<272> qu'ils sont hommes comme ceux sur lesquels ils doivent juger; ils savent que des torts, des injustices, des injures peuvent se réparer dans le monde, mais qu'un arrêt de mort précipité est un mal irréparable; ils ne se portent à la sévérité que pour éviter une rigueur plus fâcheuse qu'ils prévoient s'ils se conduisaient autrement; et ils ne prennent de ces résolutions funestes que dans des cas désespérés et pareils à ceux où un homme se sentant un membre gangrené, malgré la tendresse qu'il a pour lui-même, se résoudrait à le laisser retrancher, pour garantir et pour sauver du moins par cette opération douloureuse le reste de son corps. Ce n'est donc pas sans la plus grande nécessité qu'un prince doit attenter à la vie de ses sujets; c'est donc sur quoi il doit être le plus circonspect et le plus scrupuleux.
Machiavel traite des choses aussi graves, aussi sérieuses, aussi importantes, en bagatelles. Chez lui, la vie des hommes n'est comptée pour rien, et l'intérêt, ce seul dieu qu'il adore, est compté pour tout; il préfère la cruauté à la clémence, et il conseille à ceux qui sont nouvellement élevés à la souveraineté de mépriser plus que les autres la réputation d'être cruels.
Ce sont des bourreaux qui placent les héros de Machiavel sur le trône, et c'est la force et la violence qui les y maintiennent. César Borgia est le refuge de ce politique lorsqu'il cherche des exemples de cruauté, comme Télémaque l'est de M. de Fénelon lorsqu'il enseigne le chemin de la vertu.
Machiavel cite encore quelques vers que Virgile met dans la bouche de Didon; mais cette citation est entièrement déplacée, car Virgile fait parler Didon comme M. de Voltaire fera parler Jocaste en son Œdipe. Le poëte fait tenir à ces personnages un langage qui convient à leur caractère. Ce n'est donc point l'autorité de Didon, ce n'est donc point l'autorité de Jocaste qu'on doit emprunter dans un traité de politique; il faut l'exemple des grands hommes et d'hommes vertueux.