<43> l'expérience nous fait connaître que nous avons peu de capacité, peu d'application, que notre génie n'est pas assez transcendant pour pénétrer les vérités, et que nous n'avons pas une mémoire assez vaste et assez sûre pour la charger de toutes les connaissances nécessaires à cette belle et pénible étude.
Il se trouve encore un autre obstacle qui nous empêche de parvenir à la connaissance de la vérité, dont les hommes ont embarrassé leur chemin, comme si ce chemin était trop aisé par lui-même. Cet obstacle consiste dans les préjugés de l'éducation. La plus grande partie des hommes est dans des principes évidemment faux : leur physique est très-fautive, leur métaphysique ne vaut rien, leur morale consiste dans un intérêt sordide, dans un attachement sans bornes aux biens de la terre; ce qui est chez eux une grande vertu, c'est une sage prévoyance qui les fait songer à l'avenir, et qui pourvoit de loin à la subsistance de leur famille. Vous jugez bien que la logique de ces sortes de gens est sortable au reste de leur philosophie; aussi est-elle pitoyable : l'art de raisonner, chez eux, consiste à parler seuls, à décider de tout, et à ne point souffrir de réplique. Ces petits législateurs de famille s'intriguent d'abord extrêmement des idées qu'ils veulent imprimer à leur progéniture; père, mère, parents travaillent à éterniser leurs erreurs; au sortir du berceau, on prend bien de la peine pour donner aux enfants une idée du moine bourru et du loup-garou. Ces belles connaissances sont à l'ordinaire suivies d'autres qui les valent; l'école y contribue de son côté; il vous faut passer par les visions de Platon pour arrivera celles d'Aristote, et d'un saut on vous initie aux mystères des tourbillons. Vous sortez de l'école, la mémoire bien chargée de mots, l'esprit plein de superstitions et rempli de respect pour les anciennes billevesées. L'âge de la raison arrive : ou vous secouez le joug de l'erreur, ou vous renchérissez sur vos parents; ont-ils été borgnes, vous devenez aveugle; ont-ils cru de certaines choses, parce qu'ils s'imaginaient de les croire, vous les