<172> doit accompagner une disgrâce. Les torys, et le maréchal de Tallard à leur tête, se prévalurent de cette affaire, qui devint un coup de partie pour eux. La duchesse de Marlborough fut disgraciée peu de temps après, et avec elle tomba le parti des whigs et celui des alliés de l'Empereur. Tel est le jeu des choses les plus graves du monde : la Providence se rit de la sagesse et des grandeurs humaines; des causes frivoles et quelquefois ridicules changent souvent la fortune des États et des monarchies entières. Dans cette occasion, de petites misères de femmes sauvèrent Louis XIV d'un pas dont sa sagesse, ses forces et sa puissance ne l'auraient peut-être pu tirer, et obligèrent les alliés à faire la paix malgré eux.
Ces sortes d'événements arrivent; mais j'avoue que c'est rarement, et que leur autorité n'est pas suffisante pour décréditer entièrement la prudence et la pénétration; il en est comme des maladies, qui altèrent quelquefois la santé des hommes, mais qui ne les empêchent pas de jouir la plupart du temps des avantages d'un tempérament robuste.
Il faut donc nécessairement que ceux qui doivent gouverner le monde cultivent leur pénétration et leur prudence; mais ce n'est pas tout; car, s'ils veulent captiver la fortune, il faut qu'ils apprennent à plier leur tempérament sous les conjonctures, ce qui est très-difficile.
Je ne parle, en général, que de deux sortes de tempéraments, celui d'une vivacité hardie, et celui d'une lenteur circonspecte; et comme ces causes morales ont une cause physique, il est presque impossible qu'un prince soit si fort maître de lui-même, qu'il prenne toutes les couleurs comme un caméléon. Il y a des siècles qui favorisent la gloire des conquérants et de ces hommes hardis et entreprenants qui semblent nés pour opérer des changements extraordinaires dans l'univers. Des révolutions, des guerres, et principalement je ne sais quels esprits de vertige et de défiance qui brouillent les sou-