<261>ment les faits sans les travestir et les changer. Des peintres différents encore des deux ordres que je viens de marquer ont mêlé l'histoire à la fiction pour représenter des monstres plus hideux que l'enfer n'en saurait enfanter; leurs pinceaux semblaient presque n'avoir de capacité que pour attraper les figures de diables, leur toile a été empreinte de ce que l'imagination la plus féconde et la plus funeste en même temps a pu créer de sombre et de farouche au sujet des damnés et des monstres d'enfer. Ce que les Callot, ce que les Pierre Testa sont en ce genre de peinture, Machiavel l'est en ce genre d'auteurs. Il représente l'univers comme un enfer, et tous les hommes comme des démons; on dirait que ce politique misanthrope et hypocondre a voulu calomnier tout le genre humain par haine pour l'espèce entière, ou qu'il ait pris à tâche d'anéantir la vertu, peut-être pour rendre tous les habitants de ce continent ses semblables.
Machiavel parlant de la vertu s'expose au ridicule de ceux qui raisonnent sur ce qu'ils n'entendent point, et il donne, de plus, dans l'excès qu'il condamne en d'autres; car, si quelques auteurs ont fait le monde trop bon, il le représente d'une méchanceté outrée; en partant d'un principe posé en son ivresse, il n'en peut découler que de fausses conséquences; il est aussi impossible de raisonner juste sans que le premier principe soit véritable, qu'il est impossible de faire un cercle sans un centre commun.
La morale politique de l'auteur se réduit à n'avoir de vices que ceux qui se trouvent profitables à l'intérêt, en sacrifiant les autres à l'ambition, et à se conformer à la scélératesse du monde pour éviter une perte qui autrement serait infaillible.
L'intérêt est le mot de l'énigme de ce système politique; c'est le tourbillon de Des Cartes, c'est la gravitation de Newton. Selon Machiavel, l'intérêt est l'âme de ce monde, tout doit s'y plier, jusqu'aux passions mêmes. C'est cependant pécher grièvement contre la connaissance du monde que de supposer que les hommes puissent se