<116>que la prospérité enflât l'audace de ce prince, et le poussât au delà de son but, il n'eut plus que des malheurs affreux à essuyer; il voulait disposer de la Russie comme de la Pologne, et détrôner le Czar comme il avait détrôné Auguste.

Dans ce dessein, il s'avança vers les frontières de la Moscovie, où deux chemins le conduisaient, l'un par la Livonie, où tous les secours de la Suède étaient à portée de le joindre par mer, par lequel il aurait pu s'avancer jusqu'à la nouvelle ville que le Czar fondait alors sur les bords de la Baltique, et détruire pour jamais le lien qui devait joindre la Russie avec l'Europe; l'autre chemin traversait l'Ukraine, et conduisait à Moscou par des déserts impraticables. Charles XII se détermina pour ce dernier, ou parce qu'il avait ouï dire qu'on ne vaincrait jamais les Romains que dans Rome, ou que la difficulté de l'entreprise irritât son courage, ou parce qu'il comptait sur Mazeppa, prince des Cosaques, qui lui avait promis de fournir son armée de vivres, et de le joindre avec un nombre considérable des siens. Le Czar fut averti des intrigues de ce Cosaque : il dissipa les troupes que Mazeppa assemblait, et s'empara de ses magasins; de sorte que lorsque le roi de Suède arriva dans l'Ukraine, il ne trouva que des déserts affreux, au lieu d'un pays abondant en subsistances, et un prince fugitif qui venait chercher un asile dans son camp, au lieu d'un allié puissant qui lui amenât des secours.

Ces contre-temps ne rebutèrent point Charles XII : il assiégea Poltawa, comme s'il n'eût manqué de rien; lui, qui avait été invulnérable jusqu'alors, fut blessé à la jambe, en s'amusant à reconnaître cette bicoque de trop près; son général Lewenhaupt, qui lui amenait des vivres, des munitions et un secours de treize mille hommes, fut battu par le Czar à trois reprises, et obligé, dans cette nécessité, de brûler les convois qu'il conduisait; il n'arriva au camp du Roi qu'avec trois mille hommes de troupes, exténués de fatigues, et qui augmentèrent dans le camp la disette qui y régnait.

Le Czar s'approcha bientôt de Poltawa; et dans cette plaine se donna cette bataille si célèbre, entre les deux hommes les plus singuliers de leur siècle. Charles XII, qui jusqu'alors, comme l'arbitre des destins, n'avait rien trouvé qui arrêtât ses volontés,