<57> est difficile de l'apercevoir, tant il paraît naturel; et l'on dirait que ces fruits qu'a produits la fécondité de son imagination, et qui embellissent tous les endroits de ce poëme, n'y sont mis que par nécessité. Vous n'y trouverez point de ces petits détails où se noient tant d'auteurs à qui la sécheresse et l'enflure tiennent lieu de génie. M. de Voltaire s'applique à décrire d'une manière intéressante les sujets pathétiques; il possède le grand art d'émouvoir le cœur. Tels sont des endroits touchants, la mort de Coligny, l'assassinat de Valois, le combat du jeune d'Ailly, le congé que Henri IV prend de la belle Gabrielle d'Estrées, et la mort du brave d'Aumale.a On se sent ému chaque fois qu'on en fait la lecture. En un mot, l'auteur ne s'arrête qu'aux endroits intéressants, et il passe légèrement sur ceux qui ne feraient qu'allonger son poëme; il n'y a ni du trop ni du trop peu dans la Henriade.

Le merveilleux que l'auteur a employé ne peut choquer aucun lecteur judicieux : tout y est ramené au vraisemblable par le système de la religion; tant la poésie et l'éloquence savent l'art de rendre respectables des objets qui ne le sont guère par eux-mêmes, et de fournir des preuves de crédibilité capables de séduire.

Toutes les allégories qu'on trouve dans ce poëme sont nouvelles. Il y a la Politique qui habite au Vatican, le temple de l'Amour, la vraie Religion, les Vertus, la Discorde, tous les Vices; tout vit, tout est animé par le pinceau de M. de Voltaire; ce sont autant de tableaux qui surpassent, au jugement des connaisseurs, tout ce qu'a produit le crayon habile du Carrache et du Poussin.

Il me reste à présent à parler de la poésie du style, de cette partie qui caractérise proprement le poëte. Jamais la langue française n'eut autant de force que dans la Henriade; on y trouve partout de la noblesse. L'auteur s'élève avec un feu infini jusqu'au sublime, et il ne


a Henriade, chant II, v. 207; V, v. 279; VIII, v. 207; IX, v. 339; X, v. 148.