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III. MÉMOIRES DE LA GUERRE DE 1778.[Titelblatt]

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MÉMOIRES SUR LA GUERRE DE 1778.

Après avoir exposé comment se fit le partage de la Pologne entre la Russie, l'Autriche et la Prusse, nous jugeâmes que ce serait le dernier événement remarquable du règne du Roi; cependant le destin, qui se joue de la prévoyance humaine, en ordonna autrement. La mort soudaine d'un prince, qui ne paraissait ni apparente ni prochaine, troubla subitement la tranquillité dont jouissait l'Europe. L'électeur de Bavière prend la petite vérole, et l'on apprend son décès lors même que la nouvelle de sa guérison rendait l'espérance à tous ceux qui s'intéressaient à sa conservation. Dès lors la guerre devint presque inévitable; car l'on fut instruit que l'ambition démesurée de la cour impériale et la cupidité du jeune empereur Joseph avaient formé le projet d'envahir la Bavière à la mort de l'Électeur. Ce dessein avait été conçu par l'empereur François, qui, pour y donner quelque apparence de justice, avait fait épouser à son fils la sœur de l'électeur de Bavière, pour acquérir le droit de revendiquer l'héritage allodial de cette succession; mais cette princesse étant morte sans lignée, ce prétexte ne pouvait plus servir. La cour impériale, n'ayant de prétention ni légitime ni apparente sur cet électorat, se servit de docu<154>ments controuvés et des droits de suzeraineté qu'elle croyait avoir, comme roi de Bohême, sur les fiefs de la Bavière. Elle avait d'avance corrompu tous les ministres de l'Électeur palatin et ce prince même, auquel elle promit des établissements avantageux pour ses bâtards, pourvu qu'il leur sacrifiât ses successeurs légitimes, à la tête desquels était le duc de Deux-Ponts.

A peine apprit-on à Vienne la mort de l'électeur de Bavière, que le conseil s'assembla : l'Empereur proposa d'envahir la Bavière; l'Impératrice-Reine consentit avec répugnance à une démarche aussi violente, ou plutôt elle se laissa entraîner à la persuasion du prince Kaunitz, qui l'assura que cet événement n'aurait point de suites, et que l'Europe consternée ou léthargique n'oserait pas traverser l'Empereur dans une entreprise aussi hardie que décisive. D'abord seize bataillons, vingt escadrons et quatre-vingts canons se mettent en marche. L'Électeur palatin, qui était à Munich, pâlit à cette nouvelle; une terreur panique offusque son peu de raison; sa pusillanimité l'emporte; et il signe sa honte,154-a en abandonnant les deux tiers de la Bavière à la voracité des Autrichiens.

Cette action aussi violente qu'injuste se répandit partout. L'Empereur s'était trop démasqué pour que l'Europe ne jugeât pas de ce qu'annonçait de suites une ambition aussi effrénée. Dans ce moment de crise, il fallait prendre un parti, ou celui de s'opposer avec vigueur à ce torrent qui allait se déborder si rien ne l'arrêtait, ou il fallait que tout prince de l'Empire renonçât aux priviléges de sa liberté, parce qu'en demeurant dans l'inaction, le corps germanique semblait approuver tacitement le droit que l'Empereur voulait s'arroger de disposer despotiquement des successions qui viendraient à vaquer; ce qui tendait au renversement général des lois, des traités, des confraternités et des priviléges qui assuraient les possessions de ces princes. Toutes ces funestes conséquences n'avaient point échappé à la péné<155>tration du Roi; mais avant que d'en venir aux remèdes violents, il y avait des arrangements préalables à prendre : il fallait que le prince de Deux-Ponts protestât contre le traité de Munich; que la Saxe réclamât l'assistance du Roi pour sa succession allodiale; mais surtout que l'on pressentît les cours de Versailles et de Pétersbourg, afin de pénétrer leur façon de penser, et d'être sûr à quoi on pouvait s'attendre de leur part.

L'électeur de Saxe s'adressa le premier au Roi, après s'être vainement adressé à la cour de Vienne, dont la hauteur arrogante ne daigna pas même l'honorer d'une réponse, parce qu'ayant presque entièrement dépouillé l'Électeur palatin, ce prince se trouvait hors d'état de satisfaire la Saxe sur ce qu'elle exigeait de la succession allodiale. La cour de Vienne, qui, d'autre part, agissait avec plus de précipitation que de prudence, avait négligé de s'assurer du prince de Deux-Ponts, légitime successeur de l'Électeur palatin, dont l'accession était absolument nécessaire pour rendre le traité de Munich valable. Elle avait, de plus, traité cette affaire avec si peu de secret et de ménagement, que toutes ses démarches étaient connues depuis dix ans qu'elle couvait ce projet. C'est ce qui engagea le Roi à envoyer le comte de Görtz155-a incognito à Munich, où il arriva à point nommé pour arrêter le prince de Deux-Ponts au bord du précipice où il allait s'abîmer. Le comte de Görtz lui représenta qu'il ne gagnerait rien en ratifiant le traité de son oncle, au lieu qu'en protestant contre l'illégalité de cet acte, il conservait l'espérance de se faire restituer une partie du cercle de Bavière, que l'Électeur palatin avait si indignement abandonnée à l'Autriche. La force de la vérité se fit sentir à ce jeune prince, et sa protestation parut peu de temps après; il écrivit en même temps au Roi pour lui demander son appui et son assistance.<156> Dès lors cette affaire commença à prendre une forme régulière. La cour de Berlin, chargée des intérêts de l'électeur de Saxe et du prince de Deux-Ponts, trouva des motifs suffisants pour entamer une négociation avec la cour de Vienne, touchant la succession de la Bavière. C'étaient des escarmouches politiques, qui donnaient le temps de s'instruire foncièrement du parti que la France prendrait, et de ce qu'on pensait à Pétersbourg. Sous prétexte d'une ignorance affectée, on demandait à la cour de Vienne des éclaircissements sur les droits qu'elle prétendait avoir sur la Bavière; l'on exposait ses doutes; on alléguait le droit public, et ce que les lois et les coutumes avaient d'opposé à ces prétentions; l'on rappelait les articles formels du traité de Westphalie qui réglaient cette succession; enfin l'on mettait la cour impériale dans des embarras d'autant plus grands, qu'étant surprise par la mort inopinée de l'électeur de Bavière, elle avait manqué de temps pour donner à son usurpation des couleurs apparentes, qui pussent en imposer : aussi ses défenses furent-elles si faibles et si mauvaises, qu'on les réfuta facilement; tant il est difficile à la ruse et à la fourberie de combattre contre l'évidence et la vérité. Dans ce conflit des plus grandes affaires, le Roi se trouvait plus gêné par la position actuelle des puissances prépondérantes que par celle des Autrichiens. La France était liée à l'Autriche par le traité de Versailles : s'était-elle arrangée ou non avec l'Empereur? Ce prince lui avait-il promis des cessions en Flandre pour qu'elle consentît à l'usurpation de la Bavière? Préférerait-elle à la garantie du traité de Westphalie le traité de Versailles? Enfin, dans les démêlés qui s'annonçaient, demeurerait-elle neutre, ou bien assisterait-elle l'Autriche? Il était de la dernière importance d'avoir des notions sûres sur tous ces points, pour ne point se précipiter dans une entreprise sans en prévoir les suites.

Tous ces points furent développés successivement à Versailles; l'on connut que le ministère désapprouvait intérieurement la conduite des Autrichiens; que, par ménagement pour la reine de France, fille de<157> Marie-Thérèse, on ne se déclarerait point contre l'Empereur; mais aussi qu'on ne se départirait pas de la garantie de la paix de Westphalie. Cela voulait dire que la France se proposait de conserver la neutralité; ce qui paraissait un bien petit rôle pour une aussi grande puissance, qui, du temps de Louis XIV, avait fixé les yeux de l'Europe étonnée. Mais bien des raisons motivaient cette conduite : le poids des dettes énormes dont le royaume était chargé, et qui, en l'augmentant, menaçait d'une banqueroute générale; l'âge de M. de Maurepas, qui touchait à son seizième lustre; l'aversion que la nation française avait pour une guerre en Allemagne, accrue par le peu de réputation que les armées françaises avaient acquis dans leurs dernières campagnes contre les alliés que le prince Ferdinand de Brunswic commandait; les engagements que la France avait pris avec les colonies anglaises de l'Amérique, qui l'obligeaient à soutenir leur indépendance, et cela dans un moment où elle avait résolu de déclarer par mer la guerre à la Grande-Bretagne. Pour armer tant de vaisseaux, l'on travaillait dans tous les chantiers; à cause que par un article secret de la dernière paix de 1763, l'Angleterre avait fixé la marine française au nombre de douze vaisseaux de ligne, l'on était occupé à en construire soixante nouveaux. Tout l'argent que l'industrie pouvait ramasser, était destiné pour la flotte, et il ne restait rien pour d'autres opérations. Cet état d'impuissance n'empêchait pas le ministère de voir avec chagrin les pas téméraires et audacieux du jeune empereur pour s'acheminer au despotisme. Il faisait de la Bavière une galerie pour s'approcher de l'Alsace et de la Lorraine; il se frayait en même temps un chemin en Lombardie, projet dont le roi de Sardaigne appréhendait le contre-coup, et dont il portait des plaintes amères en France. Toutes ces différentes idées, tous ces motifs résumés mettaient le ministère de Versailles dans des sentiments favorables pour le roi de Prusse, parce qu'il était bien aise que quelque puissance que ce fût s'opposât à l'ambition démesurée d'un jeune<158> prince qui pouvait pousser ses projets d'agrandissement bien loin, s'il n'était arrêté au commencement de sa course. La France demeurait dans une espèce d'apathie, et elle voyait en même temps les deux plus puissants princes d'Allemagne qui s'affaiblissaient réciproquement.

Telles étaient les dispositions de la cour de Versailles, sur lesquelles on pouvait compter. Il restait à pénétrer avec le même soin quelles étaient les vues et les sentiments de la cour de Pétersbourg. L'impératrice de Russie était l'alliée du roi de Prusse; mais elle se trouvait à la veille d'une nouvelle guerre avec la Porte, ce qui devait la gêner, en lui ôtant les moyens de remplir ses engagements envers la Prusse. Il était facile de prévoir que les Autrichiens mettraient la ruse, la fourberie et la corruption en œuvre pour accélérer les hostilités entre les Russes et les Turcs; c'était une diversion qui, en occupant ailleurs la cour de Pétersbourg, l'empêcherait de fournir des secours aux Prussiens, et donnerait par conséquent beau jeu aux vastes desseins de l'Empereur. Il était important pour les Prussiens de prévenir la cour de Vienne, et de contrecarrer les intrigues qu'elle se préparait à mettre en œuvre à Constantinople. Ce fut à cette fin que le Roi eut recours aux bons offices de la France auprès de la Porte. La cour de Versailles s'en chargea, et l'on verra, par la suite de ces mémoires, que ses soins ne furent pas perdus. La négociation des Français fut secondée par un fléau épouvantable : une peste plus maligne qu'à l'ordinaire affligea la ville de Constantinople, où elle fit de terribles ravages; et en pénétrant dans l'intérieur du sérail, elle obligea le Grand Seigneur à se réfugier dans une de ses maisons de plaisance, à quelque distance de la capitale. Une calamité aussi générale inspira à cette nation des sentiments plus pacifiques : elle ralentit l'esprit remuant et inquiet de Hassan-Pacha, grand amiral de la Porte, qui était le vrai promoteur de la guerre que le Grand Seigneur méditait contre la Russie; ce qui aplanissait le chemin aux insinuations pacifiques des Français.

<159>Quoique ces différentes mesures levassent bien des obstacles, il restait encore d'autres difficultés à résoudre pour que tout fût aplani. Ces difficultés venaient des ministres de Russie, qui avaient peu ou point d'idée du tout du système germanique. Quelque soin que se fût donné le czar Pierre, et les impératrices qui lui ont succédé, de policer le vaste empire de la Russie, il s'en fallait de beaucoup que les lumières y fussent aussi répandues que dans le reste de l'Europe. La succession de la Bavière, texte qui demandait des commentaires, devait être discutée par le droit public, par le droit féodal, par le droit coutumier, et par les traités qui en constataient la validité. Les ministres de Russie, peu instruits de ces connaissances, étaient dans l'état qu'on nomme, dans les écoles, d'ignorance invincible. Pour les mettre donc à même déjuger de l'état de la cause, il fallait descendre jusqu'aux détails les plus minutieux, leur faire comprendre en quoi consiste le droit des agnats, leur expliquer ce qu'il y avait de vicieux dans le traité que l'Électeur palatin avait signé avec l'Empereur, parce qu'il lui manquait le consentement du prince de Deux-Ponts, sans lequel l'Électeur palatin n'était pas en droit de transiger et de sacrifier ainsi la partie majeure de son héritage. Toutes ces écritures demandaient un détail immense, auquel se joignait l'éloignement des lieux; ce qui absorba du temps. Néanmoins la cour de Pétersbourg fut convaincue des procédés iniques de l'Empereur, et elle comprit que ce prince, qui ne devait être que le chef de l'Empire, aspirait à s'en rendre le tyran.

On négociait donc ainsi dans toutes les cours de l'Europe, tandis qu'à Vienne on s'apercevait, par les mémoires que le baron de Riedesel159-a présentait au nom de la Prusse, que, touchant la succession de Bavière, on raisonnait à Berlin sur des principes tout opposés à ceux<160> de la cour impériale. Cette cour en conçut des soupçons, et se doutant que les choses pourraient en venir à une brouillerie ouverte, dès le commencement de mars elle résolut de rassembler ses forces en Bohême. Les ordres furent donnés aux régiments d'Italie, à ceux de Hongrie et à ceux de la Flandre de hâter leur marche pour s'y rendre. Or, dès qu'une armée aussi nombreuse s'assemble sur les frontières d'une province, la sûreté de l'État exige qu'on se mette également en force, pour ne pas recevoir la loi de son voisin. Ces considérations engagèrent le Roi à mettre ses troupes en mouvement pour former deux armées, chacune de quatre-vingt mille hommes. L'une, sous les ordres du prince Henri, fut destinée à s'assembler aux environs de Berlin, pour être à portée de joindre promptement les Saxons, au cas que l'Empereur tentât de faire une invasion en Saxe. L'autre armée, à la tête de laquelle le Roi avait résolu de se mettre, avait son rendez-vous en Silésie. Sa Majesté partit de Berlin, le 4 d'avril,160-a pour Breslau, d'où elle se rendit à Frankenstein, où les troupes silésiennes arrivèrent le même jour. Cela formait un corps de trente mille hommes, avec lesquels il fallait établir une défensive pour attendre que les Prussiens, les Poméraniens, et ceux de la Marche électorale eussent le temps de les joindre. Dans cette vue, on prépara un camp retranché dans le comté de Glatz, sur les hauteurs de Pischkowitz, dont la gauche était flanquée par les canons de la forteresse et couverte par le ruisseau de la Steina, duquel, par le moyen d'une écluse, on avait formé une inondation.

Tandis qu'on s'occupait de ces préparatifs, arriva un courrier de l'Empereur, chargé de lettres pour le Roi.160-2 Elles contenaient de ces lieux communs vagues sur le désir de maintenir la paix et de mieux s'entendre. Le Roi y répondit avec toute la politesse convenable, insinuant à l'Empereur qu'en réservant ses prétentions sur la Bavière,<161> il était maître de conserver la paix, et que sa modération lui ferait plus d'honneur que ne pourraient faire les plus brillantes conquêtes. Bientôt le courrier revint avec une autre lettre, dans laquelle l'Empereur voulut justifier ses droits. Elle fut réfutée par des arguments tirés du droit féodal, des pactes de famille, et du traité de Westphalie. Enfin, un troisième courrier succéda aux précédents : l'Empereur, faisant semblant de se relâcher, proposait une négociation qui fût confiée au comte de Cobenzl, ministre de Vienne à Berlin. Le Roi comprit bien que l'Empereur voulait gagner du temps pour assembler toutes ses troupes en Bohême, pour fortifier tous les postes qu'il prétendait occuper, et pour ramasser les chevaux d'artillerie, de bagage et de vivres qui manquaient encore à son armée; mais comme il importait de montrer de la modération dans cette affaire pour ne point choquer la France et la Russie, le Roi consentit à cette négociation, quoiqu'il fût facile de prévoir quelle en serait l'issue. Les Autrichiens étalèrent toutes leurs mauvaises preuves, qui furent réfutées d'une façon victorieuse par les ministres prussiens, sans que la cour de Vienne voulût se désister le moins du monde de ses usurpations. Enfin, pour terminer cette plaidoirie infructueuse, l'on déclara, pour l'ultimatum, que si les Autrichiens ne consentaient pas à restituer la plus grande partie de la Bavière à l'Électeur palatin, on prendrait ce refus pour une déclaration de guerre. C'était ce que désirait l'Empereur : il aspirait à se rendre indépendant de l'Impératrice sa mère par le commandement des armées et par l'éclat qu'il espérait d'obtenir par ses succès; toutefois il a paru, par la suite des événements, que ses combinaisons n'étaient ni justes ni exactes. Il était haï de la noblesse, laquelle l'accusait d'avoir le dessein de la rabaisser; il était craint des ecclésiastiques, plus attachés aux richesses qu'à la religion qu'ils professent, qui appréhendaient d'être dépouillés de leurs revenus considérables; et l'armée ne l'aimait point. Il s'était aliéné le cœur des officiers et des soldats par sa trop grande vivacité et ses emportements, qui<162> le faisaient ressembler plutôt à une personne en délire qu'à un homme raisonnable. Tel était le prince auquel le Roi déclara la guerre.

Dès le 4 de mai, les armées, tant celle de Silésie que celle de Saxe, étaient formées; la négociation de Berlin se rompit le 4 juillet, et le 6, toutes les troupes se mirent en marche. Pour mieux cacher ses desseins, l'armée de la Silésie cantonnait, dans une espèce de coude, depuis Reichenbach, Frankenstein, jusqu'à Neisse. Par cette position, il était impossible que l'ennemi pût deviner si les forces du Roi se porteraient vers la Moravie, ou bien en Bohême. L'armée impériale avait un corps de trente mille hommes en Moravie, commandé par le prince de Teschen. Ce corps était retranché près de Heydepiltsch, sur les bords de la Mora, pour couvrir Olmütz. L'armée de l'Empereur était derrière l'Elbe, dans des fortifications inexpugnables, depuis Königingrätz jusqu'à la petite ville d'Arnau. Le corps du maréchal de Loudon, de quarante à cinquante mille hommes, garnissait les postes de Reichenberg, Gabel et Schluckenau, vers la Lusace; le gros de son monde était entre Leitmeritz, Lowositz, Dux et Teplitz.

Le projet de campagne que le Roi avait formé, était bien différent de celui qu'il lui fallut exécuter. Il se proposait de porter la guerre en Moravie; de laisser environ vingt mille hommes pour couvrir le comté de Glatz et les passages de Landeshut; de tourner le poste de Heydepiltsch, ce qui était faisable; d'engager une affaire avec les Autrichiens, et, si le succès en était heureux, d'envoyer un détachement de vingt mille hommes derrière la Morawa, droit à Presbourg, par où l'on gagnait le pont du Danube qui s'y trouve, l'on coupait l'armée impériale de tous les vivres qu'elle tirait de la Hongrie, et en faisant de là des incursions vers Vienne, on obligeait la cour, pour sa propre sûreté, d'attirer une partie de ses troupes à l'autre côté du Danube pour couvrir la capitale, de sorte que l'affaiblissement des armées de Bohême aurait donné beau jeu au prince Henri, et aurait facilité toutes les opérations de sa campagne.

<163>Quelque avantageux que fût ce projet, le Roi fut obligé de s'en désister, par les raisons suivantes : en premier lieu, les Autrichiens ne laissèrent qu'environ dix mille hommes en Moravie; le reste, commandé par le prince de Teschen, joignit l'Empereur auprès de Jaromircz. Il résultait de là que si le Roi entrait en Moravie avec soixante mille hommes, toute l'armée de l'Empereur, portée à quatre-vingt mille combattants, aurait tenté une diversion dans la Basse-Silésie, contre laquelle les troupes dont on destinait le commandement au général Wunsch, auraient été trop inférieures en nombre pour y pouvoir résister; d'où il serait résulté que le Roi se serait vu obligé d'abandonner l'offensive dans la Haute-Silésie, pour courir défendre le comté de Glatz ou les montagnes de Landeshut. En second lieu, la raison principale qui détermina pour l'entrée en Bohême, fut que l'électeur de Saxe craignait que les Autrichiens ne fissent une invasion dans ses États, et ne prissent Dresde, avant que les Prussiens pussent arriver à son secours, et que le prince Henri pensait à peu près de même. Il fallait empêcher l'Empereur d'exécuter ce dessein, au cas qu'il l'eût conçu; car il en serait résulté que l'électeur de Saxe, accablé, aurait pu être forcé à changer de parti, ou pour le moins qu'au lieu d'établir le théâtre de la guerre en Bohême, on l'aurait, par maladresse, établi en Saxe. Il fallut donc que le Roi entrât en Bohême avec ses forces principales, pour se présenter vis-à-vis de l'Empereur, et l'empêcher de renforcer le corps du maréchal Loudon, qui, sans secours, était trop faible pour s'opposer aux entreprises du prince Henri; mais, d'autre part, l'on ne pouvait pas laisser la Haute-Silésie sans défense, et il fallait opposer des troupes au général Ellrichshausen, qui se tenait dans le camp de Heydepiltsch, derrière la Mora. Ce furent MM. de Stutterheim163-a et de Werner163-a qui furent<164> chargés de ce commandement, avec environ dix mille hommes. Voici comment le projet sur la Bohême s'exécuta : l'armée de Silésie entra dans le comté de Glatz; l'avant-garde occupa le poste important du Ratschenberg, d'où elle se porta sur Nachod, le reste de l'armée suivant l'arrière-garde. Le 7 juillet, le Roi fit une reconnaissance à la tête de cinquante escadrons de dragons et de hussards.

Pour qu'on se fasse une idée nette de la position de l'ennemi, il faut savoir que les Autrichiens avaient assez bien fortifié la ville de Königingrätz pour qu'au moins elle pût soutenir un siége de quelques semaines; à quoi contribuait principalement le confluent de l'Adler et de l'Elbe, au moyen duquel ils avaient formé des inondations difficiles à saigner. Cette ville faisait l'appui de la droite de leur camp. Au delà de l'Elbe et près de Königingrätz campait un corps de grenadiers et quelque cavalerie, dans des ouvrages qui ressemblaient plutôt à une ville fortifiée qu'à des retranchements de campagne. De Semonitz à Schurz s'étendait un autre corps environ de trente mille hommes, couvert par des fossés de huit pieds de profondeur, de seize pieds de large, bien fraisés et palissadés, et, par surcroît, entourés de chevaux de frise qui liaient ensemble les ouvrages séparés. Plus loin s'élevait la hauteur de Kukus, qui, commandant ces bords-ci de l'Elbe, s'étend de colline en colline, par Königssaal,164-a vers Arnau; d'où cette chaîne de montagnes aboutit à Hohenelbe, où elle se joint et se confond avec les montagnes que l'on nomme le Riesengebirge. Tous les passages de l'Elbe étaient défendus par de triples redoutes. L'ennemi avait fait des abatis d'arbres aux sommets de ces montagnes couvertes de bois, derrière lesquels campaient quarante bataillons de la réserve, pour porter de prompts secours aux lieux que les Prussiens auraient la témérité d'attaquer, au cas qu'il fût possible d'emporter successivement ce nombre de redoutes et d'ouvrages munis de quinze cents canons en batterie. Ajoutez à tant de difficultés la plus considérable, et qui em<165>péchait absolument de tenter le passage de l'Elbe : c'est que, depuis Jaromirez jusqu'aux hautes montagnes, le lit de la rivière est bordé à chaque rive de rochers de douze et plus de pieds de hauteur, qu'on ne la peut franchir qu'aux lieux où il y a des ponts établis; et c'était là qu'une surabondance d'ouvrages en rendait l'approche impraticable.

Quelque imposant que fût l'aspect de ce camp formidable, on se flatta pourtant, durant les premiers jours, de gagner par adresse ce qu'on ne pouvait emporter par la force. L'on se proposait d'opposer à la partie de l'armée autrichienne campée entre Jaromirez et Schurz un corps de troupes capable de la tenir en respect. On le destinait, en même temps, à faire de fausses attaques, d'une part, sur le village de Herzmannitz, et de l'autre, sur Königssaal, tandis que le gros de l'armée se glisserait par la vallée de Silva, passerait, la nuit, l'Elbe au village de Werdeck, enfilerait le chemin de Prausnitz pour gagner les hauteurs de Switschin, qui, étant les plus hautes, dominaient toute la contrée, et le camp même de l'ennemi. S'il avait été possible aux Prussiens de s'y établir, ils coupaient l'aile droite des Impériaux de l'aile gauche, les obligeaient à combattre à leur désavantage, ou bien à se retirer plus honteusement encore. En conséquence de ce projet, le Roi se campa à Welsdorf avec vingt-cinq bataillons seulement et soixante escadrons. C'était ce corps qui devait masquer les mouvements de la grande armée. Celle-là demeura dans le poste de Nachod, d'où il était plus facile de la faire manœuvrer, soit sur la droite, soit à la gauche principalement de cette avant-garde.

Comme il était nécessaire de reconnaître exactement la position de l'ennemi pour s'assurer si le plan dont nous avons parlé pouvait s'exécuter, ou s'il était de nature à être rejeté, l'on déguisa les reconnaissances sous différents prétextes apparents : tantôt on donnait l'alarme à quelque quartier de l'ennemi; quelquefois on engageait des escarmouches avec ses avant-postes; le plus souvent on fourrageait sous son canon. Ce fut dans les différentes occasions que four<166>nirent ces petites opérations de guerre, qu'en s'approchant de Königssaal et du village de Werdeck, on découvrit auprès de Prausnitz un camp fort, à peu près de sept bataillons, et derrière ce poste, sur la croupe du mont de Switschin, un autre corps d'environ quatre bataillons. Ces précautions de l'ennemi, mettant des obstacles insurmontables aux desseins qu'on avait formés, mirent le Roi dans la nécessité d'y renoncer pour imaginer d'autres expédients.

La distribution des troupes était bonne, autant qu'on pouvait exécuter le premier projet; elle pouvait à la longue devenir vicieuse, si l'on se contentait d'un si faible corps pour l'opposer à toutes les forces de l'Empereur. La distribution de l'armée fut donc changée : quarante bataillons formèrent le camp de Welsdorf; le lieutenant-général Bülow 166-a fut placé avec quelques bataillons et trente escadrons à Smirschitz; le général Falkenhayn,166-a au défilé de Chwalkowitz, qui était derrière l'armée; le général Wunsch,166-a avec vingt bataillons, à Nachod, pour couvrir les convois de l'armée; et le général Anhalt,166-a avec douze bataillons et vingt escadrons, tout à fait sur la droite de l'armée, à Pilnikau, vis-à-vis d'Arnau et de Neuschloss; mais sa communication était assurée avec l'armée du Roi par la forêt de Silva, où les Prussiens avaient des postes.

Tandis que ces mouvements se faisaient en Bohême, et que l'armée de l'Empereur était si occupée d'elle-même, que la crainte d'être attaquée d'un moment à l'autre écartait toute pensée de détacher vers le maréchal Loudon, le prince Henri gagna Dresde sans opposition. De là il poussa des détachements en Bohême, à la rive gauche de l'Elbe;<167> mais par une manœuvre assez leste, quoique difficile, il se porta en Lusace, laissant le général Platen167-a à la tête d'environ vingt mille hommes pour couvrir Dresde. Dix-huit mille Saxons s'étant joints à ses troupes, ce prince se porta en Bohême par différents corps, qui, tournant et attaquant les détachements que l'ennemi avait à Schluckenau, Rumbourg et Gabel, les dépostèrent et leur prirent quinze cents hommes et six canons. S. A. R. fit fortifier les environs de Gabel, dont la défense fut confiée aux Saxons, et s'avança avec le gros de l'armée à Niemes, où elle se posta dans un camp d'une forte assiette.

Ce coup, auquel les Impériaux n'étaient point préparés, dérangea tout le projet de leur défensive. Le maréchal Loudon abandonna avec précipitation les postes d'Aussig et de Dux, mais, ce qui doit surprendre davantage, ses fortifications de Leitmeritz, avec le magasin qui s'y trouvait. Le général de Platen profita avec célérité de cette faute : il prit Leitmeritz, s'avança vers Budin, sur l'Éger, et poussa son avant-garde jusqu'à Welwarn, qui n'est qu'à trois milles de Prague. L'alarme et la consternation se répandirent dans cette grande ville; la première noblesse, qui s'y était rassemblée, se sauva par la fuite, et cette capitale resta quelques jours comme déserte. Le maréchal Loudon, ayant, comme nous l'avons rapporté, abandonné toute la rive gauche de l'Elbe, ne se crut en sûreté qu'à Münchengrätz, auprès de Jung-Bunzlau; et comme les ennemis avaient tout à craindre pour l'armée de l'Empereur, sur laquelle le prince Henri aurait pu tomber, pour peu qu il l'eût voulu, le maréchal Loudon garnit de gros détachements tout le cours de l'Iser, qui coule, ou entre des rochers, ou entre des marais. Dans la Haute-Silésie, les Prussiens avaient surpris dans leur camp de Heydepiltsch deux régiments de dragons impériaux, et les avaient presque ruinés.

<168>Ce fut dans ces circonstances, où la guerre était bien décidée, où les Prussiens avaient déjà quelques avantages, où, dans le royaume de Bohême, quatre grandes armées étaient en action les unes contre les autres, qu'arrive à Welsdorf un étranger qui, s'annonçant secrétaire du prince Galizin, ministre de Russie à Vienne, demande à parler au Roi. Ce soi-disant secrétaire était le sieur Thugut, ci-devant ministre de l'Empereur à Constantinople. Il était chargé d'une lettre de l'Impératrice-Reine pour le Roi. Nous nous contentons d'en rapporter la substance : l'Impératrice témoignait son chagrin des brouilleries et des troubles qui venaient de naître, l'appréhension qu'elle avait pour la personne de l'Empereur, le désir de trouver des tempéraments propres à concilier les esprits, en priant le Roi d'entrer en explication sur ces différents sujets. Le sieur Thugut prit, sur cela, la parole, et dit au Roi qu'il serait facile de s'entendre, si l'on y procédait de bonne foi. L'intention des Autrichiens était de corrompre ce prince par des offres si avantageuses, qu'elles le fissent désister de l'appui qu'il prêtait à l'Électeur palatin. Pour cet effet, Thugut l'assura que sa cour non seulement ne s'opposerait point à sa succession éventuelle des margraviats de Baireuth et d'Ansbach, mais qu'encore elle offrait son appui à la Prusse pour le troc de ces margraviats contre des provinces limitrophes du Brandebourg, comme la Lusace ou le Mecklenbourg, si le Roi le jugeait conforme à ses intérêts.

Le Roi lui répondit que sa cour mêlait et confondait ensemble des choses qui n'avaient aucune connexion, savoir, sa succession légitime et indisputable sur ces margraviats avec l'usurpation de la Bavière, et l'intérêt de ses États avec l'intérêt de l'Empire, dont il embrassait la cause; que si l'on voulait s'entendre, il était nécessaire que sa cour se désistât d'une partie de la Bavière, et qu'on prît des mesures pour qu'à l'avenir des actes d'un despotisme aussi violent ne troublassent plus la sécurité du corps germanique, en ébranlant ses plus fermes fondements; et qu'à l'égard de cette succession, il était bien éloigné<169> de forcer un prince quelconque à troquer ses États contre ces margraviats; enfin, que si un troc pareil avait lieu, il fallait que ce fût de bon gré qu'il s'arrangeât. Le Roi ajouta que ceci ne s'étant traité que verbalement, il voulait bien, pour donner à l'Impératrice des marques évidentes de ses dispositions pacifiques, minuter quelques articles principaux qui pourraient servir de base au traité qu'on se proposait de faire. Thugut s'offrit pour secrétaire; mais le Roi, qui ne se fiait ni à son style ni à ses intentions, les coucha lui-même par écrit. Certainement l'Impératrice-Reine aurait bien gagné en les acceptant. La cour de Russie ne s'était point encore déclarée; la France conseillait à l'Autriche de faire la paix; mais ses avis avaient peu d'influence sur l'esprit ardent et fougueux du jeune empereur et sur le génie impérieux du prince Kaunitz.

Voici le résumé de ce projet : l'Impératrice rendra la Bavière à l'Électeur palatin, à l'exception de Burghausen, des mines, et d'une partie du Haut-Palatinat; le Danube sera libre; Ratisbonne ne sera plus bloquée par la possession de Stadt-am-Hof; la succession de ce pays sera assurée aux héritiers légitimes de la Bavière; l'électeur de Saxe obtiendra du Palatin une somme d'argent pour les allodiaux, et la cour impériale lui cédera les droits qu'elle prétend avoir sur tous les fiefs situés en Saxe; le duc de Mecklenbourg aura, en guise de dédommagement pour ses prétentions en Bavière, quelque fief vacant dans l'Empire; la cour impériale ne chicanera plus le roi de Prusse pour la succession des margraviats; la France, la Russie et le corps germanique garantiront le présent traité.

Thugut partit pour Vienne avec cette pièce; il revint ensuite, chargé d'une foule de propositions insidieuses dont le prince Kaunitz l'avait muni. Le Roi s'aperçut, par la forme que prenait cette négociation, quelle n'était pas de nature à pouvoir réussir; il ne lui convenait pas, d'ailleurs, de traiter avec un homme du calibre de Thugut; ainsi il l'envoya au couvent de Braunau, étaler ses fourberies<170> devant le comte Finck170-a et le sieur de Hertzberg,170-a ses ministres, qui l'expédièrent infructueusement pour Vienne quelques jours après. Tout ce qui s'était passé dans cette négociation, fut communiqué aux ministres de la France et de la Russie, afin que, convaincus des procédés désintéressés de la Prusse, ils ne se laissassent point prévenir par les fausses expositions que leur en feraient les ministres de Vienne.

L'Impératrice-Reine désirait sincèrement la paix; son fils l'Empereur, dont elle connaissait l'ambition à la tête de ses troupes, lui faisait craindre la perte ou l'affaiblissement de son autorité : mais elle était mal secondée par son ministre le prince Kaunitz, qui, par des vues assez communes aux courtisans, s'attachait plutôt à l'Empereur, dont la jeunesse ouvrait une perspective plus brillante à la famille de ce ministre que l'âge avancé de l'Impératrice, de laquelle il n'avait plus de grâces à espérer. Le sort des choses humaines est d'aller ainsi : de petits intérêts décident des plus grandes affaires. L'Empereur, instruit de la négociation du sieur Thugut, en fut furieux; il écrivit à sa mère que si elle voulait faire la paix, il ne retournerait jamais à Vienne, et s'établirait à Aix-la-Chapelle, ou dans quelque lieu que ce pût être, plutôt que de s'approcher jamais de sa personne. L'Impératrice avait fait venir le grand-duc de Toscane, qu'elle envoya aussitôt à l'armée pour qu'il adoucît l'Empereur son frère, et lui inspirât des sentiments plus pacifiques. L'effet de cette entrevue fut de brouiller les deux frères, qui jusqu'alors avaient vécu dans la meilleure intelligence.

Cet enthousiasme du jeune César pour la guerre venait des fausses idées qu'il avait de la gloire. Il croyait qu'il suffisait de faire du bruit dans le monde, d'envahir des provinces, d'étendre son empire et de commander des armées, pour acquérir de la réputation, et il ne sen<171>tait pas le prix de la justice, de l'équité et de la sagesse; tant il est nécessaire que les souverains sachent l'exacte définition des termes. Il avait d'aussi fausses idées du militaire. Il croyait que la présence seule d'un empereur à son armée suffisait pour qu'elle fît une ample moisson de lauriers. L'expérience n'avait pu lui apprendre combien de travaux et de soins il faut endurer pour en recueillir quelque faible branche. Il avait ouï répéter qu'un général devait être vigilant, et il mettait son activité à parcourir son armée à cheval d'une aile à l'autre, sans jamais sortir de ses retranchements, lors même qu'il y avait des escarmouches ou des fourrages qui se faisaient sous son canon.

Ayant rendu compte de cette négociation et de tout ce qui s'y rapporte, il est temps de reprendre la suite des opérations militaires de ces quatre armées qui s'observaient en Bohême. Du côté où le Roi commandait, la position de l'armée impériale avait été exactement reconnue de Königingrätz jusqu'à la ville d'Arnau; restait à savoir si, au delà, il y avait des troupes vers Hohenelbe et les hautes montagnes. Le général Anhalt, qui, comme nous l'avons dit, était détaché au delà de la droite du camp, aux villages de Pilnikau et de Kottwitz, eut ordre d'envoyer des partis vers Langenau, et de s'y porter lui-même, pour rendre un rapport exact de ce qu'il aurait découvert. Il vit d'abord un camp fortifié derrière Neuschloss, et plus loin il ne trouva que deux bataillons campés sur les hauteurs qui couronnent la ville de Hohenelbe. Ce fait bien constaté servit de matériaux au nouveau projet que le Roi forma en portant vivement l'armée de ce côté. Là on pouvait forcer le passage de l'Elbe, que deux bataillons ne pouvaient défendre. Cette entreprise exécutée, on pouvait se flatter d'avoir les succès les plus brillants, surtout si le prince Henri s'avançait de Niemes sur l'Iser. Les deux armées prussiennes se prêtant la main, elles se trouvaient sur le flanc et à dos de l'armée de l'Empereur, qui ne pouvait se soutenir que par un combat, ou qui, se trouvant forcé d'abandonner ses retranchements immenses, ne pouvait<172> trouver de poste assuré que derrière les étangs de Gitschin, où même sa position était tournable, ce qui l'aurait réduit à se réfugier à Pardubitz, où il était couvert par les étangs de Bohdanetz et le courant de l'Elbe.

Ce projet, quelque beau qu'il fût, rencontrait de grandes difficultés dans l'exécution. La première était celle des chemins creux et des défilés qu'il fallait traverser pour arriver à l'Elbe, et l'affreux embarras de traîner par ces chemins une artillerie nombreuse; la seconde, de fournir l'armée de vivres : quand on aurait passé l'Elbe, on aurait mené le pain jusqu'à cinq milles au delà de cette rivière; le manque de chevaux aurait rendu un transport plus éloigné impossible; la quatrième, la difficulté de mettre le prince Henri en action, d'autant que sa santé était assez faible, et qu'il répugnait à toute entreprise qui demandait de la vigueur. Tous ces obstacles, qui se présentaient à l'esprit du Roi, lui firent résoudre d'aller au plus sûr, et de cacher encore soigneusement ce projet, qu'il n'abandonna pas cependant. Il ne voulut donc point quitter son camp de Welsdorf avant d'avoir fourragé radicalement toute la contrée qui s'étend de l'Elbe à ses frontières de Silésie, d'autant plus que les Autrichiens avaient forcé les habitants de s'enfuir avec tout leur bétail au delà de l'Elbe; et le Roi gagnait au moins par là qu'il était impossible que les Autrichiens tinssent, l'hiver, un corps de troupes considérable sur ses frontières, et inquiétassent ses troupes dans leurs quartiers.

Dès que tous les fourrages furent consommés, le Roi marcha avec l'armée, et prit le camp de Burkersdorf, proche de Soor, où il y avait trente-trois ans qu'il avait gagné une bataille sur les mêmes ennemis. Les Autrichiens ne firent pas sortir un homme de leurs retranchements pour poursuivre son armée, et l'Empereur demeura immobile et dans son ancienne position derrière l'Elbe, sans même chicaner l'arrière-garde au terrible défilé de Chwalkowitz, où elle était obligée de passer. M. de Wunsch reprit son poste du Ratschenberg, derrière<173> Nachod. Le prince de Prusse occupa le poste de Soor, à portée de celui de Pilnikau, où commandait le prince héréditaire de Brunswic. On envoya quelques bataillons à Trautenau, à Schatzlar et à Landeshut, pour assurer les convois, qui de là étaient plus près de l'armée.

Tous ces mouvements n'opérant aucun changement dans la position où était l'ennemi, l'on crut pouvoir exécuter le projet que le Roi avait formé. A cette fin, le Prince héréditaire alla occuper avec son corps la hauteur des Dreyhauser; le prince de Prusse le remplaça avec son détachement, en s'établissant à Pilnikau, et le Roi se campa avec quarante bataillons auprès du village de Léopold; de manière que ces trois corps, communiquant ensemble, pouvaient se prêter la main, au cas qu'un d'eux fût attaqué. Il était temps d'avancer pour s'approcher davantage de Hohenelbe. A cette fin, le prince héréditaire de Brunswic couronna les montagnes qui vont de Schwarzthal à Langenau; le Roi le joignit par sa droite, et remplit le terrain qui va de Lauterwasser à une hauteur à gauche, qui fut également occupée. Le prince de Prusse garda sa position de Pilnikau, d'où il pouvait faire une fausse attaque sur le corps des ennemis de Neuschloss, tandis que l'armée forcerait le passage de l'Elbe. Ce prince se distingua à différentes reprises par sa vigilance et par ses bonnes dispositions. La réserve fut placée à Wildschiitz, pour épauler le camp du prince de Prusse, et la brigade de Luck173-a fut destinée à garnir les défilés impraticables de Hermannseifen, de Mohren et des Dreyhauser. Cette brigade, chargée de mener le gros canon et les obusiers à l'armée, employa trois jours pour les traîner de Trautenau à Hermannseifen, qui font une distance de trois milles. L'artillerie, qui avait des voies larges, ne put jamais traverser les chemins étroits qui étaient creusés dans le roc vif; on l'attendait avec impatience; mais elle n'arriva pas.

<174>Un temps aussi précieux, perdu par des soins inutiles, favorisa si bien les Autrichiens, qu'ils purent s'établir avec toute leur armée et leur canon sur les montagnes qui sont en delà de Hohenelbe, et dès lors il fallut renoncer au projet; car tout ce qu'il est permis de tenter contre un corps faible, devient téméraire si on le veut hasarder contre une armée nombreuse, principalement quand elle se trouve placée dans un poste presque inexpugnable. Pour forcer ces troupes, il fallait avoir les obusiers, seule artillerie dont on pût se servir contre des ennemis postés sur des montagnes; et ces obusiers n'y étaient point. Il fallait, de plus, passer l'Elbe sur des ponts, et défiler devant un grand front qui aurait écrasé les troupes avant qu'elles pussent se mettre en bataille. De plus, il fallait déloger le corps de Siskovics des coteaux du Riesengebirge, d'où il serait tombé sur le flanc des assaillants, si on ne lui avait précédemment donné la chasse. La montagne où il était, s'appelait Wachura, et cette expédition était un préalable. Il fallait aussi que le prince Henri coopérât à cette entreprise, en donnant quelque signe de vie à dos de l'armée impériale, vers l'Iser, qui en était peu distant; et ce prince ne voulut se déterminer à rien. Si tous ces empêchements n'étaient survenus, le projet était de chasser, comme je l'ai dit, M. de Siskovics de son poste; d'établir ensuite quarante-cinq gros obusiers derrière Hohenelbe, pour bombarder de là la partie des ennemis qui se trouvait vis-à-vis de notre droite; de passer l'Elbe à un gué qu'on avait découvert près d'un couvent de moines, et, après avoir délogé l'ennemi de cette position, de s'établir entre Branna et Starkenbach, sur le flanc des troupes qui campaient près de Neuschloss, où les ennemis devaient s'assembler promptement pour attaquer les Prussiens dans un bon poste, ce qui demandait du temps, ou ils étaient dans la nécessité d'abandonner tout le cours de l'Elbe à nos troupes victorieuses.

Toutes les raisons que nous venons d'alléguer ayant obligé de renoncer à ce plan hardi, il ne restait qu'à consumer par les four<175>rages tout ce pays dépourvu d'habitants, et à le réduire en une espèce de désert, pour assurer la tranquillité des quartiers d'hiver, qu'on ne pouvait prendre qu'en Silésie. On fourragea comme de coutume, toujours sur les bords de l'Elbe et sous le canon des ennemis, sans que l'Empereur et ses troupes donnassent la moindre marque de vigueur, sans qu'aucun d'eux se hasardât à passer la rivière pour défendre le fourrage qu'on prenait sous leurs yeux à leurs malheureux cultivateurs. Quoique le pays fût abondant, le grand nombre de troupes qui s'y nourrissaient, acheva bien vite de consumer les productions de la terre. Le prince Henri, qui était obligé175-a de ménager ses fourrages, manda au Roi qu'il ne lui en restait que jusqu'à la moitié de septembre. Les deux armées décampèrent donc à peu près le même jour. Le Roi quitta la position de Langenau et de Lauterwasser le 14 de septembre,175-b le prince Henri, son camp de Niemes deux jours plus tard.175-b Ce prince passa l'Elbe à Leitmeritz. Le gros bagage qui passa cette rivière à Aussig, y perdit la moitié de ses chevaux, non par l'ennemi, mais manque de précaution et par négligence. Le prince de Bernbourg,175-c qui avait les Saxons avec lui, se replia sur Zittau, et plaça ses troupes sur l'Eckartsberg : il y eut quelques escarmouches à l'arrière-garde du prince Henri, où les hussards d'Usedom175-d eurent occasion de se distinguer. Le lecteur nous saura gré de ne lui point rapporter ces minuties et ces affaires de détail qui n'influent en rien sur les grandes affaires.

Du côté du Roi, ce prince, pour alléger sa retraite, avait eu la précaution de renvoyer d'avance son artillerie et ses obusiers de Hermannseifen à Wildschütz. Les mesures furent si bien prises, que<176> l'ennemi tenta inutilement d'entamer le Prince héréditaire auprès de Schwarzthal, et qu'il lui laissa tranquillement reprendre son ancien camp des Dreyhauser. La colonne que le Roi conduisait, rencontra encore une vingtaine de canons embourbés dans les défilés de Léopold. Cet accident arrêta la marche de l'armée; l'on garnit d'abord les hauteurs des troupes qui avaient la tête de la colonne. Elles repoussèrent facilement quelques détachements de pandours et de hussards venus de Neuschloss, par Arnsdorf, dans l'intention de harceler l'arrière-garde royale. Les canons furent traînés à force de bras sur les hauteurs; quelques coups de canon dissipèrent l'ennemi, et l'armée entra dans le camp de Wildschütz, dont la réserve, comme nous l'avons dit, occupait les hauteurs, et le prince de Prusse, la gauche, de sorte que depuis les Dreyhauser jusqu'à Pilnikau et Kottwitz, l'armée formait une ligne presque contiguë.

Tous ces différents mouvements des Prussiens ne firent aucune impression sur l'armée impériale : elle demeura immobile derrière l'Elbe, comme si elle eût été pétrifiée. Après avoir donc épuisé de fourrages tous les environs, le Roi se replia sur Trautenau. Cette marche se fit sur trois colonnes; il n'y eut de harcelée que celle que le prince héréditaire de Brunswic conduisait. Ce prince fit volte-face; à son tour il attaqua l'ennemi, qui, craignant un engagement sérieux, se retira, après avoir perdu une centaine de morts, et quelques prisonniers qu'on fit sur lui; après quoi les Prussiens entrèrent dans leur camp, le corps du Prince héréditaire à droite, sur les hauteurs de Freyheit, et le corps du prince de Prusse à gauche, sur les collines de la chapelle de Trautenau. M. de Wurmser, qui, avec un tas de troupes légères, se tenait à Prausnitz, essaya à différentes reprises d'attaquer le poste du prince de Prusse; toutes les fois qu'il attaqua, il fut repoussé, ce qui fut dû aux bonnes dispositions et à l'activité de ce prince, conduite qui eût honoré tout autre militaire qui en aurait fait autant.

<177>Les Prussiens, ne pouvant rien entreprendre sur les Impériaux, étaient réduits à consommer les vivres des contrées où ils pouvaient atteindre, et à décamper quand tout était mangé. On employa toute la prévoyance et toute la prudence convenable pour assurer ce mouvement. Les hauteurs qui sont derrière l'Uppau,177-a furent garnies d'infanterie et de canons; les postes avancés se replièrent sur l'armée, et la retraite se fit avec tant d'ordre, que l'ennemi ne put entamer l'arrière-garde; si l'on en excepte une légère pandourade, rien ne troubla les troupes dans leur marche, qu'elles continuèrent jusqu'à Trautenbach, où l'on séjourna peu de jours. De là l'armée se replia sur Schatzlar, dont le poste couvre toute la Basse-Silésie. M. de Wurmser s'était préparé, ce jour, pour engager une affaire d'arrière-garde. Soit précipitation, soit ignorance, il n'attendit pas que les Prussiens fussent en marche pour les attaquer, et engagea sur notre gauche une affaire de poste. La brigade de Keller,177-b qui occupait une hauteur de cette extrémité, se défendit vaillamment, et repoussa l'ennemi avec perte de quatre cents hommes. Cela fait, les troupes se rendirent à l'endroit de leur destination. Le Prince héréditaire partit de Schatzlar avec dix bataillons; il fut joint à Münsterberg par trente escadrons de l'armée du Roi, avec lesquels il se mit en chemin pour la Haute-Silésie, où il prit le commandement de tout le corps qui se trouvait dans cette province. Il arriva à Troppau vers la fin de septembre. Le renfort qu'il menait dans la Haute-Silésie, était calculé pour contrebalancer un détachement à peu près de la même force, que l'Empereur envoyait à M. d'Ellrichshausen, et qui aurait donné aux Impériaux une supériorité trop considérable sur M. de Stutterheim, si l'on n'y avait pourvu à temps.

Cette campagne s'était bien vite terminée; on était à la fin de<178> septembre; la saison des opérations militaires n'était point écoulée : on devait donc soupçonner que l'ennemi ne s'en tiendrait pas là, et qu'après avoir observé pendant la campagne une défensive aussi restreinte que celle que nous avons rapportée, il couvait encore quelque dessein, et méditait peut-être de faire une campagne d'hiver. Deux points principaux pouvaient être les objets d'une irruption pour les Autrichiens : l'un, d'attaquer en force le corps du Prince héréditaire; l'autre, de forcer les passages de la Lusace. Un empereur jeune et ambitieux, à la tête de ses troupes, qui brûlait de se signaler par quelque coup d'éclat, donnait un air de vraisemblance aux projets qu'on lui supposait, ce qui méritait assurément un examen réfléchi. Les tentatives que l'ennemi pouvait méditer sur la Haute-Silésie, paraissaient les plus faciles : il avait de gros magasins à Olmütz, et la facilité de transporter ses subsistances; de plus, il ne fallait que chasser les Prussiens de Troppau pour les forcer à abandonner l'Oppa et à se retirer vers Cosel et Neisse. Le dessein de pénétrer en Lusace rencontrait plus de difficultés. Le prince de Bernbourg y commandait un corps de vingt mille hommes; les Impériaux n'avaient point de magasins à portée de la Lusace; les vivres étaient rares du côté de Schluckenau, Gabel, Rumbourg et Friedland, de sorte que l'ennemi aurait eu de la peine pour y amasser assez de subsistances pour un corps de troupes considérable. Toutefois, comme il pouvait disposer de tout le charriage de la Bohême, il aurait pu, à grands frais et avec du temps, former des magasins dans cette partie pour se préparer à une telle entreprise, très-difficile relativement au poste de l'Eckartsberg.

Moins on voyait clair dans les vues de l'ennemi, plus il fallait se préparer pour tous les cas. A cette intention, M. de Bosse178-a fut détaché avec dix escadrons et cinq bataillons pour Löwenberg et Grei<179>fenberg; ses ordres portaient d'observer le général d'Alton, qui occupait Friedland et Gabel, et, au cas que ce général voulût entamer le prince de Bernbourg, de prendre l'ennemi à dos, et de se concerter en tout avec ce prince. D'un autre côté, le prince Henri, qui campait à Nollendorf, envoya un détachement, sous le général Möllendorff, à Bautzen, pour joindre le prince de Bernbourg, au cas que les Autrichiens tournassent de son côté, et, supposé que cette expédition fût plus sérieuse, et qu'une partie de l'armée ennemie voulût pénétrer en Lusace, pour marcher à Lauban avec vingt bataillons et trente escadrons pour couper les assaillants de leurs vivres. Lorsque le général Möllendorff quitta la Bohême pour se rendre à Bautzen, il fut attaqué par les Autrichiens, qui furent repoussés avec une perte assez considérable. Le major d'Anhalt,179-a qui servait sous le général Möllendorff, se distingua beaucoup dans cette petite affaire.

Tandis qu'on ne savait à quoi les ennemis se détermineraient, le Roi demeura à Schatzlar; mais sitôt qu'on s'aperçut qu'ils ne faisaient aucuns préparatifs vers la frontière de la Lusace pour amasser des magasins, et que le corps que les Impériaux avaient sur cette frontière, était même inférieur à celui des Prussiens, il parut assez probable que la tranquillité se maintiendrait de ce côté-là pendant l'hiver. Dès lors le Roi eut la liberté de tourner toutes ses pensées vers la Haute-Silésie; d'ailleurs, le froid commençait à se faire sentir assez vivement dans les montagnes de la Bohême : il gelait toutes les nuits. Les Autrichiens n'avaient aucun corps d'armée dans le voisinage. Toutes ces considérations parurent suffisantes pour lever le camp, et mettre les troupes qui devaient défendre la frontière en cantonnement entre Landeshut, Griissau, Hirschberg, Schmiedeberg et<180> Friedland. Elles consistaient en vingt bataillons et trente escadrons, dont le général Ramin180-a avait le commandement. Cette position était la même que le Roi avait occupée en l'année 1759. Seize bataillons et quinze escadrons partirent à part pour se rendre dans la Haute-Silésie; le Roi les joignit à Neisse, se mit à leur tête et marcha à Neustadt. Les raisons de ce mouvement étaient les suivantes, savoir : le dessein d'attirer la guerre en Moravie comme le Roi l'avait toujours voulu; le Prince héréditaire occupait Troppau; les ennemis avaient Jagerndorf, et pouvaient de là le couper de Neisse et de Cosel. C'était donc une nécessité d'occuper Jagerndorf, pour assurer, par cette position, la chaîne des quartiers d'hiver derrière l'Oppa. On était obligé, d'ailleurs, de prendre des établissements solides dans la Haute-Silésie, pour se mettre en état de faire, le printemps suivant, les plus grands efforts en Moravie. Les troupes du Roi chassèrent sans peine les Autrichiens de Jägerndorf, et l'on s'occupa dès lors à fortifier la ville, la montagne de la Chapelle, et les villages les plus exposés aux insultes de l'ennemi. Le Prince héréditaire en fit autant à Troppau, et ces deux villes, par les fortifications qu'on y ajouta, devinrent de bonnes places à l'abri de toute insulte. Dès la mi-novembre, ces ouvrages étant en assez bon état, le Roi se rendit à Breslau, tant pour prendre des arrangements pour la campagne prochaine, que pour veiller aux négociations, qui commençaient à prendre une tournure assez intéressante.

N'ayant pas voulu rompre le récit d'une campagne stérile en grands événements, nous croyons devoir reprendre maintenant le fil des affaires politiques. La cour de Pétersbourg était celle qui intéressait le plus, parce que c'était d'elle uniquement qu'on pouvait attendre des secours réels. L'impératrice de Russie s'était engagée d'assister le Roi sitôt que ses différends avec la Porte ottomane seraient<181> vidés. Le Roi, qui voulut mettre l'Impératrice dans le cas d'accomplir sa promesse, s'était, par une suite de la bonne harmonie qui s'établissait entre la France et la Prusse, adressé au ministère de Versailles, afin qu'il se chargeât de la médiation entre les Turcs et les Russes; et les Français avaient réussi à faire consentir la Porte à s'accommoder avec ses ennemis en rendant les vaisseaux russes qu'elle avait pris aux Dardanelles, et à reconnaître le kan des Tartares, protégé par Catherine. A peine ces nouvelles arrivèrent-elles à Pétersbourg, que l'Impératrice, rassurée sur la tranquillité de ses États, et flattée par l'ambition de prendre une part directe aux affaires d'Allemagne, se déclara ouvertement pour la Prusse. Ses ministres, tant à Vienne qu'à Ratisbonne, déclarèrent en substance : « Qu'elle priait l'Impératrice-Reine de donner une satisfaction entière aux princes de l'Empire à l'égard de leurs griefs, et surtout des justes sujets de plainte que leur fournissait l'usurpation de la Bavière, manque de quoi l'impératrice de Russie serait dans l'obligation de remplir ses engagements envers Sa Majesté Prussienne, en lui envoyant le corps de troupes auxiliaires qu'elle lui devait selon la teneur des traités. »

Cette déclaration fit l'effet d'un coup de foudre sur la cour de Vienne. Cet événement inattendu troubla et dérangea sa sécurité hautaine; le prince Kaunitz fut honteux, n'ayant rien prévu, de se voir surpris. Il était bien embarrassé sur qui en rejeter la faute. Son fils, qui était envoyé à Pétersbourg, jeune et sans expérience, s'étant plus occupé de ses plaisirs que des affaires, n'avait point averti sa cour de l'état de la négociation de Constantinople, ni des dispositions où l'impératrice de Russie était pour le roi de Prusse. Joseph, qui désirait ardemment la continuation de la guerre, profita du trouble et de la perplexité où il trouva l'Impératrice sa mère, et lui fit signer un ordre pour augmenter son armée de quatre-vingt mille recrues. Il s'écriait qu'il fallait tout mettre en œuvre, épuiser toutes les ressources, pour rendre, dans ce moment décisif, la maison d'Autriche<182> plus formidable que jamais; il pensait que les dépenses une fois faites, rien ne pourrait arrêter la continuation de la guerre : mais l'Impératrice était dans des sentiments tout opposés. Elle soupirait après la fin de ces troubles; elle mettait tout son espoir en la médiation de la France, qu'elle avait demandée; ses peuples, surchargés d'impôts, ne pouvaient point fournir les sommes immenses que les frais de la guerre exigeaient; les emprunts étrangers ne remplissaient point les attentes de la cour; enfin l'argent manquait à tel point, que souvent les soldats étaient sans paye et manquaient des besoins journaliers; et les personnes les plus éclairées prévoyaient avec douleur un bouleversement général de la monarchie, si on ne le prévenait en se prêtant de bonne grâce aux propositions d'une paix raisonnable.

Déjà l'Impératrice avait sollicité, comme nous l'avons déjà dit, la médiation de la France; elle avait de même imploré les bons offices de la cour de Russie, et par un hasard singulier, la dépêche de Vienne et la déclaration de Pétersbourg, étant parties en même temps, arrivèrent à peu près le même jour au lieu de leur destination. Cela tourna à l'avantage du Roi, parce que, si la demande des Autrichiens fût arrivée à Pétersbourg avant le départ de la déclaration, il est à présumer que l'impératrice de Russie l'aurait supprimée. D'autre part, le Roi, qui, par ses émissaires, était informé de tout, ne demandait pas mieux que de s'accommoder avec la cour de Vienne, pourvu toutefois qu'on maintînt les constitutions de l'Empire dans leur intégrité, et qu'on ne négligeât ni les intérêts de l'électeur de Saxe ni ceux du prince de Deux-Ponts, et qu'il fût à l'abri de toute chicane à l'égard de la succession des margraviats, sur lesquels il avait des droits incontestables; et bien éloigné de s'opposer à la médiation de la France, ce prince envisageait la cour de Versailles comme garante de la paix de Westphalie, et comme autant intéressée que la Prusse même à ne pas permettre que l'Empereur, par son usurpation de la Bavière, se frayât un chemin, soit pour tomber sur le roi de Sar<183>daigne en Italie, ce qu'on craignait fort à Turin, soit pour pénétrer avec plus de facilité en Alsace et dans la Lorraine. L'électeur de Saxe était cousin de Louis XVI, et le prince de Deux-Ponts, son protégé. Néanmoins c'aurait été manquer de prudence que de confier entièrement les intérêts de la Prusse et de l'Allemagne à un ministère sans vigueur, et qui, n'ayant aucune volonté ferme, était susceptible de se laisser ébranler par les machinations et les représentations insidieuses de la cour de Vienne. Pour prémunir M. de Maurepas contre toute proposition des Autrichiens directement opposée à la pacification de l'Allemagne, le Roi lui envoya un mémoire raisonné qui contenait les motifs pourquoi telle condition de paix pouvait être acceptable, et pourquoi l'on n'en pouvait pas admettre une contraire, avec un résumé des articles principaux et indispensables pour la paix générale. Cette pièce fit un effet si avantageux, que la France l'admit pour base de la négociation dont elle s'était chargée à Vienne. M. de Breteuil, ambassadeur de France à cette cour, éprouva de la part de l'Empereur des difficultés qui renaissaient à chaque proposition qu'il mettait en avant; mais cela n'empêcha pas l'Impératrice-Reine d'admettre le projet de pacification tel que la France l'avait minuté.

Sur ces entrefaites, le prince Repnin arriva à Breslau de la part de l'impératrice de Russie; il y parut plus sous les dehors d'un ministre plénipotentiaire qui venait dicter de la part de sa cour des lois à l'Allemagne, qu'avec les apparences d'un général destiné à conduire un corps auxiliaire à l'armée prussienne. L'impératrice de Russie, fière de ce que l'Impératrice-Reine avait requis ses bons offices pour le rétablissement de la paix, se croyait pareille aux dieux d'Homère, qui réglaient par des paroles le sort des misérables humains. Le Roi avait proposé à la cour de Pétersbourg d'employer, le printemps suivant, le corps des Russes contre la Lodomirie et la Gallicie, où il y avait peu de troupes; de pénétrer en Hongrie, où l'approche des Russes aurait fait révolter tous ceux de la religion grecque qui étaient<184> répandus dans la Croatie, dans la Hongrie, dans le banat de Témeswar et dans la Transylvanie; le Roi s'était même offert d'y joindre un corps de ses troupes, et d'abandonner toutes les richesses de ces provinces à l'avide cupidité des généraux moscovites.

Ce projet fut rejeté par ignorance et par un désir plus vaste de s'enrichir. Le corps que les Russes devaient fournir selon le traité, consistait en seize mille combattants; l'on y mit un prix si énorme, qu'il ne pouvait jamais s'évaluer par les services qu'on en pouvait attendre. Il en aurait coûté par an au Roi trois millions cinq cent mille écus, et en outre un subside de cinq cent mille écus pour une guerre que la Russie ne faisait point aux Turcs. Et comme si ce n'en était pas assez de conditions aussi onéreuses qu'extravagantes, le prince Repnin insistait pour qu'on stipulât qu'au cas que la guerre des Turcs le rappelât avec son corps en Pologne, le Roi lui donnerait seize mille Prussiens pour le convoyer à son retour, afin que ce convoi l'empêchât d'être inquiété dans son chemin par les troupes autrichiennes rassemblées dans la Lodomirie; et pour comble de ridicule, il ajouta que les Prussiens pourvoiraient eux-mêmes à leur subsistance, en achetant partout leurs besoins argent comptant. De telles conditions désignaient clairement que l'Impératrice n'avait pas l'intention sincère d'assister la Prusse; elles étouffèrent les sentiments de reconnaissance qu'on aurait dû avoir pour ses secours. Aussi ne fallait-il attribuer ces démonstrations d'amitié qu'au désir de Catherine de s'immiscer, sous ce prétexte, dans les affaires d'Allemagne pour étendre son influence sur celles de l'Europe. La vanité du désir de la gloire la faisait agir, et non pas l'intérêt de ses alliés, ni les obligations qu'elle avait contractées par ses alliances.

Le prix excessif que les Russes mettaient à leurs troupes auxiliaires, partait en grande partie de l'intention qu'ils avaient de se servir de ce moyen pour dégoûter le Roi de la guerre. Les lettres de Pétersbourg contenaient toutes de grandes exhortations à la paix. Parmi tant de<185> choses désagréables, la plus dangereuse et la plus fâcheuse pour la Prusse était la malhabileté et le peu de lumières des ministres de la Russie. Le comte Panin n'était pas stylé du tout aux tours insidieux des négociations autrichiennes. Sans cesse il fallait l'avertir des piéges qu'on lui tendait, et si on ne l'eût surveillé attentivement, le prince Kaunitz l'eût ballotté selon son plaisir. D'une part, la faiblesse du ministère de Versailles, et de l'autre, l'ignorance de celui de Pétersbourg, mettaient le Roi dans de grands embarras et augmentaient ses inquiétudes. Cependant, comme la sagacité française l'emportait de beaucoup sur l'ineptie russe, c'était de la première qu'il fallait attendre l'heureux succès de cette négociation.

Le marquis de Breteuil, ambassadeur à la cour impériale, était flatté de devenir le pacificateur de l'Allemagne; il se plaisait à se représenter qu'en suivant les traces de Claude d'Avaux, plénipotentiaire à la paix de Westphalie, ce lui serait un acheminement pour monter aux premières dignités dans sa patrie, et surtout au ministère des affaires étrangères, qu'il ambitionnait avec la plus vive ardeur. Il mit toute son activité en jeu, et travailla avec tant de persévérance, que vers la fin de janvier,185-a il envoya à Breslau au prince Repnin le plan de pacification générale, tel que le Roi l'avait conçu et qu'il avait été approuvé par l'Impératrice-Reine. Les conditions étaient telles que nous les avons marquées, à l'exception d'un seul article, auquel le Roi avait consenti, à savoir, que Sa Majesté renonçait aux prétentions qu'elle avait sur les duchés de Juliers et de Berg, en faveur du prince de Deux-Ponts; et c'était proprement un renouvellement du traité signé l'année 1741 avec la France, et qui procura à Sa Majesté la garantie de toute la Silésie de la part de Sa Majesté Très-Chrétienne.

L'on communiqua ce projet de paix aux alliés de la Prusse. Les<186> Saxons en jetèrent les hauts cris; ils faisaient monter leur prétention sur les alleux de la Bavière à la somme de soixante-dix millions de florins, et ils prévoyaient avec douleur que s'ils en obtenaient six millions, ce serait beaucoup. Ils exigeaient, de plus, que l'Empereur renonçât à toutes les prétentions féodales qu'il prétend, comme roi de Bohême, avoir sur la Saxe et sur la Lusace, et surtout ils s'étaient flattés de gagner quelque dédommagement en fonds de terre pour arrondir leur territoire. Le prince de Deux-Ponts, de son côté, s'opiniâtrait à soutenir que la Bavière ne devait être démembrée en aucune manière; il s'offrait à céder une partie du Haut-Palatinat pour conserver le cercle de Burghausen; avec cela, il ne consentait qu'avec une extrême répugnance aux dédommagements que l'électeur de Saxe avait à prétendre.

Pour contenter le désir de ses alliés, le Roi fit une nouvelle tentative, uniquement relative à la Bavière et au cercle de Burghausen, pour essayer s'il pourrait obtenir pour eux quelques conditions plus favorables de la cour de Vienne; mais bien loin d'y acquiescer, le prince Kaunitz, effarouché des nouvelles demandes des Prussiens, et se revêtant de toute la morgue autrichienne, répondit fièrement que le projet de pacification communiqué par l'ambassadeur de France au prince Repnin était l'ultimatum de la cour de Vienne, et que l'Impératrice était résolue à sacrifier jusqu'au dernier homme de son armée, plutôt que d'adhérer à de nouvelles conditions aussi humiliantes et aussi contraires à sa dignité que celles qu'on venait de lui présenter. Quoiqu'il n'y eût rien que de fort naturel à demander la restitution entière d'une province envahie et usurpée, la France et la Russie ne voulaient que la paix : la première, pour se délivrer des sollicitations de l'Empereur, qui lui demandait des secours; la seconde, pour ne point assister les Prussiens de ses troupes. Elles agirent en conséquence, et pressèrent les ministres prussiens de ne point former<187> d'obstacles nouveaux à la pacification générale. Le Roi, gêné par des puissances médiatrices qui méritaient les plus grands égards, n'eut pas la liberté d'assister ses alliés avec le zèle qu'il sentait pour eux; il ne pouvait pas heurter de front en même temps l'Autriche, la France et la Russie; il voulut pourtant concerter avec cette dernière les mesures qui restaient à prendre; ce qui recula d'un mois l'assemblée du congrès, parce qu'il fallait ce temps pour avoir la réponse de Pétersbourg.

Nous emploierons ce délai à mettre sous les yeux du lecteur le précis des opérations militaires qui occupèrent les troupes pendant cet hiver. On se rappellera que nous avons laissé le Prince héréditaire dans la Haute-Silésie, occupé à soutenir sa position de Troppau et de Jagerndorf, donnant la chasse aux ennemis, tantôt du côté de Grätz, tantôt à Mährisch-Ostrau, tantôt vers Lichten. Les Autrichiens croyaient, de leur côté, que c'était une humiliation de laisser les Prussiens tranquillement les maîtres d'une partie de leur territoire; ils auraient voulu tout tenter pour les en déloger : mais ils prévoyaient qu'ils ne pourraient reprendre les villes de Troppau et de Jägerndorf sans les ruiner et les brûler totalement. Ce moyen paraissant trop onéreux et trop dur à l'Impératrice-Reine, les généraux autrichiens imaginèrent qu'en coupant l'armée du Prince héréditaire de Neisse, d'où ils supposaient faussement qu'elle tirait ses vivres, ils obligeraient ce prince à vider toute la Haute-Silésie.

Dans l'intention d'exécuter ce projet, le général Ellrichshausen, avec un renfort de dix mille hommes qu'il avait reçu de la Bohême, établit son quartier à Engelsberg, petite ville située dans les gorges des montagnes, dont l'une aboutit à Branna, proche de Jägerndorf, l'autre débouche à Hof, et la troisième, qui passe par Zuckmantel et Ziegenhals, aboutit à cette plaine qui s'étend de Weidenau à Patschkau, Neisse et Neustadt. Ce corps, environ de quinze mille hommes, placé avec cet avantage, donnait différentes alarmes à nos quartiers :<188> tantôt il fourrageait près de Neisse, mais toujours repoussé; tantôt il alarmait les environs de Jägerndorf, d'où le général de Stutterheim, qui en avait le commandement, le renvoya bien battu. Enfin, las de ces échauffourées, qui ne laissaient pas de fatiguer les troupes, le prince héréditaire de Brunswic résolut de les alarmer à son tour. Il rassembla ses quartiers, et fondit avec trois corps séparés sur les postes de Branna, de Lichten et de l'Engelsberg. Les Impériaux prirent la fuite aussitôt que les Prussiens se montrèrent; le prince leur prit quatre canons et cinquante prisonniers; mais la terreur des ennemis fut si grande, qu'ils s'éloignèrent des cantonnements prussiens, et que les troupes de Troppau et de Jägerndorf purent jouir de quelque tranquillité. Alors M. d'Ellrichshausen tourna son attention entièrement vers Zuckmantel et Ziegenhals, d'où il faisait journellement des incursions dans le plat pays.

Les troupes prussiennes de Neustadt et de Neisse s'opposaient à chaque moment aux déprédations que l'ennemi voulait commettre; ce qui fournit matière à différentes escarmouches, où l'infanterie et la cavalerie prussiennes se distinguèrent également; mais ce genre de petite guerre n'entre pas dans le plan des mémoires que nous nous sommes proposé d'écrire. Toutefois on résolut de réprimer la témérité de telles entreprises : il fallait du repos aux troupes pendant l'hiver, et elles avaient assez de temps pour se battre durant la saison des opérations de campagne. Pour amener les choses à cette fin, et couper le mal par ses racines, on résolut de déloger les Autrichiens de leur poste de Zuckmantel, si la chose était faisable.

M. de Wunsch, qui se trouvait avec dix bataillons dans le comté de Glatz, où jusqu'alors il était resté désœuvré, crut qu'il pourrait s'en éloigner pour peu de temps sans trop hasarder par une courte absence. Il laissa le prince de Philippsthal avec deux faibles bataillons à Habelschwerdt; il arriva à Ziegenhals, d'où il chassa les ennemis,<189> et les poursuivit dans des gorges que forment les montagnes jusqu'à Zuckmantel; mais ce poste avait été rendu insoutenable pour les Prussiens, à cause des hauteurs qui le dominent, et que les Autrichiens avaient non seulement garnies de canons, mais encore retranchées par des ouvrages considérables, dont il était impossible de les expulser. Il était même impossible de les tourner, parce qu'on ne pouvait gravir contre ces montagnes trop hautes, trop roides et trop escarpées. M. de Wunsch, convaincu physiquement qu'il ne pouvait rien entreprendre de ce côté-là sur l'ennemi, et qu'un plus long séjour ne serait qu'une perte de temps, s'achemina pour retourner à son ancien poste auprès de Glatz. En passant près de Landeck, il entendit une canonnade assez vive du côté de Habelschwerdt; il tourna aussitôt de ce côté; mais à peine eut-il fait quelque chemin, qu'il rencontra deux cent cinquante soldats du régiment de Luck, qui s'étaient ouvert un passage, et qui lui apprirent que le prince de Philippsthal avec le reste du régiment s'était laissé surprendre par les Autrichiens sans avoir pris aucune précaution pour sa sûreté. Il ne faut attribuer cette catastrophe honteuse qu'à l'ignorance de ce jeune prince, qui faisait sa première campagne, et auquel on n'aurait point dû confier de commandement séparé.189-a

Bientôt M. de Wunsch entendit une autre canonnade : l'ennemi attaquait une espèce de palanque ou de redoute dans laquelle le général prussien avait laissé cent hommes pour la défendre. Les obusiers autrichiens y mirent le feu, et le capitaine Capeller,189-b qui se signala<190> par sa belle résistance, fut obligé de se rendre avant l'arrivée du secours, de sorte que M. de Wunsch se jeta avec tout son corps dans la forteresse de Glatz. Wurmser et les Impériaux, qui n'avaient aucune connaissance de cette redoute, avaient eu dessein de marcher droit à Glatz, et de surprendre la ville. Leur projet ne pouvait aucunement s'exécuter par surprise : les ouvrages de cette forteresse sont tels, qu'ils ne peuvent être insultés, à moins que l'ennemi n'entreprenne un siége dans les formes. M. de Wurmser eut toutefois l'avantage de prendre quelques quartiers dans le comté, et il se flattait bien que pour le déloger du domaine prussien, le Roi tirerait des troupes de la Haute-Silésie pour les employer contre lui, et qu'en dégarnissant par là le cordon de Troppau et de Jägerndorf et l'armée du Prince héréditaire, M. d'Ellrichshausen aurait beau jeu, et trouverait le moyen d'entreprendre avec succès contre les Prussiens, et de nettoyer ces bords de l'Oppa qui donnaient tant de jalousie aux Impériaux; mais les choses tournèrent autrement que les généraux ennemis ne l'imaginaient et ne le désiraient.

Le Roi se mit à la tête de quelques bataillons de sa réserve qui avaient hiverné à Breslau, auxquels se joignirent les gardes du corps, les gendarmes, et le régiment d'Anhalt, avec lesquels il se rendit à Reichenbach; et M. de Ramin envoya quatre bataillons au général d'Anhalt, qui en avait quatre sous ses ordres. Tout ce corps occupa Friedland et les retranchements qu'on y avait faits. Pour chasser l'ennemi de Waldenbourg, le général Lestwitz190-a se porta sur Scharfeneck, et le général Anhalt, sur Braunau. Les Impériaux prirent la fuite de tous côtés; à peine M. d'Anhalt put-il attraper une cinquantaine de pandours. Dans le même temps que ces corps avançaient, le Roi occupa Silberberg, pour être de là à portée de donner des secours où il serait nécessaire. Ce mouvement fit une telle impression sur les<191> ennemis, qu'ils évacuèrent la ville de Habelschwerdt, et se sauvèrent en Bohême.

On avait pourvu à tout : si l'on avait laissé les Impériaux tranquilles en Bohême sur les frontières de la Saxe, toutes leurs troupes auraient reflué vers la Silésie, et M. de Wurmser aurait été renforcé considérablement; afin donc que l'attention de l'ennemi fût divisée, et qu'il pensât plutôt à sa sûreté qu'à inquiéter la Silésie, M. de Möllendorff ramassa quelques troupes, partit de la Saxe, marcha à Brix, battit avec sa cavalerie le parti qui lui était opposé, gagna trois canons, trois cent cinquante prisonniers, et prit le magasin qui était dans la petite ville de Brix. La nuit, il arriva qu'un bas officier du régiment de Wunsch déserta, et pour se venger de son major, il mena tout de suite les hussards autrichiens dans le même village, d'où il enleva ce major et cinq drapeaux;191-a tant il est vrai qu'un officier ne peut jamais être assez sur ses gardes pour éviter d'être surpris. Une aventure pareille était arrivée quelques mois auparavant en Silésie au régiment de Thadden, cantonné dans le village de Dittersbach,191-a près de Schmiedeberg. Les hussards firent une fausse attaque sur un poste du régiment, tandis qu'une autre troupe, pénétrant par un jardin et une grange dans la maison du commandeur, en enleva trois drapeaux, ayant été chassée avant de pouvoir emporter les autres. Ces faits ne sont pas honorables au service prussien; mais dans le grand nombre d'officiers qui composent cette armée, tous ne sauraient être également éclairés et vigilants.

Durant le temps que la guerre se faisait sans égard à la saison, le courrier que le Roi avait envoyé avec son ultimatum, revint de Pétersbourg, et les deux cours étant convenues sur tous les articles qu'il<192> contenait, le prince Repnin l'envoya à M. de Breteuil à Vienne. Cet ambassadeur manda que cette pièce avait causé beaucoup de satisfaction à l'Impératrice-Reine, et que l'on se proposait d'assembler un congrès pour mettre la dernière main à la pacification générale. La postérité pourra-t-elle croire que dans de pareilles circonstances, lors même que la cour de Vienne paraissait intentionnée sérieusement de terminer la guerre, un général Wallis avec huit ou dix mille hommes se soit présenté tout à coup devant la ville de Neustadt, où le régiment de Prusse et le bataillon de Preuss192-a étaient en garnison? L'ennemi, ne pouvant emporter la ville, y jeta tant de grenades royales d'une vingtaine d'obusiers qu'il menait avec lui, que le feu prit aux toits de bardeau dont la plupart des maisons sont couvertes, et que deux cent quarante habitations furent consumées par les flammes. Mais la garnison tint bon. Le général Stutterheim, averti du mouvement des ennemis, les prit à dos vers Branitz; les troupes cantonnées à Rosswalde vinrent sur un flanc des Autrichiens, des détachements de Neisse, sur l'autre. Wallis, ne pouvant pas s'arrêter plus longtemps sans risquer tout son corps, se retira sur Zuckmantel, et fut poursuivi et convoyé jusque dans son repaire. Cette expédition, méditée par l'Empereur, avait été prescrite au général Wallis. Ce prince, supposant le roi de Prusse ardent et d'une vivacité étourdie, croyait qu'en aigrissant son esprit par l'incendie d'une de ses villes, il le rendrait plus renitent et plus difficile pour la négociation qui devait s'entamer, et que peut-être l'humeur qu'il en aurait, le porterait à la rompre; mais cette indigne expédition des Autrichiens ne tourna qu'à leur honte.

<193>Peu après, le prince Repnin reçut une dépêche de M. de Breteuil, qui lui marquait combien l'Impératrice-Reine désirait impatiemment une suspension d'armes; le 4 mars, le Roi reçut ces nouvelles à Silberberg, et donna ordre à ses généraux de prendre des mesures avec ceux des ennemis pour régler avec eux la trêve qu'on avait proposée. Le 7 fut le terme marqué pour celle de la Bohême; le 8, pour celle de la Haute-Silésie et de la Moravie; le 10, pour celle de la Saxe et de la Bohême. Ce terme arrivé, on mit les troupes dans des quartiers plus étendus, pour leur procurer plus d'aisance, et éviter surtout les maladies contagieuses qui commençaient à régner sur les frontières. Le Roi se rendit le 6 à Breslau, pour conférer avec le prince Repnin : la ville de Teschen fut agréée d'un commun accord pour le lieu des conférences, et le Roi nomma M. de Riedesel son ministre plénipotentiaire à ce congrès. Arriva alors à Breslau M. de Törring-Seefeld, en qualité de ministre de l'Électeur palatin; lui, le prince Repnin, M. de Riedesel, M. de Zinzendorf, ministre de Saxe, et M. de Hofenfels, envoyé de Deux-Ponts, toute cette masse de négociateurs, dis-je, partit pour Teschen, où ils furent joints par M. de Breteuil, ambassadeur et plénipotentiaire du roi de France, et par M. de Cobenzl, chargé d'un même emploi par l'Impératrice-Reine.

L'Impératrice voulait sincèrement la paix; mais quelque empressement qu'elle eût de la voir bientôt rétablie, elle n'avait pu parvenir à inspirer les mêmes sentiments à l'Empereur son fils. Ce prince, comme nous l'avons dit précédemment, croyait son honneur lésé s'il ne soutenait point avec fermeté une démarche que sa témérité lui avait fait entreprendre. Les différentes dispositions de la mère et du fils avaient formé à Vienne deux factions qui se traversaient et se contrariaient sans cesse, comme cela est naturel; ce qui embarrassait beaucoup les puissances médiatrices, quoique l'Empereur vît bien que s'il intervertissait ouvertement une négociation dont la France et la Rus<194>sie se mêlaient, il aurait affaire à forte partie. Il se promettait qu'en déguisant son obstination, il pourrait parvenir à son but également, surtout s'il ne paraissait point agir lui-même, et qu'il mît quelqu'un en avant qu'il pût faire agir et mouvoir à sa volonté. Son choix s'arrêta sur l'Électeur palatin, qui, ainsi que ses ministres, était entièrement dévoué à la cour impériale. Mais cette nouvelle ruse se découvrit bientôt.

Dès que les ministres ouvrirent leurs conférences à Teschen, le comte Cobenzl acquiesça purement et simplement au plan de pacification proposé par la France; il ne fit aucune difficulté, et parut aussi content qu'on pouvait le désirer. On croyait que cet ouvrage serait promptement terminé, lorsque le prince Repnin reçut un courrier de la part de M. d'Assebourg,194-a ministre de l'impératrice de Russie à Ratisbonne, lequel lui mandait que l'Électeur palatin lui avait déclaré qu'il ne pouvait ni ne voulait donner aucune satisfaction à l'électeur de Saxe, et qu'il aimait mieux s'en tenir à son traité précédent, fait avec la cour de Vienne, que de soumettre la discussion de ses intérêts aux décisions du congrès de Teschen. Il est vrai que l'Électeur palatin joua gauchement le rôle que l'Empereur lui avait épelé. M. de Breteuil et le prince Repnin pénétrèrent sans peine le véritable auteur de cette nouvelle manigance; ils prirent tous deux le haut ton, et s'armant de toute la dignité convenable à des plénipotentiaires d'aussi grandes puissances, ils déclarèrent que toutes les parties contractantes ayant déjà adopté le plan de pacification qui leur avait été proposé, ils con<195>sidéreraient désormais comme ennemi celui des souverains qui voudrait contrevenir à son premier engagement. A ces paroles, le comte de Cobenzl pâlit, le Palatin s'humilia, et des courriers furent expédiés, qui partirent en hâte pour Vienne.

Cela n'empêcha pas qu'on ne vît renaître d'autres difficultés, qui barraient à chaque pas le chemin aux médiateurs. Un jour, c'étaient les Saxons, dont on ne pouvait satisfaire l'avidité; un autre, c'était le ministre de Deux-Ponts, qui, pour manifester son zèle, demandait pour son prince une augmentation d'apanage énorme, et soutenait son système favori, en prouvant que la Bavière était un duché indivisible. Il fallut que le Roi s'en mêlât pour que les choses n'allassent pas trop loin. Avec le secours des médiateurs, il parvint, quoique avec peine, à calmer l'effervescence déplacée de ces deux ministres; l'on démontra au Saxon que, sans la France, la Russie et la Prusse, qui l'assistaient, son électeur n'aurait pas retiré une obole de la cour de Vienne, quelque justes que fussent ses prétentions; qu'ainsi il agirait raisonnablement en se contentant de la somme qu'avec bien de la peine on lui faisait obtenir. On s'expliqua de même à peu près avec celui de Deux-Ponts, en lui rappelant qu'ayant perdu les trois quarts de la Bavière, son prince devait se trouver heureux qu'on lui en restituât les deux tiers, sans compter qu'en sa faveur le Roi renonçait aux droits que la maison de Brandebourg a sur les duchés de Juliers et de Berg. A peine avait-on tranquillisé ces deux ministres, que la marionnette de l'Empereur, l'Électeur palatin, se remit sur les rangs pour produire de nouvelles chicanes. La France en fut indignée, et le ministre de Louis XVI à Munich y parla sur le ton dont Louis XIV s'exprimait durant ses triomphes. Néanmoins ces altercations continuèrent à Teschen, et furent poussées au point que les plénipotentiaires mêmes commençaient à se défier du succès de leur négociation.

<196>Déjà six semaines s'étaient écoulées infructueusement; on en était au 20 d'avril, lorsqu'il arriva de Constantinople à Vienne un courrier avec la nouvelle de la paix conclue entre la puissance ottomane et la Russie. Il ne fallait pas moins qu'un événement aussi important pour fléchir l'âme inquiète et ambitieuse du jeune empereur. Tant que les apparences de guerre entre la Russie et la Porte annonçaient une rupture prochaine entre ces puissances, Joseph n'avait considéré la déclaration de la cour de Pétersbourg en faveur de la Prusse et de l'Empire que comme une ostentation, une vaine bravade, un enchaînement de paroles qui faisait plus de bruit que d'effet, parce que la Russie se trouvait assez occupée en Crimée pour soutenir le kan, son protégé, contre la puissance ottomane, qui voulait le détrôner, et que par conséquent elle n'aurait ni la force ni les moyens de soutenir efficacement la Prusse. Mais le rétablissement de la paix détruisait toutes les espérances dont l'Empereur s'était flatté; il ne pouvait pas se déguiser que la Russie, ayant maintenant les bras libres, était maîtresse d'employer ses forces comme bon lui semblerait; que par conséquent elle pouvait faire marcher un si puissant corps de troupes au secours du Roi, que la Prusse gagnerait par là une trop grande supériorité d'hommes, contre laquelle il serait impossible aux troupes impériales de se soutenir une campagne avec dignité, et à plus forte raison si la guerre venait à traîner en longueur. La paix des Russes doit donc proprement servir d'époque pour dater l'ouverture du congrès assemblé à Teschen. Dès ce moment, les machines dont l'Empereur faisait sourdement mouvoir les ressorts, s'arrêtèrent comme si elles étaient détraquées : l'Électeur palatin et son plénipotentiaire s'astreignirent à un silence respectueux; le comte de Cobenzl en devint plus liant, et abandonnant ses propositions insidieuses, il s'expliqua rondement et nettement sur les matières qu'il traitait avec les médiateurs. Toutes ces circonstances favorables avancèrent si promp<197>tement cet ouvrage, qu'en moins de quinze jours, tout le monde étant d'accord, la paix fut conclue et signée le 13 mai, jour de la naissance de l'Impératrice-Reine.

Nous nous contenterons d'en rapporter les articles principaux, savoir : que l'Empereur rendrait toute la Bavière et le Haut-Palatinat à l'Électeur palatin, à l'exception du cercle de Burghausen; que la succession de ces États serait assurée au prince de Deux-Ponts, ainsi qu'à toutes les branches collatérales qui avaient les mêmes droits; que l'électeur de Saxe obtiendrait pour dédommagement la somme de six millions de florins, laquelle lui serait payée à raison de cinq cent mille florins par an; que l'Empereur renoncerait en faveur de la Saxe au fief de Schönbourg, enclavé dans cet électorat; qu'à l'égard de la succession des margraviats de Baireuth et d'Ansbach, qui devaient retomber à la Prusse, l'Empereur reconnaissait la légitimité de ces droits, et promettait de ne plus le chicaner sur cette succession; que, d'autre part, le roi de Prusse renonçait à ses prétentions sur Juliers et sur le duché de Berg en faveur de la branche de Sulzbach, moyennant le renouvellement de la garantie que la France lui avait donnée de la Silésie par le traité de 1741; que le duc de Mecklenbourg obtiendrait le droit de non appellando, pour l'indemniser de ses prétentions; et enfin, que le présent traité serait garanti par la Russie, par la France et par tout le corps germanique.

A peine le traité fut-il signé, que les Prussiens, par bon procédé, évacuèrent tout de suite ce qu'ils occupaient de possessions autrichiennes. L'Électeur palatin, qui était si gauche et si maladroit dans toutes ses actions, s'avisa de chicaner les Autrichiens sur les districts de la Bavière qui devaient être rendus ou troqués; mais ces petits différends n'eurent point de suites, parce que les puissances garantes de la paix imprimaient trop de considération pour que les princes contractants les choquassent aussi ouvertement, en<198> n'exécutant pas les articles d'un traité solennel conclu par leur médiation.

Telle fut la fin de ces troubles de l'Allemagne; tout le monde s'attendait à l'enchaînement de quelques campagnes de suite avant de les voir terminer; mais ce ne fut qu'un mélange bizarre de négociations et d'entreprises militaires, qu'il ne faut attribuer qu'aux deux factions qui divisaient la cour impériale, dont l'une gagnait le dessus pour quelque temps, et tantôt était réprimée par l'autre. Les officiers étaient dans des incertitudes perpétuelles, et personne ne savait si l'on était en paix ou en guerre; et cette situation désagréable continua jusqu'au jour que la paix fut signée à Teschen. Il parut que les troupes prussiennes avaient de l'avantage sur leurs ennemis toutes les fois qu'elles pouvaient combattre en règle, et que les Impériaux l'emportaient en ce qui est ruse, surprise et stratagème, qui sont proprement du ressort de la petite guerre.

Il n'appartient peut-être pas à des contemporains de porter leur jugement sur les fautes principales qui furent commises de part et d'autre. Toutefois nous, en qualité de témoin oculaire, pouvons hasarder nos conjectures sur la conduite que les cours et leurs généraux ont tenue, autant avant que dans le cours de cette importante affaire. Il paraît que la cour impériale s'engagea sans beaucoup de prévoyance dans son projet sur la Bavière. Si elle y avait bien réfléchi, elle aurait trouvé des tempéraments qui l'auraient fait réussir sans se compromettre avec personne. C'était un préalable de s'entendre avec la France, en lui faisant des cessions dans la Flandre pour compenser les acquisitions que l'Empereur faisait en Bavière, ou de s'arranger avec la Prusse, en favorisant ses intérêts d'une autre part. Ainsi, de quelque côté que l'Empereur se fût tourné, il n'avait plus d'ennemis à craindre, parce qu'étant d'accord avec la France, la partie était trop forte pour que la Prusse pût s'y opposer, et de même, s'il était d'in<199>telligence avec la Prusse, la France était hors d'état d'y apporter le moindre obstacle.

La seconde faute qu'on peut reprocher aux ministres de Vienne, est de n'avoir point pensé du tout à mieux motiver le manifeste qu'ils publièrent en prenant possession de la Bavière; quelque illégale que fût leur façon d'agir, ils auraient pu se servir d'arguments, sinon concluants, du moins propres à éblouir, et dont l'illusion, répandue dans le public, aurait été plus difficile à détruire que ceux de droits supposés qu'ils alléguaient, faciles à réfuter, et qu'on parvint si vite à détruire.

La troisième faute tombe principalement sur le général des Autrichiens qui leur a minuté leur projet de campagne. Ce projet ne cadrait d'aucune manière avec la situation politique où se trouvait cette cour, parce que l'Empereur n'ayant aucun allié dont il pût espérer des secours, et le roi de Prusse pouvant s'attendre d'être assisté par la Russie, par les troupes de Hanovre et par celles d'autres princes de l'Empire, il ne convenait en aucune manière à l'armée impériale de restreindre son plan de défensive dans des limites aussi bornées que celles des bords de l'Elbe. Sa défensive contre la Saxe et la Lusace était aussi peu judicieuse que celle que l'Empereur avait adoptée contre la Silésie, parce qu'il est impossible de défendre des frontières aussi étendues contre un ennemi qui, perçant par un seul endroit avec toutes ses forces, renverse par un seul coup de main tous les arrangements qu'on a pris contre lui, et porte la confusion dans tous les corps auxquels la garde de la frontière a été confiée, à cause qu'ils sont dans l'obligation de précipiter leur retraite. Voilà ce qui est arrivé souvent dans les Alpes, que les rois de Sardaigne ont voulu soutenir, et qui ont toujours été forcées par les Français. Ceux-là, ne pouvant pas pénétrer d'un côté, ont trouvé le moyen de percer par un autre jusqu'en Piémont et auprès de Turin. Les intérêts de l'Em<200>pereur exigeaient donc qu'il débutât par une guerre offensive, qu'il attaquât les Prussiens au moment qu'ils débouchaient de la Silésie, parce qu'en battant les Prussiens, il pouvait prévoir qu'un coup aussi décisif intimiderait leurs alliés et les empêcherait de leur fournir des secours, et que, supposé qu'il fût battu, il retrouvait toujours ses postes fortifiés derrière l'Elbe, dans lesquels il pouvait se soutenir, empêcher l'ennemi de pénétrer plus en avant, et faire une guerre défensive qui se trouvait alors conforme à toutes les règles de l'art.

D'autre part, on peut reprocher aux Prussiens que leur armée de Saxe a manqué de nerf et d'activité, en laissant échapper une occasion unique qui se présenta, quand le prince Henri était à Niemes, et le Roi, proche de Hohenelbe. Une marche sur l'Iser suffisait pour faire décamper l'Empereur. Ce prince, en se retirant, ne pouvait, en pareil cas, trouver de bon poste pour son armée qu'en se plaçant derrière les étangs de Bohdanetz, ou peut-être en prenant le poste de Kuttenberg. Mais en ce cas, la moitié de la Bohême était perdue pour lui, et les Prussiens gagnaient pour cette campagne une supériorité décidée sur leurs ennemis.

Mais telle est la destinée des choses humaines, que l'imperfection s'y rencontre partout. Le sort de l'humanité est de se contenter des à peu près. Que résulte-t-il donc de cette guerre qui a pensé mettre toute l'Europe en mouvement? Que, pour cette fois, l'Allemagne a été garantie du despotisme impérial; que l'Empereur a essuyé une espèce d'humiliation, en rendant ce qu'il avait usurpé. Mais quel effet cette guerre produira-t-elle pour l'avenir? L'Empereur en deviendra-t-il plus circonspect? Chacun pourra-t-il cultiver son champ avec tranquillité? La paix en sera-t-elle plus assurée? Nous ne pouvons répondre à ces questions qu'en pyrrhoniens. Dans l'avenir, tout événement est dans la possibilité des choses. Nos yeux sont trop bornés pour pénétrer les contingents futurs; il ne nous reste qu'à nous en<201> remettre à la Providence ou bien à la fatalité, qui régleront l'avenir, de même qu'elles ont arrangé le passé et cette immensité de temps qui s'est écoulée avant que la nature nous ait produits.

Fait à Potsdam, ce 20 juin 1779.

Federic.


154-a La convention du 3 janvier 1778.

155-a Mémoire historique de la négociation en 1778, pour la succession de la Bavière, confiée par le roi de Prusse Frédéric le Grand au comte Eustache de Görtz. Francfort-sur-le-Main, 1812, p. 17 et suivantes.

159-a Jean-Hermann baron de Riedesel, depuis le 8 août 1773 envoyé de Prusse auprès de la cour impériale. Après la paix de Teschen, il y fut de nouveau accrédité le 27 juillet 1779. Il mourut dans le village de Hitzing, près de Vienne, le 20 septembre 1785.

160-2 La copie de ces lettres se trouve à la fin de ces Mémoires.

160-a Le 6 avril.

163-a Joachim-Frédéric de Stutterheim (voyez ci-dessus, p.104), frère aîné d'Othon-Louis de Stutterheim (t. IV, p. 189, et t. V, p. 156), était né en 1715. Il devint lieutenant-général en 1767, et mourut en 1783.
     Paul de Werner (t. IV, p. 154, et t. V, p. 89) mourut lieutenant-général en 1785.

164-a Königinhof.

166-a Christophe-Charles de Bülow, né en 1716, lieutenant-général de cavalerie depuis le 25 mai 1771. Voyez t. V, p. 101.
     Frédéric-Gotthelf de Falkenhayn, né en 1719, fut nommé général-major d'infanterie en 1767, et lieutenant-général au mois de juin 1778.
     Le lieutenant-général de Wunsch (t. IV, p. 188, et t. V, p. 22, 23, 25, 26 et 33) ne devint général de l'infanterie et chevalier de l'Aigle noir que le 22 mai 1787.
     Henri-Guillaume d'Anhalt, général-major depuis le 30 mai 1770, parvint au grade de lieutenant-général en 1782. Voyez t. V, p. 115 et 239.

167-a Le lieutenant-général de Platen (t. IV, p. 228, et t. V, p. 65) fut fait chevalier de l'Aigle noir le 18 septembre 1786, et général de la cavalerie le 20 mai 1787. Il mourut le 7 juin de la même année.

170-a Charles-Guillaume comte Finck de Finckenstein (t. III, p. 17) devint premier ministre de Cabinet après la mort du comte Podewils, arrivée en 1760, et le 5 avril 1763, Ewald-Frédéric de Hertzberg (t. V, p. 248), né en 1725, lui succéda dans la charge de second ministre de Cabinet.

173-a Gaspard-Fabien-Gottlieb de Luck, chef du régiment d'infanterie no 53, était né en 1723. Il devint général-major en 1774.

175-a Les mots était obligé sont omis dans le manuscrit du Roi.

175-b Le 8. Le prince Henri quitta son camp de Niemes le 10 septembre.

175-c François-Adolphe prince d'Anhalt-Bernbourg (t. V, p. 209) devint lieutenant-général et chevalier de l'Aigle noir le 21 mai 1771.

175-d Le général-major Adolphe-Detleff d'Usedom, depuis 1775 chef du régiment de hussards no 7.

177-a Aupa.

177-b Jean-George-Guillaume baron de Keller, chef du régiment d'infanterie no 37, était né en 1710. Il devint général-major en 1771.

178-a Frédéric-Léopold de Bosse, chef du régiment de dragons no 11, était né en 1719. 11 devint général-major le 12 mars 1778.

179-a Albert comte d'Anhalt, né en 1735, fils naturel du prince héréditaire Guillaume-Gustave d'Anhalt-Dessau, était major au régiment d'infanterie (no 21) du prince héréditaire de Brunswic. En 1794, il devint général-major et chef du régiment d'infanterie no 53. Il donna sa démission en 1800, et mourut deux ans plus tard.

180-a Frédéric-Ehrentreich de Ramin (t. V, p. 218), né dans la Marche-Ukraine en 1710, devint général-major au mois de mars 1759, et en 1767, lieutenant-général et chevalier de l'Aigle noir.

185-a 1779.

189-a Le général-major prince Adolphe de Hesse-Philippsthal-Barchfeld, né le 29 juin 1743, quitta le service le 11 juin 1780. On trouve dans les Stats-Anzeigen de Schlözer, t. XIII, p. 50, une relation de cette affaire destinée à le disculper.

189-b Michel-Guillaume Capeller, natif de Darmstadt, depuis 1766 capitaine dans le régiment de garnison dit de Berrenhauer, et major dans le même corps depuis le 20 janvier 1779. Il devint commandant de Silberberg en 1787, lieutenant-colonel en 1790, colonel en 1794, et mourut en 1797.

190-a Voyez t. V, p. 21 et 102.

191-a Le major d'Auerswald fut enlevé par les ennemis, le 6 février 1779, dans Cammerswalde. village frontière.
     L'aventure de Dittersbach arriva au colonel de Heilsberg, le 8 novembre 1778.

192-a Quant au régiment de Prusse, voyez t. IV, p. 161.
     Louis-Ernest de Preuss, né en 1724, devint en 1773 major au régiment du margrave Henri, et commandeur d'un bataillon de grenadiers formé des compagnies de grenadiers des régiments du margrave Henri, no 42, et du général de La Motte Fouqué, no 33. Cette brillante défense de Neustadt lui valut l'ordre pour le mérite.

194-a Il y a ici une légère inexactitude, que nous rectifions d'après des recherches dans les archives de l'État; elle est dans les noms plutôt que dans la chose même. L'Électeur palatin, obéissant à l'impulsion du baron de Lehrbach, envoyé d'Autriche à sa cour, déclara qu'il ne voulait pas donner à l'électeur de Saxe plus d'un million de florins de dédommagement. Ce fut le baron de Breteuil qui communiqua cette nouvelle au prince Repnin, le 15 mars 1779, et ces deux ambassadeurs des puissances médiatrices firent tous leurs efforts pour que le baron Lehrbach reçût des instructions qui le fissent agir dans le sens des déclarations pacifiques du comte Cobenzl. Le baron Riedesel manda tout cela au Roi à Breslau, par sa lettre du 16.