<193>temps de disette, et qui lui procuraient des magasins tout faits pour l'armée en temps de guerre.

Vers l'année 1730, la fureur des grands hommes parvint à un point que la postérité aura peine à le croire : le prix commun d'un homme de cinq pieds dix pouces du Rhin, était de sept cents écus; un homme de six pieds était payé mille écus; et, s'il était plus grand, le prix augmentait encore de beaucoup; il y avait plusieurs régiments qui n'avaient point d'hommes au-dessous de cinq pieds huit pouces; le plus petit homme de l'armée avait cinq pieds six pouces, bien mesurés.

Pour mettre de l'ordre dans ces enrôlements, qui se faisaient dans le pays avec confusion, et qui donnaient lieu à mille procès entre les régiments, dès l'année 1733 le Roi partagea toutes les provinces en cantons : ces cantons furent assignés aux régiments, d'où ils pouvaient tirer en temps de paix trente hommes par an, et en temps de guerre jusqu'à cent; ce qui rendit l'armée immortelle, en lui fournissant un fonds assuré, par lequel elle s'est sans cesse renouvelée depuis.

La cavalerie, de même que l'infanterie, était composée de très-grands hommes, montés sur des chevaux énormes; c'étaient des colosses sur des éléphants, qui ne savaient ni manœuvrer ni combattre : il ne se faisait aucune revue sans que quelque cavalier tombât par terre par maladresse; ils n'étaient pas maîtres de leurs chevaux, et leurs officiers n'avaient aucune notion du service de la cavalerie, nulle idée de la guerre, aucune connaissance du terrain, ni théorie ni pratique des évolutions qu'il convient à la cavalerie de faire dans un jour de combat. Ces bons officiers étaient des économes qui regardaient leurs compagnies comme des fermes, qu'ils faisaient valoir le plus qu'ils pouvaient.

Outre les choses que nous venons de dire, la longue paix avait abâtardi le service. Au commencement du règne de Frédéric-Guillaume, on avait raffiné sur l'ordre des régiments et sur la discipline; mais comme il n'y avait plus rien à faire de ce côté-là, les spéculations s'étaient tournées sur ces sortes de choses qui ne donnent que dans la vue : le soldat vernissait son fusil et sa fourniture; le cavalier, sa bride, sa selle, et même ses bottes; les crins des chevaux étaient tressés avec des rubans; et, à la fin,