<315> le droit du plus fort serait l'unique justice de la terre, et une pareille inondation de crimes réduirait dans peu ce continent dans une vaste et triste solitude. C'était donc l'iniquité et la barbarie des princes d'Italie qui firent qu'ils perdirent leurs États, ainsi que les faux principes de Machiavel perdront à coup sûr ceux qui auront la folie de les suivre.
Je ne déguise rien : la lâcheté de quelques-uns de ces princes d'Italie peut avoir également avec leur méchanceté concouru à leur perte; la faiblesse des rois de Naples, il est sûr, ruina leurs affaires. Mais qu'on me dise, d'ailleurs, en politique tout ce que l'on voudra, argumentez, faites des systèmes, alléguez des exemples, employez toutes les subtilités des sophistes, vous serez obligé d'en revenir à la justice malgré vous, à moins que vous consentiez à vous brouiller avec le bon sens. Machiavel lui-même ne fait qu'un galimatias pitoyable lorsqu'il veut enseigner d'autres maximes, et quoi qu'il ait fait, il n'a pu plier la vérité à ses principes. Le commencement de ce chapitre est un endroit fâcheux pour ce politique; sa méchanceté l'a engagé dans un dédale où son esprit cherche vainement le fil merveilleux d'Ariane pour l'en tirer.
Je demande humblement à Machiavel ce qu'il a prétendu dire par ces paroles : « Si l'on remarque en un souverain nouvellement élevé sur le trône, ce qui veut dire dans un usurpateur, de la prudence et du mérite, on s'attachera bien plus à lui qu'à ceux qui ne sont redevables de leur grandeur qu'à leur naissance. La raison de cela, c'est qu'on est bien plus touché du présent que par le passé; et quand on y trouve de quoi se satisfaire, on ne va pas plus loin. »
Machiavel suppose-t-il que, de deux hommes également valeureux et spirituels, le peuple préférera l'usurpateur au prince légitime? ou l'entend-il d'un souverain sans vertus, et d'un ravisseur vaillant et plein de capacité? Il ne se peut point que la première supposition soit celle de l'auteur; elle est opposée aux notions les plus ordinaires du