<273> exposer au jugement du public. Dans un sens il est vrai que la terre est l'habitation des hommes, comme l'air l'est des oiseaux, l'eau, des poissons, et le feu, des salamandres, s'il y en avait. Mais ce n'était pas la peine d'annoncer avec tant d'emphase une vérité aussi triviale. Vous dites encore, d'après des encyclopédistes, que le sage est citoyen de l'univers. Je vous l'accorde, si l'auteur entend par là que les hommes sont tous frères et qu'ils doivent tous s'aimer; mais je cesse d'être de son avis, si son intention est de former des vagabonds, des gens qui, ne tenant à rien, courent le monde par ennui, deviennent fripons par nécessité, et finissent, soit dans un lieu, soit dans un autre, par être punis de la vie désordonnée qu'ils ont menée. De semblables idées entrent et s'inculquent facilement dans des têtes légères; les suites qu'elles produisent sont toujours opposées au bien de la société, parce qu'elles mènent à dissoudre l'union sociale, en déracinant insensiblement de l'esprit des citoyens le zèle et l'attachement qu'ils doivent à leur patrie. Ces mêmes encyclopédistes ont de même jeté tout le ridicule qu'ils ont pu sur l'amour de la patrie tant recommandé par l'antiquité, et qui de tout temps a été le principe des plus belles actions. Ils raisonnent aussi pitoyablement sur ce sujet que sur bien d'autres : ils vous disent doctoralement qu'il n'y a point d'être qui s'appelle patrie, que c'est une idée creuse de quelque législateur qui a créé ce mot pour gouverner des citoyens, et que par conséquent ce qui n'existe pas réellement ne saurait mériter notre amour. Cela s'appelle pitoyablement argumenter; ils ne distinguent pas ce qu'on nomme selon le langage de l'école ens per se, d'avec ens per aggregationem. L'un signifie un être seul et unique : tel homme, tel cheval, tel éléphant; l'autre joint plusieurs corps ensemble, dont il forme une masse : la ville de Paris, en sous-entendant ses habitants; une armée, c'est une quantité de soldats; un empire, c'est une nombreuse association d'hommes. Ainsi le pays où nous avons reçu la lumière s'appelle notre patrie. Cette patrie existe donc réellement,