<317> le cours de cet ouvrage, injuste, cruel, ambitieux, et uniquement occupé du soin de son agrandissement.
C'est ainsi qu'on peut voir démasqué ce politique que son siècle fit passer pour un grand homme, que beaucoup de ministres ont reconnu dangereux, mais qu'ils ont suivi, dont on a fait étudier les abominables maximes aux princes, à qui personne n'avait encore répondu en forme, et que beaucoup de politiques suivent encore, sans vouloir qu'on les en accuse.
Heureux serait celui qui pourrait détruire entièrement le machiavélisme dans le monde! J'en ai fait voir l'inconséquence; c'est à ceux qui gouvernent l'univers à donner des exemples de vertu aux yeux du monde. Je l'ose dire, ils sont obligés de guérir le public de la fausse idée dans laquelle il se trouve sur la politique, qui n'est proprement que le système de la sagesse des princes, mais que l'on soupçonne communément d'être le bréviaire de la fourberie et de l'injustice. C'est à eux de bannir les subtilités et la mauvaise foi des traités, et de rendre la vigueur à l'honnêteté et à la candeur, qui, à dire vrai, ne se trouve plus entre les souverains. C'est à eux de montrer qu'ils sont aussi peu envieux des provinces de leurs voisins que jaloux de la conservation de leurs propres États. On respecte les souverains, c'est un devoir et même une nécessité; mais on les aimerait, si, moins occupés d'augmenter leur domination, ils étaient plus attentifs à bien régner. L'un est un effet d'une imagination qui ne saurait se fixer; l'autre est une marque d'un esprit juste, qui saisit le vrai, et qui préfère la solidité du devoir au brillant de la vanité. Le prince qui veut tout posséder est comme un estomac qui se surcharge goulûment de viandes, sans songer qu'il ne pourra pas les digérer. Le prince qui se borne à bien gouverner est comme un homme qui mange sobrement, et dont l'estomac digère bien.