<217> d'avoir la prééminence dans le crime, et l'honneur d'en avoir enseigné le chemin à des monstres aussi dénaturés que vous-même. C'est ainsi que les vices se confondent, et qu'ils couvrent d'infamie ceux qui s'y adonnent, en leur devenant préjudiciables et dangereux. Jamais un prince n'aura le monopole du crime; ainsi il ne trouvera jamais d'impunité pour sa scélératesse. Le crime est comme un rocher dont une partie se détache, qui brise tout ce qu'il rencontre en son chemin, et qui enfin, par son poids, se fracasse lui-même. Quelle abominable erreur, quel égarement de raison peut faire goûter à Machiavel des maximes aussi contraires à l'humanité qu'elles sont détestables et dépravées?
Borgia établit le cruel d'Orco gouverneur de la Romagne, pour réprimer les désordres, les vols et les assassinats qui s'y commettaient. Quelle pitoyable contradiction! Borgia devait rougir de punir en d'autres les vices qu'il tolérait en lui-même. Le plus violent des usurpateurs, le plus faux des parjures, le plus cruel des assassins et des empoisonneurs pouvait-il condamner à mort des filous et des scélérats qui copiaient le caractère de leur nouveau maître en miniature et selon leur petite capacité?
Ce roi de Pologne dont la mort vient de causer tant de troubles en Europe agissait bien plus conséquemment et plus noblement envers ses sujets saxons. Les lois de Saxe condamnaient tout paillard à avoir la tête tranchée. Je n'approfondis point l'origine de cette loi barbare, qui paraît plus convenable à la jalousie italienne qu'à la patience allemande. Un malheureux transgresseur de cette loi, à qui l'amour avait fait affronter l'usage et le supplice, ce qui n'est pas peu, passa condamnation. Auguste devait signer l'arrêt de mort; mais Auguste était sensible à l'amour et à l'humanité : il donna sa grâce au criminel, et il abrogea une loi qui le condamnait tacitement lui-même toutes les fois qu'il avait de ces sortes d'arrêts à signer. Depuis ce temps, la galanterie obtint privilége d'impunité en Saxe.