassemblait le plus de forces qu'il pouvait, parce qu'il était obligé de se dépêcher. Il fallait battre les Russes le plus tôt qu'on pourrait en venir aux mains, pour accourir à temps à la défense de la Saxe, qui étant, aux places près, vide de troupes, laissait les chemins ouverts à l'armée de l'Empire pour pénétrer jusqu'à Berlin si elle le voulait. Afin donc d'être plus à portée d'attaquer les Russes, l'armée quitta les environs de Mullrose, et prit un camp entre Lebus et Wulkow. Elle tira ses subsistances de Cüstrin, et attendit l'arrivée de M. de Finck, qui vint le 10 dans ce camp. On fit les préparatifs nécessaires pour passer l'Oder entre Lebus et Cüstrin. On se pressa d'autant plus d'exécuter ce projet, que M. de Hadik venait d'occuper le camp de Müllrose, que les Prussiens avaient quitté. Ce général pouvait de là<19> se joindre à M. de Buturlin, ou il pouvait tenter une entreprise sur Berlin, s'il ne trouvait personne pour s'y opposer.

Toutes ces choses pressaient le Roi d'agir avec promptitude. L'armée passa l'Oder le 11, et vint se mettre en bataille vis-à-vis des Russes, s'étendant depuis Trettin, où était la droite, jusqu'à Bischofssee, où s'appuyait la gauche. La réserve de M. de Finck campa devant les lignes, sur des hauteurs qui dérobaient aux Russes la connaissance des mouvements que feraient les Prussiens. Un ruisseau bourbeux séparait les deux armées. M. de Soltykoff s'était campé à Kunersdorf. Son aile droite s'appuyait sur une petite élévation, où les Russes avaient construit un fort en guise d'étoile : deux branches de retranchement partaient de là, qui, occupant un terrain élevé, allaient aboutir au cimetière des Juifs,19-a hauteur assez considérable proche de Francfort. La droite de ce camp, où était cette redoute en étoile, était dominée par une hauteur que M. de Finck occupait, et, au delà du ruisseau, par une élévation que les gens du pays nomment la Pechstange. De la position où se trouvait l'armée du Roi, il était impossible d'attaquer l'ennemi : il aurait fallu passer deux chaussées étroites, couvertes d'abatis, et dont les Russes étaient maîtres; il aurait fallu déployer les brigades sous le feu de leurs petites armes, et attaquer un retranchement défendu par des batteries croisées. On trouva donc plus convenable de remonter le ruisseau, où, après un détour d'un demi-mille, on arrive au pont qui est sur le chemin de Reppen; là se trouve un autre chemin qui mène par le bois à la hauteur de la Pechstange. Ces connaissances locales servirent de base<20> aux dispositions que l'on fit pour la bataille qui s'engagea le lendemain. Le corps de M. de Finck fut destiné à soutenir, sur les hauteurs où il se trouvait, les batteries qu'on y dressa pendant la nuit, et qui pouvaient tirer à bout portant sur l'étoile des Russes.

Le lendemain, l'armée prit le chemin de Reppen, et se forma dans le bois près de la Pechstange sur cinq lignes, dont les trois premières étaient d'infanterie, et les deux dernières, de cavalerie. Pendant ce temps-là, M. de Finck faisait jouer ses batteries de toutes ses forces, et il fit semblant de vouloir passer les chaussées qu'il avait devant lui, ce qui fixa si bien l'attention de M. de Soltykoff, que l'armée du Roi gagna la lisière du bois sans qu'il s'en aperçût. On construisit aussitôt de grandes batteries sur deux monticules qui dominaient la droite des Russes. Cette partie de leur retranchement fut embrassée et entourée par les batteries des Prussiens, comme le peut être un polygone dans un siége en forme. Alors, tout étant préparé, M. de Schenckendorff s'avança, sous la protection de soixante bouches à feu, contre ce fort, et l'emporta presque d'emblée. L'armée le suivit. Les deux branches du retranchement qui aboutissaient à ce point étant prises en flanc, ce ne fut qu'un massacre épouvantable de l'infanterie russe jusqu'au cimetière de Kunersdorf, que la gauche des Prussiens eut quelque peine à emporter. Alors M. de Finck, que les attaques avaient déjà dépassé, déblaya ses digues, et se joignit aux autres troupes. On avait déjà pris sept redoutes, le cimetière, et cent quatre-vingts canons; l'ennemi était en grande confusion, il avait perdu un monde prodigieux. Le prince de Würtemberg, cependant, qui s'impatientait de l'inaction de la cavalerie, chargea mal à propos cette infanterie des Russes qui était dans des retranchements au cimetière des Juifs. Il fut repoussé à la vérité, mais, en même temps, les ennemis abandonnèrent une grande batterie qu'ils avaient près de ce cimetière. L'infanterie prussienne, qui n'en était qu'à huit cents pas, fit un effort pour s'en saisir; mais, qu'on voie à quoi tiennent les victoires, elle<21> n'en était qu'à cent cinquante, lorsque M. Loudon, s'apercevant de la faute que les Russes faisaient de l'abandonner, y arriva avec sa réserve, et prévint les Prussiens de quelques minutes. Il fit aussitôt charger ce canon à mitraille, et le fit exécuter sur eux. Ce feu les dérangea. Quoiqu'on renouvelât les attaques à différentes reprises, il fut impossible d'emporter cette batterie, qui dominait sur tout ce terrain. M. Loudon, qui s'aperçut que la contenance des assaillants était moins assurée, leur lâcha des corps de cavalerie par sa droite et par sa gauche. Cela rendit la confusion générale dans ces troupes, et elles s'enfuirent en désordre. Le Roi protégea leur retraite par une batterie, soutenue du régiment de Lestwitz.21-a Il y reçut une contusion. Le régiment des pionniers fut pris derrière lui. L'infanterie avait d'ailleurs déjà repassé les digues, et avait repassé au camp qu'elle avait eu la veille; sur quoi le Roi se retira le dernier, et il aurait été pris par les ennemis, si M. de Prittwitz21-b ne les eût attaqués avec cent hussards, pour lui donner le temps de repasser le défilé. Le gros de la cavalerie se retira par le même chemin qu'elle avait pris le matin. Dans ce premier moment, la consternation des troupes fut si grande, qu'au seul bruit des Cosaques, l'infanterie, qu'on avait formée sur l'emplacement de son ancien camp, s'enfuit au delà de mille pas avant qu'on parvînt à l'arrêter. Les Russes gagnèrent à la vérité cette bataille; mais elle leur coûta cher : ils y perdirent vingt-quatre mille hommes de leur aveu; ils reprirent tous leurs canons et par delà quatre-vingts pièces<22> des Prussiens, et firent trois mille prisonniers. L'armée du Roi perdit à cette journée dix mille hommes tant morts que prisonniers et blessés.

Le Roi, qui s'était flatté d'emporter la victoire, avait commis à M. de Wunsch22-a de se saisir de Francfort pendant l'action, pour couper la retraite à l'ennemi. Ce brave officier s'en était rendu maître, et y avait fait quatre cents prisonniers; mais le malheur de cette journée l'obligea d'abandonner la ville et de retourner à Reitwein, où l'armée se campa après avoir repassé l'Oder. L'on avait à peine rassemblé dix mille hommes le soir après l'action. Si les Russes avaient su profiter de leur succès, s'ils avaient poursuivi ces troupes découragées, c'en était fait des Prussiens. Ils donnèrent du temps au Roi pour se remettre de ses pertes. Le lendemain, l'armée se trouva forte de dix-huit mille combattants, et peu de jours après, son nombre monta à vingt-huit mille têtes. On tira du canon des places; on fit venir le corps qui jusqu'alors avait amusé les Suédois au bord de la Peene. Presque tous les généraux étaient blessés22-b ou avaient reçu des contusions; enfin il n'aurait dépendu que des ennemis de terminer la guerre; ils n'avaient qu'à donner le coup de grâce; mais ils s'arrêtèrent, et au lieu d'agir avec vigueur, comme le cas le demandait, ils s'applaudirent de leur succès et bénirent leur fortune : enfin le Roi put respirer, et ils lui laissèrent assez de loisir pour qu'il pût pourvoir aux besoins les plus pressants de son armée. Toutefois, pour ne pas être injuste dans nos décisions, nous nous croyons obligé de rapporter ce qu'alléguait M. de Soltykoff pour colorer son inaction. Sur<23> ce que le maréchal Daun le pressait de pousser ses opérations avec vigueur, il lui répondit : « J'en ai assez fait, monsieur, cette année; j'ai gagné deux batailles, qui coûtent vingt-sept mille hommes à la Russie; j'attends, pour me mettre de nouveau en action, que vous ayez remporté deux victoires à votre tour; il n'est pas juste que les troupes de ma maîtresse agissent toutes seules. » Les Autrichiens n'obtinrent qu'avec peine de lui qu'il passât l'Oder à Francfort; toutefois ce fut à condition que M. de Hadik demeurerait dans son poste de Müllrose. Ce mouvement des Russes fit changer de position au Roi : il marcha d'abord à Madlitz, puis à Fürstenwalde, où il était maître du passage de la Sprée. C'était un objet important pour les circonstances d'alors. Les troupes des cercles venaient de prendre Torgau et Wittenberg;23-a on avait à craindre de leur part qu'elles ne tentassent une entreprise sur Berlin, et on en appréhendait autant de M. de Hadik; il n'avait qu'à longer la Sprée, qui lui servait à couvrir sa marche, tandis que M. de Soltykoff aurait contenu l'armée du Roi en s'avançant et en approchant d'elle. Les affaires des Prussiens étaient si mauvaises, si désespérées, qu'on aurait été bien embarrassé, dans le cas où l'on se trouvait, pour prendre un parti sage et conforme aux règles de l'art, Cependant, comme il fallait être préparé à tout événement, le Roi résolut de sacrifier plutôt jusqu'au dernier homme que de souffrir que l'ennemi s'emparât impunément de Berlin, et, pour cet effet, de tomber sur le corps du premier qui s'en approcherait, aimant mieux périr les armes à la main que d'être brûlé à petit feu. Ces embarras où le Roi se trouvait, furent encore augmentés par l'approche du maréchal Daun. Il était venu se camper à Triebel; il avait eu une conférence à Guben avec M. de Soltykoff. Le prince Henri ne pouvait pas empêcher la jonction des Autrichiens et<24> des Russes, à plus forte raison arrêter les détachements qu'ils auraient voulu envoyer contre le Roi; et quel que fût de ces partis celui que le maréchal Daun prît, il était également funeste. Cependant les affaires prirent une meilleure tournure qu'on ne devait s'y attendre, parce que tout le mal, comme tout le bien qu'on prévoit, n'arrive point.

Depuis que le Roi avait quitté la Silésie, les choses y avaient pris une nouvelle face. M. de Ville se persuada que M. de Fouqué ne pourrait l'empêcher de pénétrer en Silésie; il ne tenta point à la vérité de forcer les gorges de Landeshut, mais il prit le chemin de Friedland, où l'on n'avait pas jugé à propos de lui présenter des obstacles, par les raisons que nous allons voir. M. de Ville descendit tranquillement dans les plaines de Schweidnitz; sur quoi M. de Fouqué établit des corps à Friedland et à Conradswaldau, par où les Autrichiens étaient obligés de tirer leurs vivres. M. de Ville manqua bientôt du nécessaire : il se vit forcé de retourner en Bohême, et attaqua le poste de Conradswaldau, où il fut repoussé avec perte de treize cents hommes et de tout son bagage; et en prenant des chemins détournés, il se trouva heureux d'avoir regagné Braunau.

Le maréchal Daun, de son côté, avait quitté Marklissa et s'était porté sur Pribus. S. A. R., qui ne voulait pas le quitter de vue, marcha à Sagan, d'où elle détacha M. de Zieten à Sorau pour observer de plus près l'ennemi. Le maréchal Daun, que les Russes pressaient d'agir, se proposa d'enlever ce corps en faisant marcher deux colonnes à la droite et à la gauche des Prussiens, couvertes par de grands bois, et qui devaient se joindre à un défilé entre Sorau et Sagan, pour leur couper la retraite. Mais M. de Zieten prévint le maréchal; il se replia à temps sur l'armée de S. A. R., sans faire de pertes. Le prince Henri n'était pas dans une situation à pouvoir entreprendre sur les Autrichiens; il convenait moins que jamais de hasarder une bataille, après en avoir perdu deux cette année. Son dessein étant toutefois<25> d'éloigner le maréchal Daun des Russes et de l'électorat de Brandebourg, il jugea que le meilleur expédient pour y réussir serait de détruire les magasins que les ennemis avaient sur leurs derrières. Il exécuta ce dessein avec toute la célérité et toute l'habileté possibles; il quitta Sagan, et marcha par Lauban à Görlitz. M. de Ville y était accouru en hâte; le Prince ayant fait mine de l'attaquer, ce général autrichien, devenu timide depuis l'affaire de Conradswaldau, se retira à Reichenbach. C'était ce que le Prince désirait, et il fit partir sur-le-champ un corps pour la Bohême, qui ruina à Böhmisch-Friedland le magasin des ennemis. Un autre détachement se rendit par Zittau à Gabel, prit prisonniers six cents hommes qui s'y trouvaient en garnison, et détruisit le considérable amas que les Autrichiens y avaient accumulé. L'heureux succès de cette expédition fit rétrograder le maréchal Daun; si alors la ville de Dresde ne se fût pas rendue de la façon la plus infâme, les Impériaux se trouvaient forcés de retourner en Bohème; mais la réduction de cette capitale, les mettant en possession des grands magasins que les Prussiens avaient dressés, leur permit de s'établir à Bautzen.

Le départ de l'armée autrichienne, la disette de fourrage que les Russes commençaient à sentir, leur firent abandonner leur position de Francfort; ils marchèrent en Lusace, et se campèrent à Lieberose. L'armée du Roi les suivit par Beeskow; de là elle s'avança sur Waldow. M. de Hadik, qui était en marche pour s'y rendre, se replia à l'approche des Prussiens, de sorte que le Roi y prit une position avantageuse derrière des marais, d'où il coupait aux Russes les subsistances qui devaient leur être livrées de Lübben et des lieux circonvoisins. Dresde était assiégée alors, sans cependant qu'il y eût de tranchée ouverte. Sa Majesté y envoya un détachement aux ordres du général Wunsch. Cet habile officier surprit Torgau en chemin, et il arriva devant Dresde le jour que M. de Schmettau en signait la capitulation. Il serait, je pense, superflu de critiquer la conduite d'un homme qui<26> rend une place sans qu'il y ait ni tranchée ouverte, ni brèche : qui ne voit pas que des corruptions avaient préparé d'avance une défense aussi molle et aussi lâche? M. de Wunsch, ne trouvant plus rien à faire de ce côté-là, se replia sur Torgau. Les troupes de l'Empire étaient venues pour reprendre cette ville : Wunsch passe l'Elbe avec une poignée de monde, se glisse dans les vignes, de là il fond sur les cercles, les bat, leur enlève tout leur camp, et les met en déroute. Sur cette nouvelle, le Roi y envoya M. de Finck avec un renfort de dix bataillons et de vingt escadrons, et ces deux corps joints ensemble s'avancèrent jusqu'à Meissen. Ces petits contre-temps firent rappeler M. de Hadik de l'armée des Russes; il traversa la Lusace, passa l'Elbe à Dresde, et, joint aux troupes des cercles, il marcha droit à M. de Finck. Une partie des Autrichiens attaqua M. de Wunsch, posté à Siebeneichen, près de Meissen; le gros de la troupe passa la Triebisch à Munzig, et se présenta sur le flanc droit de M. de Finck. Ce général ne balança point; il attaqua les ennemis, les battit, leur prit du canon et six cents prisonniers.26-a M. de Wunsch ne resta pas en arrière : il repoussa également avec perte ceux qui étaient venus l'assaillir, et M. de Hadik fut obligé de s'enfuir à Dresde.

Pendant que M. de Finck faisait des progrès en Saxe, M. de Soltykoff prenait le chemin de la Silésie par Sommerfeld et Christianstadt. Il fallait le prévenir, pour qu'il ne ruinât pas tout le plat pays, et qu'il ne mît pas le siége devant quelque place. Par ces raisons, le Roi se porta sur Sagan, où il pensa rencontrer quatre régiments autrichiens que M. Campitelli menait au secours des Russes. A Sagan, il regagna la communication avec le prince Henri, auquel il fit part des avantages que M. de Finck venait d'emporter; il lui demanda quelques renforts pour remplacer une partie des détachements qu'il avait faits pour la Saxe et contre les Suédois, et lui enjoignit en même temps<27> de gagner l'Elbe pour joindre M. de Finck, afin qu'il pût tenter tous les moyens possibles pour reprendre Dresde. Le Roi, de son côté, marcha à Neustädtel, où il prévint les Russes. M. de Soltykoff en voulait à Glogau; il se proposait d'occuper les hauteurs de Baunau. Le Roi le prévint encore; les colonnes de l'armée ennemie, qui virent la place occupée, s'arrêtèrent à Beuthen, sans cependant dresser leurs tentes. Cela fit présumer qu'ils avaient intention d'attaquer les Prussiens le lendemain, et ils passèrent la nuit au bivouac. Les généraux des ennemis parurent dès la pointe du jour pour faire une reconnaissance. Le Roi avait à peine vingt mille hommes dans son camp; les troupes, à la vérité, se trouvaient bien postées, mais elles avaient deux fois été battues par les Russes, et la mémoire leur en était encore récente. Les généraux ennemis n'entrèrent pas dans ces considérations; ils se retirèrent à leur armée, et bientôt les tentes furent dressées. Le prince Henri et M. de Fouqué s'étant cotisés pour envoyer quelque renfort au Roi, ces troupes arrivèrent le lendemain de cette reconnaissance, et elles furent postées à Linkersdorf, sur les bords de l'Oder, où elles se retranchèrent. Les deux armées demeurèrent assez tranquillement dans cette situation.

Cependant le corps des Autrichiens se trouvait campé à un demi-mille de l'armée russe; on pouvait d'autant plus facilement battre ces troupes avant que M. Soltykoff pût y apporter du secours, qu'elles n'étaient point appuyées du tout; cela fit naître l'envie de l'entreprendre. Le Roi y marcha la nuit du 1er d'octobre; il y trouva le camp vide; il n'y prit que des traîneurs, qui déposèrent que la nuit même toute l'armée avait passé l'Oder à Carolath. On s'approcha de ce fleuve, où l'on entendit une canonnade très-vive; et la surprise fut extrême lorsqu'on vit que ce feu partait de l'arrière-garde des Russes, qui, à grands coups de canon, détruisait le pont sur lequel ils avaient passé le fleuve, tant ils étaient grossiers et ignorants. Par ce mouvement, la rive gauche de l'Oder était mise en sûreté; mais comme il<28> fallait couvrir la droite, le Roi fit marcher l'armée à Glogau. Dix bataillons et trente escadrons y passèrent la rivière, et se postèrent sur une hauteur, pour couvrir la place; le gros des troupes se campa proche des ouvrages. M. de Soltykoff prit une position à Kuttlau; il y eut tous les jours des escarmouches entre les hussards et les Cosaques, où les Prussiens eurent l'avantage. Toutefois, comme la rapidité de la marche du Roi avait fait manquer le coup que les Russes avaient prémédité, ils quittèrent les environs de Glogau, et prirent le chemin de Guhrau, qui mène à Freystadt. On canonna une de leurs colonnes, qui passa près du retranchement prussien; on harcela même leur arrière-garde, tandis que le gros de l'armée du Roi décampait et prenait le chemin de Koben. Comme on manquait de pontons pour passer l'Oder, on y suppléa par des chevalets, et l'armée du Roi, s'étant rendue à l'autre bord de ce fleuve, prit une position derrière la Bartsch, rivière à bords marécageux, par laquelle elle couvrait toute la Basse-Silésie. M. de Diericke,28-a qui avait la gauche, occupait une digue de l'Oder et ce moulin que M. de Schulenbourg rendit autrefois célèbre par la retraite qu'il fit devant Charles XII. Le gros des troupes s'étendait dans les bois de Sophienthal; sur la droite, un détachement tenait un poste sur la Bartsch, d'où il était à portée de prévenir les ennemis, au cas qu'ils marchassent sur Herrnstadt. Cette position était très-bonne et très-sûre, quoique fort étendue; deux digues, passages uniques sur la Bartsch, étaient occupées et bien retranchées par les Prussiens. Les Russes, outrés de ce que tous leurs desseins étaient dérangés, agirent en barbares; ils brûlèrent la ville de Guhrau et les villages des environs, et, ayant saccagé tout ce pays, marchèrent à Herrnstadt, où ils furent encore prévenus. Pour s'en venger, selon leur brutalité naturelle, ils réduisirent la ville en cendres à force d'y jeter des grenades royales; néanmoins, comme ils étaient extrêmement resserrés dans le terrain qu'ils occupaient,<29> où l'eau manquait même, ils furent contraints d'abandonner la Silésie. Le Roi fut alors atteint d'un fort accès de goutte, et comme les opérations contre les Russes étaient finies, il se fit transporter à Glogau.29-a

Quoique l'on fût débarrassé des Russes pour cette année, il restait encore à craindre que M. Loudon, à son retour, ne formât quelque entreprise contre la Silésie. Pour que quelqu'un veillât à ses démarches, le Roi donna des ordres à M. de Fouqué, qui en conséquence abandonna son poste de Landeshut, et côtoya les Autrichiens depuis Trachenberg jusqu'à Ratibor; ce qui obligea M. Loudon de passer par Cracovie, et de là par la principauté de Teschen, pour regagner Olmütz.

L'armée du Roi, n'étant plus nécessaire en Silésie, prit sous les ordres de M. de Hülsen la route de la Saxe. Pour renouer le fil de tant de divers événements, nous reprendrons à présent la suite des opérations du prince Henri en Lusace. Nous avons laissé S. A. R. à Görlitz. Le maréchal Daun s'était approché de son camp dans l'intention de l'attaquer, mais le Prince partit la nuit; il passa par Rothenbourg, et donna le lendemain sur le corps de M. Vehla, posté à Hoyerswerda. Ce général, qui se croyait à l'abri de toute attaque, fut soudain enveloppé par la cavalerie prussienne; elle enfonça son infanterie, et le fit prisonnier avec quinze cents Croates en quoi consistait la principale force de son détachement. Il avait reçu, la veille de son malheur, une lettre du maréchal Daun, qui lui marquait d'être sans inquiétude et assuré que le maréchal lui tiendrait bon compte du prince Henri. Après cette expédition, S. A. R. dirigea sa marche sur Elsterwerda. Le bien des affaires aurait demandé que les Prussiens se joignissent immédiatement à Meissen; mais le pont de l'Elbe était détruit, et l'on manquait de moyens pour le rétablir si vite, ce<30> qui fut cause que le Prince passa l'Elbe à Torgau. Le maréchal Daun passait l'Elbe en même temps à Dresde; il s'avança vers Meissen; M. de Finck, trop faible pour lui résister, se replia sur Torgau, où il se joignit à S. A. R. Les Prussiens prirent, le 4, la position de Strehla; les Autrichiens s'avancèrent sur eux, et se campèrent entre Riesa et Oschatz, setendant par des détachements à Dahlen, Hubertsbourg et Grimma. Le Prince avait placé un corps à la montagne de Schilda, qui fut obligé de se replier dans les forêts de Torgau. Cela lui donna des appréhensions pour ses derrières, et il fit marcher l'armée à Torgau pour couvrir le dépôt de ses subsistances. Le maréchal Daun suivit immédiatement le Prince jusqu'à Belgern. Si le Prince n'avait pas à craindre pour sa position, qui était assez bonne, il avait toutefois lieu d'être attentif à ce qui se passait à sa droite; il envoya pour cet effet M. de Rebentisch30-a à Düben, pour observer ce que l'ennemi pourrait entreprendre dans cette partie. Le dessein du maréchal Daun était effectivement de tourner le camp de S. A. R., et il détacha le duc d'Aremberg à Dommitzsch, avec vingt-six bataillons et six régiments de cavalerie. Le Prince fit examiner ce nouveau camp des ennemis, et sur ce qu'on le jugea d'un abord difficile, il envoya M. de Wunsch avec un détachement pour renforcer M. de Rebentisch. Wunsch passa l'Elbe à Torgau, la repassa à Wittenberg, et joignit Rebentisch à Bitterfeld, où il s'était retiré. Le Prince, importuné du voisinage du duc d'Aremberg, qui s'était mis sur son flanc, partit de son camp à la tête de quinze bataillons et d'autant d'escadrons. Il arriva à Pretzsch30-b précisément lorsque l'ennemi se mettait en marche pour Düben. Alors le duc d'Aremberg fut attaqué en même temps par S. A. R. et par M. de Rebentisch. L'arrière-garde des Impériaux, forte de quinze cents hommes, fut prise avec le général Gemmingen,<31> qui la commandait. Cet échec ébranla la constance des Autrichiens, et le maréchal Daun se replia le 4 de novembre derrière la Ketzerbach, où il prit une position entre Zehren et Lommatzsch; et le prince Henri s'avança à Hirschstein, où il fut joint par M. de Hülsen.

La maladie du Roi, qui l'avait retenu quelque temps à Glogau, l'empêcha de pouvoir arriver avant le 13 dans ce camp. Il avait traversé la Lusace avec une escorte de huit cents hommes; cependant sa faiblesse, qui était encore grande, l'empêchait d'agir. Le prince avait détaché M. de Finck sur Nossen, par où il tournait la position de l'ennemi. Le maréchal Daun n'y tint point : il quitta la Ketzerbach, et se campa auprès de Dresde, du Windberg au fond de Plauen. M. de Wedell se porta aussitôt en avant; il s'empara de Meissen, et maltraita beaucoup dans sa retraite l'arrière-garde des Impériaux. L'armée du Roi campa le même jour à Schlettau, et M. de Diericke, qui tenait l'autre bord de l'Elbe avec son détachement, se porta sur Zscheila. Les Prussiens firent le lendemain un mouvement sur Wilsdruf, et M. de Zieten s'avança à Kesselsdorf, où il pouvait observer l'ennemi de plus près.

Les malheurs qu'avait essuyés le Roi dans cette campagne, auraient été réparés en partie s'il avait pu reprendre Dresde. On avait cet objet d'autant plus à cœur, que Dresde assurait les quartiers d'hiver, et donnait aux Autrichiens des jalousies perpétuelles pour la Bohême. La position du maréchal Daun étant inexpugnable à cause des rochers escarpés qui défendaient sa gauche, et de l'inondation qui couvrait sa droite, il ne restait d'expédient pour parvenir à son but que celui de tourner l'ennemi par des détachements. On pouvait mettre des obstacles à ses convois de vivres, et faire quelques incursions en Bohême, pour l'obliger d'abandonner Dresde. M. de Finck fut détaché à Freyberg pour remplir ces vues, d'où il s'avança sur Dippoldiswalda, puis se posta à Maxen; il poussa même M. de Wunsch jusqu'au défilé de Dohna. Une colonne des troupes de l'Empire, qui<32> ignorait apparemment que les Prussiens fussent dans cette contrée, s'avança imprudemment, se fit battre, et perdit quatre cents hommes dans cette affaire. M. de Kleist entra en même temps avec ses hussards en Bohême; il fit des ravages vers Teplitz, Dux et Aussig, d'où il ramena quantité de prisonniers. Le maréchal Daun endurait impatiemment ces insultes, et surtout la position que M. de Finck avait prise. Il détacha M. Brentano à Dippoldiswalda; c'était le signal auquel M. de Finck devait se retirer. Ses ordres portaient d'attaquer tous les corps faibles qu'il trouverait, mais de se replier à l'approche de ceux qui lui seraient supérieurs. Il se confia mal à propos à son poste, qui aurait été passable s'il avait eu assez de monde pour le garnir; mais sa sécurité le perdit, car il n'avait garni que quelques montagnes avec son infanterie, et il confia une des principales aux hussards de Gersdorff,32-a comme si la cavalerie était faite pour défendre des postes. Le maréchal Daun, qui se trouvait en sûreté sur son escarpement du Windberg et derrière son inondation de la Friedrichsstadt, détacha quarante mille hommes pour attaquer le corps des Prussiens qui était si mal posté à Maxen. Le Roi ne fut point informé de ce mouvement; mais puisqu'il avait appris que le corps de Brentano avait marché à Dippoldiswalda, il envoya M. de Hülsen avec huit mille hommes, pour en déloger l'ennemi, et afin d'assurer la communication de l'armée avec le corps de Maxen. A peine M. de Hülsen fut-il à Dippoldiswalda, qu'il apprit la catastrophe qui venait d'arriver. M. de Finck avait été attaqué le matin par les Autrichiens; quelques coups de canon délogèrent M. de Gersdorff du poste qu'il devait défendre; l'infanterie de l'ennemi s'en saisit. Elle y établit du canon; de là elle travailla sur le flanc de M. de Finck, pendant que le gros de l'armée attaquait son<33> front. Quelques régiments de l'infanterie prussienne firent mal leur devoir; l'ennemi emporta une hauteur qu'ils occupaient : la cavalerie prussienne fit mal à propos quelques charges mal dirigées; elle fut repoussée à plusieurs reprises. Les Autrichiens mirent le feu au village de Maxen, qui séparait la ligne de M. Finck. Cela mit du désordre dans les troupes; la confusion gagna le reste du corps; ils abandonnèrent le champ de bataille avec précipitation. Dans la terreur où ils étaient, ils courent à Dohna, où M. de Wunsch venait de repousser l'armée de l'Empire, quelques efforts qu'elle eût faits pour l'enfoncer. Si les généraux prussiens eussent conservé l'ombre de jugement après le désastre qui venait de leur arriver, ils se seraient encore tirés avec honneur du mauvais pas où ils se trouvaient; ils n'avaient qu'à prendre le chemin de Glashütte, qui mène par Frauenstein à Freyberg; si ce chemin, qui leur était connu, leur paraissait trop proche de l'ennemi, ils n'avaient qu'à passer, par Gieshübel, en Bohême, d'où ils pouvaient regagner la Saxe, soit par Einsiedel, soit par Asch, soit par le Basberg. Mais leur défaite les avait accablés au point qu'excepté M. de Wunsch, tous les autres avaient perdu la tramontane. Le maréchal Daun les entoura le lendemain. M. de Wunsch voulut percer avec la cavalerie; M. de Finck et ses collègues, plus attachés à leur bagage qu'à leur réputation, lui interdirent toute hostilité. Ces généraux indignes du nom prussien eurent la lâcheté de capituler avec l'ennemi, et de mettre les armes bas. Le corps qui se rendit si honteusement, était fort de seize bataillons et de trente-cinq escadrons.

Sur la nouvelle humiliante de cette funeste affaire, M. de Hülsen se retira de Dippoldiswalda à Freyberg, où il fut joint par les hussards de Kleist, qui revenaient de leur expédition de Bohême. Le maréchal Daun, fier de ses succès, s'avança quelques jours après, à la tête de son avant-garde, jusqu'aux postes avancés de l'armée du Roi.<34> Il voulut éprouver la contenance des Prussiens; il vit l'armée en bataille, bien postée, et bien disposée à le recevoir s'il avait voulu en venir aux mains avec elle. Cette reconnaissance donna lieu à une canonnade assez vive, après laquelle les Autrichiens retournèrent dans leur camp. Le Roi se rendit quelque temps après à Freyberg, où il mena un renfort à M. de Hülsen, et il y prit des arrangements pour la sûreté des troupes. Il y trouva une bonne position pour le corps qui devait y rester. La Mulde, qui coule entre des rochers escarpés, en couvre le front. Il n'y a que trois passages sur cette rivière; ce sont des ponts de pierre, derrière lesquels on établit de gros postes d'infanterie, et pour multiplier les difficultés, on chargea ces ponts de fagots, en y laissant un passage pour qu'un homme à cheval pût y passer pour aller à la découverte; d'ailleurs, ces fagots étaient mêlés de matières combustibles, pour qu'on pût les enflammer aussitôt que l'ennemi aurait paru, de sorte qu'il était impossible de les passer.

Les Autrichiens, enflés de leurs avantages, commençaient à se croire invincibles. M. de Maguire, qui commandait à Dippoldiswalda, vint avec seize mille hommes, bagage et tout ce qui suit une troupe qui, en temps de paix, change de garnison, pour s'établir à Freyberg; il crut que les Prussiens n'attendraient pas sa présence, mais qu'ils se retireraient d'abord. Sa supposition était fondée sur quelques ostentations que M. de Beck avait commission de faire du côté de Torgau; mais le Roi y avait pourvu : il avait déjà envoyé des troupes pour la défense de la ville. D'ailleurs, cette démonstration ne pouvait guère causer d'inquiétudes, parce que M. de Beck faisait des mouvements à la rive droite de l'Elbe, que Torgau est situé à la gauche, et par conséquent ne saurait être pris qu'en l'assiégeant de ce côté-là. M. de Maguire en fut pour sa marche; il trouva les Prussiens en bataille, qui bordaient la Mulde; il essuya quelques volées de canon, et il retourna à Dippoldiswalda, où il établit son quartier.

<35>Quelque dure que fût la saison, les deux armées continuaient à camper; on s'était baraqué, on s'était accommodé le mieux qu'on avait pu, pour résister aux injures du temps, tant l'inflexibilité et l'opiniâtreté, pour ne point céder un pas, étaient grandes des deux parts. Les Prussiens avaient un poste à Zscheila, comme nous l'avons dit. Ce détachement avait été jusqu'alors en sûreté par un pont de communication qu'il avait sur l'Elbe; une gelée subite qui survint, obligea de le lever, et la rivière charriait des glaces sans être encore prise. M. de Beck saisit ce moment pour l'attaquer avec un corps nombreux. M. de Diericke fit repasser à Meissen sa cavalerie et la moitié de son infanterie; il n'eut pas le temps de sauver le reste. M. de Beck tomba sur lui avec toutes ses forces, et après un combat sanglant, ce brave général et trois bataillons furent faits prisonniers par les Autrichiens. Ce fut là la dernière infortune que les Prussiens essuyèrent cette année.

Tant de contre-temps et de revers n'empêchèrent pas le Roi de faire de nouveaux projets pour expulser les Autrichiens de la Saxe. Il demanda au prince Ferdinand de Brunswic quelques secours, et le Prince héréditaire arriva sur la fin de décembre à Freyberg avec un corps de douze mille hommes. Le Roi laissa ces troupes derrière la Mulde pour défendre ses derrières, et il marcha droit à Dippoldiswalda avec les Prussiens. Il délogea tous les détachements de l'ennemi des bords de la Wilde Weisseritz, de Pretzschendorf et de Frauenstein, où il fit cantonner ses troupes. Sur ce mouvement, le maréchal Daun envoya des secours à Dippoldiswalda, où M. de Maguire fit des retranchements et des batteries. Si l'on veut attaquer ce poste de front, on ne peut y arriver que par un chemin étroit, creusé dans le roc, qui était enfilé par deux batteries de l'ennemi. Cela est impraticable; aussi n'y pensa-t-on point. Restent deux chemins pour tourner ce poste : l'un va par Rabenau à Possendorf; c'est sans contre<36>dit celui dont on se serait servi, si l'ennemi n'avait eu la précaution de placer huit bataillons pour défendre un défilé qu'il fallait franchir pour gagner la hauteur. Le dernier chemin est celui qui mène par Glashütte; c'est un défilé d'un mille de longueur, qui passe par les gorges des montagnes, et qui aboutit aux pieds d'un rocher où M. de Maguire avait placé sa gauche. Ce chemin était comblé par la neige qui, en se détachant des cimes, s'y était accumulée. Le canon ne pouvait y passer; à peine l'infanterie même l'aurait-elle franchi, quanti il n'y aurait point eu d'ennemi pour le défendre. Après avoir bien examiné et discuté le local de ce terrain, on se convainquit de l'impossibilité de tenter de nouvelles entreprises contre les Autrichiens dans cette saison rude et rigoureuse. On enleva donc tous les fourrages des environs, on consuma tous les vivres, pour que l'ennemi ne pût y tenir de gros corps pendant l'hiver; après quoi le Roi se retira à Freyberg. L'armée de Wilsdruf entra dans des cantonnements resserrés dans les villages les plus voisins de son camp; cependant les tentes demeurèrent tendues, et six bataillons, qu'on relevait, y faisaient journellement la garde. Les Autrichiens agissaient de même dans leur camp de Plauen, et c'est peut-être le premier exemple parmi les modernes, que deux armées aussi proches l'une de l'autre aient tenu la campagne durant un hiver aussi rigoureux. Sur la fin de janvier, le Prince héréditaire, ne trouvant plus de lauriers à moissonner en Saxe, retourna en Westphalie rejoindre l'armée des alliés.

Après avoir exposé les événements principaux de cette funeste campagne, il nous reste à dire deux mots de ce que les Suédois entreprirent en Poméranie et dans la Marche-Ukraine. Tant qu'on avait eu des troupes à leur opposer, on les avait facilement contenus, parce que mille fantassins et cinq cents hussards leur paraissaient un corps respectable. Leurs arrangements étaient si vicieux, qu'ils n'avaient ni boulangerie ni caissons pour le pain et la farine, et qu'ils ne subsis<37>taient que par les livraisons qu'ils tiraient des contrées où ils se trouvaient les plus forts. De cette négligence pour les mesures les plus indispensables de la guerre résultaient les plus grands inconvénients pour les opérations que ces troupes devaient faire; de sorte que les généraux prussiens qu'on opposait aux Suédois, ne travaillaient qu'à déranger leurs livraisons; ce qui obligeait ces ennemis, qui ne vivaient qu'au jour la journée, à rétrograder incessamment lorsque les subsistances leur manquaient, et à se rapprocher de leurs frontières. Au commencement de cette année, immédiatement après le départ du comte Dohna, M. de Manteuffel37-a reçut le commandement contre les Suédois, et quoiqu'il n'eût que peu de troupes sous ses ordres, il se soutint jusqu'au mois de septembre, où les malheurs de la journée de Kunersdorf obligèrent le Roi à le rappeler, pour qu'il joignît son armée. L'époque du départ de ce détachement fut celle des progrès des Suédois. Ils occupèrent d'abord Anclam, Demmin et Ukermünde. Le comte Fersen, qui les commandait cette année, s'embarqua à Stralsund à la tête de trois mille hommes, et passa dans l'île d'Usedom. Il attaqua la ville de Swinemünde, défendue par des miliciens. La garnison se retira dans l'île de Wollin, mais la ville fut prise; la Swinemünder-Schanze se rendit peu après aux Suédois. Une poignée de hussards provinciaux qui se trouvèrent à Stettin, furent envoyés par le prince de Bevern à Pasewalk, où les Suédois avaient un poste. L'officier qui les conduisait, nommé Stülpnagel, les surprit et en fit deux cents prisonniers; les Prussiens qui les avaient pris, n'étaient pas aussi forts. M. de Fersen passa tout de suite dans l'île de Wollin, et prit, avec six cents miliciens qui la défendaient, la ville qui porte ce nom. Les Suédois reprirent de nouveau possession de Prenzlow; mais comme en ce temps-là le Roi était entré en Lusace, il détacha M. de Manteuffel avec des convalescents de la bataille de Kunersdorf,<38> sortis des hôpitaux de Stettin; il y ajouta les volontaires de Hordt, les dragons de Meinike, et les hussards de Belling. Ce corps formidable changea d'abord la face des affaires dans cette contrée. M. de Manteuffel détacha aussitôt quelques centaines d'hommes à dos de l'ennemi, qui prirent la garnison et la caisse militaire que les Suédois avaient à Demmin. L'armée suédoise se retira tout aussitôt; elle repassa la Peene à Anclam, et établit ses quartiers dans la Poméranie suédoise, où M. de Manteuffel lui donna différentes alarmes par les hussards de Belling, qui jouèrent le grand rôle sur ce petit théâtre. Les Suédois, fatigués des fréquentes alertes que les Prussiens leur avaient données, tentèrent de surprendre la ville d'Anclam; ils attaquèrent de nuit le faubourg; un bataillon franc qui devait le défendre, fut mis en désordre. M. de Manteuffel, qui était dans la ville, accourut; l'obscurité était si grande, que, voulant aller au bataillon franc, il donna dans une troupe de Suédois, qui le firent prisonnier;38-a mais la garnison prussienne, non contente de repousser les Suédois, fit sur eux cent cinquante prisonniers. Ce fut là le dernier événement de cette année en Poméranie.

Ainsi, après une campagne aussi fatale aux armes du Roi, ce prince se trouvait encore en possession de tout le terrain qu'il avait occupé l'hiver précédent, à l'exception de Dresde et du fort de Peenemünde. M. de Fouqué, qui avait convoyé M. Loudon en Moravie, était retourné à Landeshut. L'armée prussienne de Saxe s'étendait depuis Wilsdruf jusqu'à Zwickau. Un corps de cavalerie se tenait à Cossdorf, pour couvrir Torgau et l'électorat de Brandebourg, et après une si longue suite de revers, les choses étaient encore dans un état plus supportable qu'on ne devait s'y attendre. Le régiment des carabiniers à Zeitz perdit à la vérité cent cinquante hommes par une surprise; mais l'hiver donna le temps de réparer cette perte; et<39> dans cette position que nous venons de décrire, les armées attendirent des deux parts l'approche du printemps, pour remettre à la fortune la décision de leurs intérêts.


11-a Maurice-François-Casimir de Wobersnow, général-major d'infanterie et adjudant général.

13-a Charles-Théophile Guischard, ami du Roi et le compagnon de ses récréations littéraires, était né à Magdebourg en 1724. Frédéric lui donna le nom de Quintus Icilius après une discussion qu'ils avaient eue au sujet d'un centurion romain; c'est sous ce nom qu'il le présenta aux troupes, le 26 mai 1759, lorsqu'il le nomma major et chef du bataillon franc commandé jusquelà par le major Du Verger. Le brevet est daté du 10 avril 1758. Voyez Anekdoten von König Friedrich II. von Preussen. Herausgegeben von Friedrich Nicolai. Berlin, 1792, cahier VI, de la page 135 à la page 137.

14-a Gustave-Albert de Schlabrendorff, frère aîné du célèbre ministre d'État en Silésie. Le 2 mars 1709, il devint général-major et chef du régiment de cuirassiers no 1.

14-b Louis comte de Hordt faisait partie des royalistes suédois qui se sauvèrent en juin 1756; voyez t. IV, p. 26. Au mois de mars 1758, il entra au service de Prusse en qualité de colonel et de chef dun régiment franc, et lorsque Frédéric écrivait à Potsdam l'histoire de cette guerre, il vivait à sa cour avec le titre de général-major et d'ami du Roi.

16-a Voici ce que dit le rapport officiel de la bataille de Kay : « Notre plus grande perte consiste dans la mort du digne général-major de Wobersnow, qui s'est fait aimer partout, autant par sa noble façon de penser que par sa vaillance et ses qualités guerrières, et qui avait acquis à un haut degré la confiance de Sa Majesté. » Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, 1759, no 90. Wobersnow était né en Poméranie, l'année 1708.

19-a C'est de l'endroit nommé Judenberge (Monts des Juifs) qu'il s'agit, et non pas du cimetière des Juifs (Judenkirchhof), quoique le Roi dise aussi dans la lettre qu'il adressa au comte Finckenstein le jour même de la bataille : « J'ai attaqué ce matin à onze heures l'ennemi. Nous les avons poussés au cimetière des Juifs auprès de Francfort. » Ce cimetière des Juifs est plus éloigné. Voyez Kriele, Historisch-militarische Beschreibung der Schlacht bei Kunersdorf. Berlin. 1801, in-8, p. 31, 47 et 48, et le plan topographique exact qui y est joint.

2-a Charles-Godefroi de Knobloch, né en 1697 dans la province de Prusse. Le 3 avril 1758, il devint général-major et chef du régiment d'infanterie no 29.

21-a Le régiment d'infanterie no 31, dont le lieutenant-général de Lestwitz était chef. Voyez t. IV, p. 107 et 182.

21-b Joachim-Bernard de Prittwitz, né en 1726, devint chef d'escadron au régiment des hussards de Zieten le 1er janvier 1759, major le 12 décembre 1760, et lieutenant-colonel le 7 novembre 1762. A la mort du margrave Charles, le Roi partagea les terres de ce prince entre le lieutenant-colonel de Prittwitz et le lieutenant-colonel Hans-Sigismond de Lestwitz, pour les récompenser, le premier de l'avoir sauvé lui-même à Kunersdorf, l'autre d'avoir sauvé l'Etat en contribuant plus que personne à la victoire de Torgau.
     Le régiment de Zieten, qui prit peu à peu le titre de Leibhusarenregiment, n'existe plus; en 1808, les débris en furent incorporés au régiment de hussards no 3 d'aujourd'hui.

22-a Jean-Jacques de Wunsch, alors général-major et chef d'un régiment franc. Voyez t. IV, p. 188.

22-b A la bataille de Kunersdorf, le général-major George-Louis de Puttkammer (t. IV, p. 135, 220 et 227) fut tué; le lieutenant-général d'Itzenplitz et le général-major de Klitzing furent blessés à mort. Ce sont les trois derniers des quarante et un généraux qui moururent pour la patrie dans les guerres de Frédéric le Grand, les uns tués sur la place, les autres blessés mortellement. Tous ont été nommés dans cet ouvrage, soit dans le texte, soit dans les notes.

23-a Les troupes de l'Empire prirent Leipzig le 6 août 1759, Torgau le 14, et Wittenberg le 21; mais le général de Wunsch reprit Wittenberg le 28 août, Torgau le 31, et Leipzig le 13 septembre.

26-a Ce fut le 21 septembre 1759 que le lieutenant-général de Finck exécuta ce beau fait d'armes près de Korbitz.

28-a Chrétien-Frédéric de Diericke devint général-major le 31 août 1758.

29-a Le 27 octobre, le Roi se fit porter à la petite ville de Köben-sur-l'Oder par des soldats du régiment d'infanterie de Neuwied, no 41 de la Stammliste de 1806. Dans ses lettres aussi, Frédéric nomme plutôt le lieu voisin, mais plus connu, que celui où il se trouva réellement ce jour-là.

3-a Le 15 avril.

30-a Jean-Charles baron de Rebentisch, né en 1710, devint général-major le 14 mai 1757, et l'année suivante, chef du régiment d'infanterie no 11.

30-b Le 29 octobre 1759.

32-a Le colonel Othon-Ernest de Gersdorff devint le 14 avril 1769 chef du régiment de hussards qui avait été formé en 1743 par le colonel Pierre de Hallasch, et que le colonel Alexandre de Seydlitz avait commandé depuis 1747. Gersdorff, promu au grade de général-major le 2 novembre 1759, fut cassé à la suite de la malheureuse affaire de Maxen.

37-a Voyez t. IV, p. 197.

38-a Le 28 janvier 1760.

4-a Voyez t. IV, p. 154.

4-b Voyez t. IV, p. 167.

4-c Ce combat eut lieu à Himmelkron, village situé à plus d'un mille de Goldcronach.

5-a Le Roi place ici à Wolkenstein le combat livré le 27 mai 1759 par le général-major Frédéric-Auguste de Schenckendorff. Les Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, 1759, p. 275, le nomment combat d'Aue dans un article officiel dont le Roi s'est servi ailleurs. Aue est une ville située dans les montagnes, à l'est de laquelle se trouve Wolkenstein. Ces deux villes appartiennent au cercle de l'Erzgebirge.

6-a Le duc Ferdinand marcha le 8 juillet jusqu'à Osnabrück, où le général de Wangenheim le rejoignit le même jour; mais ce ne fut que le 9 que le due de Broglie surprit la ville de Minden. Le 20, le quartier général du duc Ferdinand était à Pétershagen.

9-a Le prince Charles de Brunswic-Bevern (t. IV, p. 236) soutint de flanc l'attaque que fit le comte Guillaume de Schaumbourg-Lippe. L'un et l'autre signèrent la capitulation, le prince Charles le premier.