III. LETTRE DE LA PROPRE MAIN DE L'EMPEREUR, ADRESSÉE AU ROI.
De Littau, le 16 avril 1778.
Monsieur mon frère,
Dans ce moment je viens de recevoir sa lettre. Je vois Votre Majesté dans une erreur de fait, et qui change entièrement sa longue tirade, mais surtout la question; cela m'engage donc, pour le bien de l'humanité, à la lui éclaircir par cette lettre. Dans tout ce qui s'est fait en Bavière, ce n'est point l'Empereur qui a agi, mais l'électeur de Bohême et l'archiduc d'Autriche, qui, comme coétat, a fait reconnaître ses droits, et s'est arrangé, par une convention libre et amicale, avec son coétat et voisin, l'Électeur palatin, devenu seul héritier des États de la Bavière. Le droit de s'entendre et arranger avec son voisin sans l'aveu d'un tiers a toujours paru jusqu'à présent un droit incontestable à quiconque n'est pas dépendant, et par conséquent tous les princes de l'Empire l'ont toujours exercé de droit et de fait.
Quant aux prétentions sur l'allodial de la cour de Saxe et du duc de Mecklenbourg, dont elle veut bien me parler, il me paraît que c'est une affaire litigieuse à décider devant qui il compète, ou à arranger uniquement avec l'héritier, qui est l'Électeur palatin, selon les pactes de famille.
Pour Sa Majesté l'Impératrice-Reine, je crois pouvoir assurer que le droit de regrédience dont elle a touché quelque chose dans la réponse qu'elle a donnée, elle pourra même ne plus le faire valoir, en faveur des autres héritiers allodiaux et pour leur faire plaisir.
<212>Pour le duc de Deux-Ponts, il est prouvé qu'il n'a aucun droit, tant que l'Électeur palatin existe, et il lui est libre d'accéder ou non à la convention qui s'est faite; et quoiqu'il ait autorisé préalablement l'Électeur à s'arranger en son nom et au nom de tous ses héritiers avec Sa Majesté l'Impératrice sur la succession de Bavière, ses droits resteront néanmoins intacts, et Sa Majesté ne se croira point obligée vis-à-vis de lui à sa convention, et par conséquent dans le cas de faire de nouveaux arrangements, ou de procéder par la voie légale que son bon droit lui donne vis-à-vis du duc de Deux-Ponts, lorsqu'il sera dans le cas de succéder à l'Électeur palatin.
Par les raisons ci-alléguées, qui sont toutes des faits prouvés, je crois que Votre Majesté sera convaincue entièrement que le mot de despotisme dont elle se sert, et que j'abhorre pour le moins autant qu'elle, est de trop, et que l'Empereur n'a fait autre chose, dans toute cette occurrence, que de promettre à un chacun qui se plaindra à lui en bonne forme et lui fera connaître ses droits, de lui administrer prompte justice, tout comme Sa Majesté l'Impératrice-Reine n'a fait que faire valoir ses droits et les constater par une convention libre; et elle saura par conséquent, avec tous les moyens qu'elle a, défendre ses possessions. Voilà le vrai état de la question, qui se réduit à savoir si quelque loi d'Empire empêche un électeur de faire avec son voisin un arrangement et une convention sans l'intervention des autres, qui leur convient mutuellement, ou non. J'attendrai avec tranquillité ce qu'il lui plaira de me répondre ou de faire. J'ai appris tant de choses vraiment utiles déjà de Votre Majesté, que si je n'étais pas citoyen, et que quelques millions d'êtres qui par là en souffriraient cruellement, ne me touchassent, je lui dirais presque que je ne serais pas fâché qu'elle m'apprît encore à être général. Néanmoins elle peut compter que le maintien de la paix, et surtout avec elle, que j'honore et aime vraiment, est mon sincère désir, et que quatre cent mille braves gens ne devraient point être employés à s'égorger mutuellement, et cela<213> pourquoi? et à quoi bon? et sans en prévoir surtout de part ni d'autre des fruits qui les puissent valoir. Voilà mes sincères réflexions; j'ose les communiquer à Votre Majesté avec toute la cordialité et franchise possible, étant avec la plus haute et parfaite considération,
Monsieur mon frère,
de Votre Majesté
le bon frère et cousin,
Joseph.