<144>Quoique la paix ne fût pas conclue avec la Suède, elle était autant que faite. Le Roi qui voyait la tranquillité de ses États assurée, commença dès lors véritablement à régner, c'est-à-dire à faire le bonheur de ses peuples. Ce prince haïssait ces génies remuants qui communiquent leurs passions tumultueuses dans toutes les régions où l'intrigue peut pénétrer. Il n'aspirait point à la réputation de ces conquérants qui n'ont d'autre amour que celui de la gloire, mais bien à celle des législateurs qui n'ont d'autre objet que le bien et la vertu : il pensait que le courage d'esprit, si nécessaire pour réformer des abus et pour introduire des nouveautés utiles dans un gouvernement, était préférable à cette valeur de tempérament qui fait affronter les plus grands dangers, sans crainte à la vérité, mais souvent aussi sans connaissance. Les traces que la sagesse de son gouvernement a laissées dans l'État, dureront autant que la Prusse subsistera en corps de nation.
Frédéric-Guillaume établit alors véritablement son système militaire, et le lia si étroitement avec le reste du gouvernement, qu'on ne pouvait y toucher sans hasarder de bouleverser l'État même. Pour juger de la sagesse de ce système, peut-être qu'il ne sera pas inutile d'entrer ici dans quelque discussion sur cette matière.
Dès le règne de Frédéric Ier, il s'était glissé quantité d'abus touchant les taxes, qui étaient devenues arbitraires; les cris de tout l'État en demandaient la réforme. Lorsque cette matière fut examinée, il se trouva qu'il n'y avait aucun principe selon lequel les possesseurs des terres fussent taxés de payer les contributions; que dans quelques endroits on avait conservé les impôts sur le pied où ils étaient avant la guerre de trente ans; mais que tous les propriétaires des terres défrichées depuis ce temps, dont le nombre était considérable, étaient taxés différemment. Afin de rendre ces impôts proportionnels, le Roi fit exactement mesurer tous les champs cultivables, et rétablit l'égalité des contributions selon les différentes classes de bonnes et de mauvaises terres; et comme le prix des denrées était de beaucoup haussé depuis la régence du Grand Électeur, il haussa de même les impôts à proportion de ce prix; ce qui augmenta considérablement ses revenus.