<280>Le politique, non content d'avoir démontré, selon sa façon de raisonner, la facilité du crime, relève ensuite le bonheur de la perfidie; mais ce qu'il y a de fâcheux, c'est que ce César Borgia, le plus grand scélérat, le plus grand traître, le plus perfide des hommes que ce César Borgia, le héros de Machiavel, a été effectivement très-malheureux. Machiavel se garde bien de parler de lui à cette occasion. Il lui fallait des exemples; mais d'où les aurait-il pris, que du registre des procès criminels, ou de l'histoire des papes? C'est pour ces derniers qu'il se détermine, et il assure qu'Alexandre VI, l'homme le plus faux, le plus impie de son temps, réussit toujours dans ses fourberies, puisqu'il connaissait parfaitement la faiblesse des hommes sur la crédulité.

J'ose assurer que ce n'était pas tant la crédulité des hommes que de certains événements et de certaines circonstances qui firent réussir les desseins de ce pape; il y avait le contraste de l'ambition française et espagnole, la désunion et la haine des familles d'Italie, les passions et la faiblesse de Louis XII, et les sommes d'argent qu'extorquait Sa Sainteté et qui la rendirent très-puissante, qui n'y contribuèrent pas moins.

La fourberie est même un défaut en style de politique, lorsqu'on la pousse trop loin. Je cite l'autorité d'un grand politique; c'est le cardinal Mazarin, qui disait de don Louis de Haroa qu'il avait un grand défaut en politique, c'est qu'il était toujours fourbe. Ce même Mazarin voulant employer M. de Fabertb à une négociation scabreuse, le maréchal de Fabertb lui dit : « Souffrez, monseigneur, que »


a C'est l'inverse, suivant Voltaire. Don Louis de Haro, qui conclut avec Mazarin la paix des Pyrénées, en 1609, doit avoir dit du cardinal : « Il a un grand défaut en politique, c'est qu'il veut toujours tromper. » Voyez Œuvres de Voltaire, par M. Beuchot, t. XIX, p. 340; et ci-dessus, p. 136.

b Les mots « M. de Fabert » et « le maréchal de Fabert » sont omis dans notre autographe. L'auteur a laissé des lacunes qu'il comptait remplir ensuite; Voltaire les a suppléées dans ses éditions de l'Antimachiavel.