<74> comme la religion sert souvent de prétexte aux passions des hommes, et comme, par leur perversité, la source la plus pure du bien devient celle du mal.
La cause de M. de Voltaire étant aussi bonne que nous venons de l'exposer, il emporta les suffrages de tous les tribunaux où la raison était plus écoutée que les sophismes mystiques. Quelque persécution qu'il endurât de la haine théologale, il distingua toujours la religion de ceux qui la déshonorent : il rendait justice aux ecclésiastiques dont les vertus ont été le véritable ornement de l'Église; il ne blâmait que ceux dont les mœurs perverses les rendirent l'abomination publique.
M. de Voltaire passa donc ainsi sa vie entre les persécutions de ses envieux et l'admiration de ses enthousiastes, sans que les sarcasmes des uns l'humiliassent, et que les applaudissements des autres accrussent l'opinion qu'il avait de lui-même; il se contentait d'éclairer le monde, et d'inspirer par ses ouvrages l'amour des lettres et de l'humanité. Non content de donner des préceptes de morale, il prêchait la bienfaisance par son exemple : ce fut lui dont l'appui courageux vint au secours de la malheureuse famille des Calas; lui qui plaida la cause des Sirven, et qui les arracha des mains barbares de leurs juges; lui qui aurait ressuscité le chevalier de La Barre, s'il avait eu le don des miracles. Qu'il est beau qu'un philosophe, du fond de sa retraite, élève sa voix, et que l'humanité, dont il est l'organe, force les juges à réformer des arrêts iniques! Si M. de Voltaire n'avait par devers soi que cet unique trait, il mériterait d'être placé parmi le petit nombre des véritables bienfaiteurs de l'humanité. La philosophie et la religion enseignent donc de concert le chemin de la vertu : voyez lequel est le plus chrétien, ou le magistrat qui force cruellement une famille à s'expatrier, ou le philosophe qui la recueille et la soutient; le juge qui se sert du glaive de la loi pour assassiner un étourdi, ou le sage qui veut sauver la vie du jeune homme pour le corriger; le bourreau de Calas, ou le protecteur de sa famille désolée. Voilà, messieurs, ce qui